J. V.
Staline
Tome I
La
contre-révolution internationale
14 juillet
1906
Source:
Œuvres,
Tome I, septembre 1901-avril 1907
Editeur:
Editions
sociales, Paris, 1953.
Numérisation:
Ysengrin, 2014.
La Russie
d'aujourd'hui
rappelle en bien des points la France du temps de la grande révolution.
Cette ressemblance
se manifeste, entre autres, en ce que, chez nous comme en France, la
contre-révolution s'étend et, à l'étroit dans ses propres frontières,
s'allie à
la contre-révolution des autres Etats ; elle revêt peu à peu un
caractère
international. En France, l'ancien régime avait conclu une alliance
avec
l'empereur d'Autriche et le roi de Prusse ; il appela leurs armées à
son aide
et engagea l'offensive contre la révolution populaire. En Russie,
l'ancien
régime conclut une alliance avec les empereurs d'Allemagne et
d'Autriche ; il
entend appeler leurs armées à son aide et noyer dans le sang la
révolution
populaire.
Il
y a à peine
un mois, des bruits précis couraient que "la Russie" et
"l'Allemagne" menaient des pourparlers secrets. (Voir la Sévernaïa Zemlia[1],
n°3). Par la suite, ces bruits se sont
répandus avec une insistance croissante. Maintenant les choses en sont
venues
au point que le journal ultra-réactionnaire la Rossia[2]
déclare explicitement que
les fauteurs de l'actuelle situation difficile de "la Russie"
(c'est-à-dire
de la contre-révolution) sont les éléments révolutionnaires. "Le
gouvernement impérial allemand, déclare le journal, se rend
parfaitement compte
de cette situation ; aussi a-t-il pris toute une série de mesures
appropriées
qui ne manqueront pas d'aboutir aux résultats souhaités". Il s'avère
que
ces mesures consistent en ceci : "l'Autriche" et "l'Allemagne"
se préparent à envoyer des troupes pour venir en aide à "la Russie" au cas où
la
révolution russe remporterait des succès. Elles se sont déjà entendues
à ce
sujet et ont déclaré que "dans certaines conditions l'Intervention
active
dans les affaires intérieures de la Russie, pour réprimer ou limiter le
mouvement
révolutionnaire, pourrait être désirable et utile..."
Ainsi
parle la Rossia.
Comme
on le
voit, la contre-révolution internationale fait depuis longtemps de
grands
préparatifs. On sait que, depuis longtemps déjà, elle apporte une aide
financière à la Russie
contre-révolutionnaire dans sa lutte contre la révolution. Mais elle ne
s'en
est pas tenue là. Aujourd'hui, visiblement, elle a décidé de lui venir
en aide
en envoyant aussi des troupes.
Après
cela,
même un enfant comprendrait sans peine le sens véritable de la
dissolution de la Douma,
ainsi que des
"nouvelles" dispositions de Stolypine[3]
et
des "vieux" pogroms de Trépov[4]...
IL
est à présumer qu'après cela se dissiperont les espoirs fallacieux de
différents libéraux et autres gens naïfs ; ils se convaincront enfin
que nous
n'avons pas de "constitution", que nous sommes en guerre civile et
que la lutte doit être menée militairement.
Mais
la Russie
d'aujourd'hui
ressemble à la France
de jadis à un autre point de vue encore. A cette époque, la
contre-révolution
internationale avait provoqué un élargissement de la révolution ; la
révolution
déborda des frontières de la France et, tel un torrent puissant, se
répandit sur l'Europe.
Si les "têtes couronnées" de l'Europe s'unissaient dans une alliance
commune, les peuples de l'Europe, eux aussi, se tendaient la main.
Aujourd'hui,
nous constatons le même phénomène en Russie. "La taupe creuse
bien"... La contre-révolution de Russie, en s'unissant à la
contre-révolution européenne, élargit sans cesse la révolution ; elle
unit
entre eux les prolétaires de tous les pays et pose les fondements d'une
révolution internationale. Le prolétariat de Russie marche à la tête de
la
révolution démocratique ; il tend une
main fraternelle, il s'unit au prolétariat européen qui commencera la
révolution socialiste. Comme on le
sait, après la manifestation du 9 janvier, de grands meetings se sont
déroulés
dans toute l'Europe. L'action de décembre a provoqué des manifestations
en
Allemagne et en France . Sans aucun doute, la prochaine action de la
révolution
russe fera se lever, d'une façon plus résolue encore, le prolétariat
européen.
La contre-révolution internationale ne fera que fortifier et
approfondir,
renforcer et consolider la révolution internationale. Le mot d'ordre :
"Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !" trouvera son
expression véritable.
Eh
bien,
messieurs, travaillez, travaillez ! La révolution russe, qui s'élargit
sera
suivie de la révolution européenne, — et alors... alors sonnera la
dernière
heure non seulement des survivances du servage, mais aussi de votre
capitalisme
bien-aimé.
Oui,
messieurs
les contre-révolutionnaires, vous "creusez bien".
L'Akhali Tskhovréba [la Vie Nouvelle]
n°20, 14 juillet 1906.
Signé : Koba.
Traduit
du géorgien.
[1]
La Sévernaïa Zemlia
[la Terre du Nord], quotidien bolchévik légal ;
parut à Pétersbourg du 23 au 28 juin 1906. (N.R.).
[2]
La Rossia
[la Russie],
journal quotidien
de caractère policier ultra-réactionnaire, parut de novembre 1905 à
avril 1914.
Organe du ministère de l'Intérieur.
[3]
En
juin et juillet 1906, le ministre de l'intérieur P. Stolypine envoya
aux
autorités locales des instructions en vue de réprimer impitoyablement,
par la
force armée, le mouvement révolutionnaire des ouvriers et des paysans
et de
liquider des organisations révolutionnaires. (N.R.).
[4]
D.
Trépov, gouverneur général de Pétersbourg, dirigea la répression de la
révolution de 1905. (N.R.).