Editeur:
Editions
sociales, Paris, 1953.
Numérisation:
Ysengrin, 2014.
L'union de la bourgeoisie ne peut être ébranlée que par
l'union du
prolétariat.
Karl Marx.
La vie actuelle est bien compliquée ! Ce n'est, partout que classes et groupes divers : grande, moyenne et petite bourgeoisie ; grands, moyens et petits féodaux ; apprentis, manoeuvres et ouvriers d'usines qualifiés ; haut, moyen et bas clergé ; haute, moyenne et petite bureaucratie ; intellectuels de toute sorte, et d'autres groupes encore, tel est le tableau bigarré que présente notre vie !
Mais
ce qui
est non moins évident, c'est que plus la vie se développe, et plus
clairement
s'affirment dans cette vie compliquée deux tendances fondamentales,
plus
nettement cette vie compliquée se divise en deux camps opposés : celui
des
capitalistes et celui des prolétaires. Les grèves économiques de
janvier (1905)
ont montré clairement que
C'est ainsi que les capitalistes s'organisent en une classe distincte pour mater le prolétariat.
D'un
autre
côté le camp des prolétaires veille, lui aussi. Ici également on se
prépare
fiévreusement à la bataille qui vient. Malgré les poursuites de la
réaction,
ici également on fonde des syndicats locaux ; les syndicats locaux se
groupent
en syndicats régionaux ; on fonde des caisses syndicales ; la presse
syndicale
se développe ; on convoque des congrès et des conférences de syndicats
ouvriers
pour toute
Comme on le voit, les prolétaires s'organisent, eux aussi, en une classe distincte pour mater l'exploitation.
Il fut un temps où "le calme et la tranquillité" régnaient dans la vie. Alors, on ignorait ces classes et leurs organisations. Bien entendu, il y avait également lutte à l'époque, mais cette lutte présentait un caractère local, et non un caractère de classe généralisé : les capitalistes n'avaient pas d'union à eux, et chacun d'eux était obligé de venir à bout de "ses" ouvriers par ses propres forces. Les ouvriers non plus n'avaient pas de syndicats ; en conséquence, ceux de chaque usine ne pouvaient compter que sur leurs propres forces. Les organisations social-démocrates locales dirigeaient, il est vrai, la lutte économique des ouvriers, mais chacun conviendra que cette direction était faible et occasionnelle : les organisations social-démocrates n'arrivaient pas même à régler les affaires du parti.
Les
grèves
économiques de janvier ont marqué un tournant. Les capitalistes se sont
inquiétés et ont commencé à organiser des unions locales. Des unions de
capitalistes de Pétersbourg, de Moscou, de Varsovie, de Riga et
d'autres villes
ont vu le jour à la suite des grèves de janvier. Quant aux capitalistes
des
industries du pétrole, du manganèse, du charbon et du sucre, ils ont
transformé
leurs anciennes unions "pacifiques" en unions "de lutte" et
se sont mis à fortifier leurs positions. Mais les capitalistes ne s'en
sont pas
tenus là. Ils ont décidé de constituer une union pour toute
Ainsi,
il est
hors de doute que la grande bourgeoisie de Russie s'est désormais
organisée en
une classe distincte ; elle possède ses organisations à l'échelle
locale,
régionale et centrale et elle peut mobiliser les capitalistes de toute
Baisse des salaires, prolongation de la journée de travail, affaiblissement du prolétariat et destruction de ses organisations : tels sont les but que s'assigne l'union générale des capitalistes.
En
même temps
grandissait et se développait le mouvement syndical des ouvriers. Les
grèves
économiques de janvier 1905 ont eu, ici aussi, leur effet. Le mouvement
a pris
un caractère de masse, ses revendications se sont élargies et, avec le
temps,
il est devenu clair que les organisations social-démocrates ne
pouvaient
simultanément conduire les affaires du parti et les affaires
syndicales. Une
sorte de division du travail entre le parti et les syndicats
s'imposait. Il devenait
nécessaire que les affaires du parti fussent réglées par les
organisations du
parti, et les affaires syndicales par les syndicats. C'est alors qu'a
commencé
l'organisation des syndicats. A Moscou, Pétersbourg, Varsovie, Odessa,
Riga,
Kharkov, Tiflis, partout se sont créés des syndicats. Il est vrai que
la
réaction y faisait obstacle, mais les nécessités du mouvement l'ont
emporté et
les syndicats se sont multipliés. Peu après les syndicats locaux, ont
apparu
des syndicats régionaux et enfin, en septembre de l'année dernière, on
a
convoqué jusqu'à une conférence des syndicats de toute
Ainsi, malgré le déchaînement de la réaction, les prolétaires s'organisent sans aucun doute, eux aussi, en une classe distincte ; ils fortifient inlassablement leurs organisations syndicales à l'échelle locale, régionale et centrale ; ils s'attachent avec la même énergie à grouper contre les capitalistes leurs innombrables frères.
Augmenter les salaires, diminuer la journée de travail, améliorer les conditions de travail, mettre un frein à l'exploitation et faire échec aux unions des capitalistes, tels sont les buts que s'assignent les syndicats ouvriers.
Ainsi, la société moderne se trouve scindée en deux vastes camps ; chacun de ces camps s'organise un une classe distincte ; la lutte des classes allumée entre eux s'approfondit et se renforce chaque jour, et autour de ces deux camps se rassemblent tous les autres groupes.
Marx
disait
que toute la lutte des classes est une lutte politique. Cela signifie
que si,
aujourd'hui, les prolétaires et les capitalistes soutiennent les uns
contre les
autres une lutte économique, demain ils seront obligés de soutenir
également
une lutte politique et de défendre ainsi leurs intérêts de classe sur
un double
front de lutte. Les capitalistes ont leurs intérêts professionnels
particuliers. Et c'est pour sauvegarder ces intérêts que leurs
organisations
économiques existent. Mais en plus de leurs intérêts professionnels
particuliers, ils ont encore des intérêts de classe généraux, qui
visent à
renforcer le capitalisme. C'est pour défendre ces intérêts généraux
qu'ils ont
besoin d'une lutte politique et d'un parti politique. Les capitalistes
de
Russie ont tranché cette question très
simplement : ils ont vu que le seul parti défende "ouvertement et sans
peur" leurs intérêts est le parti
des octobristes ; aussi ont-ils décidé de se grouper autour de ce
parti et
de se soumettre à sa direction idéologique. Depuis lors, les
capitalistes
mènent leur lutte politique sous la direction idéologique de ce parti ;
avec
son appui, ils exercent une influence sur le gouvernement actuel (qui
interdit
les associations ouvrières, mais se hâte, en revanche,de sanctionner
les unions
des capitalistes), ils font élire ses candidats à
Ainsi, lutte économique à l'aide des unions, lutte politique générale sous la direction idéologique du parti octobriste : telle est la forme que revêt aujourd'hui la lutte de classe de la grande bourgeoisie.
De l'autre côté, dans le mouvement de classe du prolétariat, des phénomènes analogues s'observent à l'heure actuelle. Pour défendre les intérêts professionnels des prolétaires, on fonde des syndicats qui luttent pour l'augmentation des salaires, la diminution de la journée de travail, etc...
Cependant, en plus de leurs intérêts professionnels, les prolétaires ont encore des intérêts de classe généraux qui tendent à la révolution socialiste et à l'instauration du socialisme. Or, il est impossible d'instaurer la révolution socialiste tant que le prolétariat n'aura pas conquis le pouvoir politique, en tant que classe une et indivisible. C'est pour cette raison que le prolétariat a besoin d'une lutte politique et d'un parti politique, qui assume la direction idéologique de son mouvement politique. Sans doute, les syndicats ouvriers sont, pour la plupart, sans-parti et neutres. Mais cela signifie simplement qu'ils ne sont indépendants du parti qu'en ce qui concerne les finances et l'organisation, c'est-à-dire qu'ils ont leurs propres caisses, leurs propres dirigeants, qu'ils tiennent leurs propres congrès et ne sont pas obligés, officiellement, de se soumettre aux décisions des partis politiques. Quant à la dépendance idéologique des syndicats à l'égard de tel ou tel parti politique, elle doit absolument exister, et elle ne peut pas ne pas exister pour la raison, entre autres, que les syndicats comprennent des membres de différents partis, et ceux-ci ne manqueront pas d'y apporter leurs convictions politiques. Il est clair que si le prolétariat ne peut se passer de lutte politique, il ne peut pas davantage se passer de la direction idéologique de tel ou tel parti politique. Bien plus, il doit lui-même rechercher un parti capable de conduire dignement ses syndicats jusqu'à la "terre promise", jusqu'au socialisme. Mais là , le prolétariat doit se tenir sur ses gardes et agir avec circonspection. Il doit étudier attentivement le bagage idéologique des partis politiques et accepter librement la direction idéologique du parti qui défendra ses intérêts de classe avec courage et esprit de suite, qui tiendra plus haut le drapeau rouge du prolétariat et le conduira hardiment à la domination politique, à la révolution socialiste.
Jusqu'à présent, ce rôle est rempli par le Parti ouvrier social-démocrate de Russie ; par conséquent, le devoir des syndicats est d'accepter sa direction idéologique.
Comme on le sait, c'est aussi ce qui se passe en fait.
Donc, batailles économiques à l'aide des syndicats, attaques politiques sous la direction idéologique de la social-démocratie : telle est la forme que revêt aujourd'hui la lutte de classe du prolétariat.
Il est hors de doute que la lutte de classe s'intensifiera sans cesse. Le devoir du prolétariat est d'introduire dans sa lutte un plan systématique et l'esprit d'organisation. Pour cela, il est indispensable de renforcer les syndicats et de les unir : sous ce rapport, un congrès général des syndicats de Russie pourrait être d'une grande utilité. Non pas "un congrès ouvrier sans-parti", mais un congrès des syndicats ouvriers, voilà ce qu'il nous faut aujourd'hui pour que le prolétariat s'organise en une classe une et indivisible. D'autre part, le prolétariat doit s'appliquer par tous les moyens à consolider et à renforcer le parti qui assumera la direction idéologique et politique de sa lutte de classe.
L'Akhali Droéba [le Temps nouveau][2]
n°1, 14 novembre 1906.
Signé : K...
Traduit du géorgien.
[1] Le lock-out est une grève des patrons qui ferment intentionnellement leurs usines pour briser la résistance des ouvriers et enterrer leurs revendications. (J.S.).
[2] L'Akhali Droéba [le Temps nouveau], hebdomadaire syndical légal, parut en géorgien, à Tiflis, du 14 novembre 1906 au 8 janvier 1907, sous la direction de J. Staline, M.. Tskhakaïa et M. Davitachvili. Il fut interdit par ordre du gouverneur de Tiflis.