J. Staline en 1905


J. V. Staline

Tome I

Lettre de Koutaïs

(Du même camarade)

Octobre 1904

Source: Œuvres, Tome I, septembre 1901-avril 1907
Editeur: Editions sociales, Paris, 1953.
Numérisation: Ysengrin, 2014.


 

Il ne faut pas m'en vouloir si j'ai tardé à t'écrire. J'ai été occupé tout le temps. Tout ce que tu as envoyé, je l'ai reçu. (Procès-verbaux de la Ligue ; "Nos malentendus" de Galiorka et Riadovoï ; le Social-démocrate, n°1 ; les derniers numéros de l'Iskra). L'idée de Riadovoï ("Une des conclusions") m'a plu. L'article contre Rosa Luxembourg est également bon. Tout ce monde là, — Rosa, Kautsky, Plékhanov, Axelrod, Vera Zassoulitch et les autres, — semblent avoir établi certaines traditions familiales, en gens qui se connaissent de longue date. Ils ne peuvent "se trahir" l'un l'autre, ils se défendent mutuellement comme jadis, dans les tribus patriarcales, le faisaient les membres du clan, sans tenir compte de la culpabilité ou de l'innocence de leur parent. C'est ce sentiment de famille, "de parenté", qui a empêché Rosa d'envisager objectivement la crise du parti (certes, il y a aussi d'autres raisons : par exemple, une connaissance insuffisante des faits, l'optique de l'étranger, etc...). C'est ainsi, d'ailleurs, que s'expliquent certains procédés indignes de Plékhanov, de Kautsky et des autres.

     

Les publications de Bontch plaisent ici à tout le monde en tant qu'expression magistrale de la position des bolchéviks. Galiorka ferait bien d'aborder quant au fond des articles de Plékhanov (n°70-71 de l'Iskra). L'idée maîtresse des articles de Galiorka est qu'autrefois Plékhanov disait une chose et qu'il en dit maintenant une autre, qu'il se contredit. La belle affaire ! Comme si c'était... nouveau ! Ce n'est pas la première fois qu'il se contredit. Peut-être même en est-il fier, se considérant comme une vivante incarnation du "processus dialectique". Il va de soi que l'inconséquence est une tache sur la physionomie politique d'un "dirigeant", et elle (cette tache) doit évidemment être signalée. Mais chez nous (c'est-à-dire dans les n°70 et 71), ce n'est pas de cela qu'il s'agit, mais d'une importante question théorique (les rapports entre l'être et la conscience) et tactique (les rapports entre dirigés et dirigeants). Galiorka aurait dû, selon moi, montrer que la lutte théorique de Plékhanov contre Lénine est du pur donquichottisme, une guerre contre des moulins à vent, puisque Lénine, dans son livre, s'en tient rigoureusement à la thèse de Karl Marx sur l'origine de la conscience. Quant à la guerre de Plékhanov au sujet de la tactique, c'est d'un bout à l'autre le confusionnisme caractéristique d'un "individu" qui passe dans le camp des opportunistes. Si Plékhanov avait posé la question clairement, comme ceci par exemple : "Qui formule le programme : les dirigeants ou les dirigés ?", et ensuite : "Qui élève les autres jusqu'à la compréhension du programme : les dirigeants ou les dirigés ?", ou bien : "Peut-être n'est-il pas souhaitable que les dirigeants élèvent les masses jusqu'à la compréhension du programme, de la tactique et des principes d'organisation ?" ; si Plékhanov s'était posé avec autant de clarté ces questions qui, en raison de leur simplicité et de leur caractère tautologique, contiennent en elles-mêmes leur réponse, il se serait peut-être effrayé de ses intentions et ne se serait pas dressé avec tant de fracas contre Lénine. Mais comme Plékhanov ne l'a pas fait, c'est-à-dire qu'il a embrouillé la question par des phrases sur "les héros et la foule", il a dévié vers l'opportunisme tactique. Embrouiller les questions est un trait caractéristique des opportunistes.

     

Si Galiorka avait posé ces questions et d'autres semblables sur le fond, cela aurait mieux valu, à mon avis. Tu diras que cela regarde Lénine ; mais je ne peux pas être d'accord sur ce point, car les conceptions critiquées de Lénine ne sont pas la priorité de Lénine, et leur altération concerne les autres membres du parti tout autant que lénine. Certes, Lénine pourrait mieux que quiconque s'acquitter de cette tâche...

     

Il y a déjà des résolutions en faveur des publications de Bontch. Il y aura peut être aussi de l'argent. Tu as sans doute lu, dans le n°74 de l'Iskra, les résolutions "en faveur de la paix". Si les résolutions des comités d'Iméritie-Mingrélie et de Bakou n'ont pas été mentionnées, c'est qu'elles ne contenaient rien sur la "confiance" dans le Comité central. Les résolutions de septembre, ainsi que je l'ai écrit, réclamaient instamment un congrès. Nous verrons ce qui adviendra, c'est-à-dire que nous verrons les résultats des séances du Conseil du parti[1]. As-tu ou non reçu six roubles ? Tu recevras encore de l'argent ces jours -ci. N'oublie pas d'envoyer par cette personne la brochure Lettre à un camarade[2] : beaucoup ici ne l'ont pas lue. Envoie aussi le numéro suivant du Social-démocrate.

     

Kostrov[3] nous a encore envoyé une lettre où il parle de l'esprit de la matière (il semble qu'il s'agisse ici d'étoffe de coton[4]). Cet âne ne comprend pas qu'il n'a pas devant lui le public du Kvali[5]. Que lui importent les questions d'organisation ?

     

Un nouveau numéro (le 7e) de la Prolétariatis Brdzola[6] est sorti. Entre autres, il y a un article de moi contre le fédéralisme en matière de politique et d'organisation[7]. S'il y a moyen, je t'enverrai ce numéro.

 

Ecrit en octobre 1904.

Publié pour la première fois.

Traduit du géorgien.



[1] Le Conseil du parti était, d'après les statuts adoptés par le IIe congrès du P.O.S.D.R., la plus haute instance du parti. Il se composait de cinq membres : deux étaient désignés par le Comité central, deux par l'organe central, le cinquième étant élu par le congrès. Le Conseil avait essentiellement pour tâche de coordonner et d'unifier les activités du Comité central et de l'organe central. Peu après le IIe congrès, les menchéviks s'assurèrent la majorité au Conseil du parti, dont ils firent leur organisme fractionnel. Le IIIe congrès du P.O.S.D.R. supprima la pluralité des centres dans le Parti et créa un centre unique, le Comité central, divisé en deux parties : celle de l'étranger et celle de Russie. D'après les statuts adoptés au IIIe congrès, le rédacteur en chef de l'organe central était désigné par le Comité central et choisi parmi ses membres. (N.R.)

[2] La brochure de Lénine : Lettre à un camarade sur nos tâches d'organisation, avec préface et postface de l'auteur, parut en 1904 à Genève, aux éditions du Comité central du P.O.S.D.R. (Voir Oeuvres, 4e éd. russe, t. VI, p. 205 à 224 et t. VII, p. 115 à 122. (N.R.).

[3] Kostrov et Ane : pseudonymes de N. Jordania. (N.R.).

[4] jeu de mot intraduisibles : en russe, on emploie le même mot pour dire étoffe et matière. (N.T.).

[5] Le Kvali [le Sillon], hebdomadaire en langue géorgienne de tendance nationaliste libérale, ouvrit de 1893 à 1897 ses colonnes aux écrivains débutants du Messamé-Dassi. A la fin de 1897, le journal passa dans les mains de la majorité du Messamé-Dassi. (N. Jordania, etc...) et devint le porte-parole du "marxisme légal". Après l'apparition des fractions bolchévik et menchévik au sein du P.O.S.D.R., le Kvali devint l'organe des menchéviks géorgiens. IL fut interdit par le gouvernement en 1904. (N.R.).

[6] La Prolétariatis Brdzola [la Lutte du prolétariat], journal géorgien illégal, organe de l'Union caucasienne du P.O.S.D.R., parut d'avril-mai 1903 à octobre 1905 ; elle fut interdite après la publication du n°12. A son retour de déportation, en 1904, Staline assuma la direction du journal. Faisaient également partie de la rédaction : A. Tsouloukidzé, S. Chaoumian, et d'autres. Les articles leaders étaient de Staline. La Prolétariatis Brdzola succédait à la Brdzola. Le 1er congrès de l'Union caucasienne du P.O.S.D.R. décida de fondre la Brdzola et le journal social-démocrate arménien : le Prolétariat en un seul organe paraissant en trois langues : géorgienne (Prolétariatis Brdzola), arménienne (Prolétariati Kriv) et russe (Borba Prolétariata), la teneur du journal restant la même dans les trois langues. Chacune de ces éditions avait son numérotage propre. La Prolétariatis Brdzola était, après le Vpériod et le Prolétari, le plus important des journaux bolchéviks clandestins ; elle défendait de façon conséquente les principes idéologiques, tactiques et d'organisation du parti marxiste. La rédaction de la Prolétariatis Brdzola se tenait en contact étroit avec Lénine et le centre bolchévik à l'étranger . Quand, en décembre 1904, la parution du journal Vpériod fut annoncée, le Comité de l'Union caucasienne organisa un groupe dit littéraire pour le soutenir. Invité par le Comité de l'Union à collaborer à la Prolétariatis Brdzola, Lénine répondit dans une lettre datée du 20 décembre (nouveau style) 1904 : "Chers camarades, j'ai reçu votre lettre au sujet de la Borba Prolétariata. Je tâcherai d'y écrire et j'en parlerai aux camarades de la rédaction" (voir Lénine : Oeuvres, t. XXXIV, p. 240, 4e éd. russe). La Prolétariatis Brdzola reproduisait régulièrement les articles et les documents de l'Iskra léniniste, puis du Vpériod et du Prolétari, ainsi que des articles de Lénine. Le Prolétari donna à maintes reprises des appréciations et des compte rendus élogieux de la Prolétariatis Brdzola, et lui emprunta des articles et des correspondances. Le n°12 du Prolétari signala la parution du n°1 de la Borba Prolétariata en russe. A la fin de l'article, il était dit : "Nous aurons à revenir sur le contenu de cet intéressant journal. Nous applaudissons vivement à l'activité accrue dont fait preuve l'Union caucasienne en matière de publications, et nous lui souhaitons de nouveaux succès dans le rétablissement de l'esprit de parti au Caucase." (N.R.)

[7] Il s'agit de l'article : "Comment la social-démocratie comprend-elle la question nationale ?" (Voir le présent volume, p. 40). (N.R.).


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