L'hégémonie culturelle est une célèbre thèse du marxiste italien Antonio Gramsci. Sa théorie était de dire que les travailleurs européens ne faisaient pas la révolution car ils étaient dominés culturellement par la bourgeoisie. Si on a bien compris la partie précédente, alors on comprend que cette thèse est fausse et idéaliste. Elle n'est pas différente du point de vue petit-bourgeois agitateur-anarchiste pour qui tout doit se réduire à de la propagande, et en un claquement de doigt le monde changera. C'est encore la vielle théorie idéaliste du "changement de mentalité". Mais on ne change pas les mentalités. Seuls les intérêts changent les mentalités. Ce que Gramsci n'a pas vu, c'est que les travailleurs européens étaient totalement intégrés à la petite-bourgeoisie, et qu'ils n'avaient donc pas intérêt à faire la révolution communiste. Gramsci disait que les travailleurs doivent conquérir l'hégémonie culturelle pour faire la révolution. Il prend le problème à l'envers. Il oublie la célèbre formule de Marx :
« Les idées de la classe dominante sont aussi à toutes les époques les idées dominantes ; autrement dit la classe qui est la puissance matérielle dominante de la société est aussi la puissance dominante spirituelle. La classe qui dispose des moyens de la production matérielle dispose du même coup des moyens de la production intellectuelle, si bien que, l'un dans l'autre, les pensées de ceux à qui sont refusés les moyens de production intellectuelle sont soumises du même coup à cette classe dominante. Les idées dominantes ne sont pas autre chose que l'expression idéale des rapports matériels dominants, elles sont ces rapports matériels dominants saisis sous forme d'idées, donc l'expression des rapports qui font d'une classe la classe dominante ; autrement dit, ce sont les idées de sa domination. »
Qu'est-ce que cela signifie ? Cela signifie que la classe dominante aura toujours l'hégémonie culturelle. Si la classe dominante venait à perdre l'hégémonie culturelle, ce serait donc qu'elle ne serait plus - depuis un certain temps en réalité - la classe dominante. Appeler à conquérir l'hégémonie culturelle comme l'a fait Gramsci était donc une erreur idéaliste. Si les petits-bourgeois agitent ce concept d'hégémonie culturelle, c'est bien sur... que c'est dans leur intérêt. Car cela éloigne la perspective d'une vraie révolution et renforce leur logique réformiste de pur chantage avec la bourgeoisie.
Ce que doit conquérir le prolétariat, ce n'est pas l'hégémonie culturelle, mais le pouvoir, afin d'instaurer sa dictature. A ce moment-là seulement, il imposera son hégémonie culturelle. La culture du prolétariat avant la révolution n'a pas à chercher à s'imposer. Elle doit simplement être un outil pour affirmer sa conscience de classe. L'art, la musique, les romans de culture soviétique par exemple sont un outil qui raconte l'histoire de la lutte des prolétaires par le passé. Elle est donc un bon outil pour forger la conscience de classe. Car la révolution nécessite à un moment donné des hommes conscients du but qu'ils poursuivent. Mais en dehors de cela la culture n'a aucun sens. Il en va de même pour les idées.
La petite bourgeoisie s'imagine que le peuple est stupide, manipulé par la "société de consommation" ou la "société du spectacle", ou encore les médias. En réalité, si le peuple ne fait pas la révolution, c'est uniquement parce que malgré tout sa situation n'est pas si terrible. La petite bourgeoisie décline mais n'est pas à la rue, elle continue de posséder une épargne et un petit capital assez conséquents. Quant au sous-prolétariat, une bonne partie peut vivre avec des allocations, en travaillant au noir pour compléter par exemple, ou avec les divers trafics en tout genre qui génère d'énormes quantité d'argent ce qui achète la paix sociale.
La révolution est toujours et avant tout une question d'intérêt matériel et concret. Bien sur une révolution ne se fait pas non plus sans l'aspect conscient et subjectif, idéologique, mais cet aspect secondaire (qui dépend en fait du premier) est totalement insuffisant à lui tout seul, et est incapable d'expliquer la situation politique du pays. Par exemple si on regarde la paysannerie française de 1870 et la paysannerie russe de 1917, on voit deux populations à priori sous contrôle idéologique de l'église (catholique en France et orthodoxe en Russie). Si on s'arrête à cet aspect superficiel, on ne comprend pas pourquoi en 1870 la paysannerie française était monarchiste tandis qu'en 1917 la paysannerie russe était révolutionnaire. C'est que dans le premier cas la paysannerie française avait obtenu la propriété de sa terre (depuis 1789), alors que dans le second cas la paysannerie n'avait rien à perdre et tout à gagner. Voilà une explication qui tient beaucoup plus la route que les divagations sans fin sur la "soumission idéologique".
La lutte de classes d'ailleurs, n'est pas une lutte idéologique, mais une lutte réelle. Le rôle des idées est bien plus de fédérer des gens aux intérêts identiques. Pour que les gens prennent conscience de leur intérêt, c'est toujours leur propre expérience qui leur enseigne et jamais la propagande. Lénine : « si un changement n'intervient pas dans la manière de voir de la majorité de la classe ouvrière, la révolution est impossible; or ce changement, c'est l'expérience politique des masses qui l'amène, et jamais la seule propagande. »
Pour parler en d'autres termes, ce n'est pas l'offre qui crée la demande mais la demande qui crée l'offre. En politique c'est exactement pareil. Par exemple ce n'est pas parce que le front national a su utiliser les moyens de communication moderne et internet qu'il arrive au score qu'il fait. Car encore le problème de l'oeuf et de la poule. S'il a su faire cela, il a bien fallu des "petits bras" pour faire ce travail, et il fallait bien un public prêt à écouter ce discours. Et d'où cela vient-il sinon de l'intérêt concret de gens concrets ? La propagande comme force auto-motrice est un délire petit bourgeois. La matière, l'intérêt matériel est premier ; les idées, la propagande est seconde, telle est le point de vue matérialiste conséquent, aussi en politique.
Il en va de même pour les partis "communistes". Si les révisionnistes gagnent, c'est avant tout à cause du poids écrasant de la petite bourgeoisie, et pas à cause "d'erreurs" venues de nulle part qui se répanderaient sans raison dans la tête des militants. Tel était le point de vue de Lénine en tout cas : « Qu’est-ce qui rend le révisionnisme inévitable dans la société capitaliste ? Pourquoi est-il plus profond que les particularités nationales et les degrés de développement du capitalisme ? Mais parce que, dans chaque pays capitaliste, à côté du prolétariat se trouvent toujours les larges couches de la petite bourgeoisie. »
Hitler s'est-il fait élire grâce à sa moustache et au peuple allemand stupide manipulé par la propagande nazie ou bien parce que Hitler représentait à ce moment précis l'intérêt d'une majorité de petits bourgeois allemands ?
Trump s'est-il fait élire parce que les américains sont une bande d'ignares beaufs alcoliques ou parce qu'il représente l'intérêt de plusieurs couches du peuple américain ?
Erdogan et Poutine se maintiennent-ils au pouvoir parce que ce sont des dictateurs qui musellent l'opposition, ou bien parce qu'ils ont augmenté considérablement le niveau de vie de leur population, construit des villes là où il y avait des bidonvilles, etc. ?
A cet égard, sa campagne a été une véritable leçon de matérialisme. Alors que de part et d'autres des "affaires" se battaient dans les médias (d'un côté Trump accusé d'être un violeur et de l'autre Clinton accusée de financer le terrorisme international), est-ce ça qui a décidé les électeurs des deux camps ? Ou n'est-ce pas plutôt l'intérêt réel, concret et matériel des masses ?
On a vu d'ailleurs avec le brexit des partisans du bremain réclamer que le vote soit annulé, car les anglais seraient trop stupides pour décider eux-mêmes ! Certains ont même proposé qu'on interdise les référendums et les élections ! Ah mais combien de baffes se perdent ? Et les médias, choqués de découvrir que leur pouvoir est illusoire...
Dans la réalité, c'est bien Orwell qui s'est trompé dans son livre 1984. L'homme n'est pas un être aussi stupide et manipulable que ça. L'homme moyen n'est pas un génie, mais l'homme moyen connaît son intérêt. L'ouvrier qui vote FN sait que les délocalisations ne sont pas dans son intérêt et l'intellectuel universitaire sait que la fermeture des frontières n'est pas dans son intérêt. Voilà ce que montre le matérialisme, derrière tout le bla bla, ce qui se cache, et ce qui fait la politique : l'intérêt. Et ce n'est pas parce que les publicitaires, les journalistes et les goebbels croient dans le pouvoir de la propagande que ce pouvoir est réel. Tout au plus sont-ils dupés par eux-mêmes, incapables de voir les causes réelles de leurs succès et de leurs échecs, tant leur mépris pour le peuple est patent.
La politique est un marché, avec une offre et une demande. Dans la profusion des livres, des journaux, des vidéos you tube, des chaînes de télévision, etc. il y a donc une masse incommensurable d'offre. Dire que l'offre crée la demande est une insulte à l'intelligence des gens. Pourquoi le jeune futur terroriste islamiste va-t-il sur des sites djihadistes plutôt que de lire les livres d'éric zémmour qui sont en tête de gondole ? Pourquoi le petit bourgeois d'extrême gauche va-t-il s'informer sur des sites d'extrême gauche plutôt que sur fdesouche ? Pourquoi les vieux dans les maisons de retraite regardent le journal de tf1 de 13h puis question pour un champion alors qu'ils pourraient acheter l'humanité et écouter du rap sur you tube ? On voit bien ici, qu'il y a une offre et une demande, mais l'explication idéaliste ("hégémonie culturelle") est incapable d'expliquer pourquoi telle offre intéresse telle public et pas tel autre. Et même elle l'ignore car elle croit que le public accepte n'importe quelle offre, que c'est une bande de gueux imbéciles, et s'ils ne se révoltent pas, c'est à cause du jt de tf1 et des livres de houellebecq bien sur ! Ah mais on ne refait pas nos petits bourgeois.
Dans la réalité, le pouvoir des médias est illusoire. Si les gens ne suivent plus les consignes des médias, c'est parce qu'en fait ils ne les ont jamais suivi. En réalité si le peuple est accomodant c'est parce que son niveau de vie est correct, qu'il a des perspectives de vie ; s'il est révolté et qu'il commence à "mal voter", c'est parce que ses besoins ne sont plus satisfaits et qu'il cherche donc quelqu'un qui saura défendre son intérêt. Et si un jeune de banlieue écoute du rap plutôt que de regarder michel drucker sur france 2 le dimanche, c'est parce que chacun se nourrit culturellement et idéologiquement de choses qui lui correspondent. Et par exemple en politique, de choses qui caressent dans le sens du poil. On écoute jamais que les politiciens qui parlent de notre intérêt propre, et on zape les autres. La propagande n'a jamais eu le pouvoir de créer ex nihilo des tendances politiques et idéologiques. Il y a des espaces, des créneaux, une demande pour être exact. Et les médias en tout genre peuvent tout au plus remplir cette demande, ces créneaux, mais en aucun cas les créer. Et s'ils ne remplissent pas ces créneaux, alors d'autres médias le feront, car là où il y a demande, il finit toujours par y avoir une offre (comme en économie).
Tout au plus le seul pouvoir des médias peut être de falsifier l'offre en mettant en avant de faux durs, de faux tribuns, etc. mais ce pouvoir est toujours limité et jamais très durable. Donc oui le jugement de la population n'est pas infaillible, c'est ce qui explique qu'elle élise des Sarkozy et des Hollande qui font des belles promesses qu'ils ne tiennent pas. Mais l'histoire s'arrête-t-elle là ? Non, car le peuple se fait sa propre expérience au fur et à mesure, il y a toujours un décalage de la conscience. Et en faisant sa propre expérience des trahisons, il apprend ce qu'aucune propagande, aussi vraie qu'elle fut, n'aurait pu lui apprendre avant la trahison réelle. Car c'est toujours de cette façon que les gens apprennent, par leur propre expérience, et jamais autrement.
Et surtout, l'intérêt des gens n'est jamais figé. Par exemple un ouvrier qui gagne sa vie et a de belles perpsectives n'est pas la même chose qu'un ouvrier qui a vu la moitié de ses collègues licenciés en quelques années et qui voit ses enfants au chômage. L'intérêt est fluctuant, la conscience des masses suit avec du retard ces fluctuations. Et c'est cela qui crée la demande politique. Si les gens ont un bon niveau de vie ils ne vont pas se tourner du côté des révolutionnaires. Mais si ils perdent ce bon niveau de vie ils ne vont pas pour autant se tourner du côté des révolutionnaires, car il faut d'abord qu'ils perdent l'illusion qu'un retour en arrière est possible. Et cela, c'est leur propre expérience politique qui leur enseigne, pas la propagande. Le rôle du parti communiste n'est pas de faire de la propagande mais d'aider les gens à faire leur propre expérience. Et si les petits bourgeois s'étonnent que le peuple ne fasse pas la révolution (car soit disant il y aurait toujours intérêt), cela doit être mis sur le compte, non pas du peuple (car il est embourgeoisé, et il a donc raison de défendre son intérêt, c'est à dire de ne pas faire la révolution), mais sur le compte de la bêtise des petits bourgeois, qui ne comprennent rien à la politique, font passer leur propre révolte pour quelque chose d'universel.
Voilà le vrai point de vue matérialiste, conséquent, honnête. Donner un rôle premier aux idées est un procédé mystificateur, falsificateur, méprisant (les gens seraient à ce point idiots de ne pas comprendre leur intérêt ?). Distinguer cette conception idéaliste du véritable marxisme est presque un critère en lui-même pour détecter, derrière, la phraséologie marxisante, le vrai matérialisme d'un côté, et le bla bla petit bourgeois de l'autre.
Lénine expliquait lui-même que le succès des bolcheviques n'était en rien du à de la propagande, mais à la situation concrète de la Russie : « Et tout d'abord la question se pose: qu'est-ce qui cimente la discipline du parti révolutionnaire du prolétariat? qu'est-ce qui la contrôle? Qu'est-ce qui l'étaye? C'est, d'abord, la conscience de l'avant-garde prolétarienne et son dévouement à la révolution, sa fermeté, son esprit de sacrifice, son héroïsme. C'est, ensuite, son aptitude à se lier, à se rapprocher et, si vous voulez, à se fondre jusqu'à un certain point avec la masse la plus large des travailleurs, au premier chef avec la masse prolétarienne, mais aussi la masse des travailleurs non prolétarienne. Troisièmement, c'est la justesse de la direction politique réalisée par cette avant-garde, la justesse de sa stratégie et de sa tactique politiques, à condition que les plus grandes masses se convainquent de cette justesse par leur propre expérience. A défaut de ces conditions, dans un parti révolutionnaire réellement capable d'être le parti de la classe d'avant-garde appelée à renverser la bourgeoisie et à transformer la société, la discipline est irréalisable. Ces conditions faisant défaut, toute tentative de créer cette discipline se réduit inéluctablement à des phrases creuses, à des mots, à des simagrées. Mais, d'autre part, ces conditions ne peuvent pas surgir d'emblée. Elles ne s'élaborent qu'au prix d'un long travail, d'une dure expérience; leur élaboration est facilitée par une théorie révolutionnaire juste qui n'est pas un dogme, et qui ne se forme définitivement qu'en liaison étroite avec la pratique d'un mouvement réellement massif et réellement révolutionnaire. Si le bolchevisme a pu élaborer et réaliser avec succès, de 1917-1920, dans des conditions incroyablement difficiles, la plus rigoureuse centralisation et une discipline de fer, la cause en est purement et simplement dans plusieurs particularités historiques de la Russie. »
Informations sur ce site
Ce site entend donner aux communistes les outils intellectuels et idéologiques du marxisme-léninisme. A son époque déjà, Lénine notait "la diffusion inouïe des déformations du marxisme", il concluait que "notre tâche est tout d'abord de rétablir la doctrine de Marx". Ces éléments théoriques ont pour but de participer à la formation des jeunes cadres dont le parti du marxisme révolutionnaire aura besoin en France au cours des prochaines années. A son époque, Marx remarquait déjà "qu'en France, l’absence de base théorique et de bon sens politique se fait généralement sentir". Le manque de formation marxiste-léniniste est un obsctacle majeur à la construction d'un futur parti et un terreau fertile au maintien (voire au retour) des thèses réformistes, révisionnistes, opportunistes qui occupent actuellement tout le terrain sous une multitude de formes. Ce site n'est qu'une initiation au marxisme-léninisme. Les textes ne sont pas suffisants à la maîtrise du marxisme, ils sont une tentative de vulgarisation, d'explication de la pensée marxiste, ainsi qu'un éclairage de l'actualité à l'aide de cet outil. Il va de soi qu'une lecture des classiques du marxisme-léninisme est indispensable.
Vive la révolution marxiste du prolétariat !
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