Staline : Les problèmes économiques du socialisme en URSS

« La société toute entière a cela de commun avec l'intérieur d'un atelier, qu'elle aussi a sa division du travail. Si l'on prenait pour modèle la division du travail dans un atelier moderne, pour en faire l'application à une société entière, la société la mieux organisée pour la production des richesses serait incontestablement celle qui n'aurait qu'un seul entrepreneur en chef, distribuant la besogne selon une règle arrêtée d'avance aux divers membres de la communauté. Mais il n'en est point ainsi. Tandis que dans l'intérieur de l'atelier moderne la division du travail est minutieusement réglée par l'autorité de l'entrepreneur, la société moderne n'a d'autre règle, d'autre autorité, pour distribuer le travail, que la libre concurrence. (...) Ce qui distingue le communisme de tous les mouvements connus jusqu'ici, c'est qu'il bouleverse les fondements de tous les rapports de production et de commerce traditionnels et que, pour la première fois, il traite de manière consciente toutes les données naturelles préalables comme des créations des générations passées, en les dépouillant de leur caractère primitif et en les soumettant à la puissance des individus associés. C'est pourquoi son institution est essentiellement économique ; elle est l'établissement matériel des conditions de cette association. » (Karl Marx : Misère de la philosophie, 1847 et L'Idéologie allemande, 1845.)

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Sommaire :

Staline : Les problèmes économiques du socialisme en URSS (1952)

Remarques relatives aux questions économiques soulevées à la discussion de novembre 1951

Réponse au camarade Notkine Alexandre Ilitch

Des erreurs du camarade L. Iarochenko

Réponse aux camarades Sanina A. V. et Venger V. G.

Staline et la question du "socialisme de marché"

Introduction

Le socialisme : une lutte incessante pour l'abolition de classes

Transformation fondamentale de la politique économique après la mort de Staline

La lutte pour une conception marxiste de la loi de la valeur

Staline et la Création de l'Économie Politique du Socialisme

Le PCUS (B), le Gosplan et la Question de la Transition à la Société Communiste en URSS (1939-1953)

LA SIGNIFICATION HISTORIQUE DE L'OUVRAGE DE STALINE "LES PROBLèMES éCONOMIQUES DU SOCIALISME EN URSS"

LE DÉVELOPPEMENT DES RAPPORTS DE PRODUCTION SOCIALISTES DANS L'AGRICULTURE ALBANAISE

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Télécharger :

B. Bland — Le processus de restauration du capitalisme en URSS

Staline — Cinq conversations avec les économistes soviétiques

Photos : Centrale hydroélectrique sur le Dniepr. L'une des plus grandes réalisation du premier plan quinquennal, elle fût achevée en 1932, c'était alors la plus grande centrale hydroélectrique au monde. — L'industrialisation socialiste a permis à l'URSS, pays autrefois arriéré, de produire le matériel de guerre qui a assuré la victoire contre le nazisme.

 

 

Staline : Les problèmes économiques du socialisme en URSS (1952)

 

Aux participants à la discussion économique.

 

Remarques relatives aux questions économiques soulevées à la discussion de novembre 1951

 

J'ai reçu tous les documents relatifs à la discussion économique qui s'est déroulée autour de l'appréciation du projet de manuel d'économie politique. J'ai reçu notamment les "Propositions pour améliorer le projet de manuel d'économie politique", les "Propositions pour éliminer les erreurs et les imprécisions" du projet, ainsi qu'un "Relevé des questions controversées". Pour tous ces matériaux, de même que pour le projet de manuel, je tiens à faire les remarques suivantes.

 

1. A propos du caractère des lois économiques sous le socialisme

 

Certains camarades nient le caractère objectif des lois de la science, notamment celui des lois de l'économie politique sous le socialisme. Ils nient que les lois de l'économie politique reflètent la régularité des processus qui se produisent indépendamment de la volonté humaine. Ils estiment que, étant donné le rôle particulier que l'histoire réserve à l'Etat soviétique, celui-ci, ses dirigeants, peuvent abolir les lois existantes de l'économie politique, peuvent "former", "créer" des lois nouvelles. Ces camarades se trompent gravement. Ils confondent visiblement les lois de la science reflétant les processus objectifs dans la nature ou dans la société, qui s'opèrent indépendamment de la volonté humaine, avec les lois édictées par les gouvernements, créées par la volonté des hommes et n'ayant qu'une force juridique. Mais il n'est point permis de les confondre.

 

Le marxisme conçoit les lois de la science, -- qu'il s'agisse des lois de la nature ou des lois de l'économie politique, -- comme le reflet des processus objectifs qui s'opèrent indépendamment de la volonté humaine. Ces lois, on peut les découvrir, les connaître, les étudier, en tenir compte dans ses actes, les exploiter dans l'intérêt de la société, mais on ne peut les modifier ou les abolir. A plus forte raison ne peut-on former ou créer de

nouvelles lois de la science.

 

Est-ce à dire, par exemple, que les résultats de l'action des lois de la nature, des forces de la nature sont, en général, inéluctables ; que l'action destructive des forces de la nature se produit toujours et partout avec une spontanéité inexorable, qui ne se prête pas à l'action des hommes ? Evidemment non. Si l'on fait abstraction des processus astronomiques, géologiques et quelques autres analogues, où les hommes, même s'ils connaissent les lois de leur développement, sont véritablement impuissants à agir sur eux ; ils sont en maintes occasions loin d'être impuissants quant à la possibilité d'agir sur les processus de la nature. Dans toutes ces circonstances, les hommes, en apprenant à connaître les lois de la nature, en en tenant compte et en s'appuyant sur elles, en les appliquant avec habileté et en les exploitant, peuvent limiter la sphère de leur action, imprimer aux forces destructives de la nature une autre direction, les faire servir à la société.

 

Prenons un exemple parmi tant d'autres. Aux temps anciens, on considérait les débordements des grands fleuves, les inondations, la destruction des habitats et des superficies cultivées, comme un fléau contre lequel les hommes étaient impuissants. Mais avec le temps, avec le progrès des connaissances humaines, les hommes ayant appris à construire des barrages et des stations hydrauliques, on a trouvé moyen de détourner de la société les inondations qui paraissaient autrefois inéluctables. Bien plus : on a appris à museler les forces destructives de la nature, à les dompter pour ainsi dire, à faire servir la puissance des eaux à la société et à l'exploiter pour irriguer les champs, pour obtenir l'énergie électrique.

 

Est-ce à dire que l'on ait par là même aboli les lois de la nature, les lois de la science, que l'on ait créé de nouvelles lois de la nature, de nouvelles lois de la science ?  Evidemment non. La vérité est que toute cette opération tendant à prévenir l'action des forces destructives de l'eau et à l'exploiter dans l'intérêt de la société, s'effectue sans que les lois de la science soient le moins du monde violées, changées ou abolies, sans que de nouvelles lois de la science soient créées. Au contraire, toute cette opération se fait sur la base exacte des lois de la nature, des lois de la science, car une violation quelconque des lois de la nature, la moindre atteinte à ces lois amènerait la désorganisation, l'échec de cette opération.

 

Il faut en dire autant des lois du développement économique, des lois de l'économie politique, -- qu'il s'agisse de la période du capitalisme ou de la période du socialisme. Là aussi, comme dans les sciences de la nature, les lois du développement économique sont des lois objectives reflétant les processus du développement économique qui se produisent indépendamment de la volonté des hommes. On peut découvrir ces lois, les connaître et, s'appuyant sur elles, les exploiter dans l'intérêt de la société, imprimer une autre direction à l'action destructive de certaines lois, limiter la sphère de leur action, laisser le champ libre aux autres lois qui se fraient un chemin, mais on ne peut les détruire ou créer de nouvelles lois économiques.

 

Un des traits particuliers de l'économie politique est que ses lois, à la différence des lois de la nature, ne sont pas durables ; qu'elles agissent, du moins la plupart d'entre elles, au cours d'une certaine période historique, après quoi elles cèdent la place à d'autres lois. Elles ne sont pas détruites, mais elles perdent leur force par suite de nouvelles conditions économiques et quittent la scène pour céder la place à de nouvelles lois qui ne sont pas créées par la volonté des hommes, mais surgissent sur la base de nouvelles conditions économiques.

 

On se réfère à l'Anti-Dühring d'Engels, à sa formule selon laquelle l'abolition du capitalisme et la socialisation des moyens de production permettront aux hommes d'exercer leur pouvoir sur les moyens de production, de se libérer du joug des rapports économiques et sociaux, de devenir les "maîtres" de leur vie sociale. Engels appelle cette liberté la "nécessité comprise". Et que peut vouloir dire la "nécessité comprise" ? Cela veut dire que les hommes, après avoir compris les lois objectives (la "nécessité"), les appliqueront en toute conscience, dans l'intérêt de la société. C'est pourquoi Engels y dit que :

 

Les lois de leur propre pratique sociale, qui, jusqu'ici, se dressaient devant eux comme des lois naturelles, étrangères et dominatrices, sont dès lors appliquées par les hommes en pleine connaissance de cause et par là dominées. (Anti-Dühring, p. 322, Editions Sociales, Paris, 1950).

 

Comme on voit, la formule d'Engels ne parle nullement en faveur de ceux qui pensent que l'on peut abolir, sous le socialisme, les lois économiques existantes et en créer de nouvelles. Au contraire, elle ne demande pas leur abolition, mais la connaissance des lois économiques et leur application judicieuse.

 

On dit que les lois économiques revêtent un caractère spontané ; que l'action de ces lois est inéluctable ; que la société est impuissante devant elles. C'est faux. C'est fétichiser les lois, se faire l'esclave de ces lois. Il est prouvé que la société n'est pas impuissante devant les lois ; qu'elle peut, en connaissant les lois économiques et en s'appuyant sur elles, limiter la sphère de leur action, les exploiter dans l'intérêt de la société et les "dompter", comme cela se passe à l'égard des forces de la nature et de leurs lois, comme le montre l'exemple cité plus haut sur le débordement des grands fleuves.

 

On se réfère au rôle particulier que le pouvoir des Soviets joue dans la construction du socialisme, et qui lui permettrait de détruire les lois existantes du développement économique et d'en "former" de nouvelles. Cela est également faux. Le rôle particulier du pouvoir des Soviets s'explique par deux faits ; en premier lieu, le pouvoir des Soviets ne devait pas remplacer une forme de l'exploitation par une autre, comme ce fut le cas dans les vieilles révolutions, mais liquider toute exploitation ; en second lieu, vu l'absence dans le pays de germes tout prêts de l'économie socialiste, il devait créer, pour ainsi dire, sur un "terrain vague", des formes nouvelles, socialistes, de l'économie.

 

Tâche assurément difficile et complexe, et qui n'a pas de précédent. Néanmoins, le pouvoir des Soviets a rempli ce devoir avec honneur. Non point parce qu'il a aboli soi-disant les lois économiques existantes et en a "formé" de nouvelles, mais uniquement parce qu'il s'appuyait sur la loi économique de correspondance nécessaire entre les rapports de production et le caractère des forces productives. Les forces productives de notre pays, notamment dans l'industrie, portaient un caractère social ; la forme de propriété était privée, capitaliste. Fort de la loi économique de correspondance nécessaire entre les rapports de production et le caractère des forces productives, le pouvoir des Soviets a socialisé les moyens de production, en a fait la propriété du peuple entier, a aboli par là le système d'exploitation et créé des formes d'économie socialistes. Sans cette loi et sans s'appuyer sur elle, le pouvoir des Soviets n'aurait pas pu s'acquitter de sa tâche.

 

La loi économique de correspondance nécessaire entre les rapports de production et le caractère des forces productives se fraie depuis longtemps la voie dans les pays capitalistes. Si elle ne l'a pas encore fait pour se donner libre cours, c'est qu'elle rencontre la résistance la plus énergique des forces déclinantes de la société. Ici nous nous heurtons à une autre particularité des lois économiques. Alors que dans le domaine de la nature, la découverte et l'application d'une nouvelle loi se poursuivent plus ou moins sans entrave, dans le domaine économique la découverte et l'application d'une nouvelle loi qui porte atteinte aux intérêts des forces déclinantes de la société, rencontrent la résistance la plus énergique de ces forces. Il faut donc une force, une force sociale capable de vaincre cette résistance. Cette force s'est trouvée dans notre pays sous la forme de l'alliance de la classe ouvrière et de la paysannerie constituant l'immense majorité de la société. Cette force ne s'est pas encore trouvée dans les autres pays, dans les pays capitalistes. C'est ce qui explique pourquoi le pouvoir des Soviets a pu briser les forces anciennes de la société, et pourquoi la loi économique de correspondance nécessaire entre les rapports de production et le caractère des forces productives a été appliquée avec une telle ampleur.

 

On dit que la nécessité d'un développement harmonieux (proportionnel) de notre économie nationale permet au pouvoir des Soviets d'abolir les lois économiques existantes et d'en créer de nouvelles. Cela est absolument faux. Il ne faut pas confondre nos plans annuels et nos plans quinquennaux avec la loi économique objective du développement harmonieux, proportionnel de l'économie nationale. La loi du développement harmonieux de l'économie nationale a surgi en contrepoids à la loi de concurrence et d'anarchie de la production sous le capitalisme. Elle a surgi sur la base de la socialisation des moyens de production, après que la loi de concurrence et d'anarchie de la production a perdu sa force. Elle est entrée en vigueur parce que l'économie socialiste d'un pays ne peut être réalisée que sur la base de la loi du développement harmonieux de l'économie nationale. C'est dire que la loi du développement harmonieux de l'économie nationale offre à nos organismes de planification la possibilité de planifier correctement la production sociale. Mais on ne doit pas confondre la possibilité avec la réalité. Ce sont deux choses différentes. Pour transformer cette possibilité en réalité, il faut étudier cette loi économique, s'en rendre maître, il faut apprendre à l'appliquer en pleine connaissance de cause ; il faut dresser des plans qui reflètent pleinement les dispositions de cette loi. On ne saurait dire que nos plans annuels et nos plans quinquennaux reflètent pleinement les dispositions de cette loi économique.

 

On dit que certaines lois économiques, y compris la loi de la valeur, qui fonctionnent chez nous, sous le socialisme, sont des lois "transformées" ou même "foncièrement transformées" sur la base de l'économie planifiée. Cela est également faux. On ne peut "transformer" des lois ; et encore moins "foncièrement". Si on peut les transformer, on peut aussi les abolir, en y substituant des lois nouvelles. La thèse de la "transformation" des lois est une survivance de la fausse formule sur l'"abolition" et la "formation" des lois. Bien que la formule de la transformation des lois économiques soit depuis longtemps chose courante chez nous, force nous sera d'y renoncer, pour être plus exact. On peut limiter la sphère d'action de telles ou telles lois économiques, on peut prévenir leur action destructive, si tant est qu'elle s'exerce, mais on ne saurait les "transformer" ou les "abolir".

 

Par conséquent, quand on parle de "conquérir" les forces de la nature ou les forces économiques, de les "dominer", etc., on ne veut nullement dire par là qu'on peut "abolir" les lois de la science ou les "former". Au contraire, on veut seulement dire par là que l'on peut découvrir des lois, les connaître, les assimiler, apprendre à les appliquer en pleine connaissance de cause, à les exploiter dans l'intérêt de la société et les conquérir par ce moyen, les soumettre à sa domination.

 

Ainsi, les lois de l'économie politique sous le socialisme sont des lois objectives qui reflètent la régularité des processus intervenant dans la vie économique indépendamment de notre volonté. Nier cette thèse, c'est au fond nier la science ; or nier la science, c'est nier la possibilité de toute prévision, -- c'est donc nier la possibilité de diriger la vie économique.

 

On pourrait dire que ce qui vient d'être avancé est juste, universellement connu, mais qu'il n'y a là rien de nouveau et que, par suite, on perdrait son temps à répéter des vérités universellement connues. Sans doute, il n'y a là vraiment rien de nouveau, mais on aurait tort de croire qu'on perdrait son temps à répéter certaines vérités connues de nous. C'est que, chaque année, des milliers de nouveaux jeunes cadres viennent à nous, qui sommes le noyau dirigeant ; ils brûlent de nous aider, de se faire valoir, mais ils n'ont pas une éducation marxiste suffisante, ils ignorent beaucoup de vérités bien connues de nous, et sont obligés d'errer dans les ténèbres. Ils sont frappés par les prodigieuses réalisations du pouvoir des Soviets, les succès peu communs du régime soviétique leur tournent la tête, et les voilà qui s'imaginent que le pouvoir soviétique "peut tout", que "rien ne l'embarrasse", qu'il peut abolir les lois de la science, former des lois nouvelles. Comment faire avec ces camarades ? Comment les éduquer dans l'esprit du marxisme-léninisme ? Je pense que la répétition systématique des vérités dites "universellement connues", que leur explication patiente est un des meilleurs moyens pour éduquer ces camarades dans le marxisme.

 

2. De la production marchande sous le socialisme

 

Certains camarades soutiennent que le Parti a conservé à tort la production marchande après avoir pris le pouvoir et nationalisé les moyens de production dans notre pays. Ils estiment que le Parti aurait dû à ce moment éliminer la production marchande.

 

Ce faisant, ils se réfèrent à Engels, qui dit :

 

"Par la prise de possession sociale des moyens de production, la production des marchandises cesse et par là même la domination du produit sur le programme". (F. Engels : Anti-Dühring, p. 322, Editions Sociales, Paris, 1950).

 

Ces camarades se trompent gravement.

 

Analysons la formule d'Engels. On ne peut la considérer comme parfaitement claire et précise, puisqu'elle n'indique pas s'il s'agit de la prise de possession, par la société, de tous les moyens de production ou d'une partie seulement, c'est-à-dire si tous les moyens de production ont été remis en possession du peuple ou seulement une partie. Donc, la formule d'Engels peut être comprise de deux manières.

 

Dans un autre passage de son Anti-Dühring, Engels parle de la prise de possession de "tous les moyens de production", "de la totalité des moyens de production". Engels entend donc dans sa formule la nationalisation non pas d'une partie, mais de la totalité des moyens de production, c'est-à-dire la remise en possession du peuple des moyens de production non seulement dans l'industrie, mais aussi dans l'agriculture.

 

Par conséquent, Engels a en vue les pays où le capitalisme et la concentration de la production sont suffisamment développés non seulement dans l'industrie, mais aussi dans l'agriculture, pour rendre possible l'expropriation de tous les moyens de production du pays, et en faire la propriété du peuple. Engels estime donc que dans ces pays, il conviendrait, parallèlement à la socialisation de tous les moyens de production, d'éliminer la production marchande. Cela est, bien entendu, très juste.

 

A la fin du siècle dernier, à l'époque de la publication de l'Anti-Dühring, seule l'Angleterre était ce pays, où le développement du capitalisme et la concentration de la production, tant dans l'industrie que dans l'agriculture, avaient atteint un degré tel que la possibilité s'offrait, en cas de prise du pouvoir par le prolétariat, de remettre tous les moyens de production du pays en possession du peuple et d'éliminer la production marchande.

 

Je fais abstraction ici de l'importance qu'a pour l'Angleterre le commerce extérieur avec sa part énorme dans l'économie nationale britannique. Je pense que c'est seulement après avoir étudié la question qu'on pourrait définitivement décider du sort de la production marchande en Grande-Bretagne au lendemain de la prise du pouvoir par le prolétariat et de la nationalisation de tous les moyens de production.

 

Du reste, non seulement à la fin du siècle dernier, mais aujourd'hui encore, aucun pays n'a atteint le degré de développement du capitalisme et de concentration de la production agricole, que nous observons en Angleterre. Pour les autres pays, malgré le développement du capitalisme à la campagne, il y a là encore une classe assez nombreuse de petits et moyens propriétaires-producteurs, dont il importerait de déterminer le sort au cas où le prolétariat accéderait au pouvoir.

 

Mais la question se pose : que doivent faire le prolétariat et son parti si dans tel ou tel pays, y compris le notre, les conditions sont favorables à la prise du pouvoir par le prolétariat et au renversement du capitalisme ; où le capitalisme dans l'industrie a concentré les moyens de production au point qu'on peut les exproprier et les remettre en possession de la société, mais où l'agriculture, malgré le progrès du capitalisme, est émiettée entre les nombreux petits et moyens propriétaires-producteurs au point que la possibilité ne se présente pas d'envisager l'expropriation de ces producteurs ? A cette question la formule d'Engels ne répond pas. Du reste, elle ne doit pas y répondre, puisqu'elle a surgi sur la base d'une autre question, celle de savoir quel doit être le sort de la production marchande après que tous les moyens de production auront été socialisés.

 

Ainsi, comment faire si tous les moyens de production n'ont pas été socialisés, mais seulement une partie, et ni les conditions favorables à la prise du pouvoir par le prolétariat sont réunies, -- faut-il que le prolétariat prenne le pouvoir et faut-il aussitôt après détruire la production marchande ?

 

On ne peut certes pas qualifier de réponse l'opinion de certains pseudo-marxistes qui considèrent que, dans ces conditions, il conviendrait de renoncer à la prise du pouvoir et d'attendre que le capitalisme ait pris le temps de ruiner les millions de petits et moyens producteurs, de les transformer en salariés agricoles et de concentrer les moyens de production dans l'agriculture ; qu'après cela seulement on pourrait poser la question de la prise du pouvoir par le prolétariat et de la socialisation de tous les moyens de production. On comprend que les marxistes ne peuvent accepter pareille "solution" sans risquer de se déshonorer à fond.

 

On ne peut pas non plus considérer comme une réponse l'opinion d'autres pseudo-marxistes qui pensent qu'il conviendrait peut-être de prendre le pouvoir, de procéder à l'expropriation des petits et moyens producteurs à la campagne et de socialiser leurs moyens de production. Les marxistes ne peuvent pas non plus s'engager dans cette voie insensée et criminelle qui enlèverait à la révolution prolétarienne toute possibilité de victoire et rejetterait pour longtemps la paysannerie dans le camp des ennemis du prolétariat.

 

Lénine a répondu à cette question dans ses ouvrages sur "l'impôt en nature" et dans son fameux "plan coopératif".

 

La réponse de Lénine se ramène brièvement à ceci :

 

a) ne pas laisser échapper les conditions favorables à la prise du pouvoir ; le prolétariat prendra le pouvoir sans attendre le moment où le capitalisme sera en mesure de ruiner les millions de petits et moyens producteurs individuels ;

b) exproprier les moyens de production dans l'industrie et les remettre en possession du peuple ;

c) pour les petits et moyens producteurs individuels, on les groupera progressivement en des coopératives de production, c'est-à-dire en de grosses entreprises agricoles, les kolkhozes ;

d) développer par tous les moyens l'industrie et assigner aux kolkhozes une basetechnique moderne, celle de la grande production ; ne pas les exproprier mais, au contraire, les fournir abondamment de tracteurs et autres machines de premier ordre ;

e) pour assurer l'alliance économique de la ville et des campagnes, de l'industrie et de l'agriculture, on maintiendra pour un temps la production marchande (échange par achat et vente), comme la forme la seule acceptable -- pour les paysans -- des relations économiques avec la ville, et on développera à fond le commerce soviétique, le commerce d'Etat et le commerce coopératif et kolkhozien, en éliminant du commerce tous les capitalistes.

 

L'histoire de notre édification socialiste montre que cette voie de développement, tracée par Lénine, s'est entièrement vérifiée.

 

Il ne peut faire de doute que pour tous les pays capitalistes qui possèdent une classe plus on moins nombreuse de petits et moyens producteurs, cette voie de développement est la seule possible et rationnelle pour la victoire du socialisme. On dit que la production marchande doit néanmoins, en toutes circonstances, aboutir et aboutira absolument au capitalisme. Cela est faux. Pas toujours ni en toutes circonstances ! On ne peut identifier la production marchande à la production capitaliste. Ce sont deux choses différentes. La production capitaliste est la forme supérieure de la production marchande. La production marchande ne conduit au capitalisme que si la propriété privée des moyens de production existe ; que si la force de travail apparaît sur le marché comme une marchandise que le capitaliste peut acheter et exploiter pour la production ; que si, par conséquent, il existe au pays un système d'exploitation des ouvriers salariés par les capitalistes. La production capitaliste commence là où les moyens de production sont détenus par des particuliers, tandis que les ouvriers, dépourvus des moyens de production, sont obligés de vendre leur force de travail comme une marchandise. Sans cela, il n'y a pas de production capitaliste.

 

Et bien, si ces conditions ne sont pas réunies, qui transforment la production marchande en production capitaliste, si les moyens de production ne sont plus une propriété privée, mais la propriété socialiste, si le salariat n'existe pas et la force de travail n'est plus une marchandise, si le système d'exploitation a été depuis longtemps aboli, comment faire alors : peut-on considérer que la production marchande aboutira quand même au capitalisme ? Evidemment non. Or, notre société est précisément une société où la propriété privée des moyens de production, le salariat et l'exploitation n'existent plus depuis longtemps.

 

On ne peut pas considérer la production marchande comme une chose se suffisant à elle-même, indépendante de l'ambiance économique. La production marchande est plus vieille que la production capitaliste. Elle existait sous le régime d'esclavage et le servait, mais n'a pas abouti au capitalisme. Elle existait sous le féodalisme et le servait, sans toutefois aboutir au capitalisme, bien qu'elle ait préparé certaines conditions pour la production capitaliste. La question se pose : pourquoi la production marchande ne peut-elle pas de même, pour un temps, servir notre société socialiste sans aboutir au capitalisme, si l'on tient compte que la production marchande n'a pas chez nous une diffusion aussi illimitée et universelle que dans les conditions capitalistes ; qu'elle est placée chez nous dans un cadre rigoureux grâce à des conditions économiques décisives comme la propriété sociale des moyens de production, la liquidation du salariat et du système d'exploitation ?

 

On dit qu'après que la propriété sociale des moyens de production s'est installée dans notre pays et que le salariat et l'exploitation ont été liquidés, la production marchande n'a plus de sens, qu'il faudrait pas conséquent l'éliminer.

 

Cela est également faux. A l'heure actuelle, il existe chez nous deux formes essentielles de production socialiste : celle de l'Etat, c'est-à-dire du peuple entier, et la forme kolkhozienne, que l'on ne peut pas appeler commune au peuple entier. Dans les entreprises d'Etat, les moyens de production et les objets fabriqués constituent la propriété du peuple entier. Dans les entreprises kolkhoziennes, bien que les moyens de production (la terre, les machines) appartiennent à l'Etat, les produits obtenus sont la propriété des différents kolkhozes qui fournissent le travail de même que les semences ; les kolkhozes disposent pratiquement de la terre qui leur a été remise à perpétuité comme de leur bien propre, quoiqu'ils ne puissent pas la vendre, l'acheter, la donner à bail ou la mettre en gage.

 

L'Etat ne peut donc disposer que de la production des entreprises d'Etat, les kolkhozes bénéficiant de leur production comme de leur bien propre. Mais les kolkhozes ne veulent pas aliéner leurs produits autrement que sous la forme de marchandises, en échange de celles dont ils ont besoin. Les kolkhozes n'acceptent pas aujourd'hui d'autres relations économiques avec la ville que celles intervenant dans les échanges par achat et vente de marchandises. Aussi la production marchande et les échanges sont-ils chez nous, à l'heure actuelle, une nécessité pareille à celle d'il y a trente ans, par exemple, époque à laquelle Lénine proclamait la nécessité de développer par tous les moyens les échanges.

 

Certes, lorsqu'au lieu de deux principaux secteurs de production, Etat et kolkhozes, il se formera un seul secteur universel investi du droit de disposer de tous les produits de consommation du pays, la circulation des marchandises avec son "économie monétaire" aura disparu comme un élément inutile de l'économie nationale. D'ici là, aussi longtemps que les deux principaux secteurs de production existeront, la production marchande et la circulation des marchandises resteront en vigueur comme un élément nécessaire et très utile dans le système de notre économie nationale. Comment sera-t-il procédé à la formation d'un seul secteur universel ? Par simple absorption du secteur kolkhozien dans le secteur d'Etat, ce qui est peu probable (ceci pouvant être considéré comme une expropriation des kolkhozes), ou par la constitution d'un seul organisme économique national (avec des représentants de l'industrie d'Etat et des kolkhozes), ayant le droit d'abord de recenser tous les produits de consommation du pays et, avec le temps, de répartir la production, par exemple, sous forme d'échange des produits ? C'est là une autre question qui demande un examen à part.

 

Par conséquent, notre production marchande n'est pas une production marchande ordinaire, elle est d'un genre spécial, une production marchande sans capitalistes, qui se préoccupe pour l'essentiel des marchandises appartenant à des producteurs socialistes associés (Etat, kolkhozes, coopératives), et dont la sphère d'action est limitée à des articles de consommation personnelle, qui ne peut évidemment pas se développer pour devenir une production capitaliste et doit aider, avec son "économie monétaire", au développement et à l'affermissement de la production socialiste.

 

Aussi ont-ils absolument tort, ceux qui déclarent que, du moment que la société socialiste maintient les formes marchandes de la production, il y a lieu, soi-disant, de rétablir chez nous toutes les catégories économiques propres au capitalisme : la force de travail comme marchandise, la plus-value, le capital, le profit du capital, le taux moyen du profit, etc. Ces camarades confondent la production marchande avec la production capitaliste et estiment que, du moment qu'il y a production marchande, il doit y avoir aussi production capitaliste. Ils ne comprennent pas que notre production marchande se distingue foncièrement de la production marchande sous le capitalisme.

 

Bien plus, je pense qu'il faut renoncer à certaines autres notions empruntées au Capital, où Marx se livrait à l'analyse du capitalisme, -- et artificiellement accolées à nos rapports socialistes. Je veux parler entre autres de notions telles que le travail "nécessaire" et le "surtravail", le produit "nécessaire" et le "surproduit", le temps "nécessaire" et le "temps extra". Marx a analysé le capitalisme afin d'établir l'origine de l'exploitation de la classe ouvrière, la plus-value, et de fournir à la classe ouvrière privée des moyens de production une arme spirituelle pour renverser le capitalisme. On comprend que Marx se sert ici de notions (catégories) qui répondent parfaitement aux rapports capitalistes. Mais il serait plus qu'étrange de se servir actuellement de ces notions, alors que la classe ouvrière, loin d'être privée du pouvoir et des moyens de production, détient au contraire le pouvoir et possède les moyens de production. Les propos sur la force de travail comme marchandise et sur le "salariat" des ouvriers sonnent d'une façon assez absurde sous notre régime : comme si la classe ouvrière, possédant les moyens de production, se salariait elle-même et se vendait à elle-même sa force de travail. Il n'est pas moins étrange de parler aujourd'hui de travail "nécessaire" et de "surtravail" : comme si dans nos conditions, le travail des ouvriers donné à la société en vue d'élargir la production, de développer l'instruction, la santé publique, d'organiser la défense nationale, etc., n'était pas aussi nécessaire à la classe ouvrière, aujourd'hui au pouvoir, que le travail dépensé pour subvenir aux besoins personnels de l'ouvrier et de sa famille.

 

Il est à noter que Marx dans sa Critique du programme de Gotha, où il analyse non plus le capitalisme, mais entre autres la première phase de la société communiste, reconnaît que le travail consacré à la société pour élargir la production, pour l'instruction, la santé publique, les frais d'administration, la constitution de réserves, etc., est aussi nécessaire que le travail dépensé pour subvenir aux besoins de consommation de la classe ouvrière.

 

Je pense que nos économistes doivent en finir avec ce défaut de concordance entre les vieilles notions et le nouvel état de choses dans notre pays socialiste, en substituant aux notions anciennes des notions appropriées à la nouvelle situation. Nous avons pu tolérer ce défaut de concordance un certain temps. Mais l'heure est venue où nous devons enfin remédier à ce défaut.

 

3. La loi de la valeur sous le socialisme

 

On demande parfois si la loi de la valeur existe et fonctionne chez nous, sous notre régime socialiste.

 

Oui, elle existe et fonctionne. Là où il y a marchandises et production marchande, la loi de la valeur existe nécessairement.

 

La sphère d'action de la loi de la valeur s'étend chez nous tout d'abord à la circulation des marchandises, à l'échange des marchandises par achat et vente, à l'échange surtout des marchandises d'usage personnel. Dans ce domaine, la loi de la valeur conserve, bien entendu, dans certaines limites, un rôle régulateur. L'action de la loi de la valeur ne se borne pas cependant à la sphère de la circulation des marchandises. Elle s'étend de même à la production. Il est vrai que la loi de la valeur ne joue pas un rôle régulateur dans notre production socialiste. Mais elle agit néanmoins sur la production, et il faut nécessairement en faire état en dirigeant la production. Le fait est que les produits de consommation, nécessaires pour compenser les pertes en force de travail dans le processus de la production, sont fabriqués chez nous et sont réalisés en tant que marchandises soumises à l'action de la loi de la valeur. Là précisément, la loi de la valeur exerce son action sur la production. Ceci étant, l'autonomie financière et la rentabilité, le prix de revient, les prix, etc. ont aujourd'hui une importance d'actualité dans nos entreprises.

 

C'est pourquoi nos entreprises ne peuvent ni ne doivent se passer de la loi de la valeur.

 

Est-ce bien ? Ce n'est pas mal. Dans les conditions où nous sommes aujourd'hui, cela n'est vraiment pas mal, ceci ayant pour effet de former nos dirigeants de l'industrie dans la conduite rationnelle de la production, et de les discipliner. Ce n'est pas mal, puisque nos dirigeants de l'industrie apprennent ainsi à évaluer le potentiel de production, à l'évaluer avec exactitude et à tenir compte aussi exactement des réalités de la production, au lieu de perdre leur temps à bavarder sur des "chiffres estimatifs" pris au hasard. Ce n'est pas mal, puisque nos dirigeants de l'industrie apprennent ainsi à chercher, à trouver et à exploiter les réserves latentes, tapies dans les profondeurs de la production, au lieu de les fouler aux pieds. Ce n'est pas mal, puisque nos dirigeants de l'industrie apprennent ainsi à améliorer systématiquement les méthodes de fabrication, à réduire le prix de revient, à pratiquer l'autonomie financière et à réaliser la rentabilité des entreprises. C'est là une bonne école pratique, qui hâtera la montée de nos cadres de l'industrie pour en faire de vrais dirigeants de la production socialiste à l'étape actuelle du développement.

 

Le malheur n'est pas que la loi de la valeur agisse chez nous sur la production. Le malheur est que les dirigeants de notre industrie et nos spécialistes de la planification, à peu d'exceptions près, connaissent mal l'action de la loi de la valeur, ne l'étudient pas et ne savent pas en tenir compte dans leurs calculs. C'est ce qui explique la confusion qui règne encore chez nous dans la politique des prix. Voici un exemple entre tant d'autres.

 

Il y a quelque temps on avait décidé de régler, dans l'intérêt de la culture cotonnière, le rapport des prix du coton et des céréales, de préciser le prix des céréales vendues aux cultivateurs de coton et de relever les prix du coton livré à l'Etat. Dès lors, nos dirigeants de l'industrie et nos spécialistes de la planification apportèrent une proposition qui ne pouvait que surprendre les membres du Comité central, puisque cette proposition fixait le prix d'une tonne de céréales à peu près au même niveau que celui d'une tonne de coton ; au surplus, le prix d'une tonne de céréales était le même que celui d'une tonne de pain cuit. Les membres du Comité central ayant fait remarquer que le prix d'une tonne de pain cuit devait être supérieur à celui d'une tonne de céréales, en raison des frais supplémentaires nécessités par la mouture et la cuisson ; que le coton en général coûtait bien plus cher que les céréales, témoin les prix mondiaux du coton et des céréales, -- les auteurs de la proposition ne purent rien dire d'explicite. Force fut au Comité central de prendre la chose en mains propres, de diminuer les prix des céréales et de relever ceux du coton. Que serait-il advenu si la proposition de ces camarades avait reçu force légale ? Nous aurions ruiné les cultivateurs et serions restés sans coton.

 

Est-ce à dire que la loi de la valeur s'exerce chez nous avec la même ampleur que sous le capitalisme ; qu'elle est chez nous régulatrice de la production ? Evidemment

non. En réalité, la loi de la valeur, sous notre régime économique, exerce son action dans un cadre strictement limité. On a déjà dit que la production marchande, sous notre régime, exerce son action dans un cadre limité. On peut en dire autant de l'action exercée par la loi de la valeur. Il est certain que l'absence de propriété privée des moyens de production et leur socialisation à la ville comme à la campagne ne peuvent que limiter la sphère d'action de la loi de la valeur et le degré de sa réaction sur la production.

 

C'est dans le même sens qu'intervient dans l'économie nationale la loi du développement harmonieux (proportionnel), qui a remplacé la loi de concurrence et d'anarchie de la production.

 

C'est dans le même sens qu'interviennent nos plans annuels et quinquennaux et, en général, toute notre politique économique qui s'appuie sur les dispositions de la loi du développement harmonieux de l'économie nationale.

 

Tous ces faits pris ensemble font que la sphère d'action de la loi de la valeur est strictement limitée chez nous, et que la loi de la valeur ne peut, sous notre régime, jouer un rôle régulateur dans la production.

 

C'est ce qui explique d'ailleurs ce fait "stupéfiant" que, malgré la montée incessante et impétueuse de notre production socialiste, la loi de la valeur n'aboutit pas chez nous aux crises de surproduction, alors que la même loi de la valeur, qui a une large sphère d'action sous le capitalisme, malgré les faibles rythmes de croissance de la production dans les pays capitalistes, aboutit à des crises périodiques de surproduction.

 

On dit que la loi de la valeur est une loi constante, obligatoire pour toutes les périodes d'évolution historique ; que si la loi de la valeur perd sa force comme régulatrice des rapports d'échange dans la seconde phase de la société communiste, elle maintiendra dans cette phase de développement sa force comme régulatrice des rapports entre les diverses branches de la production, comme régulatrice de la répartition du travail entre les branches de la production.

 

Cela est tout à fait faux. La valeur, ainsi que la loi de la valeur, est une catégorie historique liée à l'existence de la production marchande. Avec la disparition de cette dernière, disparaîtront aussi la valeur avec ses formes et la loi de la valeur. Dans la seconde phase de la société communiste, la quantité de travail dépensé pour fabriquer les produits, ne se mesurera plus par des voies détournées, au moyen de la valeur et de ses formes, comme c'est le cas pour la production marchande, mais directement et immédiatement par la quantité de temps, la quantité d'heures dépensées pour fabriquer les produits. En ce qui concerne la répartition du travail, celle-ci ne se réglera pas entre les branches de production par la loi de la valeur qui aura perdu sa force vers ce temps, mais par l'accroissement des besoins de la société en produits. Ce sera une société où la production se réglera par les besoins de la société, et le recensement des besoins de la société acquerra une importance de premier ordre pour les organismes de planification.

 

Il est de même absolument faux d'affirmer que, dans notre régime économique actuel, à la première phase du développement de la société communiste, la loi de la valeur règle soi-disant les "proportions" de la répartition du travail entre les diverses branches de production.

 

Si cela était juste, pourquoi ne développerait-on pas à fond nos industries légères comme étant les plus rentables, de préférence à l'industrie lourde qui est souvent moins rentable et qui parfois ne l'est pas du tout ?

 

Si cela était juste, pourquoi ne fermerait-on pas chez nous les entreprises pour l'instant non rentables de l'industrie lourde, où le travail des ouvriers ne produit pas "l'effet voulu", et pourquoi n'ouvrirait-on pas de nouvelles entreprises de l'industrie légère assurément rentable, où le travail des ouvriers pourrait produire un "plus grand effet" ?

 

Si cela était juste, pourquoi ne transférerait-on pas chez nous les ouvriers des entreprises peu rentables, bien que très nécessaires à l'économie nationale, vers les entreprises plus rentables, selon la loi de la valeur qui règle soi-disant les "proportions" de la répartition de travail entre les branches de production ?

 

Sans doute qu'en suivant à la trace ces camarades, il nous faudrait renoncer au primat de la production des moyens de production sur la production des moyens de consommation. Et que signifie renoncer au primat de la production des moyens de production ? C'est rendre impossible la croissance incessante de notre économie nationale, car on ne saurait réaliser la croissance incessante de l'économie nationale, sans réaliser en même temps le primat de la production des moyens de production.

 

Ces camarades oublient que la loi de la valeur ne peut être la régulatrice de la production que sous le capitalisme, alors qu'existent la propriété privée des moyens de production, la concurrence, l'anarchie de la production, les crises de surproduction. Ils oublient que la sphère d'action de la loi de la valeur est limitée chez nous par la propriété sociale des moyens de production, par l'action de la loi du développement harmonieux de l'économie nationale, -- elle est donc limitée aussi par nos plans annuels et quinquennaux qui sont le reflet approximatif des dispositions de cette loi.

 

Certains camarades tirent de là cette conclusion que la loi du développement harmonieux de l'économie nationale et la planification de celle-ci suppriment le principe de la rentabilité. Cela est absolument faux. Il en va tout autrement. Si l'on considère la rentabilité, non pas du point de vue des différentes entreprises ou branches de production ni au cours d'une seule année, mais du point de vue de l'ensemble de l'économie nationale et au cours de dix à quinze ans par exemple, -- ce qui serait le seul moyen d'aborder la question correctement, -- la rentabilité momentanée et précaire des différentes entreprises ou branches de production ne peut soutenir aucune comparaison avec la forme supérieure d'une rentabilité solide et constante ; celle que nous donnent l'action de la loi du développement harmonieux de l'économie nationale et la planification de cette dernière, en nous débarrassant des crises économiques périodiques, destructrices de l'économie nationale qui apportent à la société un immense dommage matériel, et en nous assurant le progrès continu de l'économie nationale avec ses rythmes élevés.

 

Bref, il n'est pas douteux que dans nos conditions socialistes actuelles de la production, la loi de la valeur ne peut être "régulatrice des proportions" dans la répartition du travail entre les diverses branches de production.

 

4. De la suppression de l'opposition entre la ville et la campagne, entre le travail intellectuel et le travail manuel, et de la liquidation des différences entre eux

 

Ce titre a trait à plusieurs problèmes qui se distinguent essentiellement les uns des autres ; je les réunis cependant dans un seul chapitre, non pas pour les mêler, mais exclusivement en vue d'abréger mon exposé.

 

La suppression de l'opposition entre la ville et la campagne, entre l'industrie et l'agriculture constitue un problème connu, depuis longtemps soulevé par Marx et Engels. La base économique de cette opposition est l'exploitation de la campagne par la ville, l'expropriation de la paysannerie et la ruine de la majeure partie de la population rurale, dues au développement de l'industrie, du commerce, du système de crédits en régime capitaliste. Aussi faut-il considérer l'opposition entre la ville et la campagne sous le capitalisme comme une opposition d'intérêts. C'est sur ce terrain qu'a surgi cette attitude d'hostilité de la campagne à l'égard de la ville et en général à l'égard des "citadins".

 

Il est certain qu'avec l'abolition du capitalisme et du système d'exploitation, avec le renforcement du régime socialiste dans notre pays, devait disparaître l'opposition des intérêts entre la ville et la campagne, entre l'industrie et l'agriculture. C'est ce qui advint. L'aide efficace apportée à notre paysannerie par la ville socialiste, par notre classe ouvrière, pour liquider les grands propriétaires fonciers et les koulaks, a consolidé le terrain en vue de l'alliance de la classe ouvrière et de la paysannerie ; d'autre part, l'approvisionnement systématique de la paysannerie et de ses kolkhozes en tracteurs et machines de premier ordre a fait que l'alliance de la classe ouvrière et de la paysannerie s'est transformée en amitié entre elles. Sans doute, les ouvriers et la paysannerie kolkhozienne forment cependant deux classes qui se distinguent l'une de l'autre par leur situation respective. Mais cette distinction n'affaiblit en aucune manière leur amitié. Au contraire, leurs intérêts se situent sur le même plan, celui de la consolidation du régime socialiste et de la victoire du communisme. Il n'est donc pas étonnant qu'il ne reste plus trace de la méfiance d'autrefois et, à plus forte raison, de la haine de la campagne pour la ville.

 

Tout cela signifie que le terrain propice à l'opposition entre la ville et la campagne, entre l'industrie et l'agriculture est d'ores et déjà liquidé par notre régime socialiste actuel.

 

Cela ne veut point dire, bien entendu, que la suppression de l'opposition entre la ville et la campagne doive amener la mort des grandes villes (voir Engels : Anti-Dühring). Non seulement les grandes villes ne périront pas, mais il en surgira encore de nouvelles, qui seront des centres de grande culture intellectuelle, centres non seulement de la grande industrie, mais aussi de la transformation des produits agricoles et d'un puissant développement de toutes les branches de l'industrie alimentaire. C'est ce qui contribuera à l'épanouissement culturel du pays et conduira au nivellement des conditions d'existence dans les villes et les campagnes.

 

Il en va de même de la suppression de l'opposition entre le travail intellectuel et manuel. C'est là aussi un problème connu, depuis longtemps posé par Marx et Engels. La base économique de l'opposition entre le travail intellectuel et manuel, c'est l'exploitation des travailleurs manuels par les représentants du travail intellectuel. Tout le monde connaît l'écart qui existait sous le capitalisme entre les travailleurs manuels dans les entreprises et le personnel dirigeant. On sait que cet écart a donné lieu à une attitude hostile des ouvriers envers le directeur, le contremaître, l'ingénieur et autres représentants du personnel technique, qu'ils considéraient comme leurs ennemis. On comprend qu'avec l'abolition du capitalisme et du système d'exploitation devait disparaître l'opposition des intérêts entre le travail manuel et le travail intellectuel. Elle a effectivement disparu sous notre régime socialiste. Maintenant, travailleurs manuels et personnel dirigeant ne sont pas des ennemis, mais des camarades et des amis, membres d'une seule collectivité de producteurs, vivement intéressés au progrès et à l'amélioration de la production. De l'ancienne animosité, il ne reste plus trace.

 

Le problème de la disparition des différences entre la ville (l'industrie) et la campagne (l'agriculture), entre le travail intellectuel et le travail manuel, revêt un tout autre caractère. Ce problème n'a pas été posé par les classiques du marxisme. C'est un problème nouveau, posé par la pratique de notre édification socialiste.

 

Ce problème n'a-t-il pas été imaginé de toutes pièces ? a-t-il pour nous une importance pratique ou théorique ? Non, on ne peut pas dire que ce problème ait été imaginé de toutes pièces. Au contraire, il est pour nous un problème sérieux au plus haut point.

 

Si l'on considère, par exemple, la différence entre l'agriculture et l'industrie, elle consiste chez nous non seulement en ce que les conditions de travail dans l'agriculture diffèrent des conditions de travail dans l'industrie, mais avant tout et principalement en ce que dans notre industrie les moyens de production et les objets produits appartiennent au peuple, tandis que dans l'agriculture la propriété n'est pas celle du peuple entier mais celle d'un groupe, du kolkhoze. Ce fait, on l'a déjà dit, aboutit au maintien de la circulation des marchandises, et ce n'est qu'avec la disparition de cette différence entre l'industrie et l'agriculture que peut disparaître la production marchande avec toutes les conséquences qui en découlent. Par conséquent, on ne peut nier que la disparition de cette différence essentielle entre l'agriculture et l'industrie doive avoir pour nous une importance de premier plan.

 

Il faut en dire autant de la suppression de la différence essentielle entre le travail intellectuel et le travail manuel. Ce problème a également pour nous une importance primordiale. Avant que l'émulation socialiste de masse ait pris de l'ampleur, notre industrie montait en grinçant, et nombre de camarades préconisaient même des rythmes ralentis du développement industriel. Cela s'explique surtout par le fait que le niveau culturel et technique des ouvriers était trop bas et retardait de beaucoup sur le niveau du personnel technique. Les choses ont pourtant changé radicalement depuis que l'émulation socialiste a pris chez nous un caractère de masse. Dès lors, l'industrie a fait des progrès rapides. Pourquoi l'émulation socialiste a-t-elle pris un caractère de masse ?

 

Parce qu'il s'est trouvé parmi les ouvriers des groupes de camarades qui, non seulement s'étaient assimilé un minimum de connaissances techniques, mais sont allés au delà et ont atteint le niveau du personnel technique ; ils ont commencé à corriger les techniciens et les ingénieurs, à renverser les normes existantes comme périmées, à introduire des normes nouvelles, plus modernes, etc. Que serait-il advenu si, au lieu de groupes d'ouvriers, la majorité des ouvriers avaient élevé leur niveau culturel et technique jusqu'au niveau des ingénieurs et des techniciens ? Notre industrie aurait été portée à une hauteur inaccessible pour l'industrie des autres pays. On ne doit donc pas nier que la suppression de la différence essentielle entre le travail intellectuel et le travail manuel, en élevant le niveau culturel et technique des ouvriers au niveau du personnel technique, ne peut pas ne pas avoir pour nous une importance de premier plan.

 

Certains camarades soutiennent qu'avec le temps disparaîtra non seulement la différence essentielle entre l'industrie et l'agriculture, entre le travail manuel et le travail intellectuel, mais aussi toutes les différences entre eux. Cela est faux. La suppression de la différence essentielle entre l'industrie et l'agriculture ne peut pas aboutir à la suppression de toutes les différences entre elles. Une certaine différence, fût-elle insignifiante, demeurera assurément par suite des conditions différentes de travail dans l'industrie et dans l'agriculture. Même dans l'industrie, si l'on tient compte de ses diverses branches, les conditions de travail ne sont pas partout les mêmes : les conditions de travail des mineurs, par exemple, diffèrent de celles des ouvriers d'une fabrique mécanisée de chaussures ; les conditions de travail des mineurs de minerais diffèrent de celles des ouvriers occupés dans l'industrie mécanique. Si cela est juste, une certaine différence subsistera surtout entre l'industrie et l'agriculture.

 

Il faut en dire autant de la différence entre le travail intellectuel et le travail manuel. La différence essentielle entre eux, quant au niveau culturel et technique, disparaîtra assurément. Mais une certaine différence, fût-elle insignifiante, demeurera pourtant, ne serait-ce que parce que les conditions de travail du personnel dirigeant des entreprises ne sont pas identiques aux conditions de travail des ouvriers. Ceux de mes camarades qui affirment le contraire s'appuient sans doute sur une formulation de certaines de mes interventions où il est question de la suppression de la différence entre l'industrie et l'agriculture, entre le travail intellectuel et le travail manuel, sans qu'il soit spécifié qu'il est question de supprimer la différence essentielle, et non pas toutes les différences. C'est bien ainsi que les camarades ont compris ma formulation, en supposant qu'elle signifie la suppression de toutes les différences. C'est que la formulation était inexacte, insuffisante. Il faut la rejeter, la remplacer par une autre, affirmant la suppression des différences essentielles et le maintien des distinctions non essentielles entre l'industrie et l'agriculture, entre le travail intellectuel et le travail manuel.

 

5. De la désagrégation du marché mondial unique et de l'aggravation de la crise du système capitaliste mondial

 

Le résultat économique le plus important de la deuxième guerre mondiale et de ses conséquences pour l'économie a été la désagrégation du marché mondial unique, universel. Ce qui a déterminé l'aggravation ultérieure de la crise générale du système capitaliste mondial.

 

La deuxième guerre mondiale a été elle-même engendrée par cette crise. Chacune des deux coalitions capitalistes engagées dans le conflit, espérait pouvoir battre l'adversaire et asseoir sa domination sur le monde. C'est en cela qu'elles cherchaient une issue à la crise. Les Etats-Unis d'Amérique comptaient mettre hors de combat leurs concurrents les plus dangereux, l'Allemagne et le Japon, s'emparer des marchés étrangers, des ressources mondiales de matières premières et asseoir leur domination sur le monde.

 

La guerre cependant n'a pas donné raison à leurs espoirs. Il est vrai que l'Allemagne et le Japon ont été mis hors de combat eu tant que concurrents des trois principaux pays capitalistes : U.S.A., Grande-Bretagne, France. Mais on a vu d'autre part se détacher du système capitaliste la Chine et les pays de démocratie populaire en Europe, pour former avec l'Union soviétique un seul et vaste camp socialiste, opposé au camp du capitalisme. Le résultat économique de l'existence des deux camps opposés fut que le marché unique, universel s'est désagrégé, ce qui fait que nous avons maintenant deux marchés mondiaux parallèles qui eux aussi s'opposent l'un à l'autre.

 

Notons que les U.S.A. et la Grande-Bretagne avec la France ont contribué eux-mêmes, bien entendu, indépendamment de leur volonté, à former et à consolider un nouveau marché mondial parallèle. Ils ont soumis au blocus économique l'U.R.S.S., la Chine et les pays de démocratie populaire en Europe, qui ne faisaient pas partie du "plan Marshall", croyant ainsi pouvoir les étrangler. En réalité, loin d'être étranglé, le marché mondial nouveau a été consolidé.

 

L'essentiel pourtant ne consiste pas ici dans le blocus économique, mais en ce que, dans l'après-guerre, ces pays se sont associés économiquement et ont organisé la collaboration et l'entraide économiques. L'expérience de cette coopération montre qu'aucun pays capitaliste n'aurait pu prêter aux pays de démocratie populaire une aide aussi efficace et techniquement qualifiée que celle qu'ils reçoivent de l'Union soviétique.

 

Il ne s'agit pas seulement du fait que cette aide est très peu dispendieuse et de premier ordre au point de vue technique. Il s'agit avant tout qu'à la base de cette collaboration se trouve le désir sincère de s'entraider et de réaliser un essor économique général.

 

Résultat : nous enregistrons des rythmes de développement élevés dans ces pays. On peut dire avec assurance qu'avec de tels rythmes de développement de l'industrie, ces pays n'auront bientôt plus besoin d'importer des marchandises provenant des pays capitalistes, mais éprouveront eux-mêmes la nécessité de vendre à l'étranger les excédents de leur production.

 

Mais il s'ensuit que la sphère d'application des forces des principaux pays capitalistes (U.S.A., Grande-Bretagne, France) aux ressources mondiales, ne s'étendra pas mais diminuera ; que les conditions, quant aux débouchés mondiaux, s'aggraveront pour ces pays, et que la sous-production des entreprises y augmentera. C'est en cela que consiste proprement l'aggravation de la crise générale du système capitaliste universel, à la suite de la désagrégation du marché mondial.

 

C'est ce que les capitalistes comprennent fort bien, car il est difficile de ne pas ressentir la perte de marchés tels que l'U.R.S.S., la Chine. Ils s'attachent à remédier à ces difficultés par le "plan Marshall", par la guerre en Corée, par la course aux armements, par la militarisation de l'industrie. Mais cela ressemble fort au noyé qui s'accroche à un brin de paille.

 

Devant cette situation deux problèmes se posent aux économistes :

 

a) Peut-on affirmer que la thèse bien connue de Staline sur la stabilité relative des marchés en période de crise générale du capitalisme, thèse formulée avant la deuxième guerre mondiale, -- reste toujours en vigueur ?

b) Peut-on affirmer que la thèse bien connue, formulée par Lénine au printemps de 1916, selon laquelle, malgré sa putréfaction "dans l'ensemble le capitalisme se développe infiniment plus vite que naguère", -- reste toujours en vigueur ?

 

Je pense qu'on ne saurait l'affirmer. Etant donné les nouvelles conditions dues à la deuxième guerre mondiale, il faut considérer ces deux thèses comme périmées.

 

6. De l'inévitabilité des guerres entre pays capitalistes

 

Certains camarades affirment qu'étant donné les nouvelles conditions internationales, après la deuxième guerre mondiale, les guerres entre pays capitalistes ne sont plus inévitables. Ils estiment que les contradictions entre le camp du socialisme et celui du capitalisme sont plus fortes que les contradictions entre pays capitalistes ; que les Etats-Unis d'Amérique se sont suffisamment soumis les autres pays capitalistes pour les empêcher de se faire la guerre et de s'affaiblir mutuellement ; que les hommes avancés du capitalisme sont assez instruits par l'expérience des deux guerres mondiales, qui ont porté un sérieux préjudice à l'ensemble du monde capitaliste, pour se permettre d'entraîner à nouveau les pays capitalistes dans une guerre entre eux ; que, de ce fait, les guerres entre pays capitalistes ne sont plus inévitables.

 

Ces camarades se trompent. Ils voient les phénomènes extérieurs affleurant à la surface, mais ils n'aperçoivent pas les forces profondes qui, bien qu'agissant momentanément de façon invisible, n'en détermineront pas moins le cours des événements.

 

En apparence, la "sérénité" règne partout : les Etats-Unis d'Amérique ont réduit à la portion congrue l'Europe occidentale, le Japon et les autres pays capitalistes ; l'Allemagne (de l'Ouest), la Grande-Bretagne, la France, l'Italie, le Japon, tombés dans les griffes des U.S.A., exécutent docilement leurs injonctions. Mais on aurait tort de croire que cette "sérénité" puisse se maintenir "pour l'éternité" ; que ces pays supporteront sans fin la domination et le joug des Etats-Unis d'Amérique ; qu'ils n'essaieront pas de s'arracher du joug américain pour s'engager sur le chemin de l'indépendance.

 

Considérons d'abord l'Angleterre et la France. Il est certain que ce sont des pays impérialistes. Il est certain que les matières premières à bon marché et les débouchés assurés ont pour eux une importance de premier plan. Peut-on imaginer qu'ils supporteront sans fin la situation actuelle, quand les Américains, à la faveur d'une "aide" prêtée au titre du "plan Marshall", s'installent dans le système économique de la Grande-Bretagne et de la France, système dont ils veulent faire un appendice de l'économie américaine ; quand le capital américain s'empare des matières premières et des débouchés dans les colonies anglo-françaises, préparant ainsi la catastrophe pour les profits exorbitants des capitalistes anglo-français ? N'est-il pas plus exact de dire que l'Angleterre capitaliste et, à sa suite, la France capitaliste seront finalement obligées de s'arracher à l'étreinte des U.S.A. et d'entrer en conflit avec eux pour s'assurer une situation indépendante et, bien entendu, des profits exorbitants ?

 

Passons aux principaux pays vaincus, à l'Allemagne (occidentale), au Japon. Ces pays mènent aujourd'hui une existence lamentable sous la botte de l'impérialisme américain. Leur industrie et leur agriculture, leur commerce, leur politique extérieure et intérieure, toute leur existence sont enchaînés par le "régime" d'occupation américain. Dire qu'hier encore c'étaient de grandes puissances impérialistes qui ébranlaient les assises de la domination de la Grande-Bretagne, des U.S.A., de la France en Europe et en Asie. Penser que ces pays n'essaieront pas de se relever, de briser le "régime" des U.S.A. et de s'engager sur le chemin de l'indépendance, c'est croire au miracle. On dit que les contradictions entre capitalisme et socialisme sont plus fortes que celles existant entre les pays capitalistes. Théoriquement, c'est juste, bien sûr. Ce n'est pas seulement juste aujourd'hui, cela l'était aussi avant la deuxième guerre mondiale.

 

C'est ce que comprenaient plus ou moins les dirigeants des pays capitalistes. Et cependant, la deuxième guerre mondiale n'a pas commencé par la guerre contre l'U.R.S.S., mais par une guerre entre paya capitalistes. Pourquoi ? Parce que, d'abord, la guerre contre l'U.R.S.S., pays du socialisme, est plus dangereuse pour le capitalisme que la guerre entre pays capitalistes. Car si la guerre entre pays capitalistes pose seulement le problème de la domination de tels pays capitalistes sur tels autres, la guerre contre l'U.R.S.S. doit nécessairement poser la question de l'existence même du capitalisme. Parce que, en second lieu, les capitalistes, bien qu'ils proclament, aux fins de "propagande", l'agressivité de l'Union soviétique, n'y croient pas eux-mêmes, puisqu'ils tiennent compte de la politique de paix de l'Union soviétique et savent que l'U.R.S.S. n'attaquera pas d'elle-même les pays capitalistes.

 

Au lendemain de la première guerre mondiale, on considérait aussi que l'Allemagne avait été définitivement mise hors de combat, de même que le sont aujourd'hui, selon certains camarades, le Japon et l'Allemagne. A ce moment, on disait aussi et on proclamait dans la presse que les Etats-Unis d'Amérique avaient réduit l'Europe à la portion congrue ; que l'Allemagne ne pourrait plus se relever ; qu'il ne devait plus y avoir de guerre entre pays capitalistes. Mais, malgré cela, l'Allemagne s'est remise debout comme une grande puissance quinze à vingt ans après sa défaite ; elle s'est évadée de sa captivité et engagée sur le chemin de l'indépendance. Chose caractéristique, c'est que la Grande-Bretagne et les Etats-Unis d'Amérique ont aidé eux-mêmes l'Allemagne à se relever économiquement et à rétablir son potentiel économique et militaire. Sans doute qu'en aidant l'Allemagne à se relever économiquement, les U.S.A. et la Grande-Bretagne entendaient diriger l'Allemagne, une fois relevée, contre l'Union soviétique, l'utiliser contre le pays du socialisme. L'Allemagne cependant a dirigé ses forces, en premier lieu, contre le bloc anglo-franco-américain. Et lorsque l'Allemagne hitlérienne eut déclaré la guerre à l'Union soviétique, le bloc anglo-franco-américain, loin de se rallier à l'Allemagne hitlérienne, fut obligée, au contraire, de se coaliser avec l'U.R.S.S. contre l'Allemagne hitlérienne.

 

Par conséquent, la lutte des pays capitalistes pour la possession des marchés et le désir de noyer leurs concurrents se sont pratiquement révélés plus forts que les contradictions entre le camp du capitalisme et celui du socialisme. On se demande : où est la garantie que l'Allemagne et le Japon ne se relèveront pas et ne tenteront pas de s'évader de la captivité américaine pour commencer une vie propre, indépendante ? Je pense que cette garantie n'existe pas. Il s'ensuit donc que l'inévitabilité des guerres entre pays capitalistes reste entière. On dit qu'il faut considérer comme périmée la thèse de Lénine selon laquelle l'impérialisme engendre inévitablement les guerres, puisque de puissantes forces populaires ont surgi maintenant, qui défendent la paix contre une nouvelle guerre mondiale. Cela est faux.

 

Le mouvement actuel pour la paix se propose d'entraîner les masses populaires dans la lutte pour le maintien de la paix, pour conjurer une nouvelle guerre mondiale. Par conséquent, il ne vise pas à renverser le capitalisme et à instaurer le socialisme, -- il se borne à des buts démocratiques de lutte pour le maintien de la paix. A cet égard, le mouvement actuel pour le maintien de la paix se distingue de celui qui existait lors de la première guerre mondiale, et qui, visant à transformer la guerre impérialiste en guerre civile, allait plus loin et poursuivait des buts socialistes.

 

Il se peut que, les circonstances aidant, la lutte pour la paix évolue çà et là vers la lutte pour le socialisme, mais ce ne sera plus le mouvement actuel en faveur de la paix, mais un mouvement pour renverser le capitalisme.

 

Le plus probable, c'est que le mouvement actuel en faveur de la paix, en tant que mouvement pour le maintien de la paix, contribuera, en cas de succès, à conjurer une guerre donnée, à l'ajourner temporairement, à maintenir temporairement une paix donnée, à faire démissionner le gouvernement belliciste et à y substituer un autre gouvernement, disposé à maintenir provisoirement la paix. Cela est bien, naturellement. C'est même très bien. Mais cela ne suffit cependant pas pour supprimer l'inévitabilité des guerres, en général, entre pays capitalistes. Cela ne suffit pas, car malgré tous ces succès du mouvement de la paix, l'impérialisme demeure debout, reste en vigueur. Par suite, l'inévitabilité des guerres reste également entière.

 

Pour supprimer l'inévitabilité des guerres, il faut détruire l'impérialisme.

 

7. Des lois économiques fondamentales du capitalisme actuel et du socialisme

 

On sait que la question des lois économiques fondamentales du capitalisme et du socialisme a été plusieurs fois soulevée au cours des discussions. Différentes opinions ont été émises à ce sujet, allant même jusqu'aux plus fantaisistes. Il est vrai que la plupart des participants à la discussion ont réagi mollement, et qu'aucune décision n'a été prise sur ce point. Toutefois, aucun des participants à la discussion n'a nié l'existence de ces lois.

 

Une loi économique fondamentale du capitalisme existe-t-elle ? Oui, elle existe. Qu'est-ce que cette loi, quels sont ses traits caractéristiques ? La loi économique fondamentale du capitalisme est celle qui définit, non pas un aspect particulier ou des processus particuliers du développement de la production capitaliste, mais tous les principaux aspects et tous les principaux processus de ce développement ; elle définit donc l'essence de la production capitaliste, sa nature.

 

La loi de la valeur n'est-elle pas la loi économique fondamentale du capitalisme ?

 

Non. Elle est avant tout celle de la production marchande. Elle existait avant le capitalisme et continue d'exister, ainsi que la production marchande, après le renversement du capitalisme, par exemple, dans notre pays, avec, il est vrai, une sphère d'action limitée. Certes, la loi de la valeur, qui comporte une large sphère d'action dans le cadre du capitalisme, joue un grand rôle dans le développement de la production capitaliste ; mais elle ne définit pas l'essence de la production capitaliste et les bases du profit capitaliste ; bien plus : elle ne pose même pas ces problèmes. Elle ne peut donc pas être la loi économique fondamentale du capitalisme actuel.

 

Pour les mêmes raisons, la loi de la concurrence et de l'anarchie de la production, ou la loi du développement inégal du capitalisme dans les différents pays ne peut être la loi économique fondamentale du capitalisme.

 

On soutient que la loi du taux moyen du profit est la loi économique fondamentale du capitalisme actuel. Cela est faux. Le capitalisme actuel, le capitalisme de monopole, ne peut se contenter du taux moyen qui, au surplus, a tendance à diminuer par suite du relèvement de la composition organique du capital. L'actuel capitalisme de monopole ne demande pas le profit moyen, mais le maximum de profit, nécessaire pour réaliser plus ou moins régulièrement la reproduction élargie.

 

La loi qui convient le mieux à la notion de loi économique fondamentale du capitalisme, est celle de la plus-value, celle de la naissance et de l'accroissement du profit capitaliste. En effet, elle détermine les traits essentiels de la production capitaliste.

 

Mais la loi de la plus-value est une loi d'ordre trop général, qui ne touche pas aux problèmes du taux maximum du profit, dont la garantie est la condition du développement du capitalisme monopoliste. Pour combler cette lacune, il faut concrétiser la loi de la plus-value et la développer, en accord avec les conditions du capitalisme de monopole, en tenant compte que ce dernier ne réclame pas n'importe quel profit, mais le maximum de profit. C'est cela la loi économique fondamentale du capitalisme actuel. Les traits principaux et les dispositions de la loi économique fondamentale du capitalisme actuel pourraient être formulés à peu près ainsi : assurer le maximum de profit capitaliste en exploitant, en ruinant, en appauvrissant la majeure partie de la population d'un pays donné ; en asservissant et en dépouillant de façon systématique les peuples des autres pays, notamment ceux des pays arriérés ; enfin, en déclenchant des guerres et en militarisant l'économie nationale en vue d'assurer le maximum de profits.

 

On dit que le profit moyen pourrait néanmoins, dans les conditions actuelles, amplement suffire au développement capitaliste. C'est faux. Le profit moyen, c'est la limite inférieure de la rentabilité, au-dessous de laquelle la production capitaliste devient impossible. Mais il serait ridicule de penser que les brasseurs d'affaires de l'actuel capitalisme monopoliste, en s'emparant des colonies, en asservissant les peuples et on déclenchant des guerres, entendent ne s'assurer qu'un profit moyen. Non, ce n'est pas le profit moyen, ni le surprofit qui ne représente en règle générale qu'une certaine majoration du profit moyen, mais le maximum de profit qui constitue la force motrice du capitalisme de monopole. C'est la nécessité de réaliser le maximum de profits qui pousse le capitalisme de monopole à des actes hasardeux comme l'asservissement et le pillage systématique des colonies et des autres pays arriérés, la transformation des pays indépendants en pays dépendants, l'organisation de nouvelles guerres qui sont pour les brasseurs d'affaires du capitalisme actuel le meilleur "business" leur permettant de tirer le maximum de profit ; enfin, les efforts tentés pour conquérir la domination économique mondiale.

 

La portée de la loi économique fondamentale du capitalisme consiste entre autres en ceci : en définissant tous les phénomènes importants dans le développement du mode de production capitaliste, ses essors et ses crises, ses victoires et ses défaites, ses mérites et ses défauts, -- tout le processus de son développement contradictoire, -- elle permet de les comprendre et de les expliquer.

 

Voici un exemple "frappant" entre tant d'autres.

 

Tout le monde connaît les faits tirés de l'histoire et de la pratique du capitalisme, qui montrent l'essor impétueux de la technique sous le capitalisme, alors que les capitalistes s'affirment des champions de la technique avancée, des révolutionnaires dans le développement de la technique de la production. Mais on connaît également des faits d'un autre genre qui montrent que le développement de la technique subit des arrêts sous le capitalisme, quand les capitalistes font figure de réactionnaires par rapport au progrès technique et reviennent souvent au travail manuel.

 

Comment expliquer cette contradiction flagrante ? On ne peut l'expliquer que par la loi économique fondamentale du capitalisme actuel, c'est-à-dire par la nécessité de réaliser le maximum de profits. Le capitalisme est pour la technique nouvelle, quand elle lui fait entrevoir les plus grands profits. Il est contre la nouvelle technique et pour le retour au travail manuel, lorsque la nouvelle technique ne lui fait plus entrevoir les profits les plus élevés.

 

Il en est ainsi de la loi économique fondamentale du capitalisme actuel.

 

Existe-t-il une loi économique fondamentale du socialisme ? Oui, elle existe. Quels sont les traits essentiels et les dispositions de cette loi ? Les traits essentiels et les dispositions de la loi économique fondamentale du socialisme pourraient être formulés à peu près ainsi : assurer au maximum la satisfaction des besoins matériels et culturels sans cesse accrus de toute la société, en augmentant et en perfectionnant toujours la production socialiste sur la base d'une technique supérieure.

 

Par conséquent : au lieu que soit assuré le maximum de profits, c'est la satisfaction au maximum des besoins matériels et culturels de la société ; au lieu que la production se développe avec des temps d'arrêt -- de l'essor à la crise, de la crise à l'essor, -- c'est une croissance ininterrompue de la production ; au lieu de temps d'arrêt périodiques qui s'opèrent dans le progrès technique et s'accompagnent de la destruction des forces productives de la société, c'est un perfectionnement ininterrompu de la production sur la base d'une technique supérieure.

 

On dit que la loi économique fondamentale du socialisme est celle d'un développement harmonieux, proportionnel de l'économie nationale. Cela est faux. Le développement harmonieux de l'économie nationale et, par suite, sa planification, qui constitue le reflet plus ou moins fidèle de cette loi, ne peuvent rien donner par eux-mêmes, si on ignore au nom de quels objectifs se fait le développement planifié de l'économie nationale, ou bien si la tâche n'est pas claire. La loi du développement harmonieux de l'économie nationale, ne peut donner l'effet voulu que dans le cas où il y a une tâche au nom de laquelle ce développement se poursuit. Cette tâche ne peut être fournie par la loi même du développement harmonieux de l'économie nationale. A plus forte raison ne peut-elle pas être fournie par la planification de l'économie nationale. Cette tâche est contenue dans la loi économique fondamentale du socialisme sous la forme des dispositions exposées plus haut. Aussi, la loi du développement harmonieux de l'économie nationale ne peut-elle exercer à fond son action que si cette action s'appuie sur la loi économique fondamentale du socialisme.

 

En ce qui concerne la planification de l'économie nationale, elle ne peut obtenir de résultats positifs qu'en observant deux conditions : a) si elle reflète correctement les dispositions de la loi du développement harmonieux de l'économie nationale ; b) si elle tient compte partout des dispositions de la loi économique fondamentale du socialisme.

 

8. Autres problèmes

 

1) La question de la contrainte extra-économique sous le féodalisme.

 

Sans doute, la contrainte extra-économique a contribué à consolider le pouvoir économique des féodaux, sans constituer toutefois la base du féodalisme ; c'était la propriété féodale de la terre qui en était le fondement.

 

2) La question de la propriété personnelle du foyer kolkhozien.

 

On aurait tort de dire dans le projet de manuel que "chaque foyer kolkhozien dispose personnellement d'une vache, de menu bétail et de volaille". On sait qu'en réalité la vache, le menu bétail, la volaille, etc., ne sont pas un objet de jouissance personnelle, mais la propriété personnelle du foyer kolkhozien. L'expression "jouissance personnelle" a été empruntée sans doute au Statut-type de l'artel agricole. Mais il y a là une erreur. La Constitution de l'U.R.S.S., élaborée avec plus de soin, dit autre chose, à savoir : Chaque foyer kolkhozien... sur ce terrain possède en propre une économie auxiliaire, une maison d'habitation, le bétail de production, la volaille et le menu matériel agricole. (Constitution de l'U.R.S.S., p. 4, Editions Sociales, Paris, 1945).

 

C'est exact, bien entendu.

 

Il faudrait, en outre, dire avec plus de détail que chaque kolkhozien possède en propre d'une à tant de vaches, selon les conditions locales, tant de moutons, de chèvres, de porcs (en nombre à déterminer suivant les conditions locales) et un nombre illimité de volailles (canards, oies, poules, dindes).

 

Ces détails ont une grande importance pour nos camarades à l'étranger, qui veulent savoir exactement ce qui reste proprement au foyer kolkhozien à titre de propriété personnelle, après que la collectivisation agricole a été réalisée chez nous.

 

3) La question des fermages que les paysans devaient aux propriétaires fonciers, de même que les dépenses nécessitées par l'achat de terre.

 

Il est dit dans le projet de manuel qu'à la suite de la nationalisation du sol "la paysannerie s'est libérée des fermages qu'elle payait aux propriétaires fonciers -- près de 500 millions de roubles par an" (ajoutons : "en or"). Il importerait de préciser ce chiffre, car il établit, ce me semble, le fermage payé non pas dans toute la Russie, mais dans la plupart des provinces russes. Il ne faut pas perdre de vue que sur certains confins de la Russie, le fermage se payait en nature, ce dont les auteurs du projet de manuel n'ont sans doute pas tenu compte. En outre, il ne faut pas oublier que la paysannerie s'est libérée des fermages, mais aussi des dépenses annuelles nécessitées par les achats de terre. En a-t-on tenu compte dans le projet de manuel ? Il me semble que non ; or, il faudrait en tenir compte.

 

4) Le problème de l'intégration des monopoles à l'appareil d'Etat.

 

Le mot "intégration" est employé ici improprement. Terme qui exprime superficiellement et sous forme descriptive le rapprochement des monopoles et de l'Etat, mais sans dégager le sens économique de ce rapprochement qui n'entraîne pas simplement l'intégration, mais la soumission de l'appareil d'Etat aux monopoles. Il faudrait donc rejeter le mot "intégration", et y substituer les mots "soumission de l'appareil d'Etat aux monopoles".

 

5) De l'emploi des machines en U.R.S.S.

 

Il est dit dans le projet de manuel qu'"en U.R.S.S., les machines sont employées toutes les fois qu'elles économisent le travail à la société". Ce n'est pas du tout ce qu'il faudrait dire. D'abord, les machines en U.R.S.S. économisent toujours le travail à la société, ce qui fait que nous ne connaissons pas d'exemple de machines qui, en U.R.S.S., n'aient pas économisé le travail à la société. En second lieu, les machines n'économisent pas uniquement le travail, elles facilitent le labeur des hommes, ce qui fait que dans nos conditions, contrairement à celles du capitalisme, les ouvriers emploient très volontiers les machines dans leur travail.

 

Il faudrait donc dire que nulle part les machines ne sont employées aussi volontiers qu'en U.R.S.S., puisqu'elles économisent le travail à la société et facilitent la peine des hommes. Et comme le chômage n'existe pas en U.R.S.S., les ouvriers emploient très volontiers les machines dans l'économie nationale.

 

6) De la situation matérielle de la classe ouvrière dans les pays capitalistes.

 

Quand on parle de la situation matérielle de la classe ouvrière, on pense d'habitude aux ouvriers occupés, et l'on ne tient pas compte de la situation matérielle de ce qu'on appelle l'armée de réserve, l'armée des chômeurs. Une telle façon de traiter de la situation matérielle de la classe ouvrière est-elle juste ? Je pense que non. Si les chômeurs forment une armée de réserve, dont les membres n'ont pas de quoi vivre, sinon de la vente de leur force de travail, les chômeurs doivent forcément faire partie de la classe ouvrière ; mais alors leur situation misérable ne peut qu'influer sur la situation matérielle des ouvriers occupés. Je pense donc qu'en définissant la situation matérielle de la classe ouvrière dans les pays capitalistes, il faudrait tenir compte aussi de la situation de l'armée de réserve des sans-travail.

 

7) La question du revenu national.

 

Je pense qu'il faudrait inclure absolument dans le projet de manuel un nouveau chapitre sur le revenu national.

 

8) En ce qui concerne le chapitre spécial du manuel sur Lénine et Staline, créateurs de l'économie politique du socialisme.

 

Je pense que le chapitre "La doctrine marxiste du socialisme. La création par Lénine et Staline d'une économie politique du socialisme" doit être supprimé. Il est absolument inutile dans ce manuel, puisqu'il n'apporte rien de nouveau et ne fait que répéter faiblement ce qui a été dit avec plus de détails dans les chapitres précédents. En ce qui concerne les autres problèmes, je n'ai pas d'observations à ajouter aux "propositions" des camarades Ostrovitianov, Léontiev, Chépilov, Gatovski et autres.

 

9. La portée internationale d'un manuel marxiste d'économie politique

 

Je pense que les camarades ne tiennent pas suffisamment compte de la portée d'un manuel marxiste d'économie politique. Ce manuel n'est pas seulement nécessaire à notre jeunesse soviétique. Il l'est surtout aux communistes de tous les pays et à ceux qui sympathisent avec eux. Nos camarades à l'étranger veulent savoir comment nous avons fait pour secouer le joug capitaliste, réorganiser l'économie du pays dans l'esprit du socialisme, pour gagner l'amitié de la paysannerie ; comment nous avons fait pour qu'un pays hier encore misérable et faible se transforme en pays riche, puissant ; ce que sont les kolkhozes ; pourquoi, malgré la socialisation des moyens de production, nous maintenons la production marchande, l'argent, le commerce, etc. Ils veulent savoir tout cela et bien d'autres choses, non point par simple curiosité, mais pour apprendre de nous et utiliser notre expérience dans leur propre pays. Aussi la publication d'un bon manuel marxiste d'économie politique a-t-elle une importance non seulement nationale, mais encore une immense portée internationale.

 

Il faut donc un manuel pouvant servir de livre de chevet à la jeunesse révolutionnaire non seulement à l'intérieur du pays, maie aussi au delà de ses frontières. Il ne doit pas être trop volumineux, sinon il ne pourra par être un livre de chevet, et l'on aura de la peine à se l'assimiler, à en venir à bout. Mais il doit contenir toutes les choses essentielles concernant aussi bien l'économie de notre pays que celle du capitalisme et du système colonial.

 

Certains camarades ont proposé, au cours des débats, d'inclure dans le manuel plusieurs nouveaux chapitres, les historiens : sur l'histoire, les hommes politiques : sur la politique, les philosophes : sur la philosophie, les économistes : sur l'économie. Mais cela aurait fait prendre au manuel des proportions illimitées. Naturellement, il ne faut pas le faire. Le manuel utilise la méthode historique pour illustrer les problèmes d'économie politique, mais cela ne veut pas encore dire que nous devions faire du manuel d'économie politique une histoire des rapports économiques.

 

Il nous faut, un manuel de 500, de 600 pages au plus. Ce sera un livre de chevet en matière d'économie politique marxiste, un excellent cadeau aux jeunes communistes de tous les pays.

 

Du reste, étant donné le niveau insuffisant de la formation marxiste de la plupart des Partis communistes étrangers, ce manuel pourrait être d'une grande utilité aussi pour les cadres communistes plus âgés de ces pays.

 

10. Les moyens d'améliorer le projet de manuel d'économie politique

 

Certains camarades se sont attachés, au cours de la discussion, à "démolir" avec zèle le projet de manuel ; ils ont critiqué ses auteurs pour leurs fautes et leurs insuffisances, et affirmé que le projet n'est pas réussi. Cela n'est pas juste. Sans doute, il y a des erreurs et des insuffisances dans le manuel, -- il y en a presque toujours dans un travail important. De toute façon, l'immense majorité des participants à la discussion ont reconnu pourtant que le projet de manuel pouvait servir de base au futur manuel et n'a besoin que de certaines rectifications et de certaines adjonctions. En effet, il suffit de comparer le projet aux manuels d'économie politique en librairie, pour conclure qu'il est sensiblement supérieur aux manuels existants. C'est là un grand mérite des auteurs de ce projet.

 

Je pense que pour l'améliorer, il faudrait nommer une commission à effectif réduit, en y comprenant non seulement les auteurs du manuel et les partisans de la majorité de ceux qui ont pris part à la discussion, mais aussi les adversaires de la majorité, les critiques zélés du projet de manuel.

 

On ferait bien d'inclure dans la commission un statisticien averti qui vérifierait les chiffres et introduirait dans le projet de nouvelles statistiques, de même qu'un juriste expérimenté pour vérifier le texte des formules.

 

Il faudrait exempter temporairement les membres de la commission de tout autre travail, en les pourvoyant pleinement sous le rapport matériel, afin qu'ils puissent se donner tout entier à ce travail.

 

En outre, il faudrait nommer un comité de rédaction, trois personnes, par exemple, qui seraient chargées de la mise au point définitive du manuel. Ce qui est nécessaire aussi pour réaliser l'unité de style dont, malheureusement, le projet de manuel est dépourvu.

 

Les délais de présentation du manuel mis au point au Comité central : un an.

 

1er février 1952.

 

 

Réponse au camarade Notkine Alexandre Ilitch

 

Camarade Notkine,

 

Je ne vous ai pas répondu aussitôt, parce que je ne juge pas urgentes les questions que vous posez. D'autant plus qu'il est d'autres questions ayant un caractère d'urgence et qui, naturellement, retiennent l'attention et la détournent de votre lettre.

 

Je réponds point par point.

 

Premier point.

 

Dans mes "Remarques" figure la thèse selon laquelle la société n'est pas impuissante devant les lois de la science, que les hommes, en connaissant les lois économiques, peuvent les utiliser dans l'intérêt de la société. Vous prétendez que cette thèse ne peut être étendue aux autres formations de la société, qu'elle n'est valable que pour le socialisme et le communisme, que le caractère spontané des processus économiques, par exemple, sous le capitalisme ne permet pas à la société d'utiliser les lois économiques dans son intérêt.

 

C'est faux. A l'époque de la révolution bourgeoise, par exemple en France, la bourgeoisie a utilisé centre le féodalisme la loi de correspondance nécessaire entre les rapports de production et le caractère des forces productives, elle a renversé les rapports de production féodaux, elle a créé des rapports de production nouveaux, bourgeois, et les a fait concorder avec le caractère des forces productives, formées au sein du régime féodal. La bourgeoisie l'a fait non pas en vertu de ses talents particuliers, mais parce qu'elle y était vivement intéressée. Les féodaux s'y opposaient non par stupidité, mais parce qu'ils étaient vivement intéressés à empêcher l'application de cette loi. Il faut en dire autant de la Révolution socialiste dans notre pays. La classe ouvrière a utilisé la loi de correspondance nécessaire entre les rapports de production et le caractère des forces productives, elle a renversé les rapports de production bourgeois, elle a créé des rapports de production nouveaux, socialistes, et les a fait concorder avec le caractère des forces productives. Elle a pu le faire, non en vertu de ses talents particuliers, mais parce qu'elle y était vivement intéressée. La bourgeoisie qui, de force d'avant-garde à l'aube de la révolution bourgeoise, avait eu le temps de se transformer en une force contre-révolutionnaire, a résisté par tous les moyens à l'application de cette loi, -- résisté non point par manque d'organisation ni parce que le caractère spontané des processus économiques la poussait à la résistance, mais principalement parce qu'elle était vivement intéressée à la non-application de cette loi.

 

Par conséquent :

 

1° L'utilisation des processus économiques, des lois économiques dans l'intérêt de la société a lieu, dans telle ou telle mesure, non seulement sous le socialisme et le communisme, mais aussi sous d'autres formations ;

2° L'utilisation des lois économiques dans une société de classe, a toujours et partout des mobiles de classe, et le promoteur de l'utilisation des lois économiques dans l'intérêt de la société, est toujours et partout la classe d'avant-garde, tandis que les classes déclinantes s'y opposent.

 

En l'occurrence, la différence entre le prolétariat, d'une part, et les autres classes qui accomplirent jadis, au cours de l'histoire, des révolutions dans les rapports de production, d'autre part, c'est que les intérêts de classe du prolétariat se fondent avec les intérêts de l'immense majorité de la société, car la révolution du prolétariat ne signifie pas la suppression de telle ou telle forme d'exploitation, mais la suppression de toute exploitation, tandis que les révolutions des autres classes, en supprimant simplement telle ou telle forme d'exploitation, n'allaient pas au delà de leurs intérêts de classe étroits, qui se trouvaient en contradiction avec les intérêts de la majorité de la société. Les "Remarques" parlent des mobiles de classe qui font que les lois économiques sont utilisées dans l'intérêt de la société. Il y est dit :

 

Alors que dans le domaine de la nature, la découverte et l'application d'une nouvelle loi se poursuivent plus ou moins sans entrave, dans le domaine économique la découverte et l'application d'une nouvelle loi, qui porte atteinte aux intérêts des forces déclinantes de la société, rencontrent la résistance la plus énergique de ces forces.

 

Or vous n'avez prêté aucune attention à ce passage.

 

Deuxième point.

 

Vous prétendez que l'entière correspondance entre les rapports de production et le caractère des forces productives, ne peut être obtenue que sous le socialisme et le communisme, et que sous les autres formations on ne peut réaliser qu'une correspondance incomplète.

 

C'est faux. Dans l'époque qui a suivi la révolution bourgeoise, lorsque la bourgeoisie a détruit les rapports de production féodaux et instauré des rapports de production bourgeois, il y a eu incontestablement des périodes où les rapports de production bourgeois ont été entièrement conformes au caractère des forces productives. Autrement, le capitalisme n'aurait pas pu se développer aussi rapidement qu'il l'a fait après la révolution bourgeoise.

 

Ensuite. On ne peut pas prendre dans leur acception absolue les mots "entière correspondance". On ne peut pas les interpréter en ce sens que, sous le socialisme, les rapports de production ne marqueraient aucun retard sur l'accroissement des forces productives. Les forces productives sont les forces les plus mobiles et les plus révolutionnaires de la production. Elles devancent, sans conteste, les rapports de production, en régime socialiste également. Ce n'est qu'au bout d'un certain temps que les rapports de production s'adaptent au caractère des forces productives.

 

Dès lors, comment faut-il comprendre les mots "entière correspondance" ? Il faut les comprendre en ce sens que d'une façon générale, sous le socialisme, les choses n'aboutissent pas à un conflit entre les rapports de production et les forces productives, que la société a la possibilité d'assurer en temps utile la correspondance entre les rapports de production retardataires et le caractère des forces productives. La société socialiste a la possibilité de le faire parce qu'elle n'a pas, dans son sein, de classes déclinantes pouvant organiser la résistance. Certes, sous le socialisme également, il y aura des forces d'inertie retardataires, ne comprenant pas la nécessité de modifier les rapports de production, mais il sera, évidemment, facile d'en venir à bout, sans pousser les choses jusqu'à un conflit.

 

Troisième point.

 

Il ressort de vos raisonnements que vous considérez comme une marchandise les moyens de production et, tout d'abord, les instruments de production fabriqués par nos entreprises nationalisées.

 

Peut-on considérer les moyens de production, dans notre régime socialiste, comme une marchandise ? Selon moi, on ne le peut en aucune façon. La marchandise est un produit de la production, qui se vend à tout acheteur ; au moment de la vente, le propriétaire de la marchandise perd son droit de propriété, tandis que l'acheteur devient propriétaire de la marchandise ; il peut la revendre, la mettre en gage, la laisser pourrir. Cette définition convient-elle pour les moyens de production ? Il est clair que non. D'abord, les moyens de production ne "se vendent" pas à tout acheteur, ils ne "se vendent" pas même aux kolkhozes ; ils sont simplement répartis par

l'Etat entre ses entreprises. En second lieu, le propriétaire des moyens de production, l'Etat, lorsqu'il les remet à telle ou telle entreprise ne perd aucunement le droit de propriété sur les moyens de production, mais, au contraire, le conserve intégralement. Troisièmement, les directeurs d'entreprises, qui ont reçu de l'Etat des moyens de production, non seulement n'en deviennent pas les propriétaires, mais, au contraire, sont les fondés de pouvoir de l'Etat soviétique pour l'utilisation des moyens de production, en accord avec les plans fixés par l'Etat.

 

Comme on le voit, les moyens de production, sous notre régime, ne sauraient aucunement être classés dans la catégorie des marchandises.

 

Pourquoi alors parle-t-on de la valeur des moyens de production, de leur prix de revient, de leur prix de vente, etc. ?

 

Pour deux raisons.

 

Premièrement, cela est nécessaire pour les calculs, pour les règlements de comptes, pour établir la rentabilité ou la non-rentabilité des entreprises, pour vérifier et contrôler ces dernières. Mais ce n'est là que le côté formel de la question. Deuxièmement, cela est nécessaire pour pouvoir, dans l'intérêt du commerce extérieur, vendre des moyens de production aux Etats étrangers. Ici, dans le domaine du commerce extérieur, mais seulement dans ce domaine, nos moyens de production sont effectivement des marchandises et se vendent effectivement (sans guillemets). Ainsi donc, dans le domaine du commerce extérieur, les moyens de production fabriqués par nos entreprises conservent les propriétés de marchandises tant pour le fond que pour la forme, tandis que dans les échanges économiques à l'intérieur du pays, les moyens de production perdent les propriétés des marchandises, cessent d'être des marchandises, sortent de la sphère d'action de la loi de la valeur et ne conservent que l'apparence extérieure de marchandises (calculs, etc.).

 

Comment expliquer cette particularité ?

 

C'est que dans nos conditions socialistes le développement économique se fait non par révolutions, mais par modifications graduelles, lorsque l'ancien n'est pas purement et simplement aboli, mais change de nature pour s'adapter au nouveau, et ne conserve que sa forme ; le nouveau, pour sa part, ne supprime pas purement et simplement l'ancien, mais le pénètre, modifie sa nature, ses fonctions, n'en brise pas la forme mais l'utilise pour le développement du nouveau. Il en est ainsi des marchandises, mais aussi de la monnaie dans nos échanges économiques, il en va de même en ce qui concerne les banques qui, en perdant leurs anciennes fonctions et en en acquérant de nouvelles, conservent leur forme ancienne, utilisée par le régime socialiste.

 

Si l'on envisage la question du point de vue formel, du point de vue des processus qui s'opèrent à la surface des événements, on en arrive à cette fausse conclusion que les catégories du capitalisme conservent soi-disant leur vigueur dans notre économie. Mais si l'on analyse la question du point de vue marxiste, qui distingue strictement entre le contenu du processus économique et sa forme, entre les processus profonds de développement et les phénomènes superficiels, -- on ne petit arriver qu'à cette conclusion, la seule juste : c'est que chez nous se sont principalement conservés la forme, l'aspect extérieur des anciennes catégories du capitalisme ; quant au fond, ces catégories ont changé radicalement, selon les nécessités du développement de l'économie nationale, de l'économie socialiste.

 

Quatrième point.

 

Vous prétendez que la loi de la valeur exerce une action régulatrice sur les prix des "moyens de production" produits par l'agriculture et livrée à l'Etat aux prix de stockage. Ce disant, vous avez en vue des "moyens de production" comme les matières premières, par exemple, le coton. Vous auriez pu ajouter le lin, la laine et autres matières premières agricoles.

 

Notons tout d'abord qu'en l'occurrence l'agriculture ne produit pas les "moyens de production", mais un des moyens de production : les matières premières. On ne doit pas jouer sur les mots "moyens de production". Lorsque les marxistes parlent de la production des moyens de production, ils entendent tout d'abord la production des instruments de production, ce que Marx appelle les "moyens mécaniques de travail, dont l'ensemble peut être appelé l'ossature et la musculature de la production", système qui constitue les "indices distinctifs caractéristiques d'une époque donnée de la production sociale". Mettre sur le même plan une partie des moyens de production (matières premières) et les moyens de production, y compris les instruments de production, c'est pécher contre le marxisme, qui part du rôle déterminant des instruments de production par rapport à tous les autres moyens de production. Chacun sait que les matières premières par elles-mêmes ne peuvent produire des instruments de production, bien que certaines variétés de matières premières soient indispensables à la fabrication des instruments de production, tandis qu'aucune matière première ne peut être produite sans instruments de production.

 

Poursuivons. L'action que la loi de la valeur exerce sur le prix des matières premières produites dans l'agriculture, est-elle une action régulatrice, comme vous le prétendez, camarade Notkine ? Elle serait régulatrice si le "libre" jeu des prix des matières premières agricoles existait chez nous, si la loi de concurrence et d'anarchie de la production s'exerçait chez nous, si nous n'avions pas d'économie planifiée, si la production des matières premières n'était pas réglée par un plan. Mais étant donné que tous ces "si" sont inexistants dans notre système d'économie nationale, l'action de la loi de la valeur sur les prix des matières premières agricoles ne peut en aucune façon être régulatrice. Premièrement, les prix qui existent chez nous sur les matières premières agricoles sont stables, établis par un plan, et non "libres". Deuxièmement, le volume de la production des matières premières agricoles n'est pas établi spontanément, ni par des éléments fortuits, mais par un plan. Troisièmement, les instruments de production nécessaires à la production des matières premières agricoles, ne sont pas concentrées entre les mains d'individus, ou de groupes d'individus, mais entre les mains de l'Etat. Que reste-t-il après cela du rôle régulateur de la loi de la valeur ? On voit qu'elle-même est réglée par les faits indiqués plus haut, inhérente à la production socialiste. Par conséquent, on ne peut nier que la loi de la valeur agit sur la formation des prix des matières premières agricoles, qu'elle en est un des facteurs. A plus forte raison ne doit-on nier le fait que cette action n'est, ni ne peut être régulatrice.

 

Cinquième point.

 

En parlant de la rentabilité de l'économie nationale, de l'économie socialiste, j'ai élevé des objections dans mes "Remarques" contre certains camarades qui prétendent

que, étant donné que notre économie nationale planifiée n'accorde pas une préférence marquée aux entreprises rentables et admet, à côté de celles-ci, des entreprises non rentables, notre économie tue soi-disant le principe même de la rentabilité dans l'économie. Dans mes "Remarques", il est dit que la rentabilité des différentes entreprises et branches de production, ne saurait aucunement être comparée à la rentabilité supérieure que nous donne la production socialiste, qui nous prémunit contre les crises de surproduction et nous garantit une augmentation incessante de la production.

 

Mais on aurait tort d'en tirer la conclusion que la rentabilité des différentes entreprises et branches de production n'a pas de valeur particulière et ne mérite pas une sérieuse attention. Evidemment, c'est faux. La rentabilité des différentes entreprises et branches de production a une importance énorme pour le développement de notre production. On doit en tenir compte en planifiant la construction aussi bien que la production. C'est l'abc de notre activité économique au stade de développement actuel.

 

Sixième point.

 

On ne sait pas au juste comment il faut comprendre ce que vous dites à propos du capitalisme : "la production élargie sous un aspect sensiblement déformé". Pareilles productions, et encore élargies, n'existent pas dans la réalité. Après que le marché mondial s'est scindé et que la sphère d'application des forces des principaux pays capitalistes (Etats-Unis, Grande-Bretagne, France) aux ressources mondiales a commencé à se rétrécir, il est évident que le caractère cyclique du développement du capitalisme -- accroissement et réduction de la production -- doit cependant persister. Toutefois, l'accroissement de la production dans ces pays se fera sur une base restreinte, car le volume de la production ira diminuant dans ces pays.

 

Septième point.

 

La crise générale du système capitaliste mondial a commencé pendant la première guerre mondiale, notamment du fait que l'Union soviétique s'est détachée du système capitaliste. Ce fut la première étape de la crise générale. Pendant la deuxième guerre mondiale, la deuxième étape de la crise générale s'est développée, surtout après que se sont détachés du système capitaliste les pays de démocratie populaire en Europe et en Asie. La première crise à l'époque de la première guerre mondiale et la seconde crise à l'époque de la seconde guerre mondiale, ne doivent pas être considérées comme des crises distinctes, indépendantes, coupées l'une de l'autre, mais comme des étapes de développement de la crise générale du système capitaliste mondial.

 

Cette crise générale du capitalisme mondial est-elle une crise uniquement politique ou uniquement économique ? Ni l'un ni l'autre. Elle est générale, c'est-à-dire une crise généralisée du système capitaliste mondial, englobant l'économie aussi bien que la politique. On conçoit qu'à la base de cette crise se trouvent la décomposition toujours plus accentuée du système économique capitaliste mondial, d'une part, et la puissance économique grandissante des pays qui se sont détachés du capitalisme : l'U.R.S.S., la Chine et les autres pays de démocratie populaire, d'autre part.

 

21 avril 1952.

 

 

Des erreurs du camarade L. Iarochenko

 

Le camarade Iarochenko a fait tenir dernièrement aux membres du Bureau politique du Comité central du P.C. (b) de l'U.R.S.S. une lettre datée du 20 mars, portant sur un certain nombre de problèmes économiques débattus en novembre à la discussion que l'on sait. L'auteur de cette lettre se plaint que ni les principaux documents qui font le point de la discussion, ni les "Remarques" du camarade Staline "ne tiennent aucun compte du point de vue" du camarade Iarochenko. Dans sa missive, le camarade Iarochenko propose en outre qu'on l'autorise à écrire une "Economie politique du socialisme", en un an ou dix-huit mois, et qu'on lui adjoigne à cet effet deux assistants. Je crois qu'il faudra examiner quant au fond les doléances du camarade Iarochenko aussi bien que sa proposition.

 

Commençons par les doléances.

 

En quoi consiste donc le "point de vue" du camarade Iarochenko, dont il n'a été tenu aucun compte dans les documents précités ?

 

I - L'erreur principale du camarade Iarochenko

 

Si l'on veut en deux mots caractériser le point de vue du camarade Iarochenko, on doit dire qu'il n'est pas marxiste et, par suite, qu'il est profondément erroné. L'erreur principale du camarade Iarochenko, c'est qu'il s'écarte du marxisme quant au rôle des forces productives et des rapports de production dans le développement de la société ; qu'il exagère à l'extrême le rôle des forces productives et minimise pour autant celui des rapports de production, pour finir par déclarer que sous le socialisme les rapports de production font partie des forces productives. Le camarade Iarochenko veut bien admettre que les rapports de production jouent un certain rôle quand existent des "contradictions de classes antagonistes", attendu que dans ces conditions les rapports de production "contrarient le développement des forces productives". Mais ce rôle, il le réduit à un rôle négatif, au rôle de facteur entravant le développement des forces productives, paralysant ce développement. Aux yeux du camarade Iarochenko, les rapports de production n'ont point d'autres fonctions, n'ont point de fonctions positives.

 

Pour ce qui est du régime socialiste où les "contradictions de classes antagonistes" ont disparu et où les rapports de production "ne contrarient plus le développement des forces productives", le camarade Iarochenko estime qu'ici tout rôle indépendant, quel qu'il soit, des rapports de production, est exclu ; les rapports de production cessent d'être un facteur important du développement et sont absorbés par les forces productives, comme la partie dans le tout. Sous le socialisme, les rapports de production entre les hommes, dit le camarade Iarochenko, font partie de l'organisation des forces productives en tant que moyen, en tant qu'élément de cette organisation. (Voir la lettre du camarade Iarochenko au Bureau politique du Comité central).

 

Quelle est donc, dans ce cas, la principale tâche de l'économie politique du socialisme ? Le camarade Iarochenko répond :

 

Le principal problème de l'économie politique du socialisme n'est donc pas d'étudier les rapports de production entre les hommes de la société socialiste, mais d'élaborer et de développer une théorie scientifique de l'organisation des forces productives dans la production sociale, une théorie de la planification du développement de l'économie nationale. (Voir le discours du camarade Iarochenko à l'Assemblée plénière de la discussion).

 

C'est ce qui explique proprement que le camarade Iarochenko ne s'intéresse pas à des problèmes économiques du régime socialiste tels que l'existence de formes différentes de propriété dans notre économie, la circulation des marchandises, la loi de la valeur, etc., car il estime que ce sont des problèmes de second ordre, propres à susciter uniquement des controverses scolastiques. Il déclare expressément que dans son économie politique du socialisme les controverses sur le rôle de telle ou telle catégorie de l'économie politique du socialisme -- valeur, marchandise, argent, crédit, etc., -- qui souvent revêtent chez nous un caractère scolastique, sont remplacées par de saines considérations sur une organisation rationnelle des forces productives dans la production sociale, sur l'élaboration des principes scientifiques qui seront à la base de cette organisation. (Voir le discours du camarade Iarochenko à la section de l'Assemblée plénière de la discussion).

 

Donc, une économie politique sans problèmes économiques.

 

Le camarade Iarochenko croit qu'il suffit d'"une organisation rationnelle des forces productives" pour passer du socialisme au communisme sans grandes difficultés. Il estime que c'est parfaitement suffisant pour passer au communisme. Il déclare expressément que sous le socialisme, la lutte pour l'édification d'une société communiste se réduit essentiellement à la lutte pour une organisation judicieuse des forces productives et leur utilisation rationnelle dans la production sociale. (Voir le discours à l'Assemblée plénière de la discussion).

 

Le camarade Iarochenko proclame triomphalement que le communisme est la forme la plus haute d'organisation scientifique des forces productives dans la production sociale. Ainsi, le régime communiste ne serait au fond qu'"une organisation rationnelle des forces productives".

 

De tout ceci, le camarade Iarochenko conclut qu'il ne peut exister une économie politique commune à toutes les formations sociales ; qu'il doit exister deux économies politiques : l'une pour les formations sociales présocialistes, dont l'objet est l'étude des rapports de production entre les hommes ; l'autre pour le régime socialiste, dont l'objet doit être non pas l'étude des rapports de production, c'est-à-dire économiques, mais celle des problèmes de l'organisation rationnelle des forces productives.

 

Tel est le point de vue du camarade Iarochenko.

 

Que peut-on dire de ce point de vue ?

 

Il est faux tout d'abord que le rôle des rapports de production dans l'histoire de la société se borne à celui d'entrave paralysant le développement des forces productives. Quand les marxistes disent que les rapports de production jouent le rôle d'entrave, ils n'envisagent pas tous les rapports de production, mais seulement les rapports de production anciens, qui ne correspondent plus à la croissance des forces productives, et, par suite, entravent leur développement. Mais outre les anciens rapports de production, il en existe, on le sait, de nouveaux, qui remplacent les anciens. Peut-on dire que le rôle des nouveaux rapports de production se réduit à celui d'entrave des forces productives ?

 

Evidemment non. Les nouveaux rapports de production sont au contraire la force principale et décisive qui détermine, à proprement parler, le développement continu et vigoureux des forces productives ; et sans eux les forces productives sont condamnées à végéter, comme c'est le cas aujourd'hui dans les pays capitalistes.

 

Nul ne peut nier le développement prodigieux des forces productives de notre industrie soviétique au cours des quinquennats. Mais ce développement ne se serait pas produit si, en Octobre 1917, nous n'avions substitué aux rapports de production anciens, capitalistes, des rapports de production nouveaux, socialistes. Sans cette révolution dans les rapports de production, dans les rapports économiques de notre pays, les forces productives végéteraient chez nous comme elles végètent à présent dans les pays capitalistes.

 

Nul ne peut nier le développement prodigieux des forces productives de notre agriculture depuis 20-25 ans. Mais ce développement ne se serait pas produit si, aux années 30, nous n'avions substitué aux rapports de production anciens, capitalistes, des rapports de production nouveaux, collectivistes, dans les campagnes. Sans cette révolution dans la production, les forces productives de notre agriculture végéteraient comme elles végètent à présent dans les pays capitalistes.

 

Certes, les nouveaux rapports de production ne peuvent rester ni ne restent éternellement nouveaux ; ils commencent à vieillir et entrent en contradiction avec le développement ultérieur des forces productives ; ils perdent peu à peu leur rôle de principal moteur des forces productives pour lesquelles ils deviennent une entrave. Alors, à la place de ces rapports de production périmés, apparaissent de nouveaux rapports de production dont le rôle est d'être le principal moteur du développement ultérieur des forces productives.

 

Cette particularité du développement des rapports de production, -- passant du rôle d'entrave des forces productives à celui de principal moteur qui les pousse en avant, et du rôle de principal moteur à celui d'entrave des forces productives, -- constitue un des principaux éléments de la dialectique matérialiste marxiste. C'est ce que savent aujourd'hui tous les primaires du marxisme. C'est ce qu'ignore, paraît-il, le camarade Iarochenko.

 

Il est faux, ensuite, que le rôle indépendant des rapports de production, c'est-à-dire économiques, disparaisse sous le socialisme ; que les rapports de production soient absorbés par les forces productives ; que la production sociale, sous le socialisme, se ramène à l'organisation des forces productives. Le marxisme considère la production sociale comme un tout présentant deux aspects indissociables : les forces productives de la société (rapports entre la société et les forces de la nature contre lesquelles celle-là lutte pour s'assurer les biens matériels qui lui sont indispensables), et les rapports de production (rapports des hommes entre eux dans le processus de la production). Ce sont deux aspects différents de la production sociale, bien qu'ils soient indissolublement liés entre eux. Et c'est parce qu'ils constituent deux aspects différents de la production sociale qu'ils peuvent exercer une action réciproque. Affirmer que l'un de ces aspects peut être absorbé par l'autre et devenir partie intégrante de celui-ci, c'est pécher de la manière la plus grave contre le marxisme.

 

Marx dit :

 

Dans la production, les hommes n'agissent pas seulement sur la nature, mais aussi les uns sur les autres. Ils ne produisent qu'en collaborant d'une manière déterminée et en échangeant entre eux leurs activités. Pour produire, ils entrent en relations et en rapports déterminés les une avec les autres, et ce n'est que dans les limites de ces relations et de ces rapports sociaux que s'établit leur action sur la nature, la production. (Karl Marx, Travail salarié et capital, suivi de Salaire, prix et profit, p. 39, Editions Sociales, Paris, 1941).

 

Il suit de là que la production sociale présente deux aspects qui, bien qu'indissolublement liés entre eux, n'en traduisent pas moins deux catégories de rapports différents : les rapports des hommes avec la nature (forces productives) et les rapports des hommes entre eux dans le processus de la production (rapports de production). Seule l'existence simultanée de ces deux aspects de la production nous donne la production sociale, qu'il s'agisse du régime socialiste ou d'autres formations sociales. Apparemment, le camarade Iarochenko n'est pas tout à fait d'accord avec Marx. Il estime que cette thèse de Marx n'est pas applicable au régime socialiste. C'est bien pourquoi il réduit la tâche de l'économie politique du socialisme à l'organisation rationnelle des forces productives, en faisant table rase des rapports de production, c'est-à-dire des rapports économiques, et en isolant de ceux-ci les forces productives.

 

Il s'ensuit qu'au lieu d'une économie politique marxiste, le camarade Iarochenko nous propose quelque chose dans le genre de la "science générale de l'organisation" de Bogdanov.

 

Ainsi donc, parti de cette idée juste que les forces productives sont les forces les plus mobiles et les plus révolutionnaires de la production, le camarade Iarochenko réduit cette idée à l'absurde, aboutit à la négation du rôle des rapports de production, des rapports économiques, sous le socialisme ; au lieu d'une production sociale au sens complet du mot, il nous propose une technologie de la production chétive et unilatérale, quelque chose dans le genre de la "technique de l'organisation sociale" de Boukharine.

 

Marx dit :

 

Dans la production sociale de leur existence [c'est-à-dire dans la production des biens matériels nécessaires à leur vie -- J. S.], les hommes entrent en des rapports déterminés, nécessaires, indépendants de leur volonté, rapports de production qui correspondent à un degré de développement déterminé de leurs forces productives matérielles. L'ensemble de ces rapports de production constitue la structure économique de la société, la hase concrète sur quoi s'élève une superstructure juridique et politique, et à laquelle correspondent des formes de conscience sociales déterminées. (Voir la préface à la Contribution à la critique de l'économie politique).

 

Autrement dit, chaque formation sociale, la société socialiste y comprise, a sa base économique constituée par l'ensemble des rapports de production entre les hommes. La question se pose : que devient, aux yeux du camarade Iarochenko, la base économique du régime socialiste ? Le camarade Iarochenko, on le sait, a déjà liquidé les rapports de production sous le socialisme en tant que domaine plus ou moins indépendant, faisant entrer le peu qui en subsistait dans l'organisation des forces productives. Le régime socialiste a-t-il sa base économique ? se demandera-t-on. Il est évident que les rapports de production ayant disparu, sous le socialisme, comme force plus ou moins indépendante, le régime socialiste reste sans base économique propre. Donc, un régime socialiste qui n'a pas de base économique. N'est-ce pas plutôt comique ?...

 

Peut-il exister un régime social qui n'ait pas de base économique ? Le camarade Iarochenko, apparemment, estime que oui. Mais le marxisme, lui, estime que de pareils régimes sociaux n'existent pas.

 

Il est faux, enfin, que le communisme soit l'organisation rationnelle des forces productives ; que le régime communiste se réduise essentiellement à l'organisation rationnelle des forces productives ; qu'il suffise d'organiser rationnellement les forces productives pour passer au communisme sans grandes difficultés. Il existe dans notre littérature une autre définition, une autre formule du communisme, la formule de Lénine : "Le communisme, c'est le pouvoir des Soviets plus l'électrification de tout le pays."

 

Apparemment, la formule de Lénine ne plaît pas au camarade Iarochenko, et il lui substitue une formule de son cru : "Le communisme est la forme la plus haute d'organisation scientifique des forces productives dans la production sociale." D'abord, nul ne sait ce qu'est au juste cette "forme la plus haute d'organisation scientifique", ou organisation "rationnelle" des forces productives, prônée par le camarade Iarochenko, quel en est le contenu précis. Le camarade Iarochenko répète des dizaines de fois cette formule mythique dans ses discours à l'Assemblée plénière, aux sections de la discussion, dans sa lettre aux membres du Bureau politique ; mais nulle part il ne dit un seul mot pour tenter d'expliquer comment comprendre proprement cette "organisation rationnelle" des forces productives à laquelle se réduirait essentiellement le régime communiste.

 

Ensuite, si l'on a à choisir entre les deux formules, ce n'est pas la formule de Lénine, la seule juste, qu'il faut rejeter, mais la pseudo-formule du camarade Iarochenko, manifestement tirée par les cheveux et non marxiste, empruntée à l'arsenal de Bogdanov, à la "science générale de l'organisation".

 

Le camarade Iarochenko croit qu'il suffit d'arriver à organiser rationnellement les forces productives pour obtenir l'abondance des produits et passer au communisme, passer de la formule : "à chacun selon son travail" à la formule : "à chacun selon ses besoins". C'est une grave erreur qui dénote une incompréhension totale des lois du développement économique du socialisme. Le camarade Iarochenko se représente de façon simpliste, puérilement simpliste, les conditions pour passer du socialisme au communisme. Le camarade Iarochenko ne comprend pas qu'on ne saurait ni obtenir une abondance de produits susceptible de satisfaire tous les besoins de la société, ni passer à la formule "à chacun selon ses besoins", en laissant subsister des faits économiques comme la propriété collective kolkhozienne, la circulation des marchandises, etc. Le camarade Iarochenko ne comprend pas qu'avant de passer à la formule : "à chacun selon ses besoins", la société doit faire sa rééducation économique et culturelle en passant par une série d'étapes au cours desquelles le travail, qui n'était qu'un moyen d'assurer son existence, deviendra aux yeux de la société le premier besoin vital, et la propriété sociale la base immuable et intangible de l'existence de la société.

 

Pour préparer le passage au communisme, passage réel et non purement déclaratif, on doit réaliser pour le moins trois conditions préalables, essentielles.

 

1° Il faut, premièrement, assurer solidement non pas une "organisation rationnelle" mythique des forces productives, mais la croissance ininterrompue de toute la production sociale, en donnant la priorité à la production des moyens de production. Le développement prioritaire de la production des moyens de production est indispensable non seulement parce qu'elle doit permettre d'outiller ses propres entreprises aussi bien que celles de toutes les autres branches de l'économie nationale, mais encore parce que sans elle il est absolument impossible de réaliser la production élargie.

 

2° Il faut, deuxièmement, par étapes successives, réalisées de façon que les kolkhozes et, par suite, l'ensemble de la société y trouvent leur avantage, élever la propriété kolkhozienne au niveau de la propriété nationale et substituer, également par étapes successives, le système de l'échange des produits à la circulation des marchandises, afin que l'activité du pouvoir central ou de quelque autre organisme économique central de la société puisse embrasser l'ensemble de la production sociale dans l'intérêt de la société.

 

Le camarade Iarochenko se trompe quand il soutient que sous le socialisme il n'existe aucune contradiction entre les rapports de production et les forces productives de la société. Certes, nos rapports de production connaissent actuellement une période où ils correspondent pleinement à la croissance des forces productives et les fout progresser à pas de géant. Mais ce serait une erreur de se tranquilliser et de croire qu'il n'existe aucune contradiction entre nos forces productives et les rapports de production. Des contradictions, il y en a et il y en aura certainement, puisque le développement des rapports de production retarde et retardera sur le développement des forces productives. Si les organismes dirigeants appliquent une politique juste, ces contradictions ne peuvent dégénérer en antagonisme, et elles n'aboutiront pas à un conflit entre les rapports de production et les forces productives de la société. Il en ira autrement si nous faisons une politique erronée comme celle que recommande le camarade Iarochenko. Un conflit sera alors inévitable, et nos rapports de production peuvent devenir une très sérieuse entrave au développement des forces productives.

 

Aussi les organismes dirigeants ont-ils pour tâche de noter en temps utile les contradictions qui mûrissent et de prendre à temps des mesures pour les surmonter en adaptant les rapports de production à la croissance des forces productives. Cela est vrai avant tout de faits économiques comme la propriété collective kolkhozienne, la circulation des marchandises. Certes, à l'heure actuelle, nous utilisons ces faits avec succès pour développer l'économie socialiste, et ils rendent à notre société d'incontestables services. Il n'est pas douteux qu'ils en rendront encore dans un avenir immédiat. Mais ce serait faire preuve d'une impardonnable cécité que de ne pas voir que, par ailleurs, ces faits commencent, dès aujourd'hui, à entraver le vigoureux développement de nos forces productives, en empêchant l'Etat de planifier entièrement l'économie nationale, et notamment l'agriculture. Il est hors de doute que plus nous irons et plus ces faits entraveront la croissance des forces productives de notre pays. Il s'agit donc de liquider ces contradictions en transformant progressivement la propriété kolkhozienne en propriété nationale et en substituant, aussi par étapes successives, l'échange des produits à la circulation des marchandises.

 

3° Il faut, troisièmement, assurer un progrès culturel de la société qui permette à tous ses membres de développer harmonieusement leurs aptitudes physiques et intellectuelles, afin qu'ils puissent recevoir une instruction suffisante et devenir des artisans actifs du développement social ; qu'ils puissent choisir librement une profession sans être rivés pour toujours, en raison de la division existante du travail, à une profession déterminée.

 

Que faut-il pour cela ?

 

Il serait erroné de croire qu'un progrès culturel aussi important des membres de la société est possible sans de sérieuses modifications dans la situation actuelle du travail. Pour cela, il faut avant tout réduire la journée de travail au moins à 6 heures, puis à 5. Ceci est indispensable afin que tous les membres de la société aient les loisirs nécessaires pour recevoir une instruction complète. Il faut, pour cela, introduire ensuite l'enseignement polytechnique obligatoire, indispensable pour que les membres de la société puissent choisir librement une profession et ne soient pas rivés pour toujours à une profession déterminée. Pour cela, il faut encore améliorer radicalement les conditions de logement et augmenter le salaire réel des ouvriers et des employés au minimum du double, sinon davantage, d'une part en relevant directement le salaire en espèces, d'autre part et surtout, en pratiquant la baisse systématique du prix des objets de grande consommation.

 

Telles sont les conditions essentielles qui prépareront le passage au communisme.

 

C'est seulement lorsque toutes ces conditions préalables, prises dans leur ensemble, auront été réalisées, qu'on pourra espérer qu'aux yeux des membres de la société le travail a cessé d'être une corvée, pour devenir "le premier besoin de l'existence" (Marx) ; que "le travail, au lieu d'être un fardeau, sera une joie" (Engels) ; que la propriété sociale sera considérée par tous les membres de la société comme la base immuable et intangible de l'existence de la société.

 

C'est seulement lorsque toutes ces conditions préalables, prises dans leur ensemble, auront été réalisées, qu'on pourra passer de la formule socialiste : "de chacun selon ses capacités, à chacun selon son travail", à la formule communiste : "de chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins".

 

Ce sera le passage intégral d'une économie, économie du socialisme, à une autre économie, économie supérieure, l'économie du communisme.

 

On voit que le passage du socialisme au communisme n'est pas une chose aussi simple que l'imagine le camarade Iarochenko.

 

Vouloir ramener cette tâche complexe et multiple, qui demande des changements d'ordre économique extrêmement profonds, à une "organisation rationnelle des forces productives", comme le fait le camarade Iarochenko, c'est substituer le bogdanovisme au marxisme.

 

II - Autres erreurs du camarade Iarochenko

 

1° Parti d'un point de vue erroné, le camarade Iarochenko en tire des conclusions erronées sur le caractère et l'objet de l'économie politique. Le camarade Iarochenko, partant du fait que chaque formation sociale a ses lois économiques spécifiques, nie la nécessité d'une économie politique valable pour toutes les formations sociales. Mais il est complètement dans l'erreur, et il est ici en désaccord avec des marxistes comme Engels, comme Lénine. Engels dit que l'économie politique est la science des conditions et des formes dans lesquelles les diverses sociétés humaines ont produit et échangé et dans lesquelles en conséquence, les produits se sont chaque fois répartis. (Anti-Dühring, p. 182).

 

Il suit de là que l'économie politique étudie les lois du développement économique non d'une formation particulière, mais des différentes formations sociales. Cette manière de voir était, on le sait, entièrement partagée par Lénine qui, dans ses remarques critiques au sujet du livre de Boukharine: l'Economie de la période de transition, a dit que Boukharine avait tort de borner la sphère de l'économie politique à la production des marchandises, et avant tout à la production capitaliste ; et il notait que Boukharine faisait ici "un pas en arrière par rapport à Engels".

 

A cette manière de voir répond entièrement la définition de l'économie politique donnée dans le projet de manuel d'économie politique, où il est dit que l'économie politique est la science qui étudie les lois de la production sociale et de la répartition des biens matériels aux différents degrés du développement de la société humaine.

 

Et cela se conçoit. Les différentes formations sociales, dans leur développement économique, obéissent à leurs lois économiques spécifiques, mais aussi aux lois économiques communes à toutes les formations ; par exemple, à des lois comme celle de l'unité des forces productives et des rapports de production dans une même production sociale ; celle des relations entre les forces productives et les rapports de production dans le processus du développement de toutes les formations sociales. Par conséquent, les formations sociales ne sont pas seulement séparées l'une de l'autre par leurs lois spécifiques ; elles sont aussi reliées l'une à l'autre par les lois économiques qui leur sont communes à toutes.

 

Engels avait parfaitement raison de dire :

 

Pour mener jusqu'au bout cotte critique de l'économie bourgeoise, il ne suffisait pas de connaître la forme capitaliste de production, d'échange et de répartition. Les formes qui l'ont précédée ou qui existent encore à côté d'elle dans des pays moins évolués, devaient également être étudiées, tout au moins dans leurs traits essentiels, et servir de points de comparaison. (Anti-Dühring, p. 182-183).

 

Il est évident qu'ici, dans cette question, le camarade Iarochenko fait écho à Boukharine.

 

Poursuivons. Le camarade Iarochenko affirme que dans son "Economie politique du socialisme" "les catégories de l'économie politique : valeur, marchandise, argent, crédit, etc., sont remplacées par de saines considérations sur une organisation rationnelle des forces productives dans la production sociale" ; que, par suite, cette économie politique a pour objet non pas les rapports de production du socialisme, mais "l'élaboration et le développement d'une théorie scientifique de l'organisation des forces productives, d'une théorie de la planification de l'économie nationale, etc.", que sous le socialisme, les rapports de production perdent toute importance propre et sont absorbés par les forces productives dont ils deviennent partie intégrante.

 

Je dois dire que jamais encore "marxiste" fourvoyé n'avait débité chez nous pareil charabia. En effet, qu'est-ce qu'une économie politique du socialisme sans problèmes économiques, sans problèmes de production ? Peut-il exister une économie politique de ce genre ? Que signifie remplacer, dans l'économie politique du socialisme, les problèmes économiques par les problèmes de l'organisation des forces productives ? Cela revient à abolir l'économie politique du socialisme. Et c'est ce que fait le camarade Iarochenko : il abolit l'économie politique du socialisme. En l'occurrence, il rejoint en tous points Boukharine. Boukharine disait qu'après la suppression du capitalisme, on doit supprimer l'économie politique. Le camarade Iarochenko ne le dit pas, mais il le fait, quand il liquide l'économie politique du socialisme. Il est vrai qu'il fait mine de ne pas être tout à fait d'accord avec Boukharine, mais ce n'est là qu'une ruse, et une ruse à bon marché. En réalité, il fait ce que prêchait Boukharine et contre quoi s'élevait Lénine. Le camarade Iarochenko marche sur les traces de Boukharine.

 

Poursuivons. Le camarade Iarochenko ramène les problèmes de l'économie politique du socialisme aux problèmes de l'organisation rationnelle des forces productives, aux problèmes de la planification de l'économie nationale, etc. Mais il se trompe gravement. Les problèmes de l'organisation rationnelle des forces productives, de la planification de l'économie nationale, etc., sont l'objet non pas de l'économie politique, mais de la politique économique des organismes dirigeants. Ce sont deux domaines différents qu'on ne doit pas confondre. Le camarade Iarochenko a brouillé ces deux choses différentes, et le voilà en bien fâcheuse posture ! L'économie politique étudie les lois du développement des rapports de production entre les hommes. La politique économique en tire des conclusions pratiques, les concrétise et s'en inspire dans son activité quotidienne. Encombrer l'économie politique des problèmes de la politique économique, c'est la tuer en tant que science.

 

L'objet de l'économie politique, ce sont les rapports de production, les rapports économiques entre les hommes. Ils englobent : a) les formes que revêt la propriété des moyens de production ; b) la situation des différents groupes sociaux dans la production et leurs relations réciproques ou, pour reprendre l'expression de Marx, "l'échange de leurs activités", qui découlent de ces formes ; c) les formes de répartition de produits, qui en dépendent entièrement. C'est tout cela qui, dans son ensemble, est l'objet de l'économie politique.

 

Le mot "échange", qui figure dans la définition d'Engels, manque dans cette définition. Cela, parce que beaucoup entendent d'ordinaire par "échange" l'échange de marchandises, qui est le propre non pas de toutes les formations sociales, mais seulement de certaines d'entre elles, d'où parfois un malentendu, bien que par le mot "échange" Engels n'entende pas uniquement l'échange de marchandises. Or, on voit que ce qu'Engels entendait par le mot "échange" a trouvé place dans la définition précitée dont il est partie intégrante. Il s'ensuit que par son contenu cette définition de l'objet de l'économie politique coïncide entièrement avec celle d'Engels.

 

2° Quant on parle de la loi économique fondamentale de telle ou telle formation sociale, on sous-entend habituellement que cette dernière ne peut avoir plusieurs lois économiques fondamentales, qu'elle ne saurait avoir qu'une loi économique fondamentale, précisément parce qu'elle est fondamentale. Sinon, nous aurions plusieurs lois économiques fondamentales pour chaque formation sociale, ce qui est en contradiction avec la notion même de loi fondamentale. Pourtant, le camarade Iarochenko est d'un autre avis. Il estime qu'il peut exister non pas une, mais plusieurs lois économiques fondamentales du socialisme. C'est incroyable, mais c'est un fait. Dans son discours à l'Assemblée plénière de la discussion, il dit : Le volume des fonds matériels de la production et de la reproduction sociales, et la relation qui existe entre eux, sont déterminés par la quantité et la perspective d'accroissement de la force de travail entraînée dans la production sociale. C'est la loi économique fondamentale de la société socialiste, qui conditionne la structure de la production et de la reproduction sociales sous le socialisme.

 

C'est la première loi économique fondamentale du socialisme.

 

Dans ce même discours, le camarade Iarochenko déclare : La relation qui existe entre les sections I et II est conditionnée dans la société socialiste par le besoin de produire des moyens de production dans les proportions nécessaires pour entraîner dans la production sociale toute la population apte au travail. C'est la loi économique fondamentale du socialisme, en même temps qu'une stipulation de notre Constitution, qui découle du droit au travail des citoyens soviétiques. C'est, pour ainsi dire, la seconde loi économique fondamentale du socialisme.

 

Enfin, dans sa lettre aux membres du Bureau politique, le camarade Iarochenko déclare :

 

Partant de là, on pourrait, ce me semble, formuler à peu près comme suit les traits et les dispositions essentiels de la loi économique fondamentale du socialisme : production toujours croissante et se perfectionnant sans cesse des conditions de vie matérielle et culturelle de la société. C'est déjà là une troisième loi économique fondamentale du socialisme. Toutes ces lois sont-elles des lois économiques fondamentales du socialisme ; ou seulement l'une d'entre elles, et laquelle ?

 

A ces questions, le camarade Iarochenko ne donne aucune réponse dans sa dernière lettre aux membres du Bureau politique. Quand il formulait dans sa lettre aux membres du Bureau politique la loi économique fondamentale du socialisme, il avait sans doute "oublié" que dans son discours à l'Assemblée plénière de la discussion, trois mois auparavant, il avait déjà formulé deux autres lois économiques fondamentales du socialisme, croyant apparemment que cette combinaison plus que douteuse passerait inaperçue. Mais, on le voit, cet espoir ne s'est pas justifié.

 

Admettons que les deux premières lois économiques fondamentales du socialisme formulées par le camarade Iarochenko soient nulles et non avenues ; que désormais le camarade Iarochenko considère comme loi économique fondamentale du socialisme la troisième formule, qu'il a exposée dans sa lettre aux membres du Bureau politique. Consultons la lettre du camarade Iarochenko.

 

Le camarade Iarochenko y dit qu'il n'est pas d'accord avec la définition de la loi économique fondamentale du socialisme donnée dans les "Remarques" du camarade Staline. Il déclare :

 

Le principal, dans cette définition, c'est "assurer au maximum la satisfaction... des besoins de toute la société". La production est présentée ici comme un moyen d'atteindre ce but principal : satisfaire les besoins. Cette définition donne tout lieu de croire que la loi économique fondamentale du socialisme formulée par vous part non du primat de la production, mais du primat de la consommation.

 

Il est évident que la camarade Iarochenko n'a rien compris au fond du problème, et qu'il ne voit pas que ses propos sur le primat de la consommation ou de la production n'ont absolument rien à voir ici. Quand on parle du primat de tel ou tel processus social sur un autre processus, on sous-entend d'ordinaire que ces deux processus sont plus ou moins de même nature. On peut et on doit parler du primat de la production des moyens de production sur la production des moyens de consommation, car dans les deux cas il s'agit de production, donc de choses qui sont plus ou moins de même nature. Mais on ne saurait parler, il serait faux de parler du primat de la consommation sur la production, ou de la production sur la consommation, car la production et la consommation sont deux domaines absolument distincts, liés entre eux il est vrai, mais cependant distincts. Le camarade Iarochenko ne comprend sans doute pas qu'il s'agit ici non du primat de la consommation ou de la production mais du but que pose la société devant la production sociale, de la tâche à laquelle elle subordonne la production sociale, par exemple, sous le socialisme. Le camarade Iarochenko sort donc, une fois de plus, tout à fait du sujet quand il dit que "la base de la vie de la société socialiste, comme de toute autre société, c'est la production". Le camarade Iarochenko oublie que les hommes produisent non pour produire, mais pour satisfaire leurs besoins. Il oublie que si elle ne satisfait pas les besoins de la société, la production s'étiole et meurt.

 

Peut-on, d'une façon générale, parler du but que poursuit la production capitaliste ou socialiste, des tâches auxquelles est subordonnée la production capitaliste ou socialiste ? J'estime qu'on le peut et qu'on le doit.

 

Marx dit :

 

Le but immédiat de la production capitaliste n'est pas la production des marchandises, mais de la plus-value ou du profit sous sa forme développée ; non pas du produit, mais du produit net. De ce point de vue le travail lui-même n'est productif qu'autant qu'il crée le profit ou le produit net pour le capital. Si l'ouvrier ne le crée pas, son travail est improductif. La masse du travail productif employé n'intéresse donc le capital que dans la mesure où grâce à elle -- ou en relation avec elle, -- croît la quantité du travail extra ; pour autant est nécessaire ce que nous avons appelé temps de travail nécessaire. Si le travail ne donne pas ce résultat, il est superflu et doit être arrêté.

 

Le but de la production capitaliste consiste toujours à créer le maximum de plus-value ou le maximum de produit net avec un minimum de capital avancé ; si ce résultat n'est pas atteint par un travail excessif des ouvriers, le capital a tendance à produire ce produit avec le minimum de frais possible, à économiser la force de travail et les dépenses... Les ouvriers eux-mêmes se présentent ainsi, tels qu'ils sont dans la production capitaliste : uniquement des moyens de production et non un but en soi ni le but de la production (voir Théorie de la plus-value, t. II, deuxième partie).

 

Ces paroles de Marx sont remarquables non seulement parce qu'elles définissent brièvement et exactement le but de la production capitaliste, mais encore parce qu'elles indiquent le but fondamental, la tâche principale qui doit être posée devant la production socialiste.

 

Donc, le but de la production capitaliste, c'est le profit. Quant à la consommation, elle n'est nécessaire au capitalisme qu'autant qu'elle assure le profit. Hors de là, la question de la consommation n'intéresse pas le capitalisme. Celui-ci perd de vue l'homme et ses besoins.

 

Quel est donc le but de la production socialiste, quelle est la tâche principale, à l'exécution de laquelle doit être subordonnée la production sociale sous le socialisme ?

 

Le but de la production socialiste n'est pas le profit, mais l'homme et ses besoins, c'est-à-dire la satisfaction de ses besoins matériels et culturels. Le but de la production socialiste, ainsi qu'il est dit dans les "Remarques" du camarade Staline, est d'"assurer au maximum la satisfaction des besoins matériels et culturels sans cesse accrus de toute la société".

 

Le camarade Iarochenko pense qu'il s'agit ici du "primat" de la consommation sur la production. C'est là, bien entendu, un manque de réflexion de sa part. En réalité, il s'agit ici non du primat de la consommation, mais de la subordination de la production socialiste à son but fondamental : assurer au maximum la satisfaction des besoins matériels et culturels sans cesse croissants de toute la société.

 

Donc, assurer au maximum la satisfaction des besoins matériels et culturels sans cesse croissants de toute la société : voilà le but de la production socialiste : accroître et perfectionner constamment la production socialiste sur la base d'une technique supérieure : voilà le moyen d'atteindre ce but.

 

Telle est la loi économique fondamentale du socialisme.

 

Voulant conserver le "primat" de la production sur la consommation, le camarade Iarochenko affirme que la "loi économique fondamentale du socialisme", c'est d'"accroître et de perfectionner constamment la production des conditions matérielles et culturelles de la société". Cela est tout à fait faux. Le camarade Iarochenko mutile grossièrement et gâche la formule exposée dans les "Remarques" du camarade Staline. Chez lui la production, de moyen qu'elle était, devient le but, et il n'est plus besoin d'assurer au maximum la satisfaction des besoins matériels et culturels sans cesse accrus de la société. On a donc un accroissement de la production pour l'accroissement de la production, la production comme but en soi, et le camarade Iarochenko perd de vue l'homme et ses besoins.

 

Aussi rien d'étonnant si, en même temps que l'homme, considéré comme but de la production socialiste, disparaissent dans la "conception" du camarade Iarochenko les derniers vestiges du marxisme.

 

Par conséquent, ce qu'on trouve en définitive chez le camarade Iarochenko, ce n'est pas le "primat" de la production sur la consommation, mais quelque chose comme le "primat" de l'idéologie bourgeoise sur l'idéologie marxiste.

 

3° Une question se pose à part : celle de la théorie de la reproduction de Marx. Le camarade Iarochenko affirme que la théorie de la reproduction de Marx n'est applicable qu'à la reproduction capitaliste, qu'elle ne renferme rien qui soit valable pour les autres formations sociales, la formation sociale socialiste y compris. Il dit : Transporter dans la production sociale socialiste le schéma de la reproduction que Marx a élaboré pour l'économie capitaliste, c'est se faire une conception dogmatique de la doctrine de Marx et se mettre en contradiction avec l'essence de sa doctrine. (Voir le discours du camarade Iarochenko à l'Assemblée plénière de la discussion).

 

Il affirme ensuite que le schéma de la reproduction de Marx ne correspond pas aux lois économiques de la société socialiste et ne peut servir de base à l'étude de la reproduction socialiste (ibid.).

 

Parlant de la théorie de la reproduction simple de Marx, qui établit une relation définie entre la production des moyens de production (section I) et celle des moyens de consommation (section II), le camarade Iarochenko dit :

 

La relation existant entre les sections I et II n'est pas conditionnée, en société socialiste, par la formule de Marx V+P de la section I et C de la section II. Dans les conditions du socialisme, ce rapport d'interdépendance dans le développement entre les sections I et II ne doit pas être (ibid.).

 

Il affirme, que la théorie, élaborée par Marx, de la relation existant entre les sections I et II, est inacceptable dans nos conditions socialistes, car la théorie de Marx a pour base l'économie capitaliste et ses lois. (Voir la lettre du camarade Iarochenko aux membres du Bureau politique).

 

C'est ainsi que le camarade Iarochenko exécute la théorie de la reproduction de Marx.

 

Certes, la théorie de la reproduction, que Marx a élaborée après avoir étudié les lois de la production capitaliste, reflète les traits spécifiques de la production capitaliste et revêt naturellement la forme des rapports de valeur propres à la production marchande capitaliste. Il ne pouvait en être autrement. Mais ne voir dans la théorie de la reproduction de Marx que cette forme, et ne pas apercevoir sa base, ne pas apercevoir son contenu fondamental, qui n'est pas valable uniquement pour la formation sociale capitaliste, c'est ne rien comprendre à cette théorie. Si le camarade Iarochenko comprenait quoi que ce soit en la matière, il aurait aussi compris cette vérité évidente que les schémas de la reproduction de Marx ne se bornent nullement à refléter les traits spécifiques de la reproduction capitaliste, qu'ils renferment aussi nombre de thèses fondamentales relatives à la reproduction, qui restent valables pour toutes les formations sociales, y compris et notamment la formation sociale socialiste. Des thèses fondamentales de la théorie de la reproduction de Marx, comme celle de la division de la production sociale en production des moyens de production et en production des moyens de consommation ; celle de la priorité donnée à la production des moyens de production lors de la reproduction élargie ; celle de la relation existant entre les sections I et II ; celle du produit net considéré comme source unique de l'accumulation ; celle de la formation et du rôle des fonds sociaux ; celle de l'accumulation considérée comme source unique de la reproduction élargie, -- toutes ces thèses fondamentales de la théorie de la reproduction de Marx ne sont pas valables seulement pour la formation capitaliste, et aucune société socialiste ne peut s'abstenir de les appliquer pour planifier l'économie nationale. Fait significatif : le camarade Iarochenko, qui le prend de si haut avec les "schémas de la reproduction" de Marx, est lui-même obligé d'y recourir à tout moment lorsqu'il traite des problèmes de la reproduction socialiste.

 

Mais qu'en pensait Lénine, qu'en pensait Marx ?

 

Chacun connaît les remarques critiques de Lénine sur le livre de Boukharine : l'Economie de la période de transition. Dans ces remarques, on le sait, Lénine reconnaissait que la formule donnée par Marx de la relation existant entre les sections I et II, contre laquelle le camarade Iarochenko part en guerre, reste valable et pour le socialisme, et pour le "communisme pur", c'est-à-dire pour la seconde phase du communisme.

 

Quant à Marx, on le sait, il n'aimait pas à se distraire de l'étude des lois de la production capitaliste, et il ne s'est pas préoccupé, dans son Capital, de savoir si ses schémas de la reproduction seraient ou non applicables au socialisme. Pourtant, au chapitre 20 du second tome du Capital, dans la rubrique "Le capital constant de la section I", où il traite de l'échange des produits de la section I à l'intérieur de cette section, Marx note, pour ainsi dire en passant, que l'échange des produits dans cette section se déroulerait sous le socialisme de façon aussi constante que sous le régime de la production capitaliste. Il dit :

 

Si la production était sociale, au lieu d'être capitaliste, ces produits de la section I seraient tout aussi bien répartis de nouveau comme moyens de production dans les branches de production de cette section en vue de la reproduction ; une partie resterait directement dans la sphère de production où elle est née comme produit, une autre partie passerait dans d'autres branches de production. Il y aurait donc un va-et-vient continuel. (K. Marx, Le Capital, tome VIII, p. 42, Edit. Costes, Paris, 1932).

 

Il s'ensuit que Marx ne pensait nullement que sa théorie de la reproduction n'était valable que pour la production capitaliste, bien qu'il s'occupât alors de l'étude des lois de la production capitaliste. On voit qu'au contraire il estimait sa théorie de la reproduction également valable pour la production socialiste.

 

Notons que Marx, analysant dans sa Critique du programme de Gotha l'économie du socialisme et de la période de transition au communisme, s'appuie sur les thèses fondamentales de sa théorie de la reproduction, qu'il considère manifestement comme obligatoires pour un régime communiste.

 

Notons aussi que, dans son Anti-Dühring, Engels, critiquant le "système socialitaire" de Dühring et définissant l'économie du régime socialiste, s'appuie, lui aussi, sur les thèses fondamentales de la théorie de la reproduction de Marx qu'il considère comme obligatoires pour un régime communiste.

 

Tels sont les faits.

 

Il s'ensuit que là encore, dans la question de la reproduction, le camarade Iarochenko, malgré son ton dégagé à l'égard des "schémas" de Marx, s'est retrouvé sur un banc de sable.

 

4° Le camarade Iarochenko termine sa lettre aux membres du Bureau politique en proposant qu'on le charge d'écrire l'"Economie politique du socialisme". Il déclare : Partant de la définition -- exposée par moi à la séance plénière, à la section et dans la présente lettre, -- de l'objet de cette science qu'est l'économie politique du socialisme, et appliquant la méthode dialectique marxiste, je puis en un an, dix-huit mois au plus, et avec l'aide de deux assistants, élaborer les solutions théoriques des problèmes fondamentaux de l'économie politique du socialisme ; exposer la théorie, marxiste, léniniste-stalinienne de l'économie politique du socialisme, théorie qui fera de cette science une arme efficace dans la lutte du peuple pour le communisme.

 

Il faut avouer que le camarade Iarochenko ne souffre pas d'un excès de modestie. Bien plus : on pourrait dire, pour user du style de certains hommes de lettres, que c'est "même juste le contraire".

 

Nous avons déjà dit que le camarade Iarochenko confond l'économie politique du socialisme avec la politique économique des organismes dirigeants. Ce qu'il considère comme l'objet de l'économie politique du socialisme -- organisation rationnelle des forces productives, planification de l'économie nationale, constitution de fonds sociaux, etc. -- regarde non l'économie politique du socialisme, mais la politique économique des organismes dirigeants.

 

Cela, sans préjudice du fait que les graves erreurs commises par le camarade Iarochenko et son "point de vue" non marxiste n'engagent guère à confier pareille tâche au camarade Iarochenko.

 

Conclusions :

 

1) Les doléances du camarade Iarochenko à l'adresse des dirigeants de la discussion sont sans objet, car les dirigeants de la discussion, qui étaient des marxistes, ne pouvaient tenir compte, dans les documents qui font le point de la discussion, du "point de vue" non marxiste du camarade Iarochenko ;

2) La demande du camarade Iarochenko, -- qu'il soit chargé d'écrire l'Economie politique du socialisme -- ne peut être prise au sérieux, ne serait-ce que pour la raison qu'elle sent son Khlestakov [Personnage principal de la pièce de Gogol : Révizor, N. Ed.] à plein nez.

 

22 mai 1952.

 

 

Réponse aux camarades Sanina A. V. et Venger V. C.

 

J'ai reçu vos lettres. Les auteurs de ces lettres, on le voit, étudient à fond et sérieusement les problèmes économiques de notre pays. Ces lettres renferment bon nombre de formules justes et d'idées intéressantes. Cependant, on y trouve aussi de graves erreurs théoriques. Dans ma réponse, je tiens à m'arrêter précisément sur ces erreurs.

 

1. Du caractère des lois économiques du socialisme

 

Les camarades Sanina et Venger affirment que : c'est seulement grâce à l'activité consciente des hommes soviétiques, occupés à la production matérielle, que surgissent les lois économiques du socialisme.

 

Cette thèse est absolument fausse.

 

Les lois du développement économique existent-elles objectivement, en dehors de nous, indépendamment de la volonté et de la conscience des hommes ? Le marxisme répond à cette question par l'affirmative. Le marxisme estime que les lois de l'économie politique du socialisme sont le reflet, dans les cerveaux des hommes, des lois objectives, existant en dehors de nous. Or, la formule des camarades Sanina et Venger donne une réponse négative à cette question. C'est donc que ces camarades se placent au point de vue d'une théorie fausse, prétendant que les lois du développement économique sous le socialisme sont "créées", "transformées" par les organismes dirigeants de la société. Autrement dit, ils rompent avec le marxisme et s'engagent dans la voie d'un idéalisme subjectif.

 

Sans doute, les hommes peuvent découvrir ces lois objectives, les connaître et, en se basant sur elles, les utiliser dans l'intérêt de la société. Mais ils ne peuvent ni les "créer", ni les "transformer".

 

Admettons un instant que nous nous soyons placés au point de vue de la théorie fausse qui nie l'existence des lois objectives dans la vie économique sous le socialisme et proclame la possibilité de "créer", de "transformer" les lois économiques. Qu'en résulterait-il ? Il en résulterait que nous serions plongés dans le chaos et les hasards ; nous serions les esclaves de ces hasards, nous n'aurions plus la possibilité non seulement de comprendre, mais simplement de démêler ce chaos de hasards.

 

Il en résulterait que nous supprimerions l'économie politique comme science, car la science ne peut exister ni se développer sans reconnaître les lois objectives, sans les étudier. Or, la science une fois supprimée, nous n'aurions plus la possibilité de prévoir le cours des événements dans la vie économique du pays, c'est-à-dire que nous n'aurions plus la possibilité d'organiser la direction économique même la plus élémentaire. En fin de compte, nous nous trouverions soumis à l'arbitraire d'aventuriers "économiques", prêts à "supprimer" les lois du développement économique et à "créer" de nouvelles lois, sans comprendre les lois objectives, ni en faire état.

 

Tout le monde connaît la formule classique de la position marxiste dans cette question, donnée par Engels dans l'Anti-Dühring.

 

Les forces socialement agissantes, agissent tout à fait comme les forces de la nature : aveugles, violentes, destructrices tant que nous ne les connaissons pas et ne comptons pas avec elles. Mais une fois que nous les avons reconnues, que nous en avons saisi l'activité, la direction, les effets, il ne dépend plus que de nous les soumettre de plus en plus à notre volonté et d'atteindre nos buts grâce à elles. Et cela est particulièrement vrai des énormes forces productives actuelles. Tant que nous refusons obstinément à en comprendre la nature et le caractère, -- et c'est contre cette compréhension que regimbent le mode de production capitaliste et ses défenseurs, -- ces forces produisent tout leur effet malgré nous, contre nous, elles nous dominent, comme nous l'avons exposé dans le détail. Mais une fois saisies dans leur nature, elles peuvent, dans les mains des producteurs associés, se transformer de maîtresses démoniaques en servantes dociles. C'est là, la différence qu'il y a entre la force destructrice de l'électricité dans l'éclair de l'orage et l'électricité domptée du télégraphe et de l'arc électrique, la différence entre l'incendie et le feu agissant au service de l'homme. En traitant de la même façon les forces productives actuelles après avoir enfin reconnu leur nature, on voit l'anarchie sociale de la production remplacée par une réglementation socialement planifiée de la production, selon les besoins de la communauté comme de chaque individu ; ainsi, le mode capitaliste d'appropriation, dans lequel le produit asservit d'abord le producteur, puis l'appropriateur lui-même, est remplacé, par le mode d'appropriation des produits fondé sur la nature des moyens modernes de production eux-mêmes ; d'une part appropriation sociale directe comme moyen d'entretenir et de développer la production, d'autre part appropriation individuelle directe comme moyen d'existence et de jouissance. (Anti-Dühring, pp. 318-319).

 

2. Des mesures à prendre pour élever la propriété kolkhozienne au niveau de propriété nationale

 

Quelles mesures sont nécessaires pour élever la propriété kolkhozienne qui n'est évidemment pas une propriété du peuple, au niveau de propriété nationale ?

 

Certains camarades pensent qu'il faut simplement nationaliser la propriété kolkhozienne, la proclamer propriété du peuple, comme on l'a fait en son temps, pour la propriété capitaliste. Cette proposition est tout à fait erronée et absolument inacceptable. La propriété kolkhozienne est une propriété socialiste, et nous ne pouvons en aucune façon en user avec elle comme avec la propriété capitaliste. Du fait que la propriété kolkhozienne n'est pas la propriété de tout le peuple, il ne suit pas du tout que la propriété kolkhozienne n'est pas une propriété socialiste.

 

Ces camarades supposent que la remise de la propriété d'individus et de groupes d'individus en propre à l'Etat est l'unique ou, en tout cas, la meilleure forme de nationalisation. C'est faux. En réalité, la remise en propre à l'Etat n'est pas l'unique ni même la meilleure forme de nationalisation, mais la forme initiale de nationalisation, comme Engels le dit très justement dans l'Anti-Dühring. Il est évident qu'aussi longtemps que l'Etat existe, la remise en propre à l'Etat est la forme initiale de nationalisation la plus compréhensible. Mais l'Etat n'existera pas éternellement. Avec l'extension de la sphère d'action du socialisme dans la plupart des pays du monde, l'Etat dépérira, et il est évident que, par suite, la question de la remise des biens des individus et groupes en propre à l'Etat, ne se posera plus. L'Etat disparaîtra, mais la société restera. Par conséquent, l'héritier de la propriété nationale sera non plus l'Etat, qui aura disparu, mais la société elle-même, en la personne de son organisme économique dirigeant, central. Que faut-il donc entreprendre, en ce cas, pour élever la propriété kolkhozienne au niveau de propriété nationale ?

 

Les camarades Sanina et Venger proposent, comme mesure essentielle, de vendre en propre aux kolkhozes les principaux instruments de production concentrés dans les stations de machines et de tracteurs ; de décharger par ce moyen l'Etat de ses investissements de capitaux dans l'agriculture et de faire assumer aux kolkhozes la responsabilité de l'entretien et du développement des stations de machines et de tracteurs. Ils disent :

 

Il serait faux de croire que les investissements kolkhoziens doivent être principalement affectés aux besoins culturels de la campagne kolkhozienne, tandis que l'Etat doit fournir, comme précédemment, la masse essentielle des investissements pour les besoins de la production agricole. Ne serait-il pas plus juste d'exonérer l'Etat de ces charges, puisque les kolkhozes sont parfaitement à même de les assumer ? Il y aura suffisamment d'entreprises où l'Etat pourra investir ses ressources, afin de créer dans le pays une abondance d'objets de consommation.

 

Pour justifier leur proposition, les auteurs avancent plusieurs arguments.

 

Premièrement. Se référant aux paroles de Staline disant que les moyens de production ne se vendent pas même aux kolkhozes, les auteurs de la proposition mettent en doute cette thèse de Staline et déclarent que l'Etat vend cependant aux kolkhozes des moyens de production, tels que le petit outillage comme faux et faucilles, petits moteurs, etc. Ils estiment que si l'Etat vend aux kolkhozes ces moyens de production, il pourrait également leur vendre tous les autres moyens de production, par exemple, les machines des S.M.T. (Stations de machines et tracteurs, N. Ed.).

 

Cet argument ne tient pas. Certes, l'Etat vend aux kolkhozes le petit outillage, comme cela se doit d'après les Statuts de l'artel agricole et la Constitution. Mais peut-on mettre sur le même plan le petit outillage et ces moyens essentiels de la production agricole que sont les machines des S.M.T. ou, mettons, la terre qui, elle aussi, est un des moyens essentiels de la production dans l'agriculture. Il est clair que non. On ne peut pas le faire, le petit outillage ne décidant en aucune mesure du sort de la production kolkhozienne, tandis que les moyens de production tels que les machines des S.M.T. et la terre décident pleinement du sort de l'agriculture dans nos conditions actuelles. Il est aisé de comprendre que lorsque Staline dit que les moyens de production ne se vendent pas aux kolkhozes, il ne pense pas au petit outillage, mais aux moyens essentiels de la production agricole : les machines des S.M.T., la terre. Les auteurs jouent sur les mots "moyens de production" et confondent deux choses différentes sans s'apercevoir qu'ils font fausse route.

 

Deuxièmement. Les camarades Sanina et Venger se réfèrent ensuite au fait qu'au début du mouvement kolkhozien de masse -- fin de 1929 et début de 1930, -- le Comité central du P.C. (b) de l'U.R.S.S. était lui-même partisan de la remise des stations de machines et de tracteurs en propre aux kolkhozes, ceux-ci devant rembourser la valeur des S.M.T. dans un délai de trois ans. Ils considèrent que, bien que cette initiative ait alors échoué, "en raison de la pauvreté" des kolkhozes, maintenant que les kolkhozes sont riches, on pourrait revenir à cette politique, à la vente des S.M.T. aux kolkhozes. Cet argument ne tient pas non plus. L e Comité central du P. C. (b) de l'U.R.S.S. avait effectivement pris une décision relative à la vente des S.M.T. aux kolkhozes, au début de 1930. Cette décision avait été prise sur la proposition d'un groupe de kolkhoziens de choc, à titre d'expérience, à titre d'essai, pour revenir à bref délai, sur cette question et l'examiner à nouveau. Or, la première vérification a montré le caractère irrationnel de cette décision et, au bout de quelques mois, c'est-à-dire à la fin de 1930, cette décision fut rapportée.

 

L'extension du mouvement kolkhozien et le développement de l'édification des kolkhozes ont définitivement convaincu les kolkhoziens de même que les travailleurs dirigeants, que la concentration des principaux instruments de la production agricole entre les mains de l'Etat, dans les stations de machines et de tracteurs, est l'unique moyen d'assurer des rythmes élevés d'accroissement de la production dans les kolkhozes.

 

Nous nous réjouissons tous de l'accroissement intense de la production agricole dans notre pays, de la production accrue des céréales, du coton, du lin, de la betterave, etc. Où est la source de cet accroissement ? Elle est dans la technique moderne, dans les nombreuses machines perfectionnées qui desservent toutes ces branches de production. Il ne s'agit pas seulement de la technique en général ; il s'agit que la technique ne peut pas rester immobile, qu'elle doit constamment s'améliorer ; la technique ancienne doit être mise hors de service et remplacée par une technique moderne qui, à son tour, cédera le pas à un matériel encore plus parfait. Sinon le progrès de notre agriculture socialiste serait inconcevable, inconcevables les grandes récoltes, l'abondance des produits agricoles. Mais que signifie mettre hors de service des centaines de mille tracteurs à roues et les remplacer par des tracteurs à chenilles, remplacer des dizaines de milliers de moissonneuses-batteuses périmées par de nouvelles, créer de nouvelles machines, par exemple, pour les cultures industrielles ? Cela signifie engager des dépenses se chiffrant par des milliards et qui ne pourront être récupérées que dans six ou huit ans. Nos kolkhozes, même s'ils sont des kolkhozes-millionnaires, peuvent-ils assumer ces dépenses ? Non, ils ne le peuvent pas, car ils ne sont pas à même de dépenser des milliards qui ne pourront être récupérés que dans six ou huit ans. L'Etat seul peut se charger de ces dépenses, lui seul étant capable de supporter les pertes entraînées par la mise hors de service des vieilles machines et leur remplacement par de nouvelles, lui seul étant capable de supporter ces pertes pendant six ou huit ans, et d'attendre l'expiration de ce délai pour récupérer ses dépenses.

 

Que signifie, après tout cela, exiger que les S.M.T. soient vendues en propre aux kolkhozes ? Cela signifie faire subir aux kolkhozes des pertes énormes, les ruiner, compromettre la mécanisation de l'agriculture, ralentir la cadence de la production kolkhozienne.

 

D'où la conclusion : en proposant de vendre les S.M.T. aux kolkhozes, les camarades Sanina et Venger font un pas en arrière et essaient de faire tourner à rebours la roue de l'histoire.

 

Admettons un instant que nous ayons accepté la proposition des camarades Sanina et Venger, et commencé à vendre en propre aux kolkhozes les principaux instruments de production, les stations de machines et de tracteurs. Qu'en résulterait-il ? Il en résulterait, premièrement, que les kolkhozes deviendraient propriétaires des principaux instruments de production, c'est-à-dire qu'ils se trouveraient placés dans une situation exceptionnelle qui n'est celle d'aucune entreprise dans notre pays, car, on le sait, les entreprises nationalisées elles-mêmes ne sont pas chez nous propriétaires des instruments de production. Comment pourrait-on justifier cette situation exceptionnelle des kolkhozes, par quelles considérations de progrès, de marche en avant ? Peut-on dire que cette situation contribuerait à élever la propriété kolkhozienne au niveau de propriété nationale, qu'elle hâterait, le passage de notre société du socialisme au communisme ? Ne serait-il pas plus juste de dire que cette situation ne pourrait qu'éloigner la propriété kolkhozienne de la propriété nationale et aboutirait à nous éloigner du communisme, au lien de nous en rapprocher.

 

Il en résulterait, deuxièmement, un élargissement de la sphère d'action de la circulation des marchandises qui entraînerait dans son orbite une quantité énorme d'instruments de production agricole. Qu'en pensent les camarades Sanina et Venger ? L'élargissement de la sphère de la circulation des marchandises peut-il contribuer à notre avance vers le communisme ? Ne sera-t-il pas plus juste de dire qu'il ne peut que freiner notre avance vers le communisme ?

 

L'erreur essentielle des camarades Sanina et Venger, c'est qu'ils ne comprennent pas le rôle et l'importance de la circulation des marchandises en régime socialiste ; ils ne comprennent pas que la circulation des marchandises est incompatible avec la perspective de passer du socialisme au communisme. Ils pensent sans doute que l'on peut, même sous le régime de la circulation des marchandises, passer du socialisme au communisme, que la circulation des marchandises ne peut en l'occurrence constituer un obstacle. C'est une grave erreur, qui part d'une incompréhension du marxisme.

 

En critiquant la "commune économique" de Dühring, fonctionnant dans les conditions de la circulation des marchandises, Engels a montré, de façon probante, dans son Anti-Dühring, que l'existence de la circulation des marchandises doit amener inévitablement les "communes économiques" de Dühring à la renaissance du capitalisme. Evidemment, les camarades Sanina et Venger ne sont pas de cet avis. Tant pis pour eux.Mais nous, marxistes, nous partons de la thèse marxiste bien connue, selon laquelle le passage du socialisme au communisme et le principe communiste de la répartition des produits selon les besoins, excluent tout échange de marchandises et, par suite, la transformation des produits en marchandises et, en même temps, leur transformation en valeur.

 

Voilà ce qu'il en est de la proposition et des arguments des camarades Sanina et Venger.

 

Que faut-il donc entreprendre, en fin de compte, pour élever la propriété kolkhozienne au niveau de propriété nationale ?

 

Le kolkhoze est une entreprise d'un genre particulier. Il travaille sur la terre et cultive la terre qui n'est plus depuis longtemps une propriété kolkhozienne, mais nationale. Par conséquent, le kolkhoze ne possède pas en propre la terre qu'il cultive.

 

Poursuivons. Le kolkhoze travaille à l'aide d'instruments essentiels de production, qui ne sont pas propriété kolkhozienne, mais nationale. Par conséquent, le kolkhoze ne possède pas en propre les principaux instruments de production.

 

Ensuite. Le kolkhoze est une entreprise coopérative, il utilise le travail de ses membres et répartit les revenus parmi ses membres d'après les journées-travail fournies ; en outre, le kolkhoze possède des réserves de semences qui sont renouvelées chaque année et employés dans la production.

 

La question se pose : qu'est-ce donc que le kolkhoze possède en propre, où est la propriété kolkhozienne dont il peut disposer eu toute liberté, comme il l'entend ? Cette propriété, c'est la production du kolkhoze, le fruit de la production kolkhozienne : blé, viande, beurre, légumes, coton, betterave, lin, etc., sans compter les bâtiments et les exploitations personnelles des kolkhoziens dans leurs enclos. Le fait est qu'une partie considérable de cette production, les excédents de la production kolkhozienne arrivent sur le marché et s'intègrent de cette façon au système de la circulation des marchandises. C'est ce qui empêcha actuellement d'élever la propriété kolkhozienne au niveau de propriété nationale. C'est donc de ce côté-là qu'il faut activer le travail pour élever la propriété kolkhozienne au niveau de propriété nationale.

 

Pour élever la propriété kolkhozienne au niveau de propriété nationale, il faut que les excédents de la production kolkhozienne soient éliminés de la circulation des marchandises et intégrés au système d'échange de produits entre l'industrie d'Etat et les kolkhozes. Là est l'essentiel.

 

Nous n'avons pas encore de système développé d'échange de produits, mais il existe des embryons de cet échange sous forme de "paiement en marchandises" pour les produits agricoles. On sait que la production des kolkhozes cultivant le coton, le lin, la betterave, etc., est depuis longtemps "payée en marchandises" ; il est vrai que cela ne se fait que partiellement, pas en totalité, mais cela se fait tout de même. Remarquons en passant que le terme "paiements en marchandises", n'est pas heureux, qu'il faudrait le remplacer par "échange de produits". La tâche est d'organiser dans toutes les branches de l'agriculture ces embryons d'échanges de produits et de les développer pour en faire un vaste système d'échange, de façon que les kolkhozes reçoivent pour leur production de l'argent, mais surtout les articles dont ils ont besoin. Ce système nécessitera un accroissement considérable de la production livrée par la ville au village ; il faudra donc l'introduire sans trop de précipitation au fur et à mesure de l'accumulation des articles produits par la ville. Mais il faut l'introduire méthodiquement, sans hésiter, en restreignant pas à pas la sphère de la circulation des marchandises et en élargissant la sphère des échanges de produits.

 

Ce système, en restreignant la sphère de la circulation des marchandises, aidera à passer du socialisme au communisme. En outre, il permettra d'inclure la propriété essentielle des kolkhozes, la production kolkhozienne, dans le système d'ensemble de la planification nationale.

 

Ceci sera un moyen réel et décisif pour élever la propriété kolkhozienne au niveau de propriété nationale dans nos conditions actuelles.

 

Ce système est-il avantageux pour la paysannerie kolkhozienne ? Il l'est incontestablement. Avantageux parce que la paysannerie kolkhozienne recevra de l'Etat des produits en quantité beaucoup plus grande et à des prix meilleur marché qu'avec le système de circulation des marchandises. Tout le monde sait que les kolkhozes qui ont passé des contrats avec le Gouvernement pour des échanges de produits ("paiement en marchandises") bénéficient d'avantages infiniment plus grands que les kolkhozes qui n'en ont pas conclu. Si l'on étend le système d'échanges des produits à tous les kolkhozes du pays, toute notre paysannerie kolkhozienne bénéficiera de ces avantages.

 

28 septembre 1952.

 

 

 

 

Staline et la Question du « Socialisme de Marché » en URSS après la Seconde Guerre Mondiale

Séminaire International « Staline Aujourd'hui »

Vijay Singh, Université d'État de Moscou, 5-6/11/1994

Introduction

Nous venons d'assister à la désintégration finale de l'Union soviétique. Staline a-t-il quelque chose à nous dire à propos de cet événement ? Nous allons défendre l'idée que sa dernière oeuvre importante, Problèmes économiques du socialisme en URSS, est un point de départ central pour examiner les «réformes de marché» qui ont été introduites en Union soviétique après 1953, et pour tirer des conclusions quant à leur caractère économique et politique.

Quel était le contexte des discussions économiques ?

Le PCUS(b) considérait que les fondements d'un État socialiste avaient été établis en gros dès 1935. Le XVIIIe Congrès du Parti pensait que la transition vers une société communiste était la voie vers la poursuite du développement du pays. Un comité fut constitué pour dessiner le nouveau programme du Parti et, en 1941, le Comité d'État au Plan fut prié de formuler un programme de développement économique de quinze ans, dont le rôle serait de jeter les bases de la société communiste.

Ce projet fut perturbé par l'invasion nazie, mais fut repris dans l'immédiat après-guerre. En 1947, Malenkov nota, lors de la Neuvième Conférence Informburo du Parti, que ce dernier «était occupé à travailler à la préparation d'un nouveau programme pour le PCUS(b). Le programme en cours du PCUS est visiblement obsolète et doit être remplacé par un autre».1 La tâche fut réitérée lors du XIXe Congrès du Parti, en 1952. Lorsqu'il présenta son rapport sur le Quatrième Plan Quinquennal au Soviet Suprême, en 1946, N.A. Voznesensky rappela la tâche dont il avait été chargé en 1941. Le plan, plaidait-il, «envisage de parachever la construction d'une société socialiste sans classes et la transition graduelle du socialisme au communisme. Il envisage l'accomplissement de la tâche économique de base de l'URSS, à savoir rattraper et dépasser, économiquement parlant, les principaux pays capitalistes en ce qui concerne le volume de production industrielle par habitant».2

Staline était d'accord avec la perspective de ce programme, comme l'indique clairement sa réponse à la question d'un correspondant britannique qui lui demandait s'il croyait possible de construire «le communisme dans un seul pays». Staline répondit que c'était «parfaitement possible, surtout dans un pays comme l'Union soviétique».3

Le socialisme : une lutte incessante pour l'abolition de classes

La critique de Staline dans Problèmes économiques de l'économiste du Gosplan, L.D. Yaroshenko, montre que des survivances prononcées des vues de Bogdanov persistaient dans la période d'après-guerre. Yaroshenko ne représentait pas un point de vue isolé. Yudin suggérait qu'il y avait un véritable courant parmi les travailleurs scientifiques, la «Yaroshenkovschini», qui marquait la récidive d'un retour en arrière vers le «trotskisme-boukharinisme-bogdanovisme». On se rappellera que Bogdanov a été l'auteur de textes pré-révolutionnaires influents sur l'économie politique. En philosophie, il adoptait les vues de Mach et d'Avenarius, vues qui avaient poussé Lénine à formuler sa réponse dans Matérialisme et Empiriocriticisme. En 1917, il avait soutenu des positions quasi mencheviques, se basant sur le fait que les conditions matérielles n'existaient pas en Russie pour une révolution socialiste. Sur le terrain culturel, il défendait une «culture prolétarienne pure» qui niait l'héritage pré-révolutionnaire. Dans la dernière période de sa vie, il avait développé l'idée d'une «science organisationnelle», qu'il appelait «tectologie», soutenant que les relations structurelles pouvaient être généralisées comme des schémas formels, exactement comme les relations de magnitude en mathématiques.4

De telles vues étaient clairement éloignées des propositions du matérialisme dialectique, du matérialisme historique et de l'économie politique marxiste. Bogdanov a exercé une influence extraordinaire sur la gauche russe, y compris sur Lunacharsky, Gorky et Boukharine, dont les écrits sont saturés de ses positions sur les questions d'économie politique, de matérialisme historique, ainsi que sur les questions de science et de technologie.

Staline a fait remarquer que Yaroshenko sous-estimait l'importance des rapports de production, qu'il surestimait le rôle des forces productives dans le développement progressif de la société et que, de ce fait, il réduisait les rapports de production à une simple composante des forces de production. Yaroshenko abolissait virtuellement l'économie politique du socialisme en ignorant des questions centrales telles que l'existence prolongée de diverses formes de propriété, de circulation des biens et des catégories de valeur en général et cherchait à transformer la science de l'économie politique en une organisation rationnelle sans classes des forces productives qui rappelait beaucoup Bogdanov. En opposition à cet économisme marqué, Staline réitéra que des contradictions persistaient en URSS entre les rapports de production et les forces de production. Si les instances dirigeantes appliquaient des lignes de conduite incorrectes, des conflits éclateraient inévitablement et, dans de telles conditions, les rapports de production ne pourraient que retarder le développement des forces de production.

Les vues de Yaroshenko rappellent les tentatives de Boukharine de fermer les yeux sur l'éruption de conflits de classes dans les campagnes et son désir de bloquer les rapports de production capitalistes existant alors dans l'agriculture, pour tourner son attention vers la «révolution technique». Boukharine déclara ouvertement dans les années 30 que «la révolution du prolétariat dans notre pays entre dans une phase nouvelle qui lui est propre: la phase de la révolution technique».5 De telles vues prévalurent aussi dans les années arides qui suivirent 1953. Le socialisme ne signifiait plus, comme pour Lénine et Staline, l'abolition des classes et la progression vers le communisme, mais le maintien des fermes collectives comme forme de propriété, le développement de l'idéologie d'une «avancée scientifico-technique» sans classes et l'introduction généralisée des relations marchandises-argent. Les vues de Yaroshenko étaient entièrement compatibles avec l'établissement des relations de marché après 1953. La direction soviétique ne se préoccupa nullement du maintien ou du développement des rapports socialistes de production et s'avéra incapable de maintenir le haut niveau permanent de développement des forces productives qui avait caractérisé l'époque de Staline.

L'expérience des politiques économiques suivies après 1953 démontre le bien-fondé de l'idée selon laquelle l'application de lignes de conduite incorrectes conduirait à une situation où les rapports de production freineraient les forces de production. Yaroshenko semble ne pas avoir ignoré les implications de ses vues. Écrivant en 1992, il ne se soucia nullement des conséquences de la destruction de l'URSS pour l'économie politique marxiste. Il continua à souligner la primauté de la connaissance des lois du développement des forces de production par-dessus toute question sociale et réitéra son opinion de 1951 selon laquelle le thème central de la discussion sur le Textbook of Political Economy de cette année-là aurait dû être de poser la question du fonctionnement rationnel, organisationnel de l'économie socialiste. Ce qui était nouveau, c'est qu'à propos des rapports de production sous le socialisme, il soutenait que l'organisation scientifique de l'économie présupposait la perfection des rapports de production socialistes, qu'en jargon contemporain, il qualifia de «rapports socio-organisationnels» et de «mécanisme économique».6 Par cette logique, Yaroshenko se faisait clairement l'avocat de l'économie politique de la période de la perestroïka.

La question de la persistance de contradictions sociales entre les rapports de production et les forces de production avait des ramifications plus étendues. Dans L'idéologie allemande, Marx soutenait que les contradictions entre les relations de production et les forces de production étaient à la racine des affrontements de classes. La critique exprimée à l'égard de Yaroshenko par Staline établit clairement que, dans sa dernière contribution théorique, il reconnaissait toujours que des contradictions et une lutte de classes continuaient à exister dans une société socialiste. Comme on l'a vu, la critique de Yaroshenko affirmait clairement que si l'on appliquait des lignes de conduite correctes, des conflits surgiraient, qui freineraient les forces de production. En même temps, Staline considérait que, dans les conditions du socialisme, ces questions n'allaient normalement pas jusqu'à déboucher sur des conflits puisqu'il était possible à la société de procéder par étapes pour faire coïncider les rapports de production, qui étaient restés à la trame, avec le caractère des forces de production la société socialiste ne contenant pas de classes vieillissantes qui auraient pu organiser la résistance. Elle contenait néanmoins des forces rétrogrades et inertes qui ne comprenaient pas la nécessité de modifier les rapports de production. Staline considérait qu'il était possible de surmonter de telles vues sans donner lieu à des conflits. Cette façon de voir était en accord avec celle de Lénine, qui déclarait que, sous le socialisme, les contradictions persistaient mais n'étaient plus antagoniques.

La discussion sur la persistance de contradictions sociales dans la société soviétique eut des implications évidentes sur la philosophie soviétique. Yudin souligna que beaucoup de philosophes, y compris lui-même, en soutenant qu'il y avait concordance complète entre les rapports de production et les forces de production dans la société soviétique, avaient nié l'existence de contradictions entre les deux. En 1951, le philosophe Glezerman, dans sa brochure Concordance parfaite entre les rapports de production et les forces de production dans une société socialiste en était arrivé imperturbablement à cette conclusion et ne s'était même pas soucié d'analyser les relations économiques, les forces de production et les rapports de production de la société soviétique. Yudin concluait que nier l'existence de toute contradiction avait conduit la philosophie soviétique à la construction de schémas métaphysiques sans vie.7

En mai 1921, Lénine avait mis l'accent sur le fait que le produit des usines socialistes «n'était pas une denrée au sens politico-économique» et qu'il était déjà «une denrée cessant d'être une denrée».8 Cependant, dans Problèmes économiques, l'économiste soviétique A.I. Notkin a exprimé l'opinion que les instruments de production fabriqués par le secteur social étaient en réalité des marchandises. Staline rejeta cette façon de voir et précisa que les instruments de production étaient alloués aux entreprises et non vendus, que l'État restait propriétaire de ces instruments de production et que ceux-ci étaient utilisés par l'administration des entreprises, agissant en qualité de représentant de l'État en accord avec les plans de l'État. En 1948, une tentative concertée fut faite par le président du Gosplan, N.A. Voznesensky, qui s'est matérialisée par une réforme des prix de gros en janvier 1949, réforme destinée à mettre fin au système des subventions de l'État dans l'industrie lourde et le transport. Voznesensky s'efforça d'introduire un principe de profit minimal de 3 à 5% sur le coût de production, dans les secteurs de production comprenant l'industrie lourde et les transports ferroviaires, de façon à poser les bases de la transformation des moyens de production en marchandises.9 Cette tentative d'introduire le fonctionnement de la loi de la valeur dans les moyens de production de base fut rapidement étouffée. Voznesensky fut démis de son poste à l'initiative de Staline, le 5 mars 1949.

Dans Problèmes économiques, Staline affirme que la sphère de production de marchandises en Union soviétique est limitée et bien définie : il n'y a plus de bourgeoisie, mais seulement des producteurs socialistes associés dans l'État, les coopératives et les fermes collectives. La production de marchandises était limitée aux biens de consommation personnelle. Pour cette raison, Staline niait que la production de marchandises en Union soviétique puisse donner naissance aux catégories économiques de la production capitaliste de marchandises, telles que «le travail considéré comme une marchandise, valeur excédentaire, capital, produit capitaliste, taux moyen de profit».10 Ces notions prévalaient chez une partie des économistes soviétiques, comme le montre bien la critique des erreurs anti-marxistes en sciences sociales de Yudin. Merzenev et Mikolenko soutenaient l'opinion que le travail était une marchandise en Union soviétique, exactement comme dans la société capitaliste. A. Yakovlev prétendait que l'adjectif «capitaliste» était applicable aux conditions soviétiques. L'économiste renommé Atlas déclarait quant à lui que le taux de profit moyen était appliqué dans l'économie soviétique.11

Transformation fondamentale de la politique économique après la mort de Staline

Une transformation fondamentale de la politique économique s'est produite entre la mort de Staline et le XXe Congrès du PCUS. Les projets de plans destinés à jeter les fondations d'une société communiste furent abandonnés au profit d'un programme de prospérité consumériste. La proposition de Staline, approuvée par le XIXe Congrès du PCUS, d'introduire graduellement un échange de produits entre la ville et la campagne pour remplacer la circulation mercantile de biens fut annulée en mai 1953, et un programme visant à étendre la circulation des marchandises fut adopté sous le prétexte d'accroître ce qu'un slogan appela le «commerce soviétique». Le rôle du Gosplan dans l'économie soviétique fut progressivement restreint par l'expansion des droits économiques des ministères soviétiques de l'ensemble de l'Union, en avril 1953, et par l'extension des pouvoirs des directeurs d'entreprises et des ministères des Républiques de l'Union en 1955. Le système de planification directrice centralisée hérité de la période stalinienne fut supprimé en 1955 et remplacé par un nouveau système de «coordination planifiée» par le Gosplan et les ministères de l'ensemble des républiques de l'Union.

Les deux années qui suivirent le XXe Congrès du PCUS virent d'autres changements radicaux dans la manière de diriger l'économie soviétique. Par la Résolution no. 555 du Conseil des Ministres de l'URSS datée du 22 mai 1957, le système d'allocation des produits du secteur d'État fut supprimé et une multitude d'organisations centralisées de vente furent créées sous l'autorité du Gosplan, en vue de vendre les produits industriels fabriqués par l'industrie soviétique. L'élimination de Molotov, de Kaganovitch et de Sabourov de la tête du PCUS eut un impact immédiat sur la ligne de conduite économique. La transformation des moyens de production en marchandises fut officialisée par la Résolution no. 1150 du Conseil des Ministres de l'URSS, le 22 septembre 1957, prévoyant que les entreprises devraient désormais opérer sur la base du profit.

La troisième édition du Traité d'économie politique paru en 1958 reflétait fidèlement le nouveau système économique en minimisant le fait que les moyens de production circulaient à l'intérieur de l'État comme des marchandises.12

Dans sa réponse aux lettres de A.V. Sanina et V.G. Venzher, Staline s'était déclaré opposé à ce que les stations de tracteurs, qui possédaient les instruments de base de la production agricole, soient vendus aux fermes collectives, ce qui, entre autres choses, aurait eu pour résultat d'inscrire dans la sphère de la production de marchandises une quantité gigantesque d'instruments de production. Les économistes Sanina et Venzher n'étaient pas isolés lorsqu'ils exprimèrent leur opinion. Une année plus tôt, A. Paltsev, dans la brochure Sur les sentiers de la transition du socialisme (Kiev, 1950) avait suggéré qu'avec la croissance des techniques agricoles dans les stations de tracteurs et avec la fusion des fermes collectives de moindre importance, soient établis des départements «stations de tracteurs» sous l'autorité des fermes col0lectives, étroitement liés au travail d'une ferme collective donnée.13 Par cette mesure, PaItsev proposait en fait que la propriété de l'ensemble du peuple, la propriété de l'État, soit subordonnée à la propriété de groupes de fermes collectives. La condition préliminaire à la dissolution des stations de tracteurs était de supprimer le système d'allocation des principaux instruments de production à l'agriculture.

Par la Résolution no. 663, en juillet 1957, le Gosplan mit fin au système d'allocation de matériel agricole hérité de l'époque de Staline et créa sous sa juridiction une organisation, la Glavavtotraktorsbita, qui eut pour fonction de vendre au secteur agricole l'équipement mécanique dont il avait besoin. En 1958, tout en se démarquant pour la forme de la proposition antérieure de Venzher, Khrouchtchev démarra la politique de dissolution des stations de tracteurs et celle de la vente des instruments de production agricole aux fermes collectives. Le résultat fut, bien entendu, que les moyens de production, dans l'agriculture comme dans l'industrie, se mirent à circuler sous forme de marchandises.

Le publiciste soviétique Vinnichenko, qui était proche de Venzher et de Khrouchtchev, répandit l'idée qu'une «méfiance» à l'égard de la paysannerie était à la base de l'opposition de Staline à la propriété des instruments de production par les fermes collectives. Ce n'était pas vrai. Staline ne faisait que soutenir la même position marxiste qu'Engels, lequel, dans une lettre à Bebel, en janvier 1886, avait déclaré sans équivoque que les moyens de production de l'agriculture devaient être la propriété de la société dans son ensemble, de façon à ce que les intérêts particuliers des fermiers des coopératives ne puissent prévaloir sur les intérêts de l'ensemble de la société.14

En outre, tant Engels que Staline étaient d'avis que les paysans riches ne devaient pas être membres des fermes collectives. On comprend que dans ces démocraties populaires où les koulaks (et même certaines catégories des grands propriétaires terriens) étaient membres des coopératives de production agricole et où les principaux instruments de production étaient la propriété de ces coopératives, la critique adressée par Staline à Sanina et Venzher ait reçu un accueil glacial.

La lutte pour une conception marxiste de la loi de la valeur

S'ajoutant aux écrits de Yudin, un article de Souslov, publié dans les Izvestiya, le 25 décembre 1952, évoquait les implications des idées de N.A. Voznesensky exprimées dans la brochure Économie de guerre de l'URSS pendant la guerre patriotique, parue en 1947. Le grief principal adressé à Voznesensky était qu'il avait fétichisé la loi de la valeur, qui était présentée comme régulant la distribution du travail dans les différents secteurs de l'économie soviétique.

Il est tout à fait évident que c'était le cas, puisque nous trouvons dans cet ouvrage le passage suivant : «La loi de la valeur opère non seulement dans la distribution des produits, mais aussi dans la distribution du travail lui-même parmi les différents secteurs de l'économie nationale de l'Union soviétique. Dans ce cadre, le plan d'État se sert de la loi de la valeur pour assurer la répartition appropriée du travail social parmi les divers secteurs de l'économie, et ce, au mieux des intérêts du socialisme».15

Qu'est-ce qui était enjeu? En ce qui concerne la mise en application de la loi de la valeur dans la société soviétique, beaucoup de choses en dépendaient, du point de vue avantageux de la théorie économique marxiste. Marx et Engels considéraient que la loi de la valeur n'entrait en jeu que dans les sociétés où la production de marchandises était présente. La valeur entrait en jeu avec l'augmentation de la production de marchandises et cessait d'opérer avec la fin du système des marchandises.16 Étant donné l'argument selon lequel la valeur réglementait l'attribution du travail dans l'économie, la seule conclusion logique était qu'un système de production généralisé de marchandises, c'est-à-dire le capitalisme, prévalait en Union soviétique. Voznesensky, par conséquent, soulevait des questions fondamentales sur la nature réelle de la société socialiste.

Pour Marx et Engels, la loi de la valeur opérait dans une société où existait la production de marchandises: «Le concept de valeur est l'expression la plus générale et, par conséquent, la plus complète des conditions économiques de la production de marchandises».17 Une société de production de marchandises est composée de producteurs privés dont les marchandises sont «produites et échangées les unes contre les autres par ces producteurs privés, pour leur propre compte».18 Logiquement, dans une société où la production de marchandises s'est terminée par «la saisie des moyens de production par la société, la production de marchandises est abolie en même temps que la maîtrise du producteur sur le produit. L'anarchie dans la production sociale est remplacée par une organisation systématique et bien précise».19 La loi de la valeur devient alors superflue. C'est également ce qu'implique l'argument avancé par Marx dans sa Lettre à Kugelmann de juillet 1868, où il prétendait : «Que cette nécessité de distribuer le travail social dans des proportions définies ne puisse être supprimée par la forme particulière de production sociale, mais qu'elle puisse seulement changer de forme, est une évidence. On ne peut abolir aucune loi naturelle. Ce qu'on peut changer, en modifiant les circonstances historiques, c'est la forme selon laquelle ces lois opèrent. Et la forme selon laquelle s'opère cette division proportionnelle du travail dans une société où l'interconnexion du travail social se manifeste dans l'échange privé de produits privés du travail, est précisément la valeur d'échange des produits».20

Car, dans une société où l'interconnexion du travail social se produit en l'absence d'un système marchand, c'est-à-dire sans producteurs privés, l'attribution du travail social se produirait sans qu'intervienne la notion de valeur. C'est ce que confirme Engels quand il dit: «Il est vrai que, même alors (sous le socialisme) il sera toujours nécessaire que la société sache quelle quantité de travail il faudra pour produire chaque article de consommation. Elle devra arranger son plan de production en accord avec ses moyens de production, qui comprennent, en particulier, sa force de travail. Les effets utiles des différents articles de consommation, comparés les uns aux autres et avec deux quantités de travail nécessaires à leur production, finiront par déterminer le plan. Les gens seront capables de tout gérer très simplement, sans l'intervention de la valeur tant vantée».21

Ceci est encore corroboré par Marx dans son dernier texte important sur l'économie politique, Commentaires sur le Manuel d'économie politique d'Adolphe Wagner, en 1879-1880, texte dans lequel il rejetait l'idée, que lui avait attribuée Wagner, selon laquelle la valeur opérerait dans une société socialiste. Marx a critiqué la prémisse de Wagner selon laquelle dans «l'État social marxiste, sa théorie (de Marx) de la valeur développée pour la société bourgeoise déterminerait la valeur».22

Marx et Engels ont clairement exclu l'application de la loi de la valeur dans une société socialiste. Cependant, ils ont admis que dans une société socialiste de transition, la valeur serait conservée là où la petite paysannerie continuerait à exister en tant que classe. Engels a parlé d'une telle condition en 1884 dans son article sur la Question paysanne en France et en Allemagne : «Quand nous serons en possession du pouvoir sur l'État, nous ne penserons même pas à exproprier par la force les petits paysans (que ce soit avec ou sans compensation), comme nous devrons le faire pour les grands propriétaires terriens. Notre toute première tâche, en ce qui concerne le petit paysan, consistera à effectuer la transition de son entreprise privée et de sa propriété privée vers des entreprises et des propriétés coopératives, pas de façon coercitive, mais à titre d'exemple et par l'offre d'une assistance sociale dans ce but».

En URSS, même après la collectivisation et l'instauration de la propriété de groupe, la production privée a continué d'exister sous une forme restreinte. Le Gosplan a pu supprimer l'effet de la loi de la valeur dans le domaine de l'industrie d'État, des fermes étatisées et des stations de tracteurs en réglementant la distribution du travail selon un plan bien défini. Mais cela n'était pas possible en ce qui concerne les fermes collectives. Bien sûr, la terre ensemencée, les récoltes, le développement du travail des tracteurs, le nombre des têtes de bétail appartenant à l'État, la production agricole dans son ensemble, le volume des paiements obligatoires et les paiements en espèces aux stations de tracteurs furent soumis au cadre de la planification centrale. Mais l'État ne put planifier l'utilisation de la production de marchandises en surplus ni l'utilisation de la force de travail à certaines époques définies et pour certaines tâches définies.23

Voznesensky n'a pas maintenu la position marxiste. Il a soutenu que la loi de la valeur s'appliquait à la distribution du travail dans les divers domaines de l'économie soviétique, c'est-à-dire dans les secteurs industriels aussi bien que dans les secteurs agricoles. En propageant cette façon de voir, Voznesensky se situait en marge du consensus général des économistes soviétiques. Un article éditorial de 1943 intitulé Quelques problèmes rencontrés dans l'enseignement de l'économie politique, avait défendu l'idée que «l'assignation de fonds et de force de travail à des secteurs individuels de la production s'effectue de façon planifiée, en harmonie avec les tâches fondamentales de la construction du socialisme».24 De même, l'année suivante, le doyen de l'économie politique soviétique, K.V. Ostrovityanov, prétendit que dans une économie socialiste, «la distribution du travail et des moyens de production aux différents secteurs de l'économie nationale s'effectue, non pas sur base d'un mouvement imprévisible des prix et de la poursuite du profit, mais sur base d'une direction planifiée se servant de la loi de la valeur».25 La valeur «ne dirige pas la distribution du travail social» dans ce cas, mais joue «le rôle d'instrument auxiliaire de la distribution planifiée du travail et des moyens de production parmi les secteurs de l'économie soviétique».

La valeur ne commandait pas le développement de la production des moyens de production: si on ne la limitait pas, on ne pouvait trouver les fonds nécessaires à attribuer à ce secteur. Pourtant, Voznesensky, dans sa discussion sur la fixation des proportions appropriées entre la production des moyens de production et celle des biens de consommation aux fins de reproduction sur une échelle de plus en plus grande, s'exprime de façon à éviter soigneusement d'indiquer la primauté de la production des moyens de production (Département 1) par rapport à la production des biens de consommation (Département 2) qui était nécessaire pour assurer l'expansion continue de l'économie nationale. Il relègue la question dans la partie de son travail relative à l'économie d'après-guerre: «Si nous divisons la production socialiste en URSS en Département 1, production des moyens de production, et Département 2, production des articles de consommation, la valeur des moyens de production mis de côté par l'État soviétique pour les entreprises du Département 2 doit, de toute évidence, dans une mesure définie par planification, correspondre à la valeur des biens de consommation mis de côté pour les entreprises du Département 1. En effet, si les entreprises du Département 1 devaient être privées d'articles de consommation et les entreprises du Département 2 des moyens de production, la reproduction socialiste sur une vaste échelle serait impossible, dans la mesure où les travailleurs des entreprises produisant des moyens de production seraient privés d'articles de consommation, alors que les entreprises produisant des articles de consommation seraient privées de moyens de production, c'est-à-dire de combustible, de matières premières et d'équipement».26

En revanche, Ostrovityanov avait reconnu que la valeur ne fonctionnait qu'à un niveau auxiliaire dans la planification de la distribution des moyens de production.27 Plus catégoriquement, l'auteur de l'éditorial de 1943 soutenait, en prenant l'exemple de l'usine Kirov, à Makeyevka, et les complexes de Magnitogorsk et de Kuznetsk, que la valeur ne régissait pas le développement de l'industrie métallurgique soviétique, qui fonctionnait depuis de nombreuses années grâce à des budgets d'État, sans rapporter le moindre profit.28

La critique du petit livre de Voznesensky par Souslov mit dans le mille. Mais Voznesensky n'était pas qu'un théoricien car, en sa qualité de président du Gosplan, sous le Conseil des Ministres de l'Union soviétique, il était en mesure de faire appliquer une politique d'extension de la sphère opérationnelle des relations argent-marchandises en Union soviétique en 1948-49. L'examen de l'affaire de Leningrad qui eut lieu sous Gorbatchev a révélé que M.Z. Pomaznev, qui était vice-président du Comité d'Approvisionnement d'État de l'URSS s'était plaint que le Gosplan, sous Voznesensky, avait réduit le plan industriel national pour le premier trimestre de 1949. Plus tard, Shkiryatov de la Commission de Contrôle du Parti a réitéré l'accusation et le Conseil des Ministres de l'URSS a pris note du fait que Voznesensky avait failli à sa tâche qui consistait à défendre les directives du gouvernement en matière de planification.29 L'accusation de réduction du planning industriel est en relation tout à fait logique avec l'augmentation des prix de gros des marchandises de l'industrie lourde en janvier 1949 et avec la tentative de donner un rôle déterminant au profit dans la production des moyens de production et de faire entrer ceux-ci dans la sphère des relations argent-marchandises. L'expulsion de Voznesensky du Gosplan, le 5 mars 1949, vit le début de l'annulation de sa politique économique à plusieurs stades, si bien que les prix de gros furent finalement abaissés à trente pour-cent en dessous de ceux de 1949. Voznesensky devint le héros de ceux qui voulaient remodeler l'économie soviétique selon les schémas d'une économie de marché : il fut réhabilité peu de temps après la mort de Staline.

L'article de Souslov, de 1952, soulevait une autre question relative à la valeur. Il critiquait l'idée longtemps prédominante parmi les économistes soviétiques, selon laquelle, sous le socialisme, la valeur était «transformée» ou «modifiée» de façon à servir le socialisme. Dans Problèmes économiques, Staline avait rejeté l'opinion que cela se produisait dans le cas d'une économie socialiste planifiée car, si la valeur pouvait être «transformée», les lois économiques pourraient alors être abolies et remplacées par d'autres lois. La sphère d'action d'une loi économique pouvait être restreinte mais elle ne pouvait pas être «transformée», ni «abolie».30

La notion subjectiviste de «transformation» des catégories de valeur sous le socialisme a imprégné l'économie politique soviétique. Voznesensky a donné une illustration de cette tendance lorsqu'il a prétendu que «la marchandise, dans la société capitaliste, est affranchie du conflit entre sa valeur et sa valeur d'usage si caractéristique de la marchandise dans la société capitaliste, où elle provient de la propriété privée des moyens de production».31 Était-il possible que, sous le socialisme, la marchandise puisse être affranchie du conflit entre valeur d'usage et valeur d'échange ? En URSS, la valeur a persisté à cause de l'existence de deux types de propriété. Si la propriété de groupe, principalement représentée par les fermes collectives, était élevée au statut de propriété d'État, alors la base opératoire des reliquats de valeur cesserait d'exister. Mais c'est la marchandise en soi que Marx considérait comme la «cellule» primitive ou «embryon» du capitalisme. Elle ne pouvait être ni «changée» ni «transformée», seule sa portée pouvait être limitée et restreinte.

L'interprétation que faisait Staline de cette question correspondait à la position marxiste d'Engels, qui écrivait ceci à Kautsky en septembre 1884, alors que celui-ci rédigeait le brouillon d'un article sur les théories économiques du professeur et économiste socialiste allemand Rodbertus : «Vous faites la même chose (que Rodbertus) avec la valeur. La valeur actuelle est celle de la production de marchandises, mais avec l'abolition de la production de marchandises, la valeur se 'modifie' aussi, c'est-à-dire que la valeur en elle-même reste mais sous une forme modifiée. Mais, en fait, la valeur économique est une des catégories qui appartiennent à la production de marchandises et qui disparaissent avec elle,32 vu qu'elle n'existait pas avant elle. La relation entre le travail et le produit ne s'exprime pas sous forme de valeur avant la production de marchandises, et ne le fera pas après non plus».33

Pour Engels, une valeur «modifiée» représentait l'introduction en fraude des effets de la loi de la valeur, ce qui était intolérable dans une société socialiste. Dans les écrits de Kautsky, cela ne représentait qu'un faux pas isolé, mais Staline a été confronté à une situation où virtuellement la totalité des économistes de l'URSS ont avalisé cette erreur.

La notion de valeur «transformée» semble avoir surgi comme l'expression d'un besoin double. Premièrement, il fallait critiquer l'idée selon laquelle la valeur pouvait être arbitrairement abolie en Union soviétique, quand l'existence des fermes collectives rendait nécessaire le maintien des relations argent-marchandises. Deuxièmement, il fallait articuler la réalité, à savoir que dans les conditions générées par une économie socialiste planifiée, l'opération de la valeur ne jouait qu'un rôle auxiliaire subordonné et restreint. Cependant, la conception de valeur «modifiée» présentait, au sens marxiste, un net contenu idéologique. C'est la raison pour laquelle Staline a considéré que la formule, quoique longtemps d'usage courant en Union soviétique, devait être abandonnée par souci d'exactitude. La notion de valeur «transformée» donnait naissance à un problème similaire en continuant à véhiculer l'idée selon laquelle la valeur pouvait être créée ou abolie de façon arbitraire et parce qu'elle pouvait devenir un levier théorique servant à justifier l'extension, plutôt que la contraction, de la sphère d'influence des relations argent-marchandises, comme cela s'était indubitablement produit avec Voznesensky.

Avec l'expansion rapide des relations argent-marchandises au sein de l'économie soviétique après 1953, il était peut-être - inévitable que la marchandise «transformée» opère un retour. Le Manuel d'économie politique de 1954 prétendait que l'économie socialiste ne connaissait pas la contradiction entre travail privé et travail social.34 Une telle argutie posait de nombreux problèmes. Elle suggérait que, dans une société encore contrainte à pratiquer la production de marchandises d'une façon limitée, on pouvait dire que le travail social était une réalité tangible et à part entière, en dépit du fait que la classe ouvrière continuait à percevoir un salaire grâce auquel elle achetait des biens de consommation. Elle tendait à impliquer, en outre, que la contradiction entre travail concret et travail abstrait (qui, selon Marx, ne pouvait disparaître que dans une société communiste) avait déjà été résolue. Il allait aussi apparaître qu'il ne fallait pas abolir le travail privé en portant la force de travail de la paysannerie des fermes collectives - qui n'était pas totalement dans la sphère de la planification socialiste pendant des périodes définies à des tâches définies et qui conservait les caractéristiques du travail privé tant que la relation entre le travail et le produit s'exprimait totalement sous forme de valeur -au niveau du travail social de la classe ouvrière à ce stade historique, contrôlant la propriété du peuple tout entier.

L'édition 1951 du Manuel d'économie politique ramenait l'économie politique soviétique aux marchandises affranchies de toute contradiction de Voznesensky, et elle rejetait la position de Staline dans Problèmes économiques, position selon laquelle la contradiction entre les rapports de production et les forces de production continuaient à jouer un rôle en Union soviétique.

Dans les années qui suivirent 1953, le PCUS ne se considérait plus comme le parti de l'avant-garde ouvrière de la tradition léniniste, mais comme le parti du peuple tout entier. L'État de la dictature du prolétariat qui, selon Marx, devait perdurer jusqu'à l'avènement du communisme, fut remplacé par l'État de tout le peuple. Avant les réformes de 1953-58 en faveur d'une économie de marché, il était possible de prétendre, comme l'avait fait Staline, que la production de marchandises, en Union soviétique, était d'un type spécial : «La production de biens sans les capitalistes, qui concerne principalement les marchandises produites par des producteurs socialistes associés (l'État, les fermes collectives, les coopératives), dont la sphère d'opération se limite aux articles de consommation personnelle, ce qui ne peut évidemment pas se développer dans une production capitaliste, avec son 'économie basée sur l'argent', est destinée à servir le développement et l'affermissement de la production socialiste».35

Mais après les réformes de 1953-58 vers une économie de marché, quand les moyens de production ont commencé à circuler comme des marchandises, la situation a changé qualitativement. Les formes de production de marchandises qui existaient sous le socialisme étaient, comme Staline l'a fait remarquer, d'une nature spéciale. Après les réformes, les restrictions imposées à la production de marchandises ont été levées et les formes de marchandises ont commencé à constituer des relations économiques d'un autre type. Marx, dans Le Capital, a établi que la marchandise, cellule de base du capitalisme, contenait en elle-même l'embryon à la fois du travail rétribué et du capital. La logique d'une production de marchandises en expansion rapide signifiait que les catégories économiques telles que la force de travail, la valeur excédentaire, le profit capitaliste et le taux de profit moyen, ne tarderaient pas à faire leur réapparition. C'est dans ce contexte que le programme pour l'établissement de la société communiste proposé par Khrouchtchev en 1961 doit être évalué. Au lieu de réduire la sphère de la production des marchandises et de leur circulation dans la marche en avant vers le communisme, le PCUS a envisagé de l'étendre. Son programme abandonnait la tâche d'abolition des classes sous le socialisme et ne se souciait plus de restructurer les rapports de production dans la société soviétique. Le but fixé par Staline de faire passer la propriété de groupe des fermes collectives au statut de propriété publique fut abandonné. En lieu et place, une notion de fusion future de la propriété d'État fut adoptée sous Khrouchtchev.

Notes : 1 - Malenkov, G.M., «Les activités du CC du PCUS(b)» dans Pour une paix durable, Pour une démocratie du peuple, Bombay, 1948, p. 79. 2 - Voznesensky, N.A., «Plan quinquennal pour la réorganisation et le développement de l'économie nationale de l'URSS 1946-1950», Soviet News, London, 1946, p. 10. 3 - Staline, J., «Les relations internationales de l'après-guerre», Soviet News, London, 1947, p. 13. 4 - Filosofskaya Entsiklopediya, Vol. 1, Moscou, 1960, p. 177. 5 - Boukharine, N.I., Metodologiya i Planirovanie Nauki i Tekhniki, lzbrannie Trudy, Moscou, 1989, p. 135. 6 - Yaroshenko, L.D., Svidetel'stva Vremeni, Igor Troyanovskii (Ed), Staline, J., Ekonomicheskie Problemy Sotsializma v SSSR, Peredelkino, 1992, p. 100-104. 7 - Yudin, R.E., Trud I.V. Stalina «Ekonomicheskie Problemy Sotsializma v SSSR» - Osnova Dalneishego Razvitiya Obshestvennikh Nauk, Moscou, 1953, p. 23-24. 8 - Lénine, V.I., Polnoe Sobranie Sochinenya, Vol.43, 5e éd., Moscou, 1963, p. 276. 9 - Trifonov, D.K., et al., Istoriya Politicheskoi Economii Sotsializma, Ocherki, Léningrad, 1972, p. 201. 10 - Staline, J., Problèmes économiques du socialisme en URSS, Moscou, 1952, p. 21. 11 - Yudin, Op.cit., p. 23. 12 - Ostrovityanov, K.V., et al., Politicheskaya Ekonomiya, Uchebnik, 3e éd., Moscou, 1958, p. 505. 13 - Yudin, Op.cit., p. 31-32. 14 - Engels, F, «Lettre adressée à Bebel à Berlin», 20-23 janvier 1889, dans Marx, K. et Engels, F., Sobranie Sochneniya, Vol. 36, Moscou, 1964, p. 361. 15 - Voznesensky, N., Économie de guerre en URSS lors de la période de la guerre patriotique, Moscou, 1948, p. 118. 16 - Engels, F., «Lettre adressée à Karl Kautsky à Zürich», dans Marx, K., Sur la valeur, Belfast, 1971, p. 5. 17 - Engels, F., l'Anti-Dühring, Moscou, 1978, p. 376. 18 - Ibid., p. 240. 19 - Ibid., p. 343. 20 - Marx, K., Lettres au Dr Kugelmann, Londres, s.d., p. 73-74. 21 - Engels, F., Ibid., p. 375. 22 - Marx, K., Sur la valeur, p. 28. 23 - Smolin, N., O zachatkakh produkto-obmena, Voprosi Ekonomiki, no. 1, 1953, p. 33-45. 24 - Pod Znamenem Marksizma, no. 7-8, 1943. 25 - Ostrovityanov, K.V., Ob osnovnikh zakonomernostyakh razvitiya sotsialisticheskogo khozaistva, Bol'shevik, no. 23-24, 1944, p. 50-59. 26 - Voznesensky, N., Loc.cit. 27 - Ostrovityanov, K.V., Op.cit. 28 - Pod Znamenem Marksizma, Op.cit. 29 - Izvestiya Ts.K KPSS, no. 2, 1989. 30 - Staline, J., Op.cit., p. 97. 31 - Voznesensky, N., Économie de guerre, p. 97. 32 - Engels, F., l'Anti-Dühring, p. 252-62. 33 - Engels, F., «Lettre adressée à Karl Kautsky à Zürich» dans Marx, K., Sur la valeur, p. 5-6. 34 - Ostrovityanov, K.V., et al., Politicheskaya Ekonomiya, Uchebnik, Prem. éd., Moscou, 1954, p. 442. 35 - Staline, J., Op.cit., p. 20-21.

Tiré du livre du livre "L'effondrement de L'union soviétique : causes et leçons" pour donner un nouvel essor révolutionnaire au mouvement communiste international, aux Éditions EPO. Nous vous conseillons fortement la lecture du livre.

 

 

Staline et la Création de l'Économie Politique du Socialisme

Vijay Singh

(Source : http://revolutionarydemocracy.org/French/index.htm)

Les cinq discussions de Staline avec les économistes Soviétiques qui ont été tenues entre 1941 et 1952 ensemble avec les essais dans Les Problèmes Économiques du Socialisme en URSS ont directement contribuées dans la mise des bases théoriques de l'économie politique du Socialisme. La section sur le mode socialiste de production dans le Manuel d'Économie Politique d'août 1954 a représenté la culmination de ce travail.1 La période de gestation de ce manuel s\est prolongée sur plus de vingt ans. Sur la base de la décision du Comité du PCUS (b) en avril 1931 I. Lapidus et K.V. Ostrovityanov furent ordonné de donner suite à leur texte de l'économie politique2 avec un second travail supplémentaire de 36 pages qui serait consacré à 'la Théorie de l'Économie Soviétique' et pourrait être utilisée comme un manuel du parti. En avril 1936 le Comité Central a plus loin résolu de constituer un curriculum d'économie politique et prendre des dispositions pour l'élaboration d'un manuel d'économie politique.3 Deux nouvelles résolutions ont été adoptées en avril et juillet 1937 en ce qui concerne le manuel d'économie politique lequel, cela a été souligné, a dû être basé sur celui du bref Cours d'A.A. Bogdanov qui avait été fortement loué par Lénine.4

Découlant de ces décisions plusieurs manuels modèles d'économie politique ont été écrits entre 1938 et 1941. En 1938 le premier modèle de l'Économie Politique, le Cours Abrégé a été préparé sous l'editorship de A. Leontyev et de A. Stetsky. Sur sa propre copie et de sa propre main Staline a ajouté qu'il a été 'approuvé par une Commission du CC DU PCUS (b) pour l'avantage du Parti, des écoles du Komsomol et des cours.' Une note sur le manuscrit a indiqué que les quatre premières sections du volume avaient utilisé le texte de A.A. Bogdanov, le Cours Abrégé de Science Économique (Moscou, 1897). La structure de ces premiers modèles peut être mesurée en scrutant le contenu des pages du premier modèle. La section sur la transition à la formation socialiste a été couverte dans quatre chapitres et 28 pages qui ont examiné la période de transition du capitalisme au Communisme, à l'industrialisation socialiste et la collectivisation de l'agriculture. Le système socialiste de l'économie du peuple a été examiné dans six chapitres et 36 pages avec les titres suivants: propriété socialiste; l'élimination de l'anarchie de la production et l'Économie planifiée du socialisme; la fin de l'exploitation de l'homme par homme et le travail socialiste; la fin des lois capitalistes de l'appauvrissement du prolétariat et de la paysannerie et la croissance ininterrompue du bien-être des travailleurs; la reproduction socialiste en URSS et la transition de socialisme à la phase plus haute du communisme.5

En 1939 le second modèle étendu du manuel est apparu sous l'éditorship d'A. Leontyev. La taille du modèle a été agrandie de 320 pages du modèle 1938 à environ 408 pages à cause du traitement plus vaste accordé à la section sur le mode socialiste de production. Leontyev a édité encore deux modèles du manuel qui sont apparus en avril et décembre 1940. Les sections sur la formation sociale socialiste a été prolongée davantage pour que l'édition d'Avril 1940 ait consisté en 472 pages. Staline a fait un certain nombre de commentaires, corrections et réflexions sur les modèles 1940 et sont la preuve pour suggérer qu'il ait continué son examen minutieux de ces deux volumes après la guerre. Avant les discussions de Staline, Molotov, Voznesensky et des économistes Soviétiques le 29 janvier 1941 au moins quatre projets du Cours Abrégé de l'Économie Politique avaient été produits. C'est évident selon les commentaires de Staline que le Comité Central n'a pas accepté les formulations du texte du livre sur la sphère d'opération des relations argent - marchandise et de l'activité de la loi de la valeur dans l'économie Soviétique. La majorité des économistes Soviétiques qui ont participé à la discussion économique a aussi différé des perceptions enregistrées dans les manuels sur ces questions cardinales. À la lumière de la discussion le manuel modèle a été re-modifié. C'est évident à la lumière de la lettre de G. Aleksandrov et A. Leontyev du 15 mars 1941 à Staline qui a annoncé que le Cours Abrégé d'Économie Politique avait été changé sur la base des directives reçues du CC DU PCUS (b) et énuméré les changements qui avaient été faits dans le texte du manuel. La guerre mis fin à la publication du manuel d'économie politique. Néanmoins sur la base de la discussion économique A. Leontyev a écrit l'article influent de l'éditorial Quelques Questions de l'Enseignement de l'Économie Politique qui a été publiée dans le 78ème numéro du journal Sous la Bannière du Marxisme en 1943.6

Les efforts pour produire le manuel d'économie politique furent repris immédiatement après la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Deux modèles de 575 et 696 pages respectivement du Cours Abrégé d'Économie Politique ont été préparé en 1946 et 1948.7 Ceux-ci étaient les textes qui furent discutés par Staline et les économistes aux trois réunions tenues le 22 février, le 24 avril et le 30 mai 1950. Le sujet de la discussion a tourné autour des problèmes touchant les sociétés pré capitalistes, la transition de la société esclavagisme au féodalisme, le féodalisme lui-même, la question de la machine de production sous capitalisme et la question de capitalisme pré monopoliste. Le modèle Manuel d'Économie Politique produit en 1951,8 est devenu la base de la discussion économique de novembre de cette année qui a évalué ce projet et dans lequel un grand nombre des économistes a participé. Trois documents ont circulés après la discussion: Propositions pour l'Amélioration du Projet du Manuel sur l'Économie Politique, Propositions pour l'Élimination des Erreurs et des Inexactitudes et le Mémorandum sur les Questions Discutées.

Staline a circulé ses réponses aux discussions économiques aux participants sous la forme de ses Remarques sur les Questions Économiques Connectées avec la Discussion de Novembre 1951, datée le 1 février 1952, qui a été fusionné plus tard dans les Problèmes Économiques du Socialisme en URSS. L'intervention de Staline, probablement, a représenté une résolution définitive sur la base de l'économie politique Marxiste classique des problèmes théoriques et des controverses qui avaient la discussion résolue en URSS en décennies précédentes en ce qui concerne la sphère de la production des marchandises et l'opération de la loi de valeur sous le socialisme. Une quinzaine plus tard la discussion finale entre Staline et les économistes a eu lieu le 15 février 1952. Cela amplifié sur et a clarifié davantage ces questions aussi bien que la signification de la Commune dans la transition du socialisme au communisme. Les parties restantes de Problèmes Économiques ont été écrites plus tard la même année et ont traité des problèmes qui se sont manifestés après la discussion de Novembre 1951: la Réponse au Camarade Alexandre Notkin (le 21 avril 1952), Concernant les Erreurs du Camarade L.D. Yaroshenko (le 22 mai 1952) et la Réponse aux Camarades A.V. Sanina et V.G. Venger (29ème Septembre 1952). Les Problèmes Économiques du Socialisme en URSS ont été publiés immédiatement avant le 19ème Congrès du PCUS (b) qui a été tenu au commencement d'octobre 1952. Le heurt d'avis sur le manuel modèle 1951 et la publication du dernier principal travail de Staline sur l'économie politique ont nécessité des nouvelles modifications profondes dans le texte du manuel d'économie politique.

Dans les circonstances actuelles le Politburo du PCUS (b) est intervenu pour reconstituer les auteurs collectifs responsables du manuel modèle d'Économie politique. En 1952 D.T. Shepilov a été appelé par Staline pour une discussion sur cette question qui a durée 2 heures et vingt minutes. Staline considérait qu'un manuel de qualité était exigé par le cadre scientifique de l'Union soviétique qui a été engagé pour des tâches économiques importantes aussi bien que pour les Communistes français et italiens. Il a exprimé l'inassouvissement des variantes du manuel qui avait été rédigé par L. Leontyev et a donné une critique détaillée de sections particulières du livre. Shepilov s'est rappelé plus tard que sur la question de l'accumulation primitive dans la naissance du capitalisme Staline a soumis L. Leontyev à la critique pour ne pas avoir même pris le soin d'utiliser le terme 'la période industrielle du capitalisme' comme Marx l'avait fait dans le Chapitre XXIV du premier volume du Capital et Lénine dans le Développement du Capitalisme en Russie. On a demandé à Shepilov à se consacrer complètement à l'élaboration du manuel et de diriger les nouveaux auteurs collectifs, comprenant K.V. Ostrovityanov, L.A. Leontyev, L.M. Gatovsky, A.I. Pashkov et le philosophe P.F. Yudin, qui devait achever le texte du manuel dans un an. Des décennies plus tard Shepilov s'est rappelé que Staline avait soigneusement scruté les matériels préparés pour le manuel et avaient passé des commentaires 'insidieux'.9 Après le 19ème congrès du PCUS une Commission pour l'Amélioration du Manuel d'Économie Politique a été établie qui devait prépare le nouveau manuel modèle pour la presse pour le 20 mars 1953. Le Manuel d'Économie Politique a finalement été publié en août 1954. Il peut être noté que beaucoup de thèmes qui avaient été décrits par Staline dans les Problèmes Économiques, notablement la nécessité d'introduire graduellement l'échange des produits entre l'industrie socialiste et les fermes collectives comme partie de la transition graduelle projetée au communisme et que la commission mentionnée ci-dessus qu'on avait décidé d'inclure dans le nouveau manuel modèle, étaient absents dans le manuel tel que publié en 1954. La nouvelle direction au 'marché socialiste' qui est évidente immédiatement après la mort de Staline a été reflétée dans la première édition d'août 1954 ainsi que dans la deuxième édition de 1955 qui a été aussi publié dans une traduction anglaise. Mais ces modifications n'étaient pas vastes, ainsi la structure de base de la compréhension de l'économie politique du socialisme était inchangée. C'est seulement après les transformations de l'économie Soviétique de 1957-58 conformément à l'introduction 'du marché socialiste' les manuels d'économie politique furent soumis à un radical changement comme c'est évident dans les Troisièmes Éditions de 1958,10 et 1959.11 Changements parallèles et critiques fondées aussi sur une acceptation de la politique économique et théories du 'Marché socialiste' ont été fait dans les démocraties populaires de l'ouest et l'est.12

Tandis qu'une évaluation complète de ces conversations est à l'extérieur de la portée de cette note d'introduction il est, cependant, approprié de frapper une note d'avertissement sur les formulations présentées sur la loi de la valeur dans une société socialiste pendant le cours de la discussion de janvier 1941. Celles-ci portent les cachets des premières discussions en URSS sur l'économie politique du socialisme quand le sujet lui-même était dans statu naissant. Staline a tenu des positions avancées sur les vues théoriques exprimées dans les premières années de pouvoir Soviétique dans le sens où l'économie politique a cessé à d'exister comme une science dans les conditions du socialisme. Telles vues connues comme 'l'interprétation limitée d'économie politique' avaient été propagées par 'les marxistes occidentaux' comme Hilferding et Rosa Luxemburg et en Union soviétique ils avaient été adoptés par Bukharine. Lénine avait vigoureusement défié ces conceptions. Un corollaire des vues de l'école Bukharine était que les relations argent marchandises ont cessé d'exister dans l'Économie socialiste. Dans la discussion de janvier 1941 il est apparent que Staline a défendu la position Léniniste que la science de l'économie politique était applicable aux sociétés non-capitalistes. (Cela a aussi impliqué que le sujet d'économie politique a embrassé l'étude des Sociétés coloniales). Staline, de plus, a déduit que les relations de valeur ont continué à manifester leur influence dans la société socialiste. Il est important de noter que la compréhension de Staline a subi des développements considérables pour que ce soient les vues exprimées dans les Problèmes Économiques du Socialisme en URSS qui doit vent être considérée comme son opinion mûre.

Les réflexions de Staline en janvier 1941 sont centrées sur les formulations de L.A. Leontyev sur l'opération de la loi de valeur en URSS. et sur sa critique de ces formulations L'abîme théorique divisant les deux peut être éclairé en juxtaposant les arguments de Staline à ceux de Leontyev tels qu' exprimé dans le modèle du Cours Abrégé de l'Économie Politique d'avril 1940. Leontyev a donné la ligne de raisonnement suivant laquelle la production de la société capitaliste fut décidée par la loi de valeur qui s'est fait sentir par la fluctuation des prix pour que par cela spontanément la production du marché des matières premières particulières monte ou baisse. La situation dans la société socialiste était différente comme la planification détermine la distribution du travail et les moyens de production dans l'économie et non juste production mais aussi la circulation des marchandises. Leontyev a alors discuté et c'était un point principal de controverse, que dans l'économie socialiste, 'il n'y avait aucune place pour la loi de valeur'.13 L'état établit les prix qui n'étaient pas dépendant des fluctuations du marché mais qui était décidé par le coût de production des produits aussi bien que par les tâches de la construction économique qui était orientée vers la nécessité pour améliorer continuellement le bien-être matériel des masses travaillantes. Le deuxième point de discussion dans le projet du manuel d'économie politique était l'accent placé par Leontyev sur l'affirmation de Lénine en mai 1921 à l'effet que le produit d'entreprises socialistes 'n'est pas des marchandises dans le sens politico-économique' et que 'en tout cas, ils sont non seulement des matières premières, ils ne sont plus des matières premières, ils cessent d'être des commodités'.14 Sous la phase la plus haute du communisme les produits seraient distribué selon le besoin pendant que sous le socialisme les produits étaient vendus pour l'argent, ils avaient des prix.

Nous pouvons maintenant comprendre la réaction pointue de Staline et de la majorité des économistes Soviétiques dans la Commission à ces formulations. En déclarant qu'il n'y avait aucune place pour la loi de la valeur dans le Socialisme, Leontyev s'est placée carrément sur la position Hilferding-Bukharin que l'opération de la loi de valeur finissait sous le socialisme. Une position plus complexe prévaut avec la - partielle - citation, des vues de Lénine de Mai 1921 sur le caractère de non-marchandises du produit des entreprises socialistes. Lénine a discuté de la façon suivante:

'D'abord l'état ne peut pas continuer aucun développement économique à moins que l'armée et les ouvriers urbains n'aient des provisions régulières et adéquates de nourriture; l'échange des marchandises doit devenir le moyen principal d'acquérir des produits alimentaires. Deuxièmement, l'échange des marchandises est un essai du rapport entre l'industrie et l\agriculture et la base de tout notre travail pour créer un système monétaire assez bien réglé. Tous les conseils économiques tous les corps économiques doivent maintenant se concentrer sur l'échange des marchandises (qu'inclut aussi l'échange de produits manufacturés, car les produits finis faits par les usines socialistes et échangés pour des produits alimentaires produits par les paysans ne sont pas des marchandises dans le sens politico-économique du mot; en tout cas, elles ne sont pas non seulement des marchandises elles ne sont plus des marchandises, elles cessent d'être des marchandises.'15

Les vues de Lénine en Mai 1921 étaient colorées, premièrement, par la compréhension que le système du communisme de guerre devait être remplacé par l'échange des marchandises et par la liberté du commerce entre la ville et la campagne ce qui impliquait l'apparition des capitalistes et des rapports capitalistes sous le contrôle et la comptabilité de l'État.16 Et, deuxièmement, par les survies de l'esprit du communisme de guerre par lequel il était considéré possible la transition directe au communisme dans lequel les marchandises produites par l'industrie socialiste devaient être échangées, par le système de l'Échange des produits sans le moyen des relations d'argent, avec une agriculture à petite échelle. Même quand Lénine en mai 1921 a parlé de l'échange des marchandises c'était toujours à l'échange des produits qu'il pensait. Le nouveau début de la Nouvelle Politique économique a vu la fin des efforts à mettre en oeuvre un système d'échange des produits. Dans les Problèmes Économiques du Socialisme en URSS Staline a mentionné les vues modernes de Lénine qui ont souligné la nécessité de 'une union économique entre la ville et la campagne, entre l'industrie et l'agriculture, que la production de marchandises( l'échange par l'achat et la vente) doit être préservée pendant une certaine période, c'étant la forme de lien économique, avec la ville qui est la seule acceptable pour les paysans'.17 Aussi tard qu' en 1934 Staline avaient été contraint de souligner dans son Rapport au 17ème Congrès du PCUS (b) que les vues de quelques fonctionnaires dans le sens où 'l'échange direct de produits frappe à la porte était prématurées. L'expansion du commerce soviétique à l'extrême était nécessaire pour préparer les conditions nécessaires pour l'échange direct de produits. De la même façon il serait nécessaire d'employer l'argent pendant une longue période de temps à venir, directement jusqu'au temps où la première étape du communisme, le socialisme, soit complétée.'18

Dans la discussion économique de janvier 1941 Staline a contesté la vue de Leontyev à savoir que la loi de valeur avait été surmontée en URSS. Staline a reconnu que les moyens de production étaient la propriété socialiste et donc ne pouvaient pas être considérés comme des marchandises et que les produits des moyens de production ne pouvaient pas aussi être traités comme tels, exposant que les moyens de production ne pouvaient pas être achetés par la ferme collective des paysans avec les revenus provenant des ventes au marché de la ferme collective. Néanmoins Staline en 1941 a défendu le point de vue que les marchandises fabriquées par les usines socialistes n'étaient pas 'des produits', mais 'des marchandises' sur la logique qu'une fois qu'une économie monétarisée était en existence alors les marchandises existent aussi. Lénine, il s'est rappelé, avait critiqué la vue de Trotski, qui avait affirmé que l'argent devait être considéré comme simplement un outil de calcul: 'Notre réponse à lui était: quand un ouvrier achète quelque chose, calcule-t-il avec l'aide d'argent, ou fait-il quelque chose d'autre? Lénine aurait désigner à plusieurs reprises au Politbureau qu'une telle formulation de la question est fausse, qu'il ne faut pas limiter le rôle de l'argent à être moyen de calcul.' Même sur la base de l'argument de Lénine il n'y avait aucune raison pour que les moyens de production produits par les entreprises Soviétiques doivent être catégorisés comme 'des marchandises' plutôt que comme 'des produits' pour Lénine, dans l'exemple cité par Staline, se référait aux matières premières de consommateur produites par des entreprises socialistes et vendues aux ouvriers au moyen de l'argent. Tandis que les arguments de Staline en 1941 contenaient des éléments d'une solution de la compréhension des différences entre 'produits' et 'marchandises' dans l'économie Soviétique ils n'ont pas offert une complète solution. C'est seulement dans les Problèmes Économiques du Socialisme en URSS que cela fut finalement résolu. En 1952 Staline a soutenu que les moyens de production ne pouvaient pas être considérés comme des marchandises car ils n'avaient pas été vendus, mais alloués aux entreprises.19 C'était seulement dans la sphère du commerce extérieur que les moyens de production l étaient en réalité des marchandises.20 Citant alors le cas des biens de consommation Staline a soutenu que ceux ci compensaient la force de travail dépensé dans le processus de la production et étaient produits et compris en URSS comme des marchandises opérant selon la loi de valeur.21 Staline a maintenant noté que les moyens de production produits par les entreprises socialistes perdent leurs propriétés de marchandises, ils 'cessent d'être des marchandises et passent hors de la sphère d'opération de la loi de valeur, conservant seulement le tégument extérieur de matières premières (des calculs, etc.)' Les marchandises et l'argent n'étaient pas brusquement supprimés en Union soviétique mais graduellement changeaient leur nature 'en s'adaptant au nouveau et en conservant seulement leur forme; tandis que le nouveau ne détruit simplement le vieux, mais l'infiltre, change sa nature et ses fonctions, sans briser sa forme, mais l'utiliser pour le développement du nouveau'.22

La discussion économique de janvier 1941 n'a pas résolu la question saillante de l'économie politique du socialisme: Quelle était la base de la conservation des relations marchandises-argent et l'opération de la loi de valeur en Union soviétique dans le domaine des relations économiques? En 1941 Staline a défendu le point de vue que la loi de valeur n'avait pas été surmontée comme en son absence il n'était pas possible de comprendre les catégories du coût, du calcul, de la distribution sur la base du travail ou de l'arrangement des prix. La valeur a existée sous le socialisme mais elle a dû être employée d'une façon consciente. Les calculs étaient nécessaires en employant la loi de valeur pour déterminer la distribution selon le principe du travail dans une société où des types différents de travail, qualifiés et non qualifiés, ont existé. Staline a soutenu que l'expérience Soviétique a révélé que la production ne s'est pas avancée par l'utilisation de mécanismes comme les salaires collectifs et la production commune, mais en déployant les systèmes de travail à la pièce pour les ouvriers et des bonus pour le personnel de surveillance aussi bien que pour la paysannerie des fermes collectives. Les catégories de valeur nécessitaient d'être employé d'une façon consciente dans le domaine de la fixation des prix. Staline a noté que quand la moisson a échoué en Russie menant aux manques de pain et à des hausses de prix l'état était intervenu en jetant le pain sur le marché qui a mené à une chute des prix de ce produit.

Plus d'une décennie plus tard dans les Problèmes Économiques du Socialisme en URSS un changement important peut être constaté dans la compréhension de Staline en réponse à la question de la raison de l'existence prolongée de la production de marchandises et de l'opération de la loi de la valeur dans l'économie socialiste. Staline a maintenant identifié la source de la production de marchandises en Union soviétique comme étant l'existence de deux formes différentes de la propriété socialiste, c'est-à-dire, le secteur d'état qui a constitué la propriété de toute la société et la propriété de groupe des fermes coopératives. Dans les entreprises de l'État les moyens de production et le produit de la production étaient propriété nationale, mais dans les fermes collectives, quoique les moyens de production comme la machinerie et la terre étaient la propriété d'état, le produit de production était la propriété des différentes fermes collectives comme l'étaient le travail et la semence, alors que la terre qui avait été nationalisée avait été rendue aux fermes collectives pour l'utilisation à perpétuité et était employée par eux pratiquement comme leur propre. Comme conséquence l'état disposait seulement du produit des entreprises publiques et non pas celui du produit des fermes collectives. Comme dans le temps de Lénine la paysannerie ne voulait pas aliéner ses produits sauf sous la forme de marchandises faisant que les relations de marchandises étaient toujours nécessaires dans la société Soviétique.23 Nous pouvons noter ici que le projet du manuel d'économie politique de 1951 avait décrit l'existence de deux formes de propriété socialiste comme une des raisons principales pour la persistance des catégories de valeur en URSS.24 C'était l'insigne contribution de Staline pour avoir identifié les deux formes de propriété socialiste comme la base fondamentale de la suite de la production des marchandises.

Une fois que l'existence continue des deux formes de propriété socialiste a été acceptée comme la base pour la suite des relations marchandes il était nécessaire de réévaluer les points de vue qui avaient été adoptés dans la discussion de janvier 1941. Staline maintenant soutenait que la loi de valeur devait fonctionner dans une société où la production de marchandises existait encore, mais elle agissait comme un régulateur et même ici elle agissait dans des limites, seulement dans la sphère de circulation des marchandises dans les articles de consommation personnelle. Dans le royaume de la production la loi de la valeur manifestait son influence sans avoir une fonction régulatrice.25 La loi de la valeur exerçait son influence dans la production des biens de consommation dans le rapport avec le coût, la profitabilité, les produits et le prix dans les entreprises socialistes. Staline a souligné que les cadres d'entreprise et les planificateurs ont en général n'ont pas pris en considération l'opération de la loi de valeur: sur une occasion ils avaient proposé que le prix d'une tonne de grain doive être fixé approximativement à celui d'une tonne de coton et le prix de grain a été pris comme celui d'une tonne de pain cuit. Les membres du Comité Centraux furent contraints de signaler qu'une tonne de pain doit être évaluée au-dessus d'une tonne de grain pour s'occuper de la dépense complémentaire pur le moulage et la cuisson et que généralement le prix du coton était généralement plus haut que celui du grain comme cela a été aussi soutenu par les prix du marché mondial. Ils sont alors intervenu pour baisser les prix du grain et lever les prix du coton. Si cela n'avait pas été fait la production du coton aurait souffert.

Les changements économiques apportés après 1953 devaient transformer la discussion entière sur l'économie politique du socialisme aussi bien que les perceptions des formulations de Staline de 1941 et 1952. La directive de la planification centralisée s'est terminée essentiellement en 1955 et a été remplacée par une planification 'coordonnée' par le Gosplan et les Ministères de Toute l'Union et Union République. En 1957 le système d'assignation projetée des produits par les moyens de production a été terminé et un certain nombre d'organisations des ventes centralisées ont été fondées sous le Gosplan pour vendre les produits industriels de l'industrie Soviétique.26 Reflétant les nouveaux faits économiques la Troisième Édition du Manuel d'Économie Politique a noté que les moyens de production qui ont été transférée d'une entreprise du gouvernement à une autre par l'achat et la vente leur ont donné l'apparence de marchandises.27 Complétant ces développements, le système d'assignation planifiée de la machinerie agricole au secteur agricole a été fini et une organisation des ventes spéciale a été établie en 1957 pour la vente des moyens de production aux Stations de Machines et Tracteur. L'année suivante le gouvernement Soviétique a dissous les Stations de Tracteur de Machine et a permis la vente de Machinerie 'agricole aux fermes collectives. Comme conséquence les moyens de production et dans l'industrie et l'agriculture ont maintenant commencé à circuler comme des marchandises.

Une section des économistes politiques (connus comme 'les tovarniks') s'est maintenant lancée dans la tâche pénible de créer 'une économie politique du socialisme' qui répondrait aux besoins de la nouvelle économie de marché en URSS. Dans la nouvelle dispense la conversation de Staline de janvier 1941 est entrée dans la ligne de feu. La critique ouverte des Problèmes Économiques du Socialisme en URSS avait déjà été initiale par Mikoyan au Vingtième Congrès du PCUS lui-même. La critique standard de la conversation de 1941 dans la période Khrushchev s'est déroulée comme suit:

'En 1941, dans une conversation avec des économistes, Staline a déclaré que la loi de la valeur existait en Union soviétique. Mais même l'interprétation limitée qu'il a donnée à cette loi et aux catégories de la valeur, y compris le prix, a en effet peu changé en comparaison des anciens concepts. La loi de la valeur a été si 'raccourcie' que, en réalité, son rôle a été nié. Les catégories de la marchandise et la valeur ont été déclarées pour être incompatibles avec la propriété de l'État des moyens de production et ne furent pas 'admise' dans la sphère de la production des moyens de production de ces 'de vieilles catégories du capitalisme', comme Staline s'est exprimé, seulement 'l'aspect extérieur' est resté.

'Staline a reconnu la loi de valeur comme une loi de la production seulement pour la production des fermes collectives. Mais en réalité même ceci a été réduit à zéro par son affirmation qui a projection planifiée des prix des produits agricoles, c'est-à-dire les prix auxquels les fermes collectives vendaient la plus grande partie de leur production pour le marché, ne pouvait pas être basée sur la valeur. Il a déclaré que la valeur était complètement incompatible avec la formation des prix projetés.

'Les années récentes ont été témoin d'un changement pointu de l'attitude envers le bénéfice et la théorie économique et dans l'activité économique pratique. Le parti a résolument rejeté les propositions subjectives qui ont gagné la monnaie pendant la période du culte de la personnalité de Staline, y compris la grossière 'approche erronée à telles catégories héritées par socialisme du passé comme produit, valeur, prix et bénéfice.'28

L.M. Gatovsky a ici exprimé les vues d'une période où la production des marchandises était devenue omniprésente dans l'économie Soviétique. on a senti la nécessité de démolir les vues de Staline à l'effet que tant que la production des marchandises et la loi de valeur continues de fonctionner dans l'économie c'était nécessaire de limiter leur sphère d'opération.

Ce journal considère comme un honneur de publier pour la première fois en n'importe quelle langue 'les Cinq Conversations avec des Économistes Soviétiques 1941-52'.29

Notes : 1. Politicheskaya ekonomiya, Uchebnik, Moscou, 1954, pp. 316-632. La deuxième édition de ce manuel a été publiée en URSS en 1955 et est sortie dans ne traduction anglaise: C.P. Dutt et le rédacteur Rothstein Andrew, Économie Politique. Un manuel publié par l'Institut d'Économie de l'Académie de les sciences de l'URSS, Londres, 1957. 2. Je. Lapidus et K. Ostrovityanov, Un Contour (plan) d'Économie Politique, Londres, 1929. 3. Archiv A.N. SSSR, F. 352, op.1, rédacteur. Khr. 165, l. 1-4. 4. F. 352, op. 1, rédacteur. Khr. 23, l. 5. 5. Des détails factuels sur les manuels d'économie politiques modèles d'avant-guerre peuvent être placés dans D.V. Valovoi, Ekonomika: vzglyady raznykh laissé (stanovlenie, razvitie je perestroïka khozyaistvennogo mekhanizma), Moscou, 1989, pp. 46-51. Voir aussi le rédacteur. A. Leontyev, Politicheskaya ekonomiya, Kratki kurs, Gosizpolit, Moscou, avril 1940, 472 pp. Manuscrit Imprimé. 6. L.A. Leontyev, 'Économie Politique en Union soviétique', rédacteur, G. Adhikari, Recueil Marxiste, Vol. 2, le Bombay, 1945, pp. 80-114. 7. Politicheskaya ekonomiya, Kratki kurs, Ogiz, Moscou, 1946, 575, pp. et Politicheskaya ekonomiya, Kratki kurs, Ogiz, Moscou 1948, 696 pp. Manuscrits Imprimés. 8. Politicheskaya ekonomiya, Uchebnik, Gosizpolit, Moscou, 1951, 502 pp. Manuscrit Imprimé. 9. Tamara Tochanova, Mikhail Lozhnikov, (Compilateurs): I, primknuvshii k nim Shepilov, pravda o cheloveke uchyonom, voine, politike, Moscou, 1998, pp. 127-28, 180-82, 281-82. 10. Politicheskaya ekonomiya, Uchebnik, 3ème édition revue et corrigée, Moscou, novembre 1958, 680 pp. 11. Politicheskaya ekonomiya, Uchebnik, Tiers(troisième) édition révisée et étendue, Moscou, 1959, 708 pp. 12. Oskar Lange, rédacteur, les Problèmes de l'Économie Politique de Socialisme, New Delhi, 1962; Mao Tsetung, une Critique d'Économie Soviétique, New York, 1977 Et Mao sur Staline, l'Économie de Socialisme, Édimbourg, 1977. 13. Politicheskaya ekonomiya, Kratki kurs, rédacteur, Los Angeles Leontyev, Moscou, avril 1940, p. 350. Manuscrit Imprimé. 14. Ibid., p. 349. Accent supplémentaire par Los Angeles Leontyev. Voir aussi: V.I. Lenin, Oeuvres complètes, Vol. 32, Moscou, 1973, p. 384. 15. Loc. cit. 16. Ibid., p. 385. 17. J. Staline, Problème Économique de Socialisme en URSS, Moscou, 1952, p.17. Accent dans l'original. 18. J. Staline, Travaux, Vol. 13, Moscou, 1956, pp. 349-50. 19. J. Staline, Problèmes Économiques, p. 58. 20. Ibid., p. 59. 21. Ibid., p. 23. 22. Ibid., p. 59. 23. Ibid., pp. 19-21. 24. Politicheskaya ekonomiya, Uchebnik, Moscou, 1951, pp. 343-44, manuscrit Imprimé. 25. J. Staline, Problèmes Économiques, p. 23. 26. Vijay Singh, 'Staline et la Question de 'Socialisme du Marché' en Union soviétique Après la Deuxième Guerre mondiale', Démocratie Révolutionnaire, Vol. 1, No 1, Avril 1995, p. 9. 27. Politicheskaya ekonomiya, Troisième édition revue et corrigée, Moscou, 1958, p. 503. 28. L. Gatovsky, 'le Rôle de Bénéfice dans une Économie Socialiste', Kommunist, No 18, 1962. 29. Une variante plus courte de la conversation de Janvier 1941 a été publiée dans: Richard Kosolapov, Slovo Tovarishy Staliny, Moscou, 1995, pp. 161-168.

Traduit par le Dr Adélard Paquin

 

 

 

Le PCUS (B), le Gosplan et la Question de la Transition à la Société Communiste en URSS (1939-1953)

Vijay Singh (Source : http://revolutionarydemocracy.org/French/index.htm)

Le marxisme reconnaît le rôle dirigeant du prolétariat industriel dans les révolutions démocratiques et socialistes et dans la transition à la société communiste. Dans le Manifeste Communiste Marx et Engels ont indiqué que de 'toutes les classes qui sont debout face à face devant la bourgeoisie aujourd'hui, le prolétariat seul est vraiment une classe révolutionnaire. Les autres classes se délabrent et disparaissent finalement face à l'industrie moderne: le prolétariat est son produit spécial et essentiel.' V.I. Lénine dans un Grand Commencement a exprimé la position Marxiste que seulement les ouvriers urbains et les ouvriers industriels étaient capables de conduire la masse entière des travailleurs et des exploités à renverser le capitalisme et à créer le nouveau système socialiste. Le socialisme a exigé l'abolition des classes qui a nécessité l'abolition de toute la propriété privée des moyens de production, l'abolition de la distinction entre la ville et la campagne aussi bien que la distinction entre ouvriers manuels et ouvriers intellectuels. Lénine a explicitement rejeté la proposition que tous 'les travailleurs' étaient également capables d'exécuter ces tâches historiques. Il a considéré que la supposition que tous 'es travailleurs' étaient capables d'effectuer les tâches de la révolution socialiste était une expression vide ou une illusion du socialiste pré marxiste. La capacité de supprimer les classes a grandi seulement avec les conditions matérielles de la production capitaliste de grande échelle et était possédée par les travailleurs seulement. Le marxisme exclut de la définition du prolétariat la petite bourgeoisie urbaine et rurale, le personnel de bureau, les intellectuels aussi bien que les masses travailleuses. Les tentatives de la Russie néo-Brezhnevienne pour élargir et étendre la définition du prolétariat doivent être rejetées de même qu'historiquement celles des Narodniks pour inclure la petite bourgeoisie dans cette catégorie furent battues par les Bolcheviks. La confusion sur cette question porte des implications graves pour le caractère et la composition du Parti communiste, pour l'existence même de la dictature du prolétariat, pour l'abolition des classes et le système des marchandises sous le socialisme et pour la transition au Communisme.

La logique du Marxisme n'a pas permis au 'peuple travailleur' comme opposé au prolétariat de diriger la construction d'une société socialiste. Dans la Question Agraire dans la Russie Vers la Fin du Dix-neuvième siècle, Lénine a explicitement considéré que le Socialisme 'signifie l'abolition de l'économie marchande' et que tant que l'échange demeure 'c'est ridicule de parler de socialisme'. La dictature du prolétariat doit rester jusqu'à la disparition des classes, a argumenté Lénine dans son article Économie et Politique Dans l'Ère de la Dictature du Prolétariat. L'abolition des classes sous le socialisme impose la fin de la différence entre l'ouvrier de l'usine et le paysan car tous sont devenus des ouvriers. Il suit de cela que le parti des prolétaires ne peut pas être 'un parti de tout le peuple' ou la dictature du prolétariat 'un État de tout le peuple'. Ces positions ont été défendues dans la période de Staline. Dans la période suivant la collectivisation dans son Discours sur le Projet de la Constitution Staline a maintenu que l'Union soviétique avait déjà dans le principal réussi à construire la base d'une société socialiste; il a néanmoins, en ces années, argumenté, comme dans son Rapport au 17ème Congrès du PCUS (b), que le projet de construire une société socialiste sans classe demeure une tâche pour l'avenir.

La perspective d'achever la construction d'une société socialiste sans classe et la transition graduelle du socialisme au communisme était le leitmotiv dominant au 18ème Congrès du PCUS (b) tenu en mars 1939. Cela apparaît clairement dans les discours de la direction Soviétique au Congrès. Dans ses remarques d'ouverture au Congrès Molotov a affirmé que le Socialisme avait essentiellement été construit en Union soviétique et que la prochaine période était une de la transition au Communisme. Staline dans son Rapport au Congrès, en notant que l'URSS avait devancé les pays capitalistes principaux en ce qui concerne le taux de développement industriel et la technique de production, a indiqué que l'URSS devait encore économiquement devancer les états capitalistes principaux en termes de consommation industrielle par tête de la population, ce qui était la condition nécessaire de cette abondance des marchandises qui était nécessaire pour la transition de la première à la deuxième phase du Communisme. Il a prévu que l'existence continue de l'État Soviétique était nécessaire pendant la période de l'établissement du Communisme Soviétique. Avant que l'encerclement capitaliste ne soit supprimé par l'encerclement socialiste et le danger d'une attaque militaire étrangère n'ait pas reculé, les organes militaires, et pénaux et les services d'intelligence étaient nécessaires pour la survie de l'URSS. L'état Soviétique ne devait pas dépérir loin dans un proche avenir, il subirait cependant des changements conformément aux exigences intérieures et internationales. La proposition d'Engels que l'état se fanerait loin dans le Communisme, selon Staline, suppose que la victoire du communisme aurait eu lieu dans les pays principaux et que ce n'était pas le cas dans la situation contemporaine mondiale.

Dans son Rapport sur Le Troisième Plan Quinquennal pour le Développement de l'Économie Nationale de l'URSS Molotov a lié le nouveau plan spécifiquement avec la tâche de l'Achèvement d'une société socialiste sans classe et la transition graduelle du socialisme au communisme. La collectivisation, pendant le cours du Second Plan Quinquennal, avait économiquement détruit les koulaks qui avaient été la dernière classe d'exploitation existant dans la société Soviétique. Il avait ainsi mit fin à la propriété privée des moyens de production et formé la forme coopérative des relations de propriété par l'établissement des fermes collectives qui maintenant coexistaient avec la propriété d'état qui avait été créé pendant la révolution d'Octobre. La première phase du Communisme avait déjà été construite en URSS. Le troisième Plan Quinquennal devait être considéré comme un pas principal vers la formation du communisme. Molotov a alors examiné les classes sociales qui existaient en Union soviétique. Des différences sociales ont persisté entre la classe des travailleurs et la paysannerie des fermes collectives (aussi bien qu'avec la couche nouvellement formée des intellectuels socialistes correspondant à la nature des différences de relations de propriété entre les entreprises publiques et les fermes collectives. Dans la transition à la société communiste le prolétariat jouerait le rôle principal et la paysannerie de la ferme collective manifesterait un rôle actif. Notant les distinctions entre les couches avancées et arriérées de ces classes Molotov a soutenu que, tandis que la majorité de la population a placé les intérêts généraux de la société et de l'état au dessus des intérêts privés au cours de la construction de la nouvelle société, il y avait des sections qui ont essayé de saisir les avantages de l'état, de même que des sections de la paysannerie étaient plus inquiétés par le bien-être de leurs propres fermes collectives et leurs propres intérêts individuels. C'est le mouvement Stakhanoviste dans les usines qui avait établi des normes techniques et avait levé la productivité du travail dans la Seconde période du Plan quinquennal qui a garanti les nouveaux succès pour l'Union soviétique.

Dans son discours au 18ème Congrès le Président de la Commission de la Planification d'État, N.A. Voznesensky, a étoffé quelques cinq tâches de base qui étaient nécessaires pour que le programme de la construction communiste soit réalisé: d'abord, les forces productives ont besoin d'être développées à cette mesure que l'URSS économiquement surpasse les principaux états capitalistes ; deuxièmement, la productivité du travail doit être élevée à un niveau qui permettrait à l'Union soviétique de produire une abondance de produits de telle sorte que la base pour la distribution soit fondée sur le besoin; troisièmement, les survies de la contradiction entre la ville et la campagne doivent être effacé; quatrièmement, le niveau technique et culturel du prolétariat doit être élevé au niveau des ouvriers qui ont été engagés dans l'ingénierie et le travail technique avec l'objectif d'éliminer les différences entre travail intellectuel et physique; et finalement, l'État socialiste doit développer de nouvelles formes en construisant le communisme dans les conditions de l'Encerclement capitaliste.

Il est significatif que Voznesensky, en présentant un plan des changements exigés dans la société et l'état dans la période de transition au communisme n'a pas abordé la question de la reconstruction radicale nécessaire des relations de production dans l'agriculture. Au 17ème Congrès du PCUS (b) de 1934 Staline avait touché sur la nécessité d'effectuer la transition des fermes collectives basées sur la propriété de groupe aux communes fondées sur la propriété sociale et sur la technique la plus développée qui mettrait la base pour la production d'une abondance de produits dans la société. Dans une remarque fertile Voznesensky a suggéré que la tâche de compléter la construction de la société socialiste, la transition au communisme et rattraper et surpasser les pays capitalistes principaux s'étendrait au-delà de la période du Troisième Plan Quinquennal; tandis que deux décennies avaient été nécessaires pour l'Union soviétique pour établir le socialisme , un laps de temps historiquement plus court de temps serait nécessaire pour la transition au communisme.

Molotov a fait une note de modération dans ses remarques de conclusion au Congrès. Alors que la perspective avait été établie de rattraper les pays capitalistes principaux c'était important d'être conscient des défauts de l'URSS dans le domaine économique. Tandis que la position des travailleurs s'était améliorée en Russie Soviétique et le serait davantage pendant le cours du Troisième Plan quinquennal et tandis que le pays a surpassé l'Ouest en termes de technique de production, il était important de se rappeler qu'il est resté en arrière en termes de la production industrielle par personne de la population.

Les perspectives décrites au 18ème Congrès avaient des ramifications étendues. Elles ont impliqué qu'une refonte du programme du parti était impérieuse. Le programme existant qui était toujours en vigueur avait formellement été adopté par le 8ème Congrès du Parti en mars 1919 juste un an et demi après la révolution. Un nouveau programme devait nécessairement tenir compte du chemin parcouru sous le Communisme de Guerre, de la Nouvelle Politique économique, de la collectivisation et de l'industrialisation en complément du chemin prévu à être suivi sur la voie de compléter 'le socialisme' et 'le communisme'. Le programme de 1919 avait correctement appelé à la conversion des moyens de production en la propriété sociale du prolétariat de la République Soviétique. Dans le royaume de l'agriculture on a organisé l'établissement des Communes pour arriver à une agriculture socialisée à grande échelle. La demande de l'abolition de classes a clairement indiqué la fin de la paysannerie comme une classe. Un nouveau programme devait carrément faire face à la question délicate de la conversion de la propriété de groupe des fermes collectives en la pleine propriété sociale de toute la société. Le 18ème congrès a constitué une Commission de 27 personnes qui a été chargée de la responsabilité de rédiger les changements du projeté Troisième Programme du parti. Parmi les membres il y avait Staline, Molotov, Kaganovich, Zhdanov, Béria, Voznesensky, Vyshinsky, Kalinin, Malenkov, Manuilsky, Khrushchev, Mikoyan et Pospelov.

La transition à la construction Communiste impliquait aussi la réorientation à longue portée de la planification Soviétique au but de la mise de la base matérielle et technique de la Nouvelle société. Après des consultations avec les membres de l'Académie des Sciences Sociales de l'URSS et avec les membres du Gosplan, Voznesensky a tenu une séance prolongée de la Commission de la Planification d'État en juillet 1939 qui a pris la question de l'élaboration du développement de l'économie Soviétique, en particulier de l'expansion de la base énergétique de l'économie. Le Gosplan a résolu d'élaborer ses perspectives en termes de construction du complexe hydroélectrique Angarsk, le levage du niveau de la Mer Caspienne et la jonction de la Volga avec les rivières du nord. Ces événements immédiatement nous rappelait la compréhension de Lénine, que l'électrification ouvrirait la porte à la société Communiste. Le communisme était, a-t-il dit, le pouvoir Soviétique plus l'électrification du pays entier. Dans le contexte de GOELRO il avait parlé de la nécessité d'élaborer un plan perspectif pour la Russie Soviétique qui s'étendrait pour la durée de 10-15 ans. Avec le but de renforcer le bassin de talent scientifique disponible à Gosplan pour la construction d'un plan économique à long terme, un certain nombre d'Académiciens, y compris des membres de l'Académie des Sciences de l'URSS étaient impliqué dans les activités du Conseil d'Experts Scientifiques techniques sous le Gosplan pour préparer le plan général. En une année et demie le Gosplan a préparé la perspective du plan à long terme qui a soulevé les questions qui sont allées au-delà des limites du Troisième Plan Quinquennal. Résultant de cela Voznesensky a rédigé une note pour Staline et Molotov qui a été lue à une rencontre du Gosplan en septembre 1940. Les questions centrales pour un plan économique à long terme conçues pour construire une société socialiste sans classe et le communisme au niveau de la construction des forces productives étaient la construction des industries métallurgiques ferreuses et non ferreuses, la complète reconstruction du transport ferroviaire, la construction des complexes hydroélectriques du Kuibyshev, Solikamsk et Angarsk; la réalisation de la grande ligne du Chemin de fer Baikal-Amour, la création des bases métallurgiques et huilières dans la partie du nord de l'URSS et le développement des régions individuelles du pays. Dans sa note Voznesensky a demandé la permission à Gosplan pour élaborer un plan économique général pendant la période de 15 années à être présenté au Comité Central du Parti pour la fin de 1941.

Fermement intégré au plan perspectif projeté à long terme existait une nouvelle approche à la planification régionale impliquant la meilleure utilisation des forces productives en basant les nouveaux complexes industriels près des sources d'énergie et de matières premières, économisant ainsi du travail au cours des étapes diverses de la fabrication et la préparation du produit final. Voznesensky a garanti la création d'un Institut des Commissaires de Gosplan dans toutes les régions économiques du pays qui auraient la responsabilité de vérifier l'accomplissement du plan d'état et garantir le développement des complexes industriels des régions économiques. Les commissaires de Gosplan ont été chargés pour prêter une attention particulière à l'accomplissement du Troisième Plan Quinquennal en ce qui concerne la création des bases industrielles de carburant dans chaque région économique, garantissant les sources d'électricité dans chaque région, éliminant les prises irrationnelles de transport, mobilisant les sources locales de vivres dans chaque région et apportant les ressources économiques à vue dans l'économie. Des départements spéciaux ont été créés dans l'appareil de Gosplan pour traiter avec le développement de l'économie dans les régions différentes du pays.

Le 7 février 1941 le Gosplan a reçu une réponse à sa proposition d'avoir la permission d'élaborer un plan économique de 15 ans qui avait été envoyé par Voznesensky à Staline et Molotov environ cinq mois plus tôt. Le Comité Central du PCUS (b) et Sovnarkom maintenant ont formellement sanctionné la préparation d'un plan perspectif de Gosplan pour surpasser par personne la production des pays capitalistes dans la fonte, l'acier, le pétrole, l'électricité, la machinerie et d'autres moyens de production et les articles de nécessité. Cela nécessitait le développement indépendant de la science et de la technologie en URSS pour que la richesse naturelle du pays puisse être utilisée par les méthodes les plus développées pour l'avancement de l'organisation de la production. Cela exigeait, de plus, la prédétermination du développement des branches de base de l'Économie nationale des régions économiques le tempo et l'échelle de production. Le plan général a dû déterminer les changements des relations sociales et politiques, les tâches sociales, les méthodes de lever le niveau des ouvriers et des ouvriers des fermes collectives à celui des ouvriers dans les secteurs techniques (cela aurait facilité le processus de l'abolition des classes et l'élimination des distinctions entre le prolétariat industriel, l'élite intellectuelle et la paysannerie des fermes collectives qui suivaient les recommandations de Lénine dans Économie et Politique dans l'Ère de la Dictature du Prolétariat).

Le travail sur le plan perspectif a été réparti sur deux étapes entre janvier et mars 1941 et avril à juin de la même année. Tel qu'indiqué l'appareil de Gosplan a préparé le prototype du plan général pendant la période 1943-1957 en 2 volumes. Ce projet a représenté la première tentative principale d'aborder les problèmes résultant de la perspective de développer l'économie Socialiste et sa croissance à une économie Communiste pour la durée de 15 ans. Au 20ème anniversaire du décret de Lénine qui a mené à la création de la Commission de Planification d'État Pravda le 22 février, 1941 a commencé une série d'articles qui ont largement rendu public le nouveau Plan de 15 ans.

L'invasion Nazie a mis fin aux projets de fournir la base économique pour la transition au Communisme. Encore étonnant la fin des hostilités a été témoin d'une reprise des plans et projets d'avant-guerre. Le Rapport sur le Plan Quinquennal pour 1946-1950 et la Loi sur le Plan Quinquennal présenté par Voznesensky au Soviet Suprême en mars 1946 a marqué la reprise du chemin du développement esquissé au 18ème Congrès du PCUS (b) pour la construction d'une Société socialiste sans classe et la transition graduelle au communisme. Le plan a été considéré comme une suite des pas d'avant-guerre conçu pour rattraper et surpasser les principaux Pays capitalistes économiquement en ce qui concerne le volume de production industrielle par tête de la population. Staline en septembre 1946 a réitéré la possibilité de la Construction du Communisme dans Un Pays en URSS. Une année plus tard à la fondation du Cominform en 1947 à Shklyarska Poremba, Malenkov a ajouté que le comité Central du PCUS (b) travaillait à la préparation d'un nouveau programme pour le parti car celui existant était démodé et devait être remplacé par un nouveau.

Parallèlement à ces événements il y avait la tentative renouvelée de formuler un plan économique à long terme pour exécuter la base économique et sociale pour le communisme. Dans le milieu de 1947 Voznesensky a posé cette question devant le Comité Central. Il a soutenu qu'un tel plan était impérieux pour certaines raisons. D'abord, c'était directement connecté aux préparatifs du nouveau programme du PCUS (b) aussi bien que pour la réalisation des plans concrets qui seraient rédigés sur la base du Programme; deuxièmement, comme les tâches d'étendre les forces productives et la construction des nouveaux et grands travaux de construction (lignes de chemin de fer, stations hydroélectriques, usines métallurgiques) ne convenaient pas aux contraintes du courant plan quinquennal. Tout en réitérant les objectifs d'avant-guerre du plan général qui était de rattraper les pays capitalistes avancés en termes de la production industrielle par personne , Voznesensky a alors proposé le plan de 20 année pour la construction de la société Communiste en URSS. On a demandé à Staline de soutenir le projet de la résolution du Comité Central du parti et du Conseil des Ministres donnant à Gosplan la responsabilité de produire le plan général de 20 année pour être soumis avant le 15 janvier 1948. On a accordé cette autorisation le 6 août 1947.

L'échelle d'activité pour l'élaboration du plan économique général peut être jugée du fait que 80 sous-commissions ont été établies sous le Président de Gosplan pour élaborer les aspects différents du plan ayant la participation de directeurs économiques, d'experts ministériels et spécialistes universitaires. En automne de 1947 le Gosplan a examiné de nouveau la structure de l'Institut de l'Économie de l'Académie des Sciences et a modifié son travail en le réorientant vers les problèmes affrontant l'économie Soviétique. En 1948 le Gosplan, l'Académie de Sciences, le parti local et des organes Soviétiques ont tenu des conférences pour étudier la force productive des régions économiques du pays; une attention particulière a été portée aux régions du Nord-ouest, du Kuzbass, du Kazakhstan, de la Sibérie orientale et de l'Extrême-Orient.

Sur la base de ces préparatifs la structure du plan perspectif a été formulée pour les branches différentes de l'économie nationale et des différentes régions économiques de l'Union soviétique. Un projet du rapport sur le plan général pendant la période 1951-1970 a été préparé avec des calculs d'équilibre nécessaires et d'autres matériels pour la présentation au Comité Central du PCUS (b) au gouvernement Soviétique. La Commission Spéciale dirigée par Voznesensky a examiné les thèses préliminaires du plan général en septembre 1948.

Malgré ces commencements énergiques le Plan Général de 20 années ne devait pas être achevé quoique le thème de la transition au Communisme soit resté une question centrale pour le PCUS (b). La raison de cela semblerait être la participation de Voznesensky comme Président de Gosplan dans des tentatives d'utiliser les relations argent- marchandises dans l'économie soviétique à un niveau excessif à tel point que la survie même de l'économie socialiste a été mise en danger ce qui a conduit à son renvoie de positions responsables.

Néanmoins les vues de Voznesensky sur la transition au communisme qui nous furent révélées grâce aux efforts de son biographe, V.V. Kolotov ont un certain intérêt. L'élaboration du plan de 20 année a été inextricablement liée dans la pensée de Voznesensky à la mise de la base de la société communiste. Il a considéré cela comme sa tâche de mettre au point les lois pour l'établissement du communisme et comment les forces productives et les relations productives seraient connectées. Dans ses dernières discussions avec des ouvriers de Gosplan il a soutenu que chaque formation sociale avait ses lois économiques, certaines qui fonctionneraient dans des formations sociales différentes et certaines qui étaient en vigueur spécifiquement à une formation sociale particulière. Chaque formation sociale avait sa loi économique de base. Il était important de découvrir les lois économiques de la construction Communiste, soit les chemins par lesquels les relations de production du socialisme étaient transformées en relations de production de la société Communiste. Il était nécessaire d'élucider les contradictions possibles entre les forces de production et les relations de production sous le mode Communiste de production et la façon selon laquelle celles-ci pouvaient être résolues. Ce furent ces questions mêmes qui ont été prises pour la discussion par Staline dans ses commentaires sur la discussion économique en Novembre 1951.

Alors que le plan général pour la construction Communiste n'a pas vu la lumière du jour, un certain nombre de projets conçus pour étendre les forces productives de l'Union soviétique, projets qui avaient pour origine le travail d'avant-guerre de Gosplan et qui se rapportaient à l'électrification, à la mécanisation, à l'automatisation et la cheminification de l'industrie, ont été réalisés.

L'électrification de toutes les branches de l'économie nationale a été prévue par le développement de l'électrochimie, l'électrométallurgie dans les métaux ferreux et non ferreux, aussi bien que dans l'aluminium, le magnésium et leurs alliages. L'électrification du transport des chemins de fer a été considérée désirable pour l'économie sur le carburant et le matériel roulant. Dans l'agriculture l'électricité devait être largement employée dans la mécanisation de l'agriculture pour le bétail, et l'irrigation. Conformément à cette compréhension générale les directives du 19ème congrès du PCUS stipulaient une augmentation de l'électricité de 80% pendant la période 1951-55. L'électrification de l'économie était une particularité centrale de la littérature de la période. Les travaux de constructions grandioses pour la construction communiste ont inclus la construction des stations hydroélectriques du Kuibyshev et Stalingrad qui ont été conçus pour produire environ 20,000 millions de kWh d'électricité annuellement ce qui était plus que la moitié de la puissance totale produite en URSS avant la deuxième guerre mondiale.

La question des changements nécessaires dans les relations de production pour la transition imminente au Communisme a été tracée à la craie dans le dernier travail principal de Staline. Après la discussion qu'une expansion continue de la production sociale était nécessaire dans laquelle un taux relativement plus haut d'expansion de la production des moyens de production était nécessaire pour que la reproduction à une échelle étendue puisse avoir lieu, Staline a soutenu que les relations de production aussi exigeait une adaptation à la croissance des forces productives. Déjà des facteurs comme la propriété de groupe des fermes collectives et la circulation des marchandises commençaient à gêner le développement puissant des forces productives comme ils créaient des obstacles à une extension complète à la planification gouvernementale à toute l'économie nationale, en particulier dans le domaine de l'agriculture. Pour éliminez les contradictions il était nécessaire de graduellement convertir la propriété des fermes collectives en propriété publique et graduellement introduire l'échange des produits à la place de la circulation des marchandises.

Inutile de dire que le programme pour développer les forces productives et restructurer les relations de production conformément à la transition au communisme a été démoli après la mort de Staline. Sous Khrushchev la question d'un taux relativement plus haut d'expansion des moyens de production n'était pas considérée décisive.

La perspective du remplacement de la circulation des marchandises par l'échange des produits a été terminée. Le nouveau programme pour la construction communiste 'explicitement appelait pour le développement extrême des relations d'argent-marchandises. La propriété de groupe, les fermes collectives et la circulation des marchandises devaient être préservés et non éliminé.

Le PCUS (b) s'était maintenant distancé du Léninisme comprenant que sous le socialisme les classes devaient être supprimées ainsi que les distinctions entre l'ouvrier d'usine et le paysan, entre la ville et la campagne et entre les ouvriers intellectuels et physiques.

L'histoire du PCUS (b) confirme que la clarté sur la question de l'approche de classe et la nécessité de défendre l'approche marxiste - léniniste à la définition du prolétariat est un impératif pour la construction d'un vrai Parti communiste en Ex Union soviétique. C'est seulement sur cette base qu'il est possible de construire la dictature du prolétariat qui est la condition nécessaire décisive pour l'abolition des classes, de la production des marchandises et l'échange sous le socialisme sur le chemin de la construction de la société communiste.

Références

Texte présenté à la Conférence Internationale Scientifique-pratique sur le Thème 'Analyse de Classe dans le Mouvement Communiste Moderne' organisée par le Centre International de la Formation de la Doctrine Communiste Moderne à Moscou les 8-10 novembre 1996.

 

 

 

La signification historique de l'ouvrage de Staline "Les problèmes économiques du socialisme en URSS"

   

Par Bill BLAND, automne 1994

 

Préface d’Alliance.

PREMIERE PARTIE..

INTRODUCTION :

« SOUS LA BANNIÈRE DE MARXISME » ÉDITORIAL (1943)

LA DISCUSSION DU PLAN ÉCONOMIQUE RÉGIONAL (1945)

LA CAMPAGNE POUR SUPPRIMER LA PRIORITÉ AUX MOYENS DE PRODUCTION (1945-47)

RELATIONS AMICALES AVEC LES RÉVISIONNISTES YOUGOSLAVES (1946-48)

LE LIVRE DE VARGA SUR L'ÉCONOMIE DE GUERRE (1946)

LA CRITIQUE DU LIVRE DE VARGA (1947-49)

LE LIVRE DE VOZNESENSKY SUR L'ÉCONOMIE DE GUERRE (1947)

'LE CULTE' DE LÉNINGRAD (1947-48)

LA RÉFORME ÉCONOMIQUE NATIONALE (1949)

LA FOIRE DE VENTE EN GROS DE LA TOUT-RUSSIE (1949)

L'ACTION DU POLITBURO CONTRE LES CONSPIRATEURS DE LÉNINGRAD (1949)

LA VISITE DE MALENKOV À LÉNINGRAD (1949)

LE RENVOI DE VOZNESENSKY (1949)

LE DÉNI (1949) DE VARGA..

L'AUTOCRITIQUE DE VARGA (1949)

LA RÉSOLUTION de CC SUR LE LIVRE DE VOZNESENSKY (1949)

LES DOCUMENTS MANQUANTS (1949)

« L'ÉCONOMIE POLITIQUE DE COMMUNISME » DE  VOZNESENSKY (1949)

LES ARRESTATIONS (1949)

LA RESTAURATION DE LA PEINE DE MORT (1950)

L'ACTE D'ACCUSATION (1950)

LE PROCÈS (1950)

DEUXIEME PARTIE..

LA PRÉPARATION D'UN NOUVEAU MANUEL  SUR L’ÉCONOMIE POLITIQUE (1940-52)

LA RÉDUCTION DE L'INFLUENCE DES MARXISTES LÉNINISTES (1925-52)

STALINE 'LES PROBLÈMES ÉCONOMIQUES  DU SOCIALISME EN URSS' (1952)

Problèmes Économiques : première partie.

Problèmes Économiques : Deuxième partie.

Problèmes Économiques : troisième partie.

Problèmes Économiques : Quatrième partie.

Le 19ème CONGRÈS DU PCUS (1952)

LA CRITIQUE PUBLIQUE DES VUES ÉCONOMIQUES DE VOZNESENSKY (1952)

LA REHABILITATION DE VOZNESENSKY (1954)

LE CAS ABAKUMOV (1954)

'LA Réhabilitation' DE VARGA (1954)

Le 20ème CONGRÈS DU PCUS (1956)

L'IMPLICATION DE MALENKOV (1955-57)

VARGA ' LES PROBLÈMES POLITICO-ÉCONOMIQUES DU CAPITALISME ' (1964)

LE TESTAMENT (1964)' DU VARGA..

LA NÉCROLOGIE DES RÉVISIONNISTES DE VARGA (1964)

CONCLUSION.

 

 

Préface d’Alliance

 

En 1994, à une réunion internationale à Moscou, un ami russe a demandé aux représentants d'Alliance d’intervenir sur  les circonstances qui ont conduit à la  rédaction du chef-d’œuvre de Staline : "les problèmes Économiques de Socialisme en URSS". Nous avons demandé à B. BLAND  de réaliser cette analyse. Quelques mois seulement après la requête de cet ami il avait rédigé son article. L'article approfondit l’analyse qu’il avait faite sur ce sujet  dans son œuvre maîtresse "la Restauration de Capitalisme en URSS".

 

Jusqu’à ce jour cet article jusqu’à n’a pas été rendu public. Cependant quelques éléments de sa pensée ont été étudiés par les proches de cet ami. En raison de certaines circonstances, cet article n'a jamais été publié par la Ligue Communiste ou par Alliance. Cette publication par Internet est une première. On peut se demander quel intérêt il y a de publier ce travail aujourd’hui? La raison principale qui nous a poussés à le publier est la question suivante qui reste toujours d’actualité : "Quand l'URSS est-elle devenue révisionniste ?"  A laquelle on peut associer la suivante : "Quand l'URSS est-elle devenue un état capitaliste ?"

 

Nous avons déjà abordé ces deux questions. Néanmoins, nous avons appris énormément des travaux de BLAND et ce travail ne devrait pas rester enfermé dans un fichier poussiéreux.

 

La Rédaction d’Alliance

Février 2003.


 

PREMIERE PARTIE

 

INTRODUCTION :

 

EN 1922 LES FORCES DE LA CONTRE-RÉVOLUTION OUVERTE ET L'INTERVENTION ÉTRANGÈRE CONTRE L'ÉTAT SOVIÉTIQUE AVAIENT ETE DEFINITIVEMENT VAINCUES. DES LORS, CEUX QUI ONT VOULU EN FINIR AVEC LE POUVOIR DU PROLÉTARIAT - DONT LA CONSTRUCTION ET LE MAINTIEN DU SOCIALISME DÉPENDENT- ONT ÉTÉ CONTRAINTS POUR POURSUIVRE LEURS BUTS DE SE FAIRE PASSER POUR DES MARXISTES LÉNINISTES TOUT EN  CHERCHANT À ENGAGER LA POLITIQUE DU PARTI COMMUNISTE SUR  DES VOIES QUI ONT AFFAIBLI LE SOCIALISME ET ONT FRAYÉ LA VOIE A LA RESTAURATION D'UNE SOCIÉTÉ CAPITALISTE. NOUS APPELONS DE TELS PERSONNAGES « DES RÉVISIONNISTES », PARCE QU'ILS CHERCHENT « À RÉVISER » LE MARXISME-LENINISME AFIN DE SERVIR LEURS VISEES ANTI SOCIALISTES. POUR APPRÉCIER LA SIGNIFICATION HISTORIQUE DU TRAVAIL MONUMENTAL DE STALINE « LES PROBLÈMES ÉCONOMIQUES DE SOCIALISME EN URSS », NOUS DEVONS NOUS REPLACER DANS LE CONTEXTE DE LA LUTTE ININTERROMPUE ENTRE LES MARXISTES LÉNINISTES ET LES RÉVISIONNISTES.

 

* * * *

  

DES LA FIN DE LA DEUXIÈME GUERRE MONDIALE, UN CERTAIN NOMBRE D’ÉCONOMISTES SOVIÉTIQUES INFLUENTS ONT AVANCÉ DES IDÉES REVISIONNISTES ET ONT  ESSAYÉ D’IMPOSER L'ADOPTION D’UNE POLITIQUE RÉVISIONNISTE.

 

« SOUS LA BANNIÈRE DE MARXISME » ÉDITORIAL (1943)

 

En 1943 le journal 'Podznamenem Marksisma'  (Sous la Bannière du Marxisme) publie un éditorial intitulé  « quelques Questions pour comprendre l'Économie Politique. » On pense qu’il a été rédigé par  l'un des rédacteurs, l’économiste Lev LEONTIEV[1] :

 

L'éditorial avance la thèse révisionniste suivante :

 

"... les lois économiques de socialisme, dans leur caractère, contenu et méthode d'action, diffèrent fondamentalement des lois économiques de capitalisme." [2]

 

Et que, sous le socialisme, les décisions politiques de l'état soviétique dans le domaine économique constituent des «lois économiques ». Il dénonce comme :

 

"... tout à fait anti-marxiste la position  selon laquelle ces lois économiques se manifestent indépendamment de la volonté de l’homme et de la conscience".[3]

 

Et affirme que

 

"L'industrialisation du pays et la collectivisation de l’agriculture étaient des lois du développement socialiste de la société". [4]

 

Le contenu révisionniste de cet éditorial a  suscité un intérêt considérable parmi des économistes à l'extérieur de l'Union soviétique - par exemple, le New York Times  ( 2 avril 1944 p.7) reprends l'éditorial sous le titre :  « LES DOGMES COMMUNISTES FONDAMENTALEMENT REVISES  ». Mais "Les économistes soviétiques... ne furent pas aussi enthousiastes  sur l'éditorial de 1943; Ils l'ont presque unanimement ignoré "[5].

 

 

LA DISCUSSION DU PLAN ÉCONOMIQUE RÉGIONAL (1945)

 

Le 5 juillet 1945, Nikolai VOZNESENSKY, qui était le Président du Comité du Plan d'État (Gosplan) depuis 1938, " Présente les conclusion d'un comité d'enquête à une session du Comité du Plan d'État. Dans son compte rendu Voznesensky ... propose que l'URSS soit, pour appliquer le plan, divisée en 17 régions suivant leur spécialisation actuelle dans la production dans une (ou plusieurs) branches d'industrie". [6]

 

Les économistes marxistes-léninistes se sont opposés à cette division en raison du fait que

 

"... une telle régionalisation aurait interdit de planifier le développement d'industries nouvelles pour un secteur particulier. Elle aurait défavorisé les secteurs moins développés de l'est où relativement peu de branches d'industrie ont été  développées actuellement....

Cette régionalisation aurait aussi accordé une priorité mineure à la politique des nationalités ".[7]

 

    Le plan de Voznesenski est rejeté et :

 

"... le 25 juillet 1945 une nouvelle commission est nommée pour mettre au point une régionalisation basée sur des critères de développement complexes". [8]

 

LA CAMPAGNE POUR SUPPRIMER LA PRIORITÉ AUX MOYENS DE PRODUCTION (1945-47)

 

A cette époque, Voznesensky est étroitement lié  à Mikhaïl RODIONOV qui est la première personnalité de la République de Russie (la RSFSR) depuis 1943. En 1945 tous deux ont  "... une approche commune des problèmes économiques pratiques". [9]

 

D'autres personnalités en vue, sont associés à cette tendance, comme Anastas MIKOYAN (qui était membre du Politburo du CC du PCUS depuis 1935 et Député Premier ministre adjoint de l’URSS depuis 1937), A. KOSYGIN (qui est Premier ministre Adjoint, député de l'URSS depuis 1940 et Premier ministre de la Fédération de Russie depuis 1943) et A. KUZNETSOV (qui avait été Secrétaire du Parti à Léningrad en 1945-46 et est un des secrétaires du PCUS depuis 1946). La principale position révisionniste de cette tendance est que, maintenant, la guerre étant finie, la priorité traditionnelle donnée dans la planification économique socialiste au développement des moyens de production pouvait et devait être révisée :

 

«Voznesenski, Mikoyan, Kosygin et Rodionov fonctionnèrent explicitement ensemble, en  1945,  comme un directoire qui favorisait l’installation d’une économie de temps de  paix, pour lUnion Soviétique, en mettant l’industrie légère au  même niveau que l’industrie lourde... Son (Voznesensky – N.R) discours de mars 1946 sur le Plan quinquennal donne la priorité aux tâches de reconstruction, du logement et des biens de consommation... Après 1945 ce groupe et particulièrement Rodionov, a été impliqué dans des intrigues politiques.... Rodionov ... était un nationaliste russe ». [10]

 

 Le groupe, autour de Voznesensky a utilisé son pouvoir à Léningrad pour introduire dans la République russe certains des changements de politique qu’ils défendaient. Ils ont introduit

 

"... dans la République russe un certain nombre de réformes administratives pour augmenter la production grand public...  Pendant les années 1946 et 1947, par exemple, apparaissent dans la République russe des ministères pour la culture, la technique, la cinématographie, les objets de luxe, l’industrie alimentaire, l'industrie légère et ainsi de suite ". [11]

 

RELATIONS AMICALES AVEC LES RÉVISIONNISTES YOUGOSLAVES (1946-48)

 

Entre 1946 et 1948, les principaux dirigeants de Léningrad ont entretenu des relations amicales avec les leaders yougoslaves qui furent dénoncés en 1948 par le Kominform comme des révisionnistes. Le membre de Politburo yougoslave Milovan DJILAS décrit comment Alexander VOZNESENSKY, le frère aîné de Nikolaï qui était le Ministre de l'Education nationale de la fédération de Russie, lui exposa en 1946 ses positions révisionnistes:

 

"J'ai été mis au courant par le frère aîné de Voznesensky, un professeur d'université qui venait d’être nommé Ministre de l'Education nationale en Fédération de Russie. J’ai eu  quelques discussions très intéressantes avec le frère aîné Voznesensky au moment du Congrès Pan-slave à Belgrade en hiver de 1946. Nous portions les mêmes jugements  non seulement sur l'étroitesse et les préjugés des théories dominantes du 'socialisme réel', mais aussi sur l'apparition de nouveaux phénomènes sous le socialisme...  avec la création de nouveaux pays socialistes et avec les changements du capitalisme qui n'avaient pas encore été analysés théoriquement".[12]

 

Djilas rapporte qu'une délégation yougoslave en Union soviétique en janvier 1948 fut reçue à Moscou avec 'réserve', mais chaudement accueillie à Léningrad. Il nous révèle que la délégation

 

"... a voulu visiter Léningrad, j’ai présenté la requête à Zhdanov et il a gracieusement accepté... Mais j'ai aussi remarqué une certaine réserve...

Notre rencontre avec les fonctionnaires de Léningrad a ajouté la chaleur humaine à notre admiration... Nous nous sommes entendus facilement et rapidement avec eux,.... Nous avons observé que ces hommes se préoccupaient de la vie de leur ville et des citoyens d'une façon plus simple et plus humaine que les fonctionnaires de Moscou. Il m'a semblé que je pourrais très rapidement parvenir à partager des vues politiques communes avec ces gens  en employant  un langage simple, humain". [13]

 

Vladimir DEDIJER, le ministre yougoslave de l’Information, confirme que la délégation yougoslave :

 

"... a exprimé le désir de visiter Léningrad où ils ont été chaudement accueillis ". [14]

 

Naturellement, ces événements ne sont pas passés inaperçus à Moscou. Le Comité Central du Parti communiste de l'Union soviétique note dans sa lettre du 4 mai 1948 au Comité Central du Parti communiste de Yougoslavie que la dernière délégation du Parti yougoslave en Union soviétique avait cherché à  obtenir « des informations » auprès des fonctionnaires du Parti de l'organisation de Léningrad plutôt qu’auprès des fonctionnaires à Moscou :

 

"À l'occasion de sa dernière visite en l'URSS, le Camarade Djilas, lors de son séjour à Moscou, est allé deux ou trois jours à Léningrad où il a parlé avec des camarades soviétiques.... Le camarade Djilas s'est abstenu de rassembler des informations auprès des fonctionnaires de l'URSS, mais il l’a fait auprès des fonctionnaires locaux de l'organisation de Léningrad. Pourquoi le Camarade Djilas a-t-il fait cela, quelles données a-t-il rassemblé ? Nous n’avons pas jugé nécessaire d’approfondir de telles questions. Nous supposons qu'il n'a pas rassemblé ces données pour le compte des services secrets Anglo-américain ou français ". [15]

 

Sur cette question, Robert Conquest note :

 

"Ainsi il est suggéré  que les Léningradiens auraient donné à Djilas des documents qui pourraient porter préjudice à l’État s’ils étaient  remis aux services secrets impérialistes. Mais moins d’une année plus tard les Yougoslaves étaient accusés d’être des agents des services secrets". [16]

 

LE LIVRE DE VARGA SUR L'ÉCONOMIE DE GUERRE (1946)

 

En septembre 1946 un livre est publié à Moscou par l'économiste d’origine hongroise Evgeny VARGA, Directeur de l'Institut d’Économie et de Politique mondiale. Il avait pour titre « Les Changements de l'Économie Capitaliste à la suite de la Deuxième Guerre mondiale ». Le livre avançait un certain nombre de thèses révisionnistes :

 

Premièrement, il ne traitait pas les questions économiques et politiques comme étant en corrélation;

 

Deuxièmement, il affirmait que ' le capitalisme d'état ' prévalait dans les Démocraties Populaires établies en Europe de l'Est après la Deuxième Guerre mondiale et que ces états « avaient une influence négligeable dans l'économie du monde »;

 

Troisièmement, il défendait que l'état, en période « normale » dans les pays capitalistes monopolistes, était seulement un instrument de domination  du capital monopoliste, tandis que dans les périodes de crise nationale, comme la guerre, il devenait « l’instrument de domination de l’ensemble de la classe capitaliste »;

 

Quatrièmement, il propageait l’opinion  que les nationalisations dans les pays capitalistes modernes étaient analogues aux mesures socialistes prises dans les Démocraties Populaires de l'Europe de l'Est;

 

Cinquièmement, il développait le point de vue suivant lequel, dans les pays capitalistes modernes, le prolétariat  « pouvait graduellement augmenter son influence dans l'appareil d'état jusqu'à ce qu'il y occupe la position dominante »;

 

Sixièmement, il avançait que les anciennes relations d’exploitation entre les pays impérialistes modernes et les pays de type colonial avaient complètement changé ;

 

Septièmement, il exposait le point de vue que l’économie de guerre des pays capitalistes modernes avait rendu « la planification de l’économie par l’état » possible dans ces pays;

 

Huitièmement, il ne s'est pas basé sur la profonde crise générale du capitalisme;

 

Neuvièmement, il a avancé l’opinion que dans le monde de l'après-guerre les contradictions entre l'impérialisme et l'Union soviétique seraient grandement atténuées, et que la thèse de Lénine selon laquelle la guerre était inévitable sous l'impérialisme était périmée.

 

LA CRITIQUE DU LIVRE DE VARGA (1947-49)

 

Le livre de Varga a été naturellement sévèrement critiqué sur ces questions par des économistes loyaux envers le Marxisme-léninisme. Par exemple, en mai 1947, le livre de Varga "... fut amplement critiqué au cours d’une série de réunions convoquées par l'Institut d'Économie de l'Académie de Sciences et le Département d'Économie de l’Université de Moscou". [17]

 

et "En mai, la Discussion... a été menée dignement et dans un bon esprit". [18]

 

A cette époque Varga admettait avoir fait une erreur mineure - sur le caractère des Démocraties Populaires :

 

"Si vous me demandez si je le considère nécessaire de changer toutes mes positions théoriques... (omis  le traitement de la question concernant le caractère des démocraties populaires) je dois répondre "Non Camarades". Et tout ce que j’ai vu et entendu ne m’a pas convaincu d’opérer le plus petit changement dans mes positions théoriques fondamentales »[19]

 

Cinq mois plus tard, en octobre 1947,  "L'institut Varga d'Économie du Monde fut fermé".[20]

 

Et en octobre 1948,

 

"... une session extraordinaire du Conseil de l’Education de l'Académie de Sciences, avec la participation de savants, éducateurs et des représentants de ministres du gouvernement, fut convoquée".[21]

 

Le point principal de l'ordre du jour était une nouvelle discussion critique sur le livre de Varga. Constantin OSTROVITIANOV, Directeur de l'Institut des sciences Économiques de l'Académie  de Sciences d'URSS y dénonce le travail de Varga comme « non-marxiste »:

 

« La série de travaux publiés ces dernières années sur les questions de l'économie et de la politique des pays capitalistes contient des erreurs anti-marxistes grossières et des déformations...  Ces livres ont été sévèrement et justement critiqués dans les colonnes de la presse soviétique. La critique a révélé les erreurs systématiques d'une nature réformiste dans ces livres...  Les erreurs d'une nature réformiste ont été développées dans le magazine « Économie et Politique mondiale », dont Varga était le rédacteur. Le camarade Varga, qui a dirigé cette tendance non-marxiste et certains de ses compagnons, n'ont pas encore admis leurs erreurs...  Une attitude si indépendante devant la critique ne peut que mener à de nouvelles erreurs théoriques et politiques ».[22]

 

Varga, cependant, refusait toujours d'admettre plus de deux erreurs dans son travail :

 

"La séparation entre l’économie et la politique était erronée...  Je me suis trompé quand j'ai dit que le capitalisme d'état dominait dans l'économie des démocraties populaires...  Je ne peux pas suivre le conseil d’admettre que toutes les critiques de mon travail sont correctes...  Il y a des choses que je ne peux pas admettre ".[23]

 

En clôturant la discussion, Ostrovitianov note que :

 

"Le camarade Varga continue obstinément à nier ses erreurs de principe grossières qui ont été caractérisées dans notre presse du Parti comme des erreurs d'une nature réformiste... On vous demande d’abandonner la position du dignitaire des sciences blessé dans son amour propre et d’essayer consciencieusement d'analyser vos erreurs et, le plus important, de les corriger, réalisant de nouveaux travaux répondant aux exigences de la science marxiste-léniniste.  L’histoire de notre Parti nous montre à quelles tristes conséquences on aboutit à persister dans ses erreurs ".[24]

 

LE LIVRE DE VOZNESENSKY SUR L'ÉCONOMIE DE GUERRE (1947)

 

En 1947 Voznesensky publie un livre  « l'Économie de Guerre de l'URSS dans la Période de la Guerre Patriotique » qui, comme le livre de Varga, avance quelques thèses révisionnistes - incluant celles avancées en 1943 dans l’éditorial  « Sous la Bannière de Marxisme »

 

Premièrement, il affirme qu'un plan économique socialiste est équivalent à une loi économique :

 

"Il est essentiel de noter que les dispositifs spécifiques... du plan économique d'état.. .le convertit en loi du développement économique de l'URSS...  Le plan d'état a la force d'une loi de développement économique. Le plan socialiste... est en soi une loi sociale de développement ". [25]

 

Comme le note l’économiste d’origine New zélandaise Ronald MEEK, « cette thèse conduit à identifier 'la loi économique' du socialisme avec la politique économique du gouvernement »[26]

 

Deuxièmement, il met en avant le concept selon lequel les autorités de planification  d'état devraient baser la distribution des moyens de production dans l'économie sur la loi de la  valeur :

 

"Le plan d'état dans le système économique soviétique se sert de la loi de valeur pour déterminer les proportions nécessaires dans la répartition du travail social et du produit social...  La loi de valeur opère... dans la distribution du travail parmi les diverses branches de l'économie nationale de l'Union soviétique...  Le plan d'état se sert de la loi de valeur pour assurer la répartition appropriée de travail social parmi les diverses branches de l'économie ". [27]

 

Troisièmement, il préconise le relâchement du principe économique socialiste selon lequel la planification doit donner la priorité à la production des moyens de production. Le chapitre intitulé « l'Économie Socialiste de l'après-guerre » propose :

 

"... l'augmentation de la partie du produit social affecté à la consommation". [28]

 

Malgré ces déviations révisionnistes le livre a été, en général, favorablement accueilli par la critique et a reçu le Prix Staline en 1948.

 

L'économiste australien Bruce Mc FARLANE note que les théories économiques de Vosnesensky ont été appliquées par les révisionnistes dans les réformes économiques qui ont suivi la mort de Staline :

 

"... Ses (Voznesensky - NdR) théories... ont anticipé d’une décade les changements réels de la structure de l'économie soviétique qui ont été introduits pendant les années 1957-60". [29]

 

'LE CULTE' DE LÉNINGRAD (1947-48)

 

En 1947, "M. I. Rodionov, le jeune leader nationaliste russe, a publiquement lié sa campagne pour la réforme dans la fédération de Russie avec le culte de Léningrad".[30]

 

Partie prenante de cette campagne, en 1948 le groupe autour de Voznesenky propose :

 

"... que la capitale de la République russe soit transférée de Moscou à Léningrad et que le siège central du Parti de la république soit déplacé aussi dans la ville du nord. Les avocats de ce mouvement étaient Rodionov et VLASOV, respectivement les présidents du Conseil de Ministres (le Premier ministre - NdR) et du Présidium du Soviet Suprême (le Président - NdR.) de la RSFSR". [31]

 

En 1948 Pyor POPKOV, Premier Secrétaire des Comités du Parti de la région et de la ville de Léningrad, propose à Nikolay Voznesensky

 

... de « donner un coup de main » (c'est-à-dire, prêter une attention particulière à la satisfaction des besoins de … NdR) à  Léningrad ». [32]

Voznesensky n'a pas informé le Comité Central de l’approche de Popkov.

 

Les marxistes-léninistes soviétiques ont vu dans ces positions un mouvement qui mettait le Parti communiste de la Fédération de Russie au centre d'une conspiration antiparti, anti-socialiste.

 

LA RÉFORME ÉCONOMIQUE NATIONALE (1949)

 

En janvier 1949, le groupe autour de Voznesensky s’estimant en position de force introduisit à une échelle nationale les réformes économiques proposées par Voznesensky - particulièrement en fixant le prix de gros des matières premières à leur valeur – ce qui préparait le terrain pour faire du profit le régulateur de la production :

 

« Le 12 janvier 1949, les prix de gros ont été considérablement relevés »[33]

 

La «réforme» a été décrite par Voznesensky  comme une "... réduction des subventions".[34]

 

Il doit être noté « qu’en 1950, après la chute de Voznesensky, cette politique a été complètement abandonnée ».[35]

 

LA FOIRE DE VENTE EN GROS DE TOUTE LA RUSSIE (1949)

 

En 1948,  "... Voznesensky a suggéré qu'une foire internationale soit organisée à Léningrad". [36]

 

En conséquence, le 10-20 janvier 1949 une Foire de Vente en gros de toute la Russie  s’est tenue à Léningrad. Le 13 janvier 1949, après que la foire fut ouverte, le Premier ministre de la Fédération de Russie, Mikhail Rodionov, « ... a envoyé à MALENKOV, le Secrétaire du Comité Central, un message disant qu'une Foire de Vente en gros de toute la Russie s'était ouverte à Léningrad et que les organisations du commerce des autres républiques soviétiques y participaient ». [37]

 

Georgi Malenkov transmis le message de Rodionov à Lavrenti BERIA, Nikolai Voznesensky et Anastas Mikoyan, avec la note suivante :

 

« Jetez s'il vous plaît un coup d’œil au message du Camarade Rodionov. Je considère que les projets de cette sorte doivent être effectués avec la permission du Conseil de Ministres (c'est-à-dire, le gouvernement d'URSS - NdR) » [38]

 

L'ACTION DU POLITBURO CONTRE LES CONSPIRATEURS DE LÉNINGRAD (1949)

 

Maintenant  les membres marxistes - léninistes du Politburo du Comité Central du PCUS étaient convaincus que les dirigeants du Parti à Léningrad étaient impliqués dans une conspiration visant à détourner la politique du Parti des principes marxistes-léninistes et à brouiller les relations entre le Parti à Léningrad et le Comité Central. Le 15 février 1949, le Politburo adopte une résolution "Sur les Actions Antiparti des Camarades Aleksey A. Kuznetsov, Mikaël I. Rodionov et Pyotr S. Popkov ». La résolution critique fortement les membres du Parti ici nommés pour « leurs activités anti- étatiques » La résolution dénonce :

 

« ... la Foire de Vente en gros de toute la Russie à Léningrad, organisé par Kuznetsov, Rodionov et Popkov, a abouti à une dilapidation des stocks de marchandises d’état et à des dépenses injustifiables de ressources ». [39]

 

La résolution expose plus loin : 

 

"Le Politburo du PC(b), le Comité Central considèrent que les actions antiparti susmentionnées  résultent d'une déviation malsaine et non-bolchevique des Camarades Kuznetsov, Rodionov et Popkov, qui se reflète dans leur flirt démagogique avec l'organisation de Léningrad et dans leur dénigrement du Comité Central, qui n'aide en rien l'organisation de Léningrad ainsi que dans leurs tentatives de se mettre en avant comme « champions » spéciaux des intérêts de Léningrad, érigeant un mur entre le Comité Central et l'organisation de Léningrad et creusant le fossé entre l'organisation de Léningrad et le Comité Central du parti. Dans ce contexte, nous constatons que le Camarade Popkov, en tant que Premier Secrétaire du Parti des Comités Régionaux et de La ville de Léningrad... s’engage dans une opposition au Comité Central du Parti... C'est sous le même éclairage que nous considérons la proposition, que le Comité Central vient de recevoir du Camarade Voznesensky, selon laquelle il pourrait «s’occuper » de Léningrad... Le Politburo du Comité Central considère que de telles méthodes étrangères au Parti doivent être écrasées dans l’œuf, car elles expriment la tactique anti-parti du groupe, la défiance dans les relations entre le Comité Régional de Léningrad et le Comité Central et pourraient aboutir à la rupture de l'organisation de Léningrad avec le Parti...  Le Comité Central rappelle que quand il a essayé de transformer l'organisation de Léningrad en bastion de sa faction anti-léniniste, ZINOVIEV a recouru aux mêmes méthodes antiparti de dénigrement du Comité Central dans  l'organisation de Léningrad, et ne se souciant nullement des besoins de Léningrad, détachant du Parti l'organisation de Léningrad ".[40]

 

Le Politburo :

 

"... a décidé de démettre Rodionov, Kuznetsov et Popkov de leurs fonctions et d’engager des poursuites contre eux ». [41]

 

Voznesensky a été aussi réprimandé :

 

"La décision de Politburo dit :

 

« Bien qu'il ait rejeté l'invitation du Camarade Popkov « de s’occuper »  de Léningrad... Le camarade Voznesensky, membre du Politburo du Comité Central, a eu tort de ne pas en avertir le Comité Central »." [42]

 

LA VISITE DE MALENKOV À LÉNINGRAD (1949)

 

Le 21 février 1949,

 

« Malenkov est mis au courant par Staline et part en train tard dans la nuit pour Léningrad avec pour mission 'd’aller enquêter sur place’ ».

 

« Les signaux reçus de Léningrad laissaient entrevoir  que, avec la connivence du Secrétaire de Comité Central A. Kuznetsov, le patron de Parti local (Popkov - Ndr) ne tenait pas compte des directives des autorités centrales du parti ». [43]

 

Le 22 février 1949,

 

« ... A la séance plénière commune des comités de Parti Régionaux et de La ville de Léningrad Malenkov informe des mesures prises par le Comité Central du 15 février 1949 concernant Kusznetsov, Rodionov et Popkov. Il déclare qu'un groupe antiparti s’est constitué à Léningrad... Seuls Popkov et KAPUSTIN admettent  leurs activités antiparti. Les autres intervenants réclament l’indulgence... La résolution de la séance plénière commune reprend l’accusation d'appartenance à un groupe antiparti  contre Kusznetsov, Rodionov, Popkov et Kapustin».[44]

  

LE RENVOI DE VOZNESENSKY (1949)

 

Le 5 mars 1949,

 

« ... le Bureau du Conseil des Ministres d'URSS adopte un projet de décision sur le Comité de planification d’état, et reprend le jugement de Staline sur la ' tentative de modifier le plan étant de nature à porter préjudice est un acte criminel » [45]

 

Par décision du Conseil d'URSS de Ministres le même jour :

 

« ... Voznesensky est démis de son poste de Président du Comité de planification d'État de l’URSS »[46]

 

LE DÉNI (1949) DE VARGA

 

En mars 1949, Varga est contraint d’écrire une lettre au journal du Parti la Pravda (la Vérité) protestant contre les commentaires de la presse étrangère le présentant comme 'pro Occidental ' :

 

« Je m’élève fermement contre les allusions énigmatiques des fauteurs de guerre me présentant comme un homme « d'orientation Occidentale ». Aujourd'hui, dans les circonstances historiques présentes, cela signifie être un contre-révolutionnaire, un traître antisoviétique, au prolétariat »[47].

  

L'AUTOCRITIQUE DE VARGA (1949)

 

En avril 1949, Varga publie dans ' Voprosy ekonomiki ' (les Problèmes d'Économie) un long article admettant la justesse de la plupart des critiques faites à son livre :

 

« Mon livre ' les Changements dans l'Économie du Capitalisme à la suite de la Deuxième Guerre mondiale ' a été sévèrement critiqué, comme cela est bien connu, dans la presse du Parti et dans des discussions de spécialistes. Un grand nombre d'autres travaux de l'ancien Institut d'Économie et de Politique du Monde, publiée après la guerre, ont même été sévèrement critiqués. Comme directeur de cet institut, j'étais responsable de ces travaux. Cette critique était nécessaire et correcte. Mon erreur consiste en ce que je n'ai pas reconnu immédiatement la justesse de cette critique. Mais mieux vaut tard que jamais...  Ma longue résistance à admettre des erreurs révélées par la critique était sans aucun doute nuisible...  Admettre sincèrement ses erreurs pour analyser leurs causes à fond et les éviter à l'avenir - c'est précisément ce que Lénine considérait comme la seule approche correcte, tant pour les partis Communistes que pour les camarades individuellement... Il n'y a aucun doute qu'à cet égard je n'ai pas agi avec sagesse ». [48]

   

Varga admettait que ces erreurs étaient particulièrement dangereuses parce qu'elles étaient des déformations réformistes du Marxisme-léninisme :

 

« Ces erreurs constituent une chaîne entière d’erreurs de tendance réformiste, qui s’écarte  de l’évaluation Léniniste-staliniste de l’impérialisme moderne. Il va de soi que les erreurs de tendance réformiste signifient aussi les erreurs de tendance cosmopolite, parce que le capitalisme est présenté sous des couleurs favorables. Chaque erreur réformiste, chaque déformation des enseignements Marxistes Léninistes, est particulièrement dangereuse dans les circonstances historiques présentes ». [49]

 

Et parce qu’elles sont liées à  l'évaluation de la nature de l'état bourgeois :

 

« Toutes les erreurs de tendance réformiste sur l'état bourgeois... apportent de l’eau au moulin contre-révolutionnaire, et procèdent d’une duperie réformiste du prolétariat... Les erreurs dans mon livre, révélées par la critique, ont toutes une grande signification car elles concernent principalement les questions sur l'évaluation du rôle et du caractère de l'état bourgeois ». [50]

 

Varga admettait la critique que la raison fondamentale de l’ensemble de ses erreurs réformistes était sa tentative incorrecte de séparer l'économie du politique :

 

« La raison fondamentale de tout cela  (l’ensemble des erreurs - Ndr), comme les critiques l’ont correctement établi, était la séparation méthodologiquement fausse de l’économie et de la politique... Les erreurs de tendance réformiste proviennent inévitablement de la non application de la méthode dialectique marxiste - léniniste, qui exige une étude de tous les aspects de des phénomènes et l'analyse et leurs rapports mutuels... Quand une tentative est faite (comme la mienne et celle d'un certain nombre d'autres auteurs de l'ancien Institut d'Économie et de Politique du Monde) pour analyser l'économie de capitalisme sans lien avec la politique, cet éloignement de la méthode marxiste - léniniste mène inévitablement, involontairement, aux erreurs de tendance réformiste... Mon livre en séparant l'analyse économique de la politique  est méthodologiquement incorrect».[51]

 

En particulier, admettait Varga, cette méthodologie incorrecte a mené à la caractérisation incorrecte de l'état sous le capitalisme monopoliste comme, l’instrument de domination en temps normal de la classe capitaliste dans son ensemble, et non pas comme l’instrument de domination du capital monopoliste :

 

"Il n'y a aucun doute que j'étais dans l’erreur en caractérisant l'état moderne comme ' une organisation de la bourgeoisie dans son ensemble’  plutôt que, comme il doit  être caractérisé, un état de l'oligarchie financière".[52]

 

C'est cette erreur d’analyse : 

 

"... la consolidation du lien de l'appareil d'état avec l'oligarchie financière pendant la guerre »[53], déclare  Varga, qui l'avait conduit à  suggérer que le prolétariat pouvait graduellement augmenter son influence dans l'appareil d'état jusqu'au point où il aurait un rôle décisif dans l'état ».

 

En citant son livre, Varga admettait :

 

« Ces lignes seraient approuvées par n'importe quel réformiste... La question du pouvoir d'état est une question de rapport entre classes et ne peut être résolue que par la lutte des classes ». [54]

  

Varga acceptait aussi maintenant que la caractérisation qu'il avait donnée dans son livre sur la nature des  nationalisations dans les pays capitalistes modernes était fausse :

 

« La caractérisation incorrecte que j'ai donnée de la nationalisation en Angleterre découle des mêmes erreurs. Il va de soi que la nationalisation des branches importantes de l'économie représente une nouvelle consolidation du capitalisme d'état... Du point de vue du caractère de classe de l'état, la nationalisation en Angleterre ne signifie pas de progrès en direction de la démocratie d'un type nouveau ».[55]

 

Une erreur fondamentale semblable, que Varga admet, a mené  à :

 

"... l'évaluation incorrecte des changements des rapports entre l'Angleterre et l'Inde...  L'Angleterre est-elle devenue  créancière de l'Inde ?... du point de vue du capital l'Inde est le créancier de l'Angleterre, mais pour les revenus du capital l'Angleterre exploite toujours l'Inde". [56]

 

Varga revient aussi sur l’erreur déjà admise quant à la caractérisation des Démocraties Populaires de l'Europe de l'Est comme ' capitalisme d'état ' et sur leur faible importance :

 

"la rupture de ces pays (les Démocraties Populaires - Ndr) avec le système impérialiste a été sans aucun doute un des résultats sociaux-économiques les plus importants de la deuxième guerre mondiale et signifie un approfondissement de la crise générale de capitalisme... Il était incorrect d'affirmer... que le capitalisme prédomine dans ces pays. Il était particulièrement incorrect de minimiser leur importance "'. [57]

 

Il admet aussi maintenant qu'il avait été dans l’erreur en affirmant qu’une véritable planification économique d'état était possible dans les pays capitalistes modernes :

 

"J'ai fait de graves erreurs en affirmant que depuis la guerre ‘quelque chose comme une  planification  d'état était apparue dans les certains pays capitalistes’. Je dois admettre que toutes mes affirmations concernant la question de ' la planification sous le capitalisme ' sont en retrait de ma position correcte de 1935... Une lutte toujours plus résolue doit être menée contre la propagande mensongère des réformistes sur la possibilité d’une économie planifiée sous le capitalisme "[58].

 

Finalement, Varga a reconnu qu'il avait eu tort de n’avoir pas tenu compte sérieusement de l'intensification de la crise générale de capitalisme :

 

"Le fait que le livre n’ait pas traité la question de l'approfondissement de la crise générale de capitalisme a une importance énorme. Cela a inévitablement amené le lecteur a imaginer que la guerre mondiale n'était pas une conséquence de l'approfondissement de la crise.... le non examen des problèmes concernant la crise générale du capitalisme est une erreur sérieuse". [59]

 

Ainsi, Varga admettait maintenant que toutes les thèses pour lesquelles il avait été critiqué étaient incorrectes, à part sa thèse que les guerres n'étaient plus inévitables sous l'impérialisme.

 

LA RÉSOLUTION de CC SUR LE LIVRE DE VOZNESENSKY (1949)

 

Le 14 juillet 1949, le Comité Central du PCUS a adopté une résolution déclarant :

 

« ... les rédacteurs du ‘Bolchevik' ont fait une erreur sérieuse en consacrant des pages du magazine à la glorification servile du livre de Voznesensky ' l'Économie de Guerre de l'URSS dans la Période de la Guerre Patriotique".[60] (…) Et a pris la décision de  démettre  le Camarade F. N. FEDOSEYEV du poste de rédacteur en chef du magazine ' Bolchevik '. »

 

Bien qu'incapable d’empêcher la sanction (et plus tard le procès) contre Voznesensky, les révisionnistes cachés dans des positions clefs du PCUS furent assez forts pour empêcher la publication de cette résolution. En effet,

 

"... ce n'est qu'en décembre 1952 qu’à nouveau il est fait référence à Voznesensky".[61]

 

C'était quelques jours avant (le 13 janvier 1952) que les marxistes-léninistes rendent publique la nouvelle du complot révisionniste d’assassinat d’Andrei ZHDANOV et Aleksandr SHCHERBAKOV par un traitement médical criminellement incorrect.

 

LES DOCUMENTS MANQUANTS (1949)

 

En juillet 1949,

 

". E. E. ANDREYEV qui était affecté au Commissariat du Plan de l'URSS comme représentant du Comité Central, émet une note personnelle... indiquant que le Commissariat du plan avait perdu certains documents des années 1944 et 1949". [62]

 

La question fut soumise au Comité Central du parti, qui

 

"... prépara un mémorandum ‘Sur le Comportement anti-parti de Voznesensky’, accusant le Comité de Planification d’avoir réduit les plans industriels, favorisé des tendances régionalistes, alléguant que du personnel fictif avait été employé au Comité de Planification et que Voznesensky avait entretenu des liens avec le groupe antiparti à Léningrad". [63]

 

Le 9 septembre 1949, la Commission de Contrôle de Parti soumet à Malenkov la recommandation :

 

"... que Voznesensky soit expulsé du Comité Central et accusé de la perte des documents de Comité...  Le 12 et 13 septembre 1949, la proposition a été approuvée par une Réunion en Séance plénière du Comité Central". [64]

  

« L'ÉCONOMIE POLITIQUE DU COMMUNISME » DE  VOZNESENSKY (1949)

 

En automne de 1949,

 

"... Nikolay Alekseyevich (Voznesensky - Ndr.) est relevé de toutes ses fonctions. Assigné à résidence, il continue à travailler sur ' l'Économie Politique du Communisme" [65].

 

 Son travail consiste à développer  les idées de Voznesensky sur   "La motivation par le « profit socialiste »". [66]

 

LES ARRESTATIONS (1949)

 

Le 13 août 1949,

 

"Kuznetsov, Popkov, Rodionov, Lazutin sont arrêtés dans le bureau de Malenkov à Moscou". [67]

   

Et le 27 octobre 1949,

 

"... Voznesensky est arrêté". [68]

 

LA RESTAURATION DE LA PEINE DE MORT (1950)

 

Le 13 janvier 1950 le Présidium du Soviet Suprême publie

 

"... un décret ré instituant la peine de mort - supprimé en URSS en mai 1947 - pour trahison, espionnage et sabotage". [69]

 

L'ENQUÊTE (1949-50)

Malenkov  "... a personnellement suivi l'enquête et a participé aux interrogations".[70]

 

Un mouvement  "... a été lancé à Léningrad pour remplacer des fonctionnaires à tous les niveaux. Plus de 2,000 fonctionnaires de haut niveau ... ont été licenciés à Léningrad et la région dans les années 1949-52 ". [71]

 

L'ACTE D'ACCUSATION (1950)

 

Le 26 septembre 1950, l'acte d'accusation a été publié pour ce qui est connu comme ' l'Affaire de Léningrad '. Les accusés étaient Voznesensky, Kusnetsov, Rodionov, Popkov, Kapustin ainsi que quatre autres personnes. [72]

 

Ils  "... ont tous été accusés d’avoir fondé un groupe antiparti pour le sabotage et la subversion visant à détacher l'organisation du Parti de Léningrad pour l’utiliser contre le Comité Central du Parti et à la transformer en un bastion pour combattre le Parti et son Comité Central". [73]

 

LE PROCÈS (1950)

 

Le procès des accusés dans ' l'Affaire de Léningrad '

 

"... eut lieu en septembre 1950 à la Maison des Officiers, Boulevard Liteiny à Léningrad".[74]

  

Selon le rapport officiel de la Cour suprême de l'URSS en avril 1957 :

 

"Les accusés ont plaidé coupable d’avoir formé un groupe antisoviétique en 1938, menant une activité destinée à faire diversion dans le Parti, à  saper l'organisation du Comité Central à Léningrad et à transformer le Parti à Léningrad  en base pour des opérations contre le Parti et son Comité Central...  À cette fin...  ils ont répandu des allégations calomnieuses et ont mené des activités déloyales...  Ils ont aussi dilapidé la propriété d'état. » Comme le montrent les documents, tous les accusés avaient reconnu ces charges lors de l'enquête préliminaire et devant la cour ".[75]

 

Tous les accusés ont été reconnus coupables. Voznosensky, Kuznetsov, Rodionov, Popkov, Kapustin et un autre ont été condamnés à mort. Les autres accusés ont été condamnés à des peines de prison de 10 à 15 ans. Les condamnations à mort ont été appliquées le 1 octobre 1950.


 

DEUXIEME PARTIE

 

LA PRÉPARATION D'UN NOUVEAU MANUEL
SUR L’ÉCONOMIE POLITIQUE (1940-52)

 

Dès 1940 ou 1941, Staline avait proposé la préparation d'un nouveau manuel d'économie politique pour couvrir l'économie politique du socialisme :

 

"En 1940 ou 1941 ... dans une déclaration non publiée, Staline a recommandé vivement aux théoriciens de mettre au point un manuel sur l'économie soviétique".[76]

 

Cependant, l'agression allemande sur l'Union soviétique en juin 1941 a empêché de mener un travail sérieux pour la préparation du nouveau manuel et

 

"... ce n'est qu'en 1951 qu'un groupe d'économistes a été finalement chargé d'écrire le premier projet d'un manuel sur l'économie soviétique".[77]

 

Et une conférence

 

"... de tous ceux concernés par le nouveau manuel a été convoquée en novembre 1951".[78]

 

Les matériaux de la conférence ont été envoyés à Staline, qui a écrit sur ces questions et fait quelques « Remarques », qui ont circulé – d’abord confidentiellement- parmi les économistes. Certains, à leur tour, ont écrit et fait circuler des critiques aux ‘Remarques' de Staline

 

"Les matériaux de la conférence (de 1951 - Ndr), y compris ' un Mémorandum sur les questions discutées, ont été apparemment envoyés à Staline, qui a écrit une série de « Remarques » sur ces questions, Ces remarques semblent avoir largement circulé parmi les personnes concernées ".[79]

 

LA RÉDUCTION DE L'INFLUENCE DES MARXISTES LÉNINISTES (1925-52)

 

Au long des années, les marxistes-léninistes à la direction du PCUS, dirigé par Staline, ont été engagés dans une lutte ininterrompue contre le faux Marxisme-léninisme, le révisionnisme. Staline a mentionné cette lutte plusieurs fois, admettant que les forces révisionnistes n'avaient pas entièrement échoué dans le domaine idéologique :

 

"La source de cette 'disposition d'esprit', le support sur lequel elle a surgi dans le Parti, est la croissance de l'influence bourgeoise sur le Parti, dans les conditions de... la lutte désespérée entre les éléments capitalistes et socialistes dans notre économie nationale. Les éléments capitalistes se battent non seulement dans la sphère économique; ils essayent de porter le combat dans la sphère idéologique du prolétariat... et on ne peut pas dire que leurs efforts ont été entièrement stériles".[80]

 

 

Au long des années, les révisionnistes toujours cachés dans des principaux postes du Parti et de l'état soviétique ont pu, lentement mais sûrement, accroître leur influence et réduire celle des marxistes-léninistes. Jusqu'en 1927, Staline a apporté de nombreuses contributions aux décisions et au travail du mouvement Communiste International. Après 1927, les révisionnistes cachés ont réussi à réduire ces contributions. Pour essayer d’accorder ce fait avec le mythe révisionniste de Staline exerçant des pouvoirs dictatoriaux tant au sein du PCUS qu’au Kominterm, l’explication suivante a été avancée selon laquelle 

"... Staline ne partageait pas la conception de Lénine sur la question  du Communisme International".[81]

 

Bien que le Comité Central du PCUS ait annoncé en 1946 la publication des Œuvres de Staline en 16 volumes, la publication en Union soviétique a été interrompue en 1949 au Volume 13, couvrant la période allant jusqu’en  1934. [82]

 

En octobre 1952, les révisionnistes ont réussi à imposer la « rétrogradation » de Staline de la position d’unique Secrétaire général du Comité Central du PCUS en partageant la fonction entre plusieurs Secrétaires :

 

"Le 3 avril 1922 le Plénum du Comité Central, sur recommandation de Lénine, élit Staline Secrétaire général du Parti; Staline a servi à ce poste jusqu'en octobre 1952 puis jusqu'à la fin de sa vie il occupa le poste de Secrétaire du Comité Central". [83]

 

"Staline a cessé d'être le Secrétaire général du Comité Central. Il avait perdu tous les pouvoirs spéciaux qui... le mettait au-dessus des autres membres du Secrétariat du Comité Central".[84]

 

Cette limitation de l'influence de Staline a été cachée dans une certaine mesure par « le culte de personnalité » que les conspirateurs révisionnistes cachés avaient créé autour de Staline. Ainsi les analystes conséquents remarquaient :

 

"En 1950 et 1951 le pouvoir de Staline a été limité".[85]

 

Et cela jusqu'à ce que Staline soit devenu pratiquement ce que l'Américain William Mc Cagg jr  appelle  « le Prisonnier du Kremlin » :

 

Les comptes rendus de l'Ambassade de Moscou (des Etats-Unis -Ndr)  font actuellement ressortir fortement l'image 'd’un Staline prisonnier'.[86]

 

CE SONT CES CIRCONSTANCES QUI PERMIRENT AUX RÉVISIONNISTES CACHES DE FAIRE ADOPTER LA DÉCISION ATTRIBUANT AU PROCHAIN 19ème CONGRÈS DU PCUS, FIXÉ POUR S'OUVRIR LE 3 OCTOBRE 1952 LE RÔLE PRINCIPAL, NON PAS AU MARXISTE-LÉNINISTE CONSEQUENT QU’ ETAIT STALINE, MAIS AU SECRÉTAIRE GEORGI MALENKOV, QUI N’ETAIT PAS UN CONSPIRATEUR RÉVISIONNISTE, MAIS UNE PERSONNE QU'ILS PENSAIENT UTILISER COMME UN OUTIL INCONSCIENT à l’ETAPE SUIVANTE DE LEUR CONSPIRATION POUR DETOURNER LE PARTI DE LA VOIE DE LA CONSTRUCTION ET DE LA DÉFENSE DU SOCIALISME :

 

"Rompant avec une longue tradition issue des années vingt, ce ne fut pas Staline qui présenta le compte rendu du Comité Central et il ne participa pas aux débats".[87]

 

"Staline lui-même était assis à une tribune isolée pendant les débats et n’est pas intervenu jusqu’à son bref discours de clôture".[88]

 

"Staline était dans un isolement total... Il est seulement apparu au congrès à l’occasion de l'ouverture et aux sessions finales".[89]

 

 

STALINE LES PROBLÈMES ÉCONOMIQUES DU SOCIALISME EN URSS (1952)

 

DANS CES CIRCONSTANCES DIFFICILES, LES MARXISTES LÉNINISTES SOVIÉTIQUES ONT DÉCIDÉ DE FRAPPER UN COUP CONTRE LE REVISIONISME EN PUBLIANT, À LA VEILLE MEME DU CONGRÈS, LES CONTRIBUTIONS DE STALINE À LA DISCUSSION SUR LE PROJET DU MANUEL SUR L'ÉCONOMIE POLITIQUE :

 

Ainsi, au Congrès, malgré la rétrogradation de Staline

 

« ... Le rôle de star et le plus important a été tenu par Staline et il a été tenu non pas pendant le  congrès, mais avant qu'il ne commence...  Staline a réalisé un nouveau coup « de maître », quelques jours avant que les délégués se soient réunis à Moscou,  Il a complètement volé la vedette au Congrès, ce qui était évidemment le but recherché » [90]

 

« Les Problèmes Économiques de Socialisme en URSS » furent révélés au monde le 3 et 4 octobre, dans deux éditions complètes de la  Pravda. Et le 5 octobre le 19ème Congrès du PCUS se réunissait »[91]

 

Cet article n’a pas pour but  de réaliser une analyse détaillée des « Problèmes Économiques ». Il se focalisera SIMPLEMENT sur SON THÈME CENTRAL, dans lequel Staline "... Attaque fortement les tendances pro-capitalistes en URSS". [92]

 

Problèmes Économiques : première partie

 

La première partie des ‘Problèmes Économiques de Socialisme en URSS’, datée du 1er février 1952, regroupe  les contributions de Staline à la discussion sur le projet du manuel sur l'économie politique.

Ses points les plus importants sont :

 

Premièrement, en opposition avec Leontiev, Voznesensky et d'autres - (voir les pages ci-dessus sur 1, 7) - il affirme le caractère objectif de lois économiques sous le socialisme :

 

" Certains camarades nient le caractère objectif des lois de la science, et en particulier des lois de l'économie politique sous le socialisme. Ils nient que les lois de l'économie politique reflètent la régularité des processus qui se produisent indépendamment de la volonté humaine. Ils estiment que, étant donné le rôle particulier que l'histoire réserve à l'Etat soviétique, celui-ci, ainsi que ses dirigeants, peuvent abolir les lois existantes de l'économie politique, peuvent « élaborer » et « créer » des lois nouvelles. Ces camarades font une grave erreur. Ils confondent visiblement les lois de la science reflétant les processus objectifs dans la nature ou dans la société, qui s'opèrent indépendam­ment de la volonté humaine, avec les lois édictées par les gou­vernements, créées par la volonté des hommes et n'ayant qu'une force juridique. Mais il n'est point permis de les confondre. Le marxisme conçoit les lois de la science, - qu'il s'agisse des lois de la nature ou des lois de l'économie politique, - comme le reflet des processus objectifs qui s'opèrent indépen­damment de la volonté humaine. Ces lois, on peut les décou­vrir, les connaître, les étudier, en tenir compte dans ses actes, les exploiter dans l'intérêt de la société, mais on ne peut les modifier ou les abolir. A plus forte raison ne peut-on élabo­rer ou créer de nouvelles lois de la science. ".[93]

 

Comme l'économiste britannique Peter Wiles  le remarque : "C'est clairement un coup porté à Voznesensky". [94]

 

Deuxièmement, en opposition avec Voznesensky et d'autres - voire la page 7 - il nie que la loi de valeur devrait exercer une influence régulatrice sur une économie socialiste :

 

«Tous ces faits pris ensemble font que la sphère d'action de la loi de la valeur est strictement limitée chez nous, et que la loi de la valeur ne peut, sous notre régime, jouer un rôle régulateur dans la production... Il est de même absolument faux de prétendre que, dans notre régime économique actuel, à la première phase du développement de la société communiste, la loi de la valeur règle les « proportions » de la répartition du travail entre les diverses branches de production. Si cela était juste, pourquoi ne développerait-on pas à fond nos industries légères comme étant les plus rentables, de pré­férence à l'industrie lourde qui est souvent moins rentable et qui parfois ne l'est pas du tout ?… Il nous faudrait renoncer au primat de la production des moyens de production sur la production des moyens de consommation. Et que signifie renoncer au primat de la production des moyens de production ? C'est rendre impossible la montée incessante de notre économie nationale…la loi de la valeur ne peut être la régulatrice de la production que sous le capitalisme»[95]

 

Troisièmement, en opposition avec Varga et d'autres, il maintient que depuis la Deuxième Guerre mondiale la crise générale de capitalisme du monde s'était approfondie :

 

" Le résultat économique le plus important de la Seconde Guerre mondiale, avec ses répercussions sur l'économie, a été la désagrégation du marché mondial unique, universel. Ce qui a déterminé l'aggravation ultérieure de la crise générale du système capitaliste mondial.".[96]

 

Quatrièmement, en opposition avec Varga et d'autres (voir la page 5, 14), il maintient que la guerre continuera à être inévitable tant que l'impérialisme existera :

 

" Certains camarades affirment qu'étant donné les nouvelles conditions internationales, après la Seconde Guerre mondiale, les guerres entre pays capitalistes ne sont plus inévitables... Ces camarades se trompent... L’inévitabilité des guerres reste également entière…Pour supprimer le caractère inévitable des guerres, il faut détruire l'impérialisme".[97]

 

Cinquièmement, il a suggéré des pistes pour la définition des lois économiques de base du capitalisme moderne et du socialisme :

 

" Les principaux traits et exigences de la loi économique fondamentale du capitalisme actuel pourraient être formulés à peu près ainsi : assurer le profit capitaliste maximum... Les principaux traits et exigences de la loi économique fondamentale du socialisme pourraient être formulés à peu près ainsi : assurer au maximum la satisfaction des besoins matériels et culturels sans cesse croissants de toute la société, en développant et en perfectionnant toujours la production socialiste sur la base d'une technique supérieure..". [98]

 

Sixièmement, il a critiqué :

 

".... le niveau insuffisant de formation marxiste de la plupart des partis communistes des pays à l'étranger ". [99]


 

 

Problèmes Économiques : Deuxième partie

 

La deuxième partie de Staline ' des Problèmes Économiques de Socialisme en URSS ', daté du 21 avril 1952, consiste en une réponse de Staline à une lettre critique de l'économiste Alexandre NOTKINE. Le point le plus important soulevé est que dans la société socialiste, les moyens de production ne sont pas des marchandises ;

 

" Les moyens de production ne « se vendent» pas à tout acheteur, ils ne « se vendent» même pas aux kolkhoz; ils sont simplement répartis par l'Etat entre ses entreprises…. Les directeurs d'entreprises, qui ont reçu de l'Etat des moyens de production, non seulement n'en deviennent pas les proprié­taires, mais, au contraire, sont les fondés de pouvoir de l'Etat soviétique pour l'utilisation de ces moyens de production, en accord avec les plans fixés par l'Etat. Les moyens de production, sous notre régime, ne sauraient aucunement être classés dans la catégorie des marchandises."[100]

 

Sauf dans le domaine du commerce extérieur :

 

" dans le domaine du commerce extérieur, les moyens de production fabriqués par nos entreprises conser­vent les propriétés de marchandises " [101]

 

 

Problèmes Économiques : troisième partie

 

La troisième partie  des Problèmes Économiques de Socialisme en URSS ', daté du 22 mai 1952, est une réponse de Staline à une critique d'un économiste nommé L. D. Iarochenko, qui s'est plaint que les «Remarques » du camarade Staline « ne reflètent en quoi que ce soit le point de vue» du camarade Iarochenko.[102]

 

Dans sa réponse, Staline déclare clairement que la raison de cette omission était que

 

"... le point de vue du camarade Iarochenko, on doit le dire n'est pas marxiste et, ensuite, qu'il est profondément erroné ". [103]

 

Dans cette section Staline aborde les points principaux suivants :

 

Premièrement, que les rapports de production ne fonctionnent pas toujours comme un frein sur le développement des forces productives :

 

" Il est faux tout d'abord que le rôle des rapports de produc­tion dans l'histoire de la société se borne à celui d'entrave paralysant le développement des forces productives ".[104]

 

« Cette particularité du développement des rapports de pro­duction - passant du rôle d'entrave des forces productives à celui de principal moteur qui les pousse en avant, et du rôle de principal moteur à celui d'entrave des forces productives - constitue un des principaux éléments de la dialectique ma­térialiste marxiste. C'est ce que savent aujourd'hui tous les novices en marxisme. Mais c'est une chose qu'ignore, semble-­t-il, le camarade Iarochenko.". [105]

 

Même sous le socialisme, explique Staline, il y a des contradictions qui surgissent entre les rapports de production et les forces productives :

 

« Le camarade Iarochenko se trompe quand il soutient que sous le socialisme il n'existe aucune contradiction entre les rapports de production et les forces productives de la société. Certes, nos rapports de production connaissent actuellement une période où ils correspondent pleinement à la croissance des forces productives et les font progresser à pas de géant. Mais ce serait une erreur de se tranquilliser et de croire qu'il n'existe plus aucune contradiction entre nos forces productives et les rapports de production. Des contradictions, il y en a et il y en aura certainement, puisque le développement des rap­ports de production retarde et retardera sur celui des forces productives. Si les organismes dirigeants appliquent une poli­tique juste, ces contradictions ne peuvent devenir antagoniste... Il en ira autre­ment si nous faisons une politique erronée comme celle que recommande le camarade Iarochenko. ».[106]

 

Deuxièmement, ce sous le socialisme les rapports de production ne sont pas absorbés par les forces productives :

 

" Le camarade Iarochenko, on le sait, a déjà liquidé les rapports de production sous le socialisme en tant que domaine plus ou moins indépendant, faisant entrer le peu qui en subsistait dans l'organisation des forces productives ". [107]

 

Si c'était ainsi, dit Staline, nous devrions avoir

 

"...  un régime socialiste qui n'a pas sa base économique. C'est une chose plutôt comique. . ..." [108]

 

Troisièmement, l'économie politique du socialisme ne puisse pas être réduite à l'organisation rationnelle des forces productives :

 

" Le camarade Iarochenko  réduit le problème de l'Economie politique du socialisme à celui de l'organisation rationnelle des forces productives, en faisant table rase des rapports de production et en isolant de ceux-ci les forces productives. Il s'ensuit qu'au lieu d'une économie politique marxiste, le camarade Iarochenko nous propose quelque chose dans le genre de la « Science générale de l'organisation» de Bogdanov. ".[109]

  

Quatrièmement, que la transition du socialisme au communisme exige plus qu'une organisation rationnelle des forces productives :

 

"Le camarade Iarochenko ramène les problèmes de l'économie politique du socialisme aux problèmes de l'organisation rationnelle des forces productives, aux problè­mes de la planification de l'économie nationale, etc. Mais il se trompe gravement. Les problèmes de l'organisation ration­nelle des forces productives, de la planification de l'économie nationale, etc. sont l'objet non pas de l'économie politique, mais de la politique économique des organismes dirigeants. Ce sont deux domaines différents qu'on ne doit pas confondre... L'économie politique étudie les lois du développement des rapports de production entre les hommes. La politique économique en tire des con­clusions pratiques, les concrétise et s'en inspire dans son acti­vité quotidienne". [110]

 

En fait,

 

"... pour avancer réellement sur la voie de la transition au communisme, au moins trois conditions préliminaires principales doivent être satisfaites". [111]

 

Ces conditions sont :

 

"1… non pas une « organisation rationnelle » mythique des forces productives, mais la croissance ininterrompue de toute la production so­ciale, en donnant la priorité à la production des moyens de production.

 2… par étapes successives... Lever la propriété kolkhozienne au niveau de la propriété du peuple entier et substituer, également par étapes successives, le système de l'échange des produits à la circulation des marchandises, afin que le pouvoir central, ou quelque autre centre socio-économique, puisse contrôler l'ensemble de la production sociale dans l'intérêt de la société.

3... assurer un progrès culturel de la société qui permette à tous ses membres de développer harmonieusement leurs aptitudes physiques et intellectuelles ".[112]

 

Iarochenko s’oppose à la définition de la loi économique fondamentale du socialisme proposée par Staline sur la base qu’ "... elle n’est pas basée sur la primauté de la production, mais sur la primauté de consommation". [113]

 

Objection à laquelle  Staline répond :

 

"il serait faux de parler, du primat de la consommation sur la production, ou de la production sur la consommation, car la production et la consommation sont deux domaines tout à fait distincts...  Le camarade Iarochenko ne comprend évidemment pas qu'il s'agit ici non du primat de la consommation ou de la production, mais du but que pose la société de­vant la production sociale… sous le socialisme. Le camarade Iarochenko... oublie que les hommes produisent non pour produire, mais pour satisfaire leurs besoins. Aussi, rien d'étonnant si, en même temps que l'homme considéré comme but de la production socialiste, disparaissent dans la « conception» du camarade Iarochenko les derniers vestiges de marxisme."[114]

 

 Staline tire les conclusions suivantes à la fin de la troisième partie  des Problèmes Économiques :

 

"1) Les doléances du camarade Iarochenko à l'adresse des dirigeants de la discussion sont sans objet, car les dirigeants de la discussion, qui étaient des marxistes, ne pouvaient refléter, dans les documents qui font le point de la discussion, le « point de vue » non marxiste du camarade Iarochenko. 2) La demande du camarade Iarochenko d'être chargé d'écrire l'Economie politique du socialisme ne peut être prise au sérieux". [115]

 

 

Problèmes Économiques : Quatrième partie

 

La quatrième et dernière partie des Problèmes Économiques de Socialisme en URSS, datée du 28 septembre 1952, est une réponse de Staline à une critique des économistes A. V. SANINA et Vladimir G. VENGER.

 

Premièrement, en opposition avec Sanina et Venger, Staline réaffirme la position exposée dans la première partie - voir la page 25 – sur le caractère objectif des lois économiques sous le socialisme :

 

" Le marxisme estime que les lois de l'économie politique du socialisme sont le reflet, dans les cer­veaux des hommes, des lois objectives, existant en dehors de nous ".[116]

 

Deuxièmement, contrairement à Sanina et Venger, Staline maintient que le principe de la propriété agricole collective ne doit pas être ramené au niveau de propriété publique en vendant les moyens de production de base aux fermes collectives :

 

" Exiger que les S. M. T. soient vendues en propre aux kolkhoz ? Cela signifie faire subir aux kolkhoz des pertes énormes, les ruiner, compromettre la mé­canisation de l'agriculture, ralentir la cadence de la production kolkhozienne...  Il en résulterait, premièrement, que les kolkhoz devien­draient propriétaires des principaux instruments de produc­tion, c'est-à-dire qu'ils se trouveraient placés dans une situa­tion exceptionnelle… les entreprises nationalisées elles­ mêmes ne sont pas chez nous propriétaires des instruments de production… cette situation ne pourrait qu'éloigner la propriété kolkhozienne de la propriété du peuple entier et aboutirait à nous éloigner du communisme, au lieu de nous en rapprocher. ". [117]

 

Au contraire, Staline répète la proposition faite plus haut que la propriété agricole collective devrait graduellement être élevée au niveau de propriété publique en provoquant un échange direct de produits entre les fermes collectives et l'industrie d'état :

 

" Pour élever la propriété kolkhozienne au niveau de pro­priété du peuple entier, il faut que les excédents de la produc­tion kolkhozienne soient éliminés de la circulation des mar­chandises et intégrés au système d'échange de produits entre l'industrie d'Etat et les kolkhoz...  Ce système, en restreignant la sphère de la circulation des marchandises, aidera à passer du socialisme au communisme.". [118]

 

Le 19ème CONGRÈS DU PCUS (1952)

 

Comme il a été dit, le 19ème Congrès du PCUS s’ouvre le 3 octobre 1952 - un jour après la publication ‘des Problèmes Économiques de Socialisme en URSS’.

 

Le travail de Staline a dominé les mesures prises et les décisions du congrès :

 

"En octobre 1952, la position pro-industrie lourde de Staline défendue dans ' les Problèmes Économiques de Socialisme ‘... a été à nouveau validée comme politique officielle. '' Ce secteur devait croître de 13 % par an au cours du cinquième Plan Quinquennal et le secteur 'B' de 11 %." [119]

 

Et dans son compte rendu au Congrès, le Secrétaire du CC Georgi Malenkov approuve la critique par Staline des vues révisionnistes de Voznesensky - toujours sans mentionner le nom de ce dernier.

 

" la démonstration par le camarade Staline du caractère objectif de lois économiques est d’une importance fondamentale...  Profondément erronée est l’affirmation que les lois de développement économique peuvent être créées ou supprimées...  la négation du caractère objectif des lois économiques est la base idéologique de l’aventurisme dans la politique économique, de l’arbitraire complet dans la direction économique ". [120]

 

LA CRITIQUE PUBLIQUE DES VUES ÉCONOMIQUES DE VOZNESENSKY (1952)

 

Dans la situation politique crée après la publication des Problèmes Économiques de Socialisme en URSS  et son approbation par le 19ème Congrès du PCUS, les marxistes-léninistes soviétiques purent rompre le silence que les révisionnistes cachés avaient été capables d’imposer autour de la critique des vues économiques de Voznesensky et de sa conduite perfide. Le 12 et 21 décembre 1952, deux articles sont publiés dans les 'Izvestia' par le philosophe Petr FEDOSEYEV exaltant le dernier travail de Staline. Le 24 décembre 1952 un nouvel article est publié dans 'la Pravda' par le rédacteur en chef du journal, Mikhail SOUSLOV. L'article reprend les conclusions de Fedoseyev et (pour la première fois depuis 1949) mentionne le nom de Voznesensky :

 

"Sa (Voznesensky - Ndr) conception est dans son essence une reprise de la théorie idéaliste de DUHRING". [121]

 

Souslov continue en critiquant durement Fedoseyev pour n’avoir pas fait d’autocritique pour avoir partagé les vues révisionnistes de Voznesensky dans les années 1940 :

 

"La question surgit inévitablement pourquoi il (Fedoseyev - Ndr), qui a diligemment répandu ce même point de vue idéaliste et subjectiviste sur la nature des lois économiques de socialisme, a considéré nécessaire de faire le silence sur ses erreurs...  La revue 'Le bolchevik' a fait passer le livre anti-marxiste de Voznesensky ' l'Économie de Guerre de l'URSS dans la Période de la Guerre Patriotique ' comme 'la dernière contribution à la science économique soviétique '...  L’attitude du Camarade Fedoseyev ne peut être interprétée que comme une dissimulation de ses erreurs, ce qui n’est pas concevable  pour un Communiste ".[122]

 

L'article de Souslov présentait le texte de la résolution de Comité Central non encore publiée de juillet 1949 (voir des pages 14-15) critiquant du livre de Voznesensky et sa publicité par 'le Bolchevik'. En janvier 1953, une lettre de Fedoseyev daté du 31 décembre 1952 a été publiée dans 'la Pravda', dans laquelle il a dit :

 

"Je considère comme totalement correcte la critique de mes erreurs dans l’article du camarade Souslov". [123]

 

LA REHABILITATION DE VOZNESENSKY (1954)

 

Après la mort de Staline en 1953, les nouveaux leaders révisionnistes se sont empressés de réhabiliter leurs comparses exécutés :

 

Le 30 avril 1954,

"... la Cour suprême de l’URSS a réhabilité les personnes qui avaient été jugées et reconnues coupables »[124] dans ' l'Affaire de Léningrad '.

 

Et le 3 mai 1954,

 

"... le Présidium du CC, le PCUS, a adopté une décision dans ce but, demandant à Nikita S. Khrouchtchev, Premier Secrétaire du Comité Central et R. A. RUDENKO, procureur Général d'URSS, à informer les activistes du Parti de Léningrad des décisions adoptées. Ce qui a été fait." [125]

 

LE CAS ABAKUMOV (1954)

 

'La réhabilitation' des conspirateurs impliquait de trouver des boucs émissaires responsables de la  présumée ' erreur judiciaire ' dans ' l'Affaire de Léningrad' et  des ‘tortures’ qui  ont arraché leurs ‘fausses’ confessions. Ainsi, en décembre 1954 l'ancien Secrétaire d'Etat à la Sécurité de d'URSS, Viktor ABAKUMOV, passe en jugement, avec cinq de ses collaborateurs, pour avoir :

 

"... fabriqué le prétendu 'cas de Léningrad’... dans lequel beaucoup de fonctionnaires  soviétiques et du Parti ont été arrêtés sans raisons et faussement accusés de graves  crimes d'état...  Les personnes faussement accusées par Abakumov et ses complices ont maintenant été complètement réhabilitées. [126]

 

« Tous les accusés ont été reconnus coupables et quatre d'entre eux (incluant Abakumov) ont été condamnés à mort et exécutés » [127]

 

 

La Réhabilitation DE VARGA (1954)

 

Après la mort de Staline en 1953 et l'accession au pouvoir de la nouvelle direction révisionniste du PCUS dirigée par Nikita KHRUSHCHEV, Varga :

 

"... a été non seulement réhabilité, mais a reçu en 1954 l'Ordre de Lénine ". [128]

 

Et en 1963, on a attribué Varga

 

"... Le Prix Lénine pour ses contributions éminentes au développement de la science marxiste-léniniste".[129]

 

Le 20ème CONGRÈS DU PCUS (1956)

 

Ce n'est que lors de l’infâme 20ème Congrès du PCUS en février 1956 que la  « réhabilitation »  des conspirateurs dans « l'Affaire de Léningrad » a été plus largement connue  à partir du  « discours secret » et même alors seulement, 'La responsabilité’ de la présumée 'erreur judiciaire ' est maintenant attribuée à Staline :

 

"Le comité Central du Parti a examiné la prétendue ' Affaire de Léningrad ' ; les personnes qui ont innocemment souffert sont maintenant réhabilitées. Staline a personnellement surveillé ' l'Affaire de Léningrad" '. [130]

 

L'IMPLICATION DE MALENKOV (1955-57)

 

Avant 1957, le nom de Georgi Malenkov n'a pas été mentionné nulle part en liaison avec ' « l'Affaire de Léningrad » :

 

"Dans son (Khrouchtchev - Ndr) discours secret de 1956, il n'a pas mentionné Malenkov".[131]

   

Mais après que Malenkov eut compris le vrai caractère des conspirateurs révisionnistes et s'est opposé à eux, des documents secrets internes du Parti ont commencé à l'accuser d'implication dans « l'Affaire de Léningrad ».

 

En février 1955,

 

"... Malenkov a dû démissionner de sa fonction de Premier ministre et peu après une circulaire interne au Parti a ouvertement accusé Malenkov de partager la responsabilité de «  l'Affaire de Léningrad ». [132]

   

Cependant,

 

"... ce n'est qu'en juillet 1957, après l'épreuve de force contre ' le Groupe Antiparti ' (Vyacheslav MOLOTOV, Lazar KAGANOVICH, Malenkov, etc - Ndr.) que Khrouchtchev affirme catégoriquement : ' Malenkov.. Etait un des organisateurs en chef de la prétendue 'affaire de Léningrad" '. [133]

 

Ainsi, 'le blâme' attribué par les révisionnistes ou  « l'erreur judiciaire » dans ' l'Affaire de Léningrad ' n'est  basé sur aucun fait historique. On est seulement passé d'un bouc émissaire à un autre selon les besoins tactiques changeants des conspirateurs révisionnistes.

 

VARGA ' LES PROBLÈMES POLITICO-ÉCONOMIQUES DU CAPITALISME ' (1964)

 

En 1964 Varga publie un nouveau livre intitulé Ocherki po problemam politekonomy kapitalizma [134]. Dans le nouveau climat idéologique, Varga  présente son travail comme une polémique contre « la déformation des sciences économiques du temps de Staline » en écrivant :

 

"Le livre, polémique, est dirigé contre le dogmatisme irréfléchi, qui était jusque récemment répandu dans les travaux sur l'économie et la politique du capitalisme ».[135]

 

Il y révèle que son « autocritique » n'avait pas été faite à la suite de pressions exercées contre lui en Union soviétique :

 

"Au moment du débat, j'ai été contraint pour mettre fin à la discussion d’admettre qu'il y avait des erreurs dans mon livre. Ce n'était pas parce que des pressions ont été exercées sur moi en Union soviétique, mais à cause du « costume que l’on me taillait » dans le monde capitaliste. Particulièrement les journaux américains...  l'ont utilisé pour mener une propagande antisoviétique violente. L'affirmation que j'étais pro-occidental, que je m’opposais au Parti communiste, etc. C'est devenu une question de peu d'importance de savoir qui de mes critiques ou de moi avait raison". [136]

 

Mais il reprend maintenant pratiquement tous les points qu'il avait précédemment retirés, Il dénonce même comme ' entièrement sans fondement ' la loi économique de base de capitalisme moderne avancé par Staline, qu'il avait approuvé en 1952 :

 

"L'affirmation de Staline selon laquelle ' ce n'est pas le bénéfice moyen, mais le bénéfice maximal que le capitalisme monopoliste moderne recherche... est entièrement sans fondement".[137]

 

LE TESTAMENT DE VARGA (1964)

 

Peu avant sa mort. Varga a écrit  « Une déclaration politique intitulée « la Voie russe et ses résultats », connue comme le  ‘Testament de Varga’. » [138]

 

Le document avait  "... circulé sous forme de  copies tapées à la machine dans la presse souterraine en Union soviétique (Samizdat), mais n’a jamais été officiellement publié". [139]

 

Selon 'le Testament' de Varga, sous la direction de Staline, la dictature du prolétariat a dégénéré en une  « dictature du groupe supérieur de la bureaucratie du Parti » :

 

"La dictature du prolétariat, dont les bases théoriques ont été élaborées par Marx et Lénine, est rapidement devenue une dictature du groupe supérieur de la bureaucratie du Parti. Cela a conduit à  une dégénérescence totale du pouvoir des Soviets."[140]

 

jusqu'au point où l'Union soviétique était devenue pratiquement « un état fasciste » :

 

"Bien qu'il y ait moins de tortionnaires et de sadiques dans les prisons et les camps de concentration de Staline que dans ceux d'Hitler, on peut dire qu'il n'y avait entre eux aucune différence de  principe." [141]

 

Ce qui était inacceptable pour la nouvelle direction révisionniste soviétique, dans la diatribe anti-Stalinienne de Varga c’était son affirmation que, malgré « les  réformes », rien n'avait fondamentalement changé et qu’un changement réel exigeait une nouvelle direction à la tête de l’Etat :

 

Après la mort de Staline en 1953, il a semblé que des changements remarquables avaient eu  lieu dans la société soviétique...  Mais... la structure de la société a-t-elle été vraiment changée ? On doit répondre à cette question négativement...  Pour changer la situation existante dans le pays, un changement radical de la direction est nécessaire. [142]

 

LA NÉCROLOGIE RÉVISIONNISTE DE VARGA  (1964)

 

Varga est mort le 8 octobre 1964. Sa nécrologie rayonnante, publiée dans 'la Pravda' le 9 octobre, signée par Nikita Khrouchtchev, Anastas Mikoyan et par d'autres leaders révisionnistes, décrit Varga comme :

 

".. un représentant remarquable de la science économique marxiste-léniniste. Les travaux d'E.S. Varga sont imprégnés de l'esprit de Parti et opposés à n'importe quelle manifestation du dogmatisme, du révisionnisme, vulgarisation ou doctrinarisme qui s’autoproclamait science dans les années du culte de personnalité".[143]

 

CONCLUSION

 

LA PUBLICATION EN OCTOBRE 1952 DES « PROBLÈMES ÉCONOMIQUES DU SOCIALISME EN URSS» EST UN IMPORTANT COUP PORTE PAR LES MARXISTES LENINISTES  SOVIÉTIQUES CONTRE L'INFLUENCE CROISSANTE DES IDÉES RÉVISIONNISTES DANS LE PARTI COMMUNISTE DE L'UNION SOVIÉTIQUE.

 

 

Traduit de l’Anglais par le COLLECTIF MILITANT COMMUNISTE (FRANCE)

 


 

[1] "Cet éditorial a été probablement écrit par L. Leontiev".  Vsevolod Holubnychy : une Introduction aux débats soviétiques sur les Théories Économiques  dans : Harry G. Shaffer (Ed) :  l'Économie soviétique : un recueil des Vues Occidentales et soviétiques- Londres; 1964; p. 345.

[2] Quelques Questions pour comprendre l'Économie Politique  - repris dans ' quelques Questions (1943), dans la « revue Économique américaine », Volume 34, No 3 p. 518.

[3] Quelques Questions (1943) : op. cit.; p. 513.

[4] Quelques Questions (1943) : op. cit.; p. 516.

[5] Vsevolod Holubnychy : op. cit. p. 344.

[6] Timothy Dunmore:  l'Économie planifiée Stalinienne : l'Appareil soviétique D'état et la Politique économique : 1945-53 – Londres- 1980- p. 43.

[7] Timothy Dunmore: ibid.; p. 43.

[8] Timothy Dunmore: ibid.; P. 43.

[9] William 0. Mc Cagg Junior : ' les combats de Staline: 1943-1948 '; Detroit; 1978; P. 134.

[10] William 0. Mc Cagg junior: ibid.; p. 134, 135.

[11] William 0. Mc Cagg junior: ibid.; p. 135, 363.

[12] Milovan Djilas : ' Conversations avec Staline '; Harmondsworth; 1963; p. 117.

[13] Milovan Djilas : ibid.; p. 129, 130-31.

[14] Vladimir Dedijer : ' Tito Speaks : Autoportrait et sa Lutte avec Staline '; Londres; 1953; p. 322.

[15] Comité Central, Parti communiste de l'Union soviétique : Lettre au CC du PCY (le 4 mai 1948), dans :  Correspondance du Comité Central du Parti communiste de Yougoslavie et le Comité Central du Parti communiste de Toute l'Union (Bolcheviks) '; Belgrade; 1948; p. 42.

[16] Robert Conquest : ' Pouvoir et Politique en URSS : « The Study of Soviet Dynastics »; Londres; 1961; p. 102.

[17] R. S. : « les Discussions sur Le livre de Varga sur l’Économie de Guerre Capitaliste ', dans : ' Études soviétiques, Volume 1, No I (juin 1949); p. 33.

[18] Evsey D. Domar : ' la Controverse de Varga ', dans : ' revue Économique américaine ', Volume 49, No 1 (mars 1950); p. 149.

[19] Evgeny S. Varga : Déclaration à la conférence de mai 1947, dans : ' vues soviétiques sur l'Économie du Monde de L'après-guerre : une Critique Officielle d'Evgeny Varga "Changements dans l'Économie Capitalisme à la suite de la Deuxième Guerre mondiale"; Washington; 1948; p. 2-3.

[20] Un Économiste soviétique tombe en disgrâce '. Dans : 'Fortune', Volume 37 mars 1948; p. 5.

[21] Philip J. Jaffe : ' Naissance et Chute de Communisme américain '; New York; 1975; p. 111-12.

[22] Konstantin Ostrovitianov : ' concernant les Défauts et les Tâches de la Recherches dans le Domaine de l'Économie, dans : ' Digest de la Presse soviétique, Volume 1, No 6 (le 8 mars 1949); p. 5-6.

[23] Evgeny Varga : Contribution à octobre 1948 Discussion, dans : ' Digest de la Presse soviétique, Volume 1, No 11 (le 12 avril 1949); p. 17, 18.

[24] Konstantin Ostrovitianov : Liquidation(Fermeture) de Déclaration à octobre 1948 Discussion, dans : ' Digest de la Presse soviétique, Volume 1, No 12 (le 19 avril 1949); p, 5-6).

[25] Nikolai A. Voznessenski : ' économie de Guerre de l'URSS dans la Période de la Guerre Patriotique '; Moscou; 1948; p. 115, 120.

[26] Ronald L. Meek : ' études sur  la Théorie de la valeur du Travail'; Londres; 1956; p. 273.

 

[27] Nikolai A. Voznesensky : op. cit.; p. 117, 118.

[28] Nikolai A. Voznesensky : ibid.; p. 147.

[29] Bruce J. Mc Farlane : ' la Réhabilitation soviétique de N. A. Voznesensky - économiste et Planificateur ', dans : ' Perspective australienne ', Volume 16, No 2 (août 1964); p. 151.

[30] William 0. Mc Cagg, junior : op. cit.; P. 275.

[31] Peter Deriabin : ' les Chiens de garde de la Terreur : les Gardes du corps russes des Tsars aux Commissaires; Bethesda (les Etats-Unis); 1984; p. 312.

[32] Les Archives Politiques de l'Union soviétique ', Volume 1, No 2 (1990) (que nous désigneron splus loin par ' Archives Politiques (1990); p. 154).

[33] Peter J. D. Wiles : ' l'Économie Politique de Communisme '; Oxford; 1962; p. 119.

[34] Archie Brown (Ed.) : ' l'Union soviétique : un Dictionnaire Biographique; Londres; 1990; p. 43.

[35] Robert Conquest : op. cit.; p. 105

[36] Peter Deriabin: op. cit.; p. 313.

[37] Mikhail Rodionov : Message à Georgi Malenkov, le 13 janvier 1949, dans : ' archives Politiques (1990) : op. cit.; p. 153.

[38] les Archives Politiques (1990) : ibid.; p. 153.

[39] Archives Politiques (1990) : ibid.; p. 153.

[40] Archives Politiques (1990) : ibid.; p. 153-54.

[41] Archives Politiques (1990) : op. cit.; p. 153.

[42] Archives Politiques (1990) : op. cit.; p. 154.

[43] Dmitri Volkogonov : "Staline : Triomphe et Tragédie '; Londres; 1991; p. 520.

[44] Archives Politiques (1990) : op. cit.; p. 154.

[45] Archives Politiques (1990) : op. cit.; p. 155.

[46] ibidem

[47] Evgeny S. Varga : Lettre au Rédacteur, 'Pravda' (le 15 mars 1949), dans : ' sommaire Actuel de la Presse soviétique, Volume 1, No 10 (le 5 avril 1949); p. 45.

[48] Evgeny S.Varga : ' contre la Tendance Réformiste dans les Travaux sur l’Impérialisme, dans : ' sommaire Actuel de la Presse soviétique, Volume 1, No 19 (le 7 juin 1949) -référencé ensuite dans cet essai par  ' Evgeny Varga (1949) -; p. 3, 9.

 

[49] Evgeny S. Varga (1949) : ibid.; p. 3.

[50] ibid

[51] ibid. p. 4, 8.

[52] ibid. p. 4-5.

[53] ibid. P. 5.

[54] ibid. P. 5.

[55] ibid. p. 6, 7

[56] ibid . p7

[57] Evgeny S. Varga (1949) ibid. p. 8, 9.

[58] ibid. p. 8

[59] ibid. p. 9

[60] Résolution de CC, PCUS (le 14 juillet 1949), dans : ' sommaire Actuel de la Presse soviétique, Volume 4, No 50 (le 24 janvier 1952); p 15

[61] Robert Conquest : op. cit.; p. 155.

[62] Archives Politiques (1990) : op. cit.; p. 155.

[63] op. cit.; p. 155.

[64]op. cit.; p. 155.

[65] G. Petrovichev: 'He Kept His Vow’, dans : ' sommaire Actuel de la Presse soviétique, Volume 15, No 47 (le 18 décembre 1963); p. 12.

[66] Bruce J. McFarlane : op. cit.; P. 162

[67] Archives Politiques (1990) : op. cit.; p. 155

[68] idem

[69] Les Archives Contemporaines de Keesing, Volume 7; p. 10,462

[70] Archives Politiques (1990) : op. cit.; p. 155

[71] Archives Politiques (1990) : op. cit.; p. 156

[72] Archives Politiques (1990) : op. cit. p. 151

[73] Archives Politiques (1990) : op. cit.; p. 152

[74] Dmitri Volkogonov : op. cit.; p. 522 (citant ' les Archives Centrales D'état de la Révolution d'Octobre ', f. 7,523, op. 107, d. 261, 1. 12

[75] Dmitri Volkogonov : ibid.; p. 522, citant ' les Archives Centrales D'état de la Révolution d'Octobre ', f. 7,523, op. 107, d. 261, 1. 13-15

[76]Vsevolod Holubnychy: 'débats soviétiques sur les Théories Économiques: une Introduction', dans Harry G. Shaffer (Ed) : op cit.; p.344.

[77] ibid.; p. 344.

[78] Timothy Dunmore: op. cit.; p. 111.

[79] Ronald L. Meek: op. cit.; p. 274.

[80] Joseph V. Staline : ‘Questions et Réponses (juin 1925), dans : Œuvres- Volume 7; Moscou; 1954; p. 166-67.

[81] Robert H. McNeal: 'Staline: "Man and Ruler '; Basingstoke; 1988; p. 218.

[82] Préface : Josef V. Staline : ' Travaux, Volume 1; Moscou; 1952; p. xi-xiv.

[83] ‘Entsiklopedichesky slovar ' (Dictionnaire Encyclopédique), Volume 3; Moscou; 1955; p. 310.

[84] Boris Nikolaevky : ' Pouvoir  et Élite soviétique '; New York; 1965; p. 92.

[85] William 0. Mc Cagg junior: op. cit.; p. 307.

[86] William 0. Mc Cagg, Junior: ibid.; p. 382.

[87] Gabor T. Ritterspoorn : ' simplification Stalinienne et Complications soviétiques : Rapports Sociaux tendus et Conflits Politiques en URSS : 1933-1953 '; lecture; 1991; p. 219.

[88] Robert H. McNeil : op. cit.; p. 209.

[89] Dmitri Volkogonov : op. cit.; p. 568.

[90] Harrison Salisbury : ' la Russie de Staline et Après '; Londres; 1955; p. 148.

[91] Adam B. Ulam : ' Staline : l'Homme et Son Ère '; Londres; 1989; p. 731.

[92] Kenneth W. Cameron : ' Staline : Homme de Contradiction '; Toronto ' 1987; p. 118.

[93] Joseph V. Staline : ' les problèmes Économiques de Socialisme en URSS ' -septembre-février 1952) (Josef V. Staline (1952) -, dans : 'Oeuvres', Volume 16; Londres; 1986; p. 289-90.

[94] Peter J. D. Wiles : op. cit.; p. 106.

[95] Joseph V. Staline (1952) : ibid.; p. 313, 315-16.

[96] Josef V. Staline (1952) : ibid.; p. 324.

[97] Joseph V. Staline (1952) : ibid.; p. 327, 331, 332.

[98] Joseph V. Staline (1952) : ibid.; p. 334, 337.

[99]  Ibid p.344

[100] Joseph V. Staline (1952) : ibid.; p. 350-51.

[101]ibid.; p. 351.

[102] ibid.; p. 358.

[103] ibid.; p. 358.

[104] ibid.; p. 361.

[105] ibid.; p. 363.

[106] Josef V. Staline (1952) : ibid.; p. 369-70.

[107] ibid.; p. 363.

[108]: ibid.; p. 366.

[109] ibid.; p. 364-65.

[110] ibid.; p. 367-68.

[111] ibid.; p. 368

[112] ibid.; p. 368, 369, 371

[113] L. D. Yaroshenko : Lettre au Politburo, CC, PCUS (le 20 mars 1952), dans : Joseph V. Staline (1952) : ibid.; p. 380.

[114] ibid.; P. 380-81, 383-84

[115] ibid.; p. 389-90.

[116] ibid.; p. 391.

[117] Joseph V. Staline (1952) : ibid.; p. 399, 400.

[118] ibid.; p. 402, 403.

[119] Timothy Dunmore : op. cit.; p. 114.

[120] Georgi. M. Malenkov : ' compte rendu au 19ème Congrès du Parti sur le Travail du Comité Central du PCUS (b) '; Moscou; 1952; p. 139, 140.

[121] Mikhail Souslov : ' concernant les Articles par P. Fedoseyev dans ' Izvestia ', le 12 et 21 décembre ', dans : ' sommaire Actuel de la Presse soviétique, Volume 6, No 50 (le 24 janvier 1953); p. 14.

[122] Mikhail Suslov : ibid.; p. 14, 15.

[123] Petr Fedoseyev : Lettre au Rédacteur 'de Pravda' (le 31 décembre 1952), dans : ' sommaire Actuel de la Presse soviétique, Volume 4. No 50 (le 24 janvier 1953); p. 15.

[124] Archives Politiques (1990) : op. cit. p. 157.

[125] ibid. p. 157.

[126] Communiqué, dans : 'Pravda' (le 24 décembre 1954), dans : ' sommaire Actuel de la Presse soviétique, Volume 6, No 49 (le 19 janvier 1955); p. 12.

[127] Communiqué, ibid. P. 12

[128] Philip J. Jaffe : op. cit. p. 123.

[129] Grande Encyclopédie soviétique ', Volume 4; New York; 1974; p. 509.

[130] (Nikita S. Khrouchtchev : Discours Secret au 20ème Congrès, PCUS, dans : ' la Destitution de Staline '; Manchester; 1952; p. 24.

[131] Wolfgang Leonhard: ' le Kremlin depuis Staline '; Londres; 1962; p. 177.

[132] Wolfgang Leonhard - op. cit. p. 176-77.

[133] Robert Conquest - op. cit. p. 101.

[134] Essais sur les Problèmes Politico-économiques du Capitalisme

[135] Evgeny S. Varga : ' les problèmes Politico-économiques du Capitalisme ' –Moscou-1968 (référencé comme ' Evgeny S. Varga (1968) 1; p. 11.

[136] Evgeny S. Varga (1968) - op. cit. p. 50.

[137] Evgeny S. Varga (1968) - op. cit. p. 162.

[138] Philip J. Jaffe : op. cit  p. 130.

[139] Philip J. Jaffe : ibid.; p. 130.

[140] Evgeny S. Varga : ' testament Politique ' (1964), dans : ' Nouvelle Revue de Gauche ', No 62 (juillet/août 1970) - Evgeny S. Varga (1970) '; p. 36, 37.

[141] Evgeny S. Varga (1970) - ibid.; p. 39.

[142] Evgeny S. Varga (1970) -ibid.; p. 42, 43.

[143] Nécrologie d'Evgeny S. Varga, dans : 'Pravda', le 9 octobre 1964, dans : Evgeny S. Varga (1970) ibid.; p. 30.

 

 

 

Enver Hoxha et le développement des rapports de production socialistes dans l'agriculture albanaise

A propos du projet d'intensification prioritaire

(Par Philippe VIARD et Gilles TRONCHET)

Nous avons choisi d'étudier deux textes brefs d'Enver Hoxha, rassemblés par la revue albanaise Etudes politiques et sociales dans son numéro 1 en français paru en 1984, sous le titre : "Rattachons l'intensification prioritaire de l'agriculture en zone de plaine à celle de tout le pays et au perfectionnement des rapports de production socialistes".

Ces deux interventions concernent la création d'une zone prioritaire d'intensification de l'agriculture sur une superficie de 100 000 hectares dans les plaines. Proposée par Enver Hoxha dans son Rapport au VIIIe Congrès du Parti du Travail d'Albanie, en novembre 1981, cette mesure a été adoptée et mise en application.

La première intervention d'Enver Hoxha, en octobre 1980, porte sur une étude prévisionnelle dont il critique certains aspects tout en dessinant les grandes lignes de la politique à mener. La seconde, en avril 1982, part de l'examen d'un rapport sur la mise en oeuvre du projet d'intensification prioritaire et, reprenant les thèmes de la première, les prolonge en précisant les modalités d'application et en relevant les défauts qui ont pu apparaître dans la pratique.

L'enjeu de ces textes dépasse de très loin la dimension d'une simple mesure économique : ils situent une nouvelle étape de la construction du socialisme dans les campagnes après l'achèvement de la collectivisation, le regroupement des coopératives et le lancement des coopératives de type supérieur. Comme on va le voir, les conséquences envisagées sont le passage progressif de la propriété de groupe à la propriété du peuple tout entier, la transformation des coopérateurs en ouvriers salariés de l'Etat de dictature du prolétariat et la transformation de cet Etat, à travers celle de l'alliance ouvriers-paysans qui le fonde.

Cela correspond à une avancée théorique du marxisme-léninisme, qu'Enver Hoxha a élaboré en même temps que les données pratiques nécessaires pour le développement de ce processus. Ces textes en fournissent une image nette et délivrent une leçon dont la valeur n'est pas limitée à l'expérience albanaise, mais s'étend plus généralement aux problèmes de la construction du socialisme.

I

Selon Enver Hoxha, l'intensification est conditionnée par la liaison entre rapports de production et forces productives

En octobre 1980, c'est à l'occasion d'une étude du Conseil des Ministres sur l'intensification de l'agriculture albanaise qu'Enver Hoxha fait la critique suivante : la question n'a été envisagée que sous un seul aspect, celui du développement des forces productives. Enver Hoxha s'oppose à cette conception unilatérale, donc erronée, qui met l'accent sur le seul développement des capacités de production par une mécanisation à outrance de la zone prioritaire de 100 000 hectares.

Un tel point de vue antidialectique, outre ses conséquences politiques inévitables, surestime le rôle des forces productives, néglige les rapports de production, ignore la liaison entre le développement des forces productives et le perfectionnement des rapports de production. Enver Hoxha réaffirme l'importance primordiale du perfectionnement des rapports de production dans l'agriculture pour mieux développer les forces productives et pour transformer, à terme, la propriété de groupe en celle du peuple tout entier. Il déclare :

"Le perfectionnement des rapports de production est indispensable pour frayer plus largement la voie au développement des forces productives et préparer les conditions requises de conversion progressive, librement consentie et naturelle, de la propriété de groupe en propriété du peuple tout entier".1

Le perfectionnement des rapports de production concerne trois domaines : les rapports entre l'Etat et les coopératives, les rapports entre les coopératives et leurs membres, et, enfin, les rapports d'organisation et de direction dans le processus de la production.

1) Les rapports entre l'Etat et les coopératives

L'Etat perfectionne ses rapports avec les coopératives, de type simple comme de type supérieur (avec lesquelles il entretient déjà des rapports financiers et organisationnels plus développés) en accroissant, dans la zone prioritaire, sa participation à la vie économique de ces exploitations qui, en retour, améliorent leur liaison avec l'Etat. Quatre secteurs sont concernés : les fonds fixes et circulants des coopératives, la répartition du produit, les échanges.

L'Etat investit dans les fonds fixes des coopératives, c'est-à-dire dans leurs moyens de production qui exigent de gros investissements (bétail, irrigation par exemple) dont l'augmentation sera constante. En échange, les coopératives accroissent leurs fonds d'accumulation afin de participer aux investissements en même temps que l'Etat et surtout afin d'assurer leurs besoins en fonds circulants couvrant les frais courants de la production. A aucun moment donc, l'intervention de l'Etat ne doit se substituer à la responsabilité des coopérateurs ; au contraire, ceux-ci ont à faire preuve d'une plus grande responsabilité pour perfectionner leurs rapports avec l'Etat et prendre des initiatives d'ordre économique. A l'intervention croissante de l'Etat en zone prioritaire doit correspondre un plus grand degré d'initiative économique et politique de la part des coopérateurs.

L'intensification va créer un produit supplémentaire dont la répartition doit s'harmoniser entre Etat et coopératives. Elle permet à 1'Etat d'augmenter ses prélèvements pour les besoins de toute la société, sur les revenus nets des coopératives. Elle permet aussi aux coopérateurs d'augmenter prioritairement leurs fonds d'accumulation ainsi que le fonds de garantie des salaires. Le fonds de consommation ralentit sa progression mais ne baisse pas.

Le rapport, concerté et planifié, entre accumulation et consommation assure à la fois la garantie du niveau des salaires et la quantité des prélèvements faits par l'Etat. L'élaboration conjointe entre l'Etat et les coopératives des taux d'accumulation transforme les rapports de propriété des coopératives, en reliant 1'intérêt du groupe à l'intérêt général. Elle donne aux coopérateurs un point de vue plus vaste, en faisant éclater les limites de la coopérative dont les intérêts économiques sont rapportés à ceux de tout le pays.

L'intensification est aussi l'occasion d'un perfectionnement des échanges de produits entre l'Etat et les coopératives. Là encore, il s'agit d'ouvrir la vie économique des coopératives de la zone prioritaire sur l'extérieur pour stocker, conserver, transformer leur production en la liant davantage à l'industrie légère et alimentaire. Cette ouverture sera rendue possible par la création de centres de stockage par groupes de coopératives, assurant aussi la commercialisation des produits. En échange, l'Etat prendra en charge l'approvisionnement des coopératives, par exemple en créant des boulangeries.

2) Les rapports entre les coopératives et leurs membres

L'intensification doit permettre aux coopérateurs d'améliorer leurs revenus et d'atteindre, à terme, le niveau de vie des ouvriers des fermes d'Etat. Par conséquent, dans la zone prioritaire, où les revenus iront en augmentant, on pourra, progressivement mais activement, réduire la surface des lopins personnels et achever le regroupement du bétail individuel dont le rôle économique reculera : les revenus répartis au niveau de la coopérative prendront le pas sur les revenus individuels dont l'importance deviendra négligeable et l'intérêt général l'emportera de plus en plus sur l'intérêt personnel. Au fur et à mesure, l'Etat prendra en charge la commercialisation des produits alimentaires, les services communaux et sociaux, pour doter les coopératives de conditions équivalentes à celles des fermes d'Etat.

3) Les rapports de direction et d'organisation dans le processus de la production

Dans ce domaine, l'objectif est de renforcer le système de la planification afin de relier les coopératives entre elles et à la vie de tout le pays. Le plan d'Etat ne doit donc plus intervenir comme une simple recommandation mais comme une directive. Pour réaliser cela, il faut renforcer les mécanismes de contrôle économique, transformer les formes d'organisation internes des coopératives. Le but n'est pas seulement économique, il est aussi politique. Le renforcement de la planification lié au perfectionnement des rapports de production va bien au-delà du problème technique de l'intensification.

Celle-ci n'est pas un but en soi puisqu'à cette occasion, c'est aussi le travail du Parti et des organes de l'Etat de dictature du prolétariat qui doit se perfectionner pour permettre aux coopérateurs de renforcer effectivement leur alliance avec les ouvriers et, avec ceux-ci, de contrôler de mieux en mieux l'ensemble de la vie politique et économique du pays. Enver Hoxha soulignait fortement cet aspect dans une autre intervention faite en 1980 et publiée dans le numéro 2 de la revue Etudes politiques et sociales.2

II

L'intensification de cent mille hectares, moyen de l'intensification générale

L'intensification n'est pas un but en soi, mais se relie étroitement à la transformation des rapports de production dans l'agriculture, dont elle est un des moyens, sa mise en oeuvre ne passe pas par la recherche d'une rentabilité maximale immédiate. Enver Hoxha nous montre qu'il ne faut pas se laisser obnubiler par un objectif transitoire lorsqu'il signale, dès 1980, les dangers technocratiques d'une utilisation massive de moyens techniques dans la zone prioritaire. Tout miser sur les cent mille hectares relève d'une conception unilatérale et il souligne les déséquilibres que risquerait de provoquer une telle attitude aussi bien dans l'agriculture que dans l'ensemble de l'économie socialiste.

En effet, le but n'est pas, contrairement à l'agriculture capitaliste, de réaliser au plus vite dans quelques exploitations des rendements records pour rentabiliser les investissements, en creusant ainsi des écarts entre les coopératives. C'est pourquoi, en 1982, Enver Hoxha insiste sur l'application conséquente qui doit être faite du mot d'ordre : "Rattrapons les plus avancés". La répartition des moyens matériels alloués à la zone prioritaire doit être différenciée suivant les exploitations pour permettre à tous d'atteindre le niveau prévu dans cette zone. "C'est pourquoi, dit-il, nous devons pour un temps nous abstenir d'aider les exploitations qui ont déjà atteint de hauts rendements (...) même s'il y existe la volonté de progresser encore."3

Le soin d'Enver Hoxha pour promouvoir ce mot d'ordre et éviter une différenciation économique entre les coopératives ou entre les diverses parties de la zone est révélateur d'une conception de la rentabilité qui est spécifique du socialisme : elle se calcule non pas sur les résultats isolés d'une ou de quelques exploitations et sur le montant de leurs bénéfices, mais sur l'avancée d'ensemble de l'économie du pays pour satisfaire toujours mieux les besoins du peuple et sur ses répercussions dans les rapports de production.

De plus, Enver Hoxha, dès 1980, affirme avec force la nécessité de ne pas toucher aux crédits alloués aux autres zones pour ne pas entraver leur propre développement. Il y revient d'emblée en 1982 : l'intensification concerne tout le pays et la zone prioritaire ne doit pas devenir une zone privilégiée vers laquelle convergeraient tous les efforts. Bien plus, Enver Hoxha ne se contente pas de refuser que la zone prioritaire reçoive une surabondance de moyens, il envisage que c'est elle qui par la suite en fournira aux autres zones grâce à l'augmentation des prélèvements de l'Etat. Nous trouvons ici, derrière la présentation simple et concrète d'Enver Hoxha, le traitement approfondi d'une question complexe : l'existence de la rente différentielle dans le secteur coopératif et la maîtrise de son fonctionnement spécifique en régime socialiste. En effet, si la rente absolue, loyer payé à un propriétaire pour avoir le droit de cultiver la terre, a disparu depuis 40 ans dès la réforme agraire et le monopole d'Etat sur le sol, la rente différentielle subsiste. Ses conditions objectives sont notamment la diversité du sol et du climat : pour une même quantité de travail et une mise de fonds identique, des coopératives différentes recueilleront un surplus de revenus qui correspondra au montant de la rente différentielle.

Comme nous le voyons dans un article sur les prix agricoles en Albanie, ceux-ci "sont en général fixés de façon planifiée par l'Etat en fonction du rendement et du coût sur les terres peu fertiles".4 Les prix ne peuvent être réglés, comme dans l'industrie, par le coût social moyen de production, c'est-à-dire : pour l'agriculture, sur le coût de production des terres de fertilité moyenne, parce que les coopératives placées dans des conditions plus difficiles ne réaliseraient plus de revenus leur permettant de couvrir à la fois les frais de production et les revenus des coopérateurs, encore moins d'investir. Or, la quantité de bonnes terres étant objectivement limitée, les besoins de la société exigent d'en cultiver de moins fertiles ; c'est d'autant plus vrai peur l'Albanie qui, fidèle au principe de l'appui sur ses propres forces, refuse d'importer ce qu'elle est capable de produire.

Pourtant cet excédent de revenus qui, sur les bonnes terres, constitue la rente différentielle existe de façon spécifique en régime socialiste : il n'est pas accaparé par des individus ou des sociétés privés mais reste à la disposition de la communauté. Ou bien la rente fait partie intégrante du revenu de la coopérative, qui peut l'utiliser pour investir ou la répartir entre ses membres, ou bien elle est récupérée, totalement ou en partie, par l'Etat qui peut la redistribuer dans ses propres investissements, notamment aux coopératives qui ne recueillent pas de rente différentielle. Nous devons distinguer, avec Marx, deux types de rente différentielle : à la rente de type I qui découle des conditions naturelles inégales s'ajoute la rente de type II, propre à l'agriculture intensive, quand un investissement supplémentaire sur un sol apporte un gain de productivité supérieur à celui qu'apporterait un investissement de base égal sur d'autres sols. Cela se passe en général pour les meilleures terres déjà productrices de rente différentielle de type I, parce qu'elles exigent des investissements proportionnellement moins importants que les autres. Par exemple, l'irrigation coûtera plus cher à mettre en place en montagne qu'en plaine et l'amélioration de cultures déjà irriguées moins cher que la mise en place de l'irrigation.

Or, le projet d'intensification prioritaire tel que le définit Enver Hoxha repose à la fois sur l'utilisation dynamique du processus de la rente différentielle et sur la limitation de ses effets. Dans son Rapport au VIIIème Congrès du PTA, il note qu'on a choisi une zone où "le travail et les investissements ont un rendement plus prompt et plus élevé".5 C'est-à-dire que les terres des coopératives concernées sont déjà productrices de rente différentielle de par leur fertilité (type I) et que celle-ci est susceptible de s'accroître efficacement (type II). Ce point de départ est un élément moteur du projet permettant l'élévation du revenu des coopérateurs et augmentant les capacités d'accumulation des coopératives, déterminant donc l'intérêt matériel du groupe au développement de la production.

Mais, si l'on adopte un point de vue mécanique, tendant uniquement à augmenter au maximum la production, en privilégiant les secteurs de pointe où les investissements les plus lourds ont déjà été réalisés, on va voir l'effet de la rente différentielle faire boule de neige : l'accroissement de la production apportera des ressources supplémentaires pour investir et produire encore davantage. On développera ainsi artificiellement le volume de la rente différentielle parce qu'une bonne partie des coopératives enregistrera des progrès très limités, risquant ainsi de se décourager, tandis que les exploitations pilotes se détacheront.

C'est pour cela qu'Enver Hoxha ne veut ni zone privilégiée ni privilégiés dans la zone prioritaire : "L'Etat de dictature du prolétariat, dit-il, ne travaille pas seulement pour les coopératives de type supérieur et pour ne permettre qu'à celles-ci d'améliorer le niveau de vie de leurs membres."6 En d'autres termes, il définit très précisément les limites que l'Etat socialiste doit assigner à la rente différentielle. A l'intérieur de la zone, il faut faire reculer l'impact de la rente de type I en bonifiant d'abord les terres les moins fertiles. Il montre en particulier que les coopératives qui comportent à la fois des terres en plaine et en collines ne doivent pas négliger ce second secteur, au contraire. Il faut également atténuer les écarts entre les résultats des coopératives de la zone prioritaire pour aboutir à un niveau d'ensemble homogène : tel est le sens du mot d'ordre qu'il souligne : ne pas laisser agir librement la rente de type II.

De même Enver Hoxha prend soin de contrôler l'essor de la rente différentielle par rapport à l'extérieur de la zone : c'est pourquoi il affirme que toute l'agriculture doit aller de l'avant et, pour cela, doit recevoir l'aide nécessaire même si les fonds investis par l'Etat n'y sont pas aussi rentables que dans, les 100 000 hectares. Il souligne d'ailleurs l'importance politique de cette vigilance centre tout risque de différenciation entre les coopératives. De la sorte, l'écart entre les rendements les plus bas et les plus élevés reste contenu dans des proportions raisonnables et l'augmentation des plus bas rendements contribue à la limitation de la rente différentielle. Un autre aspect de cette limitation existe en Albanie depuis longtemps : c'est la pratique de prix d'achats différenciés par l'Etat entre les produits des zones de plaines, de collines et de montagnes. A la limitation quantitative de la rente différentielle par l'Etat socialiste s'ajoutent, de la part d'Enver Hoxha, des directives très importantes pour son utilisation judicieuse. L'accroissement des revenus rendra doublement possible l'extension de l'intensification à toute l'agriculture : parce qu'en permettant aux coopératives de la zone de prendre davantage en charge leurs investissements, il libérera les fonds de l'Etat pour les autres zones ; et surtout parce que l'Etat effectuera des prélèvements accrus dans le produit accumulé par ces coopératives et disposera ainsi de ressources supplémentaires pour intensifier toute l'agriculture, en particulier les zones de montagne.

Pas question donc de laisser aux coopératives l'intégralité de la rente différentielle, même limitée, obtenue grâce à l'intensification : son utilisation doit se faire au profit de tous.

En outre, comme nous l'avons vu précédemment, le produit de la rente différentielle, demeurant en partie dans les coopératives, servira à la transformation des rapports de production. Utilisée pour garantir les salaires, les amener progressivement au niveau de ceux des ouvriers, elle fait disparaître le rôle économique du lopin individuel. La mentalité du paysan se rapproche ainsi de celle de l'ouvrier, ouvrant la voie à la conversion de la propriété de groupe en propriété du peuple tout entier.

Car c'est cette voie nouvelle, comme étape supplémentaire de la construction du socialisme, qu'a en vue Enver Hoxha et qu'il relie à l'intensification totale de l'agriculture, au développement continu du système coopératif. C'est là un appert éminent à la théorie révolutionnaire qui montre que la structure particulière de la coopérative n'est pas une réalité intangible qui se développerait parallèlement au secteur d'Etat, mais que l'essor de l'économie et du socialisme passent par son rapprochement continuel avec ce secteur d'Etat.

Mais pour mettre en route ce processus, il faut d'abord se préoccuper des moyens concrets qui seront affectés à l'intensification. Et, une nouvelle fois, à propos de la mécanisation de l'agriculture, Enver Hoxha nous fait comprendre qu'il n'existe pas de mesures économiques indépendantes du système social dans lequel elles s'inscrivent.

III

Les conditions socialistes du développement de la mécanisation dans l'agriculture

La mécanisation de l'agriculture n'est pas une question simple et que l'on résoud par la seule introduction de machines, fabriquées sur place ou importées, selon une conception technocratique. Enver Hoxha nous montre les dangers d'une mécanisation à outrance de la zone prioritaire, centrée uniquement sur l'aspect technologique et sans tenir compte des implications sociales, économiques et politiques. Conduite de la sorte, la mécanisation de l'agriculture dans la zone prioritaire représenterait une menace redoutable en créant des bases matérielles vers le retour à un système de rendement maximum pour les investissements maximum propre à une économie de type capitaliste.

C'est pourquoi Enver Hoxha dénonce les prétentions aventureuses de moissonner le blé de toute l'Albanie en quinze jours ou d'introduire massivement l'irrigation par aspersion. Ces objectifs, apparemment hardis, ne peuvent à terme que créer les conditions d'un chômage important, alors que dans les campagnes travaillent les deux tiers de la population. Bref, Enver Hoxha voit clairement qu'une mécanisation massive prépare les conditions objectives de l'existence de la loi de surpopulation relative caractérisée par l'exode rural, le gonflement des villes, le chancre du chômage.

Que propose Enver Hoxha pour éviter ces problèmes ? Tout d'abord il affirme que la mécanisation de l'agriculture doit tenir compte de l'objectif du plein emploi, en particulier dans les campagnes, par une gestion planifiée des ressources de main d'oeuvre. Autrement dit, le développement des forces productives ne s'effectue pas sur le dos de la population ni au détriment de la satisfaction de ses besoins. Cette gestion planifiée permet le transfert progressif des emplois rendus disponibles vers les coopératives de collines ou de montagnes, pour leur intensification ainsi que vers d'autres activités économiques dans les campagnes avec la création de nouvelles branches. C'est donc le système de planification socialiste qui est capable d'éliminer le problème de l'emploi et d'interdire l'existence de la loi de la surpopulation relative. Mais ce n'est pas la seule question posée par la mécanisation de l'agriculture. Enver Hoxha est conscient que si la mécanisation n'est pas rigoureusement planifiée, elle excédera les capacités de la production industrielle du pays et supposera alors des importations massives de machines au risque de déséquilibrer la balance commerciale. De ce fait, il pense que ce type de mécanisation équivaut à l'abandon du principe de l'appui sur ses propres forces, garant de l'indépendance politique et économique du pays. Ce principe implique non pas l'autarcie, mais l'équilibre des échanges extérieurs, excluant l'endettement. De nouveau, Enver Hoxha affirme avec force le rôle crucial d'une planification détaillée des besoins en machines de la zone prioritaire : il refuse une dotation globale qui ne tiendrait pas compte des besoins réels de chaque exploitation. Il souligne la liaison étroite qui doit s'établir entre la planification des rythmes d'intensification et celle de l'industrie mécanique et qui ne peut se réaliser qu'avec l'aide d'inventaires détaillés et précis.

On constate donc que la résolution correcte des problèmes produits par la mécanisation de l'agriculture concerne la planification de toute l'économie albanaise et découle du système de plan unique d'Etat, élaboré démocratiquement à la fois par les organes centraux et par les travailleurs, puis appliqué centralement. Dans cette perspective, au lieu de considérer les choses par le petit bout de la lorgnette — c'est-à-dire d'un point de vue technique — Enver Hoxha en saisit toutes les répercussions et les implications et apporte ainsi des solutions d'une valeur universelle.

IV

Les apports théoriques et pratiques des deux interventions d'Enver Hoxha et leur valeur universelle

Au-delà du traitement spécifique d'un projet économique propre à l'Albanie, les développements d'Enver Hoxha soulèvent et résolvent une série de questions concernant plus généralement la construction du socialisme : ils constituent comme tels un apport original au marxisme-léninisme. Nous estimons d'ailleurs que cette capacité à faire surgir, à partir d'un problème précis, ses enjeux globaux, conformément à la méthode du matérialisme dialectique, est une composante caractéristique de l'oeuvre d'Enver Hoxha, comme grand penseur et dirigeant révolutionnaire.

Ainsi, il est le premier à définir théoriquement et pratiquement le processus de transformation du système coopératif en régime socialiste, en tant qu'étape ultérieure nécessaire après l'achèvement et la consolidation de la collectivisation. Il construit par là le prolongement créateur de thèses que Staline avait formulées en 1952 et que l'on peut lire dans Les problèmes économiques du socialisme en URSS. Réfutant les erreurs de Yarochenko, Staline affirmait la nécessité de trois conditions pour préparer le passage au communisme. La seconde était précisément "d'élever la propriété kolkhozienne au niveau de la propriété du peuple entier"7, pour résorber la circulation marchande et centraliser davantage la production sociale, notamment. La mort a empêché Staline de pousser cette question dont il prévoyait l'urgence dans un avenir relativement proche.

Et en accomplissant cette tâche, Enver Hoxha nous permet de mieux comprendre aujourd'hui cette thèse, alors qu'en URSS les erreurs que dénonçait Staline ont eu cours, juste après sa mort.

Si l'on se réfère, par exemple, au tome 2 du Manuel d'économie politique, publié à cette époque par l'Institut des Sciences de l'URSS, on constate que le système coopératif est considéré comme une forme achevée de la société socialiste et qu'il doit, selon les auteurs, se développer en parallèle avec le secteur d'Etat, jusqu'à ce que l'accroissement des forces productives amène, comme par magie, le passage au communisme. Ainsi, on lit cette phrase : "Le régime kolkhozien a fait disparaître la possibilité d'une différenciation au sein de la paysannerie."8

Or, derrière cet optimisme béat se cache une conception fondamentalement économiste et pragmatique qui nie l'effet de différenciation possible de la paysannerie par l'action de la rente différentielle justement parce que, dans la pratique, on encourage cette action.

Ainsi, les auteurs du Manuel prennent soin d'opposer la rente différentielle de type I à celle de type II ; la première, découlant de la fertilité objective du sol devrait être récupérée par toute la communauté. Au contraire, la seconde serait le produit des seuls efforts d'intensification fournis par les kolkhoziens et par conséquent leur appartiendrait intégralement : "cela incite les kolkhozes à intensifier l'agriculture" écrivent-ils.9

On a là une fausseté théorique puisque c'est la rentabilité différente des fonds et du travail supplémentaires investis qui, selon Marx, fondent la rente de type II et que les efforts d'intensification ont toute chance d'être moindre pour un même résultat, lorsque les conditions de départ sont plus favorables. Marx le montre, la rente de type I est la base de celle de type II, loin qu'elles soient indépendantes l'une de l'autre. C'est pourquoi une telle position théorique revient, dans la pratique, à inciter à l'intensification essentiellement ceux qui sont déjà en avance, en provoquant de cette façon une différenciation croissante entre les kolkhozes, donc dans le niveau de vie de la paysannerie.

Cette erreur que nous soulignons n'est pas fortuite : elle constitue une apologie de la rente différentielle qui obéit à la recherche d'une rentabilité maximale de type capitaliste dans l'agriculture dont on^sait les piètres résultats qu'elle a donnés et continue de donner en URSS.10

On s'aperçoit donc que le traitement par Enver Hoxha du problème de la rente différentielle fait partie intégrante de la lutte qu'il a sans cesse menée contre le révisionnisme. Cela se traduit ici, dans le domaine économique, par sa vigilance révolutionnaire contre toute tendance à l'économisme qui pourrait amener la résurgence de la pseudo-théorie dite "des forces productives" où la transformation de la société est unilatéralement subordonnée au développement de la production.

"Nous devons, lit-on dans le recueil De la science, savoir dépasser ce qui est superficiel (...) pour découvrir les causes profondes qui constituent le fondement des choses, les lois sociales qui en déterminent le développement."11

Et c'est exactement ce qu'il fait, sachant que les apparences du nouveau n'excluent pas un retour masqué de l'ancien. C'est ainsi qu'il définit les conditions dans lesquelles l'intensification de l'agriculture s'avère spécifiquement socialiste au lieu d'être une modernisation volontariste : en faire profiter toute la paysannerie et non avantager particulièrement certaines zones ; transformer les rapports de production et non considérer uniquement le niveau de production à atteindre ; renforcer l'indépendance de l'Albanie face à l'encerclement impérialiste et non devenir tributaire d'une technologie extérieure.

C'est pour cela qu'avec persistance, après avoir rectifié le projet de 1980, il n'hésite pas à poursuivre son analyse, en 1982, pour critiquer certains aspects de ce qui a été entrepris dans la zone d'intensification prioritaire. Par là, il applique la recommandation qu'il avait lui-même formulée dans son Rapport au VIe Congres du PTA : "Vérifier constamment, revoir sans cesse sous un angle critique tout le travail accompli et l'expérience acquise (...) afin de conserver et de développer ce qui repose sur une base solide, de changer ce qui n'est pas justifié par la pratique et qui a fait son temps et de trouver de nouvelles voies et de nouveaux moyens pour résoudre les problèmes, tout cela constitue une loi de la révolution socialiste qui, comme disait Marx, est invincible parce qu'elle se soumet constamment à sa propre critique."12

Et la mise en oeuvre systématique de ces principes aboutit à une loi générale de la construction socialiste que définit bien Vasillaq Kureta à qui nous avons emprunté la précédente citation : celle de la révolutionnarisation ininterrompue de la vie du pays comme nécessité historique pour aller de l'avant et interdire toute dégénérescence révisionniste. Cette loi a par conséquent une portée universelle au-delà des particularités du pays concerné et, si une grande partie de l'oeuvre d'Enver Hoxha la développe et l'applique concrètement à l'Albanie, il nous semble que les textes que nous avons étudiés en fournissent une illustration tout à fait marquante.

Dans la manière dont Enver Hoxha résoud les différents problèmes, l'application de cette loi nous paraît revêtir un double aspect méthodique qui fait de sa pensée une pensée sans cesse créatrice. Premièrement, il considère tout but que se donne l'Etat de dictature du prolétariat comme transitoire par rapport à un autre but plus avancé dans l'optique de progresser vers la société communiste. De ce fait, il prévoit l'étape ultérieure avant même le moment où les conditions objectives en feront une nécessité. Et même il nous prouve que, lorsque les possibilités concrètes le permettent, on doit dépasser le but présent et lui en substituer un autre, sans attendre d'en avoir achevé l'exécution comme un programme formel. Par exemple, il préconise de "brûler l'étape" de la coopérative de type supérieure dès lors que l'intensification rendra les coopératives de type simple aptes à se transformer en fermes d'Etat. Progresser n'est donc pas seulement accomplir jusqu'au bout une tâche qu'on s'est fixée mais aussi, le cas échéant, savoir la transformer en une tâche qualitativement supérieure.

Deuxièmement, il saisit et, à chaque fois, nous fait toucher du doigt l'interaction d'un but, formulé dans un domaine particulier, avec chacun des autres domaines et les efforts qu'il convient de réaliser dans chaque domaine pour maîtriser les implications et les enjeux ultimes des transformations entreprises. Cette vision dialectique des choses nous fait entrevoir, au-delà de la transformation progressive des rapports de production dans l'agriculture, un stade entièrement nouveau de l'Etat de dictature du prolétariat. Car, à travers le rapprochement du mode de vie, de la conscience, du type de rapports économiques entre la paysannerie et la classe ouvrière, c'est l'alliance de ces deux classes qui va se transformer qualitativement et prendre une dimension nouvelle.

Nul doute que c'est par rapport à cette transformation plus vaste qu'Enver Hoxha a situé la question de l'intensification générale de l'agriculture et en particulier celle de la zone prioritaire, auxquelles est lié le développement de toute 1'économie et de la société albanaises.

Nous voudrions souligner, pour conclure, que les résultats actuels de l'agriculture albanaise confirment le bien-fondé des directives avancées par Enver Hoxha : dans la zone d'intensification prioritaire, les rendements ont dépassé parfois les prévisions. Ainsi, pour le blé, on a planifié pour 1985 une récolte supérieure à celle qui était prévue à l'origine et pourtant le chiffre a encore été dépassé pour atteindre une moyenne de 47 q/ha.13 Bien plus, on constate un bond général de la production agricole : les rendements des céréales ont, par exemple, augmenté de 30 % en 1983 par rapport à 1980. D'autre part, la coopérative de Plasa, connue pour son expérience d'avant-garde est devenue une ferme d'Etat portant justement le nom d'Enver Hoxha. Une seconde coopérative a été elle aussi convertie en ferme d'Etat.

La garantie de l'efficacité d'une pensée marxiste-léniniste comme celle d'Enver Hoxha, c'est son adaptation exacte aux possibilités réelles du moment tout en se guidant sur le but ultime de la révolution socialiste, sa capacité à relier de claires vues théoriques sur les lois économiques qui régissent la construction du socialisme avec la définition précise des mesures pratiques à prendre. Enver Hoxha ne négligeait aucun détail, même le plus précis, tel que l'aménagement de boutiques dans les coopératives, ni ne perdait de vue pour autant l'enjeu global de sa réflexion.

Ce faisant, il nous donne une fois de plus une leçon de dialectique matérialiste comme analyse concrète d'une situation concrète, critiquant toute tendance unilatérale. Sa vue d'ensemble sur les interactions complexes qui sous-tendent la construction du socialisme se dégage dans des exposés simples et parlants, faciles à comprendre sans être spécialiste de la question.

Les Cahiers de l'INEAS, n° 3

 

NOTES :

(1) Etudes politiques et sociales (Tirana), n° 1, 1984, p. 22.

(2) "A propos du perfectionnement du travail de gestion et d'organisation scientifiques du parti et de ses leviers dans le domaine économique", Etudes politiques et sociales, n° 2, 1985, pp. 35-49.

(3) idem, p. 30.

(4) Andréa Nako, Sabah Hilmia, "Problèmes du perfectionnement continu de l'instrument des prix dans les rapports de l'Etat avec les coopératives agricoles", in Conférence nationale sur les problèmes du développement de l'économie albanaise au cours du 7e plan quinquennal, Tirana, 1983, p. 234.

(5) Rapport au VIIIe Congrès du Parti du Travail d'Albanie, Tirana, 1981, p. 40.

(6) Etudes politiques et sociales, n° 1, p. 36.

(7) Les problèmes économiques du socialisme en URSS, Tirana, 1979, p. 88.

(8) Manuel d'économie politique, 2ème édition, Ed. sociales, 1956, p. 395.

(9) idem, p. 543.

(10) L'un des chapitres du rapport politique de Gorbatchev au 27e Congrès du PCUS s'intitule "La tâche primordiale : résoudre le problème alimentaire". L'incitation se traduit désormais par l'instauration d'une véritable économie de marché pour les produits agricoles. Cf. Etudes soviétiques, mars 86, n° 456, suppl.

(11) Nous tirons cette citation de l'article de Raqi Msdhi et Shyqri Ballvora intitulé "Enver Hoxha, créateur de l'histoire du PTA", Etudes politiques et sociales, n° 2, p. 120.

(12) Vasillaq Kureta, "Enver Hoxha et la révolutionnarisation ininterrompue de la vie du pays", idem, p. 155.

(13) Bulletin de l'Agence Télégraphique Albanaise, 20-24 août 1985, p. 2.

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Les références à Marx sont tirées de la 6ème section du Livre III du Capital, Ed. sociales, tome VIII, 1974, passim.

 

 

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