L'URSS de Staline : livres et témoignages historiques

Sommaires détaillés :

Guido Miglioli — La collectivisation des campagnes soviétiques (1934)

Henry Barbusse — Staline : Un monde nouveau vu à travers un homme (1935)

Connaissance de l'URSS — 1917-1947 — Un bilan de 30 ans (1947)

Fernand Grenier — Au pays de Staline (1950)

Extraits :

Guido Miglioli La collectivisation des campagnes soviétiques (1934)

Henry Barbusse Staline : Un monde nouveau vu à travers un homme (1935)

Connaissance de l'URSS 1917-1947 Un bilan de 30 ans (1947)

Fernand Grenier Au pays de Staline (1950)

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Guido Miglioli — La collectivisation des campagnes soviétiques (1934)

Henry Barbusse — Staline : Un monde nouveau vu à travers un homme (1935)

Connaissance de l'URSS — 1917-1947 — Un bilan de 30 ans (1947)

Fernand Grenier — Au pays de Staline (1950)

« L'agression contre l'U.R.S.S. — immense débouché économique, et volcan illuminé du socialisme —, fait évidemment partie des calculs du capitalisme aux abois, et les dirigeants soviétiques sont trop sérieux pour commettre la faute de croire à la sincérité des théâtrales proclamations pacifiques des grands ténors subventionnés des pays impérialistes. (...) Si la guerre éclate, l'U.R.S.S. se défendra — elle, et tout ce qu'elle représente de patrimoine humain. La guerre en question se généralisera, et, d'impérialiste, se transformera, sur bien des points, en guerre civile révolutionnaire. Cela n'est pas tant un commandement politique de parti, qu'une fatalité historique. Ici, là, où passera la guerre, passera la révolution. Ce qui a eu lieu lors de la dernière guerre nous montre clairement comment les choses tourneront, en plus grand et en plus fort, lors de la prochaine. Même quand on veut démolir le progrès, on le fait avancer. » (Henry Barbusse, Staline - Un monde nouveau vu à travers un homme, 1935, édition numérique, pp. 92-93.)

Dans le cadre de la lutte contre les falsifications historiques bourgeoises-révisionnistes et pour la défense de l'expérience de la construction du socialisme en URSS sous la direction de Lénine et Staline dans les années 1920-1950, il nous a paru essentiel de faire connaître et de diffuser d'importants ouvrages d'époque. Outre leur disponibilité intégrale sous forme d'édition numérique, nous donnons de larges extraits de ces livres, afin d'illustrer de manière plus vivante leur sommaire ainsi que les éléments apportés. Ces extraits restent pourtant des extraits — partiels et fragmentaires — et ne sauraient donc se substituer à la lecture complète des livres dont ils proviennent. Ils n'ont pour seul but que d'inciter à leur étude. Ces livres s'inscrivent dans le patrimoine de la littérature engagée et socialiste. Ils fournissent aux communistes d'aujourd'hui des éléments nouveaux (car passés sous silence) pour démasquer les mensonges déversés par la bourgeoisie française et ses alliés révisionnistes sur l'expérience soviétique de construction du socialisme, faisant ainsi ressortir de manière évidente leur communauté d'idées anti-communistes, au-delà de toute leur phraséologie pseudo-progressiste ou pseudo-révolutionnaire.

 

Sommaires :

Guido Miglioli - La collectivisation des campagnes soviétiques (1934)

Préface (p. 4)

Les interrogatifs de la collectivisation (p. 5)

Prévisions ; Points d'interrogation ; L'heure de l'histoire ; Prémisses

Du moujik au kolkhozien (p. 12)

L'abolition du droit de propriété ; Le Code agraire de 1922 ; La coopération ; Les institutions collectives ; Progrès technique ; Le koulak ; La veille ; Le Code agraire de 1928

La grande conquête (p. 21)

En face de la crise capitaliste ; Le Plan Quinquennal ; Le paysan moyen ; La lutte contre le koulakisme ; Deux lois de 1929 ; L'éviction du koulak ; L'Octobre des paysans collectivistes ; Trois documents ; Le XVIe congrès de 1930

Dans la kolkhoze (p. 32)

Les trois types de kolkhozes ; Problèmes intérieurs de l'artel ; La détermination du territoire de l'artel ; La Station des machines et tracteurs ; Moyennes ou grandes artels ? ; L'usine et l'artel ; La sovkhoze et l'artel ; L'ouvrier agricole et le kolkhozien ; La première organisation du travail ; L'organisation du travail sur base scientifique ; Le principe soviétique de la productivité du travail ; Facteurs de développement ; La kolkhozienne ; Enfance et vieillesse ; Les noms des kolkhozes

Autour de la kolkhose (p. 50)

La kolkhose et le crédit ; La kolkhoze et le fisc ; La kolkhoze et l'échange ; Le système des contrats ; Les lois de mai 1932 ; Le marché kolkhozien ; Caractéristiques culturelles ; La kolkhoze et la coopération de consommation ; Bilan

Collectivisation et industrialisation (p. 60)

La sovkhose ; La sovkhose et l'industrie du bétail ; La sovkhose et ses différents élevages ; La sovkhose et l'industrie des céréales ; Monoculture et polyculture ; Expérimentation et spécialisation culturales ; Les progrès de la mécanique agricole ; Le deuxième Plan Quinquennal

Les problèmes de demain (p. 71)

L'instruction agraire et deux régimes ; L'école supérieure agraire ; La chimie agraire ; Électrification et irrigation ; Comparaisons et applications ; « Une science nouvelle » ; Les moyens ; « L'esclave mécanique » ; L'amour de la machine

La Commune (p. 81)

Un exemple moral ; Un exemple technique ; Le XVIIe congrès de Moscou ; La famille ; Révolution politique ; Héroïsme et foi

 

 

 

Henry Barbusse - Staline - Un monde nouveau vu à travers un homme (1935)

I — … (p. 2)

Un Révolutionnaire sous le tsar (p. 3)

II — Le Géant (p. 14)

La Main de Fer (p. 25)

III — La Constellation Nationale (p. 35)

IV — 1917-1927 — Les Premières Pierres (p. 43)

V — La Guerre Parasitaire (p. 60)

VI — 1928-1934 — Les Grands Mots d'Ordre (p. 73)

La Paysannerie (p. 82)

De quoi demain sera-t-il fait ? (p. 91)

VII — Les Deux Mondes (p. 94)

VIII — L'Homme à la Barre (p. 103)

CONNAISSANCE DE L'URSS — 1917-1947 — UN BILAN DE 30 ANS

 

I Trente ans d'histoire (p. 3)

II Les sciences (p. 17)

a) Les sciences physiques (p. 17)

b) La biochimie (p. 19)

c) Les sciences du sous-sol (p. 21)

d) La botanique et l'agronomie (p. 25)

e) L'astronomie (p. 27)

f) Les mathématiques (p. 30)

III — La technique (p. 41)

IV — Les lettres et les arts (p. 61)

a) Introduction (p. 61)

b) La littérature (p. 62)

c) La musique (p. 65)

d) Le théâtre (p. 68)

e) Le cinéma (p. 71)

f) L'architecture et l'urbanisme (p. 75)

g) La culture artistique et les arts plastiques (p. 76)

V — Les réalisations sociales (p. 83)

a) Introduction (p. 83)

b) La sécurité (p. 84)

c) La médecine (p. 91)

d) L'éducation et la pédagogie (p. 101)

VI — La civilisation soviétique (p. 111)

Notes (p. 117)

 

 

 

 

Fernand Grenier - Au pays de Staline (1950)

Chapitre I — Premier contact (p. 2)

Chapitre II — Rattraper et dépasser (p. 5)

Chapitre III — Le socialisme à la campagne (p. 12)

Chapitre IV — Le niveau de vie (p. 20)

Chapitre V — L'homme nouveau dans un monde nouveau (p. 28)

Chapitre VI — Deux géants de la pensée et de l'action (p. 31)

Chapitre VII — Du passé, faisons table rase (p. 45)

Chapitre VIII — Oui... mais la liberté ? (p. 53)

Chapitre IX — Le bastion de la paix (p. 60)

Chapitre X — L'U.R.S.S. et la France (p. 67)

Chapitre XI — L'antisoviétisme contre la France (p. 78)

Chapitre XII — Le devoir (p. 98)

Chapitre XIII — En manière de post-scriptum (p. 102)

 

 

Extraits :

Guido Miglioli - La collectivisation des campagnes soviétiques (1934)

« La presse bourgeoise, quoiqu'elle exagérât la portée des épisodes dont l'importance est bien relative dans un mouvement économique et social si vaste et si radical, n'en pouvait cacher ni l'ampleur, ni la signification. Elle comprenait ce que signifiait la formation des grandes entreprises agricoles, mécanisées et industrialisées, avec toutes les ressources que possède le territoire soviétique qui s'étend sur la sixième partie du monde. Cela au point de vue de la répercussion qui devait se produire, tôt ou tard, sur toute l'économie capitaliste. Mais elle prévoyait aussi l'influence morale que ce fait pouvait exercer sur les autres masses paysannes. L'élévation victorieuse de la population travailleuse dans les campagnes soviétiques, ne pouvait pas échapper à l'œil et à la réflexion des paysans opprimés. » (p. 5.)

« J'ai assisté ensuite à la faillite de l'idéologie et du programme social qui niaient la lutte de classe comme moyen de conquête du travail ; qui définissaient la petite ferme familiale comme la réalisation du bien-être pour le paysan ; qui en appelaient à la collaboration capitaliste pour instituer un régime de justice et de liberté pour tout le monde. Faillite ? Oui, et c'est encore un euphémisme ! La collaboration demandée au capitalisme a abouti à la dictature la plus féroce du capitaliste. La vie du paysan s'est toujours plus entravée de misère et de servitude. La lutte de classe fut menée, contre tous les travailleurs et dans une mesure des plus cruelles, par le fascisme. Ceci dans mon pays. Mais j'ai traversé des frontières. J'ai vu et étudié les autres pays de l'Europe bourgeoise ; et partout, plus ou moins, la même tragédie, à laquelle le capitalisme condamne l'homme des champs, premier artisan de sa richesse. » (p. 6.)

« On ne peut pas comprendre et l'on ne peut pas évaluer le passage, qui se fît après 1929, à la collectivisation agricole d'un si haut pourcentage de familles paysannes dans l'Union des Soviets, si l'on n'a pas étudié et compris le mouvement des campagnes et leur évolution dans la période qui la précéda. Dans ce premier voyage d'étude, et ensuite en 1927, je me formai la conviction précise que le développement de la vie paysanne dans la Russie soviétique n'avait pas été celui que le monde bourgeois avait prévu et désiré. La législation agricole, les institutions paysannes, la politique du Parti, les directives des pouvoirs de l'État, paraissaient déjà dans tous leurs buts de préparer et de hâter chez les paysans la conscience et les moyens nécessaires au passage de la petite entreprise familiale à la forme supérieure de la grande entreprise agricole collectivisée. Il restait toujours à savoir si cette tentative allait être couronnée par un succès rapide et complet. Et j'avoue que si, en 1927, je n'ai pas douté de son résultat victorieux, je ne réussis pas à prévoir que, trois années plus tard, il y aurait eu dans la campagne soviétique un mouvement si vaste et si imposant des masses paysannes allant avec leurs terres, avec leurs biens et leur travail, vers la collectivisation. » (p. 7.)

« Pour la première fois dans la marche de l'humanité, les masses populaires prenaient le pouvoir ; on organisait un État avec la dictature du prolétariat ; on proclamait l'alliance la plus étroite entre masses ouvrières et masses paysannes. Voilà les trois facteurs qui agirent dans l'Union des Soviets, pour réaliser la collectivisation. La théorie est passée dans la réalité et en est sortie gigantesque. Elle n'appartient plus seulement à une école ; elle entre comme une loi dominante dans l'Histoire. Dans aucun pays on ne pourra destiner la terre à l'utilisation sûre et concrète des paysans, si les masses populaires ne s'emparent pas de l'État. Nous en avons une preuve éclatante dans le fait que tous les espoirs que les paysans ont placés dans les réformes agraires des États restés entre les mains de la bourgeoisie, n'ont été payés que par la duperie. La plus récente réforme agraire est celle qui a été concédée en Espagne, sous la pression des révoltes paysannes ; mais quelle ironie elle représente pour leurs besoins et pour leurs droits ! Son application n'est pas encore commencée, que déjà son nom est effacé et honni. Mais la prise du pouvoir n'aurait pu être réalisée, même dans la Russie nouvelle, et ne pourra se maintenir jamais nulle part, sans l'application d'un régime de dictature. Le mot « dictature » n'est plus banni du monde bourgeois, comme dans les premières années où il s'affirma dans le pays des Soviets. Aujourd'hui, là où la menace est plus grande et plus proche est l'assaut des classes populaires contre l'État capitaliste, elle s'installe ouvertement et ouvertement on proclame la « dictature » du capitalisme. Le fascisme en est la forme la plus accréditée et la plus appliquée. Si dans l'Union des Soviets l'État n'avait pas adopté le régime de la dictature, les ennemis de la Révolution d'Octobre survivants — nulle révolution ne pouvant d'un coup anéantir les forces ennemies — en auraient gêné ou empêché la marche victorieuse. Et les paysans soviétiques ne pourraient pas aujourd'hui s'enorgueillir de leur transformation féconde et admirée. Eux les premiers, reconnaissent que la dictature de l'État soviétique n'aurait pas pu être réalisée si elle n'avait été confiée au prolétariat. Les masses paysannes de n'importe quel pays n'en ont ni la préparation, ni la possibilité, ni la force. Leurs traditions, leur hétérogénéité, le travail auquel elles furent condamnées, même dans les régions les plus évoluées et les plus avancées dans les pays de l'Europe capitaliste, font, encore aujourd'hui, des masses paysannes, l'élément le plus assujetti et le mieux adapté aux manœuvres de la réaction. C'était le prolétariat de la Russie révolutionnaire qui devait réaliser sa dictature, pour empêcher les mêmes masses paysannes de retomber victime de leurs ennemis et les mener de lutte en lutte, de conquête en conquête. » (p. 11.)

« La Révolution d'Octobre n'a pas donné la terre en propriété aux paysans puisqu'elle établissait que le droit de propriété sur le sol était aboli à jamais. Mais, elles n'a pas conduit, en même temps, les paysans à la culture collective des terres, c'est-à-dire n'a pas accompli cette transformation qui devait mûrir seulement à travers un complexe, processus économique et social. Voilà deux des noyaux de la Révolution d'Octobre. L'un, tourment du théoricien ; l'autre, tourment de tout paysan, auquel la tradition et les préjugés bourgeois ont presque mis dans le sang que, sans le droit de propriété, il ne peut dire posséder la terre qu'il travaille et en avoir la libre jouissance. Peut-être, ces dernières années de la crise capitaliste, qui presque partout a démuni les paysans de la terre qu'ils avaient achetée au prix d'innombrables sacrifices, contribuent-elles à lui faire voir la réalité. Le droit de propriété n'a pas servi et ne sert pas au paysan qui travaille. Le droit de propriété, base du régime capitaliste, sert au paysan riche, à la bourgeoisie, au capitaliste, à multiplier leurs richesses par l'exploitation du travail d'autrui. Même dans les pays européens où la petite propriété est très répandue, le paysan constate aujourd'hui que ce « droit de propriété » ne peut nullement lui garantir la terre. Librement et intégralement il ne l'a jamais eue. Les dettes, les hypothèques, les impôts, s'ils n'étaient pas payés par sa peine quotidienne, étaient largement acquittés sur cette terre qu'il croyait sienne. Et la terre qu'on lui ôtait, grossissait la propriété d'autres plus riches, qui, parle trafic commercial, la transmission héréditaire, l'exploitation de la main-d'œuvre, accroissaient leur patrimoine. Aujourd'hui que la crise l'atteint, le propriétaire foncier cherche à en faire tomber tout le poids sur ce paysan déjà misérable, dont il suce le sang jusqu'à la dernière goutte. Jamais comme en ce moment, on n'eut la confirmation que le droit de propriété de la terre, tel qu'il est proclamé par le régime capitaliste, ne peut sauver le paysan de la désolation et de la ruine. Si la Révolution d'Octobre avait donné à ces masses agricoles la terre en propriété privée ; si cette centaine de millions d'hectares de terre, enlevés aux gros propriétaires et partagés entre les paysans de l'ex-État tsariste, leur avait été assignée comme dans les autres pays d'Europe par des réformes bourgeoises, même sans un seul sou de rachat, peu de temps après le paysan riche aurait accaparé la terre du paysan pauvre et la grande masse des paysans de l'Union soviétique serait aujourd'hui dans la même condition que les paysans polonais, les paysans des Balkans, que rejoindront bientôt les paysans des autres pays de l'Europe centrale et occidentale. La Révolution d'Octobre a voulu « vraiment » donner la terre aux paysans qui la travaillent et la garantir à jamais et contre tout. Elle a dit à chacun d'entre eux : « Voilà la terre que tu voulais pour ton travail. Tu amélioreras ta condition ; tu soulageras ta fatigue. Tout ce que fera l'État, sera fait pour accroître ton bien-être. Tu réaliseras des conquêtes auxquelles tu ne penses même pas. Personne ne te dérangera ; personne ne pourra jamais plus s'enrichir en t'exploitant ; personne ne pillera jamais le fruit de ton labeur. » » (pp. 12-13.)

« Déjà en 1922, l'État donnait des dizaines de millions pour l'achat de machines ; il réussissait à fournir à un nombre notable de paysans des semailles sélectionnées ; il disposait un plan de réorganisation cadastrale des fermes destiné à les rendre plus organiques et plus productives. Il s'adressait surtout aux paysans les plus pauvres et les plus nécessiteux, les affranchissait de tout tribut et leur donnait la préférence dans toutes les allocations de terre et de bétail. Quel était dans l'âme des masses paysannes l'effet de cette politique, faite d'intelligence et d'affection, grâce à laquelle l'État n'était pas une autorité éloignée et hostile comme il arrive dans tout pays capitaliste, mais par laquelle lui et ses organes se mettaient en contact avec les paysans, surtout avec les plus humbles et les plus pauvres ? J'en ai constaté, quelques années plus tard, en 1925, les résultats. Dans chaque village, la personnalité des paysans avait grandi. Dans les bureaux de l'État le paysan n'était plus étranger ou toléré comme dans tous les autres pays, mais il sentait en être partie vivante et opérante. Il parlait de l'État comme de « son » État. Il ne se limitait pas à raconter la production de son champ, mais il parlait avec enthousiasme du progrès rapide qui s'accomplissait dans toutes les campagnes. Parti de l'Italie fasciste, où le paysan était devenu muet et n'osait plus poser ses regards au delà des haies de sa petite ferme, je me sentis tout à coup transporté dans une atmosphère de liberté, dans laquelle le paysan était tout heureux de conter ses conquêtes et ses espoirs. » (pp. 14-15.)

« Lorsqu'on approchait le cultivateur de la petite ferme et qu'on parlait avec lui des résultats de son travail, presque toujours il faisait lui-même la comparaison entre sa production et celle de la ferme collective. Il reconnaissait à celle-ci la supériorité qu'elle tirait de l'emploi plus facile des machines, de la meilleure utilisation de la terre, de la possibilité de spécialisation des cultures et du bétail. « Moi aussi, j'en passerai par là », concluait-il ouvertement, ou en laissant entrevoir son intime pensée. Et lorsqu'il ne s'en rapportait pas aux résultats atteints par la ferme collectivisée, par la kolkhoze, le paysan songeait aux entreprises agraires directement gérées par l'État, les sovkhozes. » (p. 16.)

« Les événements économiques et politiques de ces cinq dernières années se déroulent tous autour de deux faits : la crise progressive et mortelle du monde capitaliste ; l'élan d'une vie nouvelle et d'un développement colossal dans le monde soviétique. L'antithèse est dans la nature même des deux régimes. Le régime capitaliste vise à donner le maximum du profit de la production à une classe restreinte d'exploiteurs ; et ce maximum il ne peut l'atteindre que par une exploitation toujours croissante des masses travailleuses, des ouvriers et des paysans. Dans le régime bourgeois, la production est l'œuvre des grandes masses, mais le profit principal en revient au capitaliste. Cette contradiction profonde et irréductible agit au sein même du régime bourgeois ; elle crée d'une part la surproduction et la concentration de la richesse, et de l'autre la sous-production et la misère toujours plus répandue. Dans le monde soviétique, où les moyens de production, la terre, les usines, ont été soustraits au capitalisme ; où le profit de la production n'est pas partagé de façon que la plus grande partie serve à l'enrichissement des couches parasitaires ; où, tout au contraire, le profit de la production est destiné à l'amélioration économique et sociale des masses qui produisent, les ouvriers et les paysans, là ne peut se produire que le bien-être progressif de la collectivité. C'est donc dans la nature organique du régime capitaliste, que l'on doit rechercher les causes de la crise. C'est dans la structure et dans la vie du régime soviétique, l'inéluctabilité de son progrès. » (p. 21.)

« J'étais loin de l'Union des Soviets, lorsqu'on publia ce Plan, qui dans son grandiose a du fantastique et qui, des calculs sévères de la préparation, venait au jour pour se concrétiser dans la réalité. La presse bourgeoise de chaque pays fut obligée à parler de l'enthousiasme avec lequel les masses ouvrières et paysannes l'accueillirent. Moscou, les villes industrielles, les usines, les villages, se parèrent de drapeaux rouges, et toute l'atmosphère en parut enflammée et empourprée. Naturellement, la même presse, étant habituée à écrire que tout ce qui se passe dans le monde soviétique est artificiel, chercha tout de suite à railler les raisons de cet enthousiasme. Pour moi, je me l'explique, au contraire, parfaitement. Je ne parle pas de l'ouvrier, qui devait se sentir transporté vers des années de vie et de travail pleines d'attraits, aussi parce qu'il aurait été le premier à voir et jouir de cette transformation industrielle qui, en répandant la richesse dans le pays, devait le porter à un niveau supérieur de prospérité dans l'intérêt de tous les travailleurs. Mais je parle du paysan ; et j'imagine ce qui dut se passer dans les campagnes, lorsque la masse paysanne se rendit compte qu'un flux si puissant et si nouveau d'énergie allait se répandre dans ces immenses étendues de terrains en friche, pour changer leur aspect et en dissiper le triste souvenir. » (p. 23.)

« Pendant mon séjour dans les villages soviétiques en été 1930, j'apprenais directement des paysans collectivistes combien le koulak avait été féroce et agressif contre eux, lorsque, en groupes, même les paysans moyens se dirigeaient, enthousiastes, vers la collectivisation. Il brûla leurs maisons ; il empoisonna les eaux pour tuer le bétail ; il attaqua les dirigeants du mouvement collectiviste, allant jusqu'à l'assassinat. « Exagérations ! Inventions ! » C'est de ces mots que la presse antisoviétique accompagnait sa chronique, toujours altérée, de ces épisodes. Mais je sais être dans le vrai quand j'affirme que, si je n'avais pas su de la bouche même des paysans la vérité des faits, prouvant l'acharnement bestial par lequel les koulaks répondirent à la propagation dans les campagnes de l'idée collectiviste, cette vérité je l'aurais comprise. Je me serais étonné si elle avait été différente. Parce que je l'ai vu dans mon pays, je l'ai constaté dans les campagnes où, avec les paysans pauvres et les salariés, j'ai lutté contre le fascisme : l'être le plus vil et le plus violent de la lutte fasciste a précisément été le paysan enrichi. Ce misérable prenait plaisir à blesser, assassiner, à détruire les institutions de la coopération paysanne ; à en frapper les dirigeants dans leurs intérêts, dans leur existence. L'élément le plus criminel des bandes fascistes, que le grand propriétaire et le grand industriel subventionnaient avec la protection de l'État, était formé par cette bourgeoisie rurale, venue de la souche paysanne et grandie en richesse et en puissance uniquement par l'exploitation du travail d'autrui, par la fraude, par l'usure. La presse capitaliste, de même qu'alors dans mon pays niait les fautes de ces scélérats et cachait la responsabilité de tant de crimes contre les populations pauvres de la campagne, de même elle accusa l'État soviétique d'exagérer la portée de la résistance et de la lutte des koulaks contre la collectivisation, pour en tirer prétexte à des mesures radicales qui les frappât et les liquidât à jamais. Et ces journaux bourgeois entonnèrent des lamentations larmoyantes contre la persécution bolchevique. Sur ce point aussi, la vérité est bien différente. L'État soviétique a procédé par étapes et progressivement dans sa lutte contre le koulakisme : de la compression et du refoulement à sa liquidation comme classe. » (p. 25.)

« Dans les pays de l'Europe occidentale, où le progrès agricole a rendu possible la culture familiale de vingt ou de trente hectares à système intensif, s'est répandue la conviction que dans la nouvelle Russie les caractéristiques déterminant si un paysan était ou non de la catégorie des koulaks étaient précisément celles de l'étendue du terrain à sa disposition et du capital engagé dans sa ferme. Cette fausse conviction est encore aujourd'hui affirmée par la presse bourgeoise, afin d'exciter l'aversion des paysans les moins pauvres contre l'expérience collectiviste des campagnes soviétiques. Non. Avec beaucoup de sagesse un décret du Comité exécutif central, en mai 1929, fixait en de bien autres termes les caractéristiques qui devaient distinguer le koulak. Elles ne touchent aucune famille paysanne parce que celle-ci est aisée et solide dans son économie, mais frappent le koulakisme pour une raison bien différente et de nature profondément morale et sociale. Le koulak est celui qui veut vivre en exploitant constamment le travail et la fatigue d'autrui. La loi d'abord concrétise trois circonstances qui supposent inévitablement cette exploitation par le paysan enrichi. Elles sont données : par la possession d'installations outillées pour une industrie accessoire, comme moulins, fabrication des conserves, de l'huile, etc. ; par la possession des machines agricoles, qu'il loue à d'autres paysans moyennant une certaine redevance ; par la possession d'une ferme pourvue d'un nombre de locaux supérieur à ses besoins de sorte qu'il puisse en céder une partie en location moyennant le paiement d'un loyer. Cette énonciation de la loi soviétique est taxative ; mais il est clair que sa valeur consiste dans la mise en relief que le paysan enrichi, dans chacun de ces cas, vise à gagner en dehors de son travail et en spéculant sur le sacrifice et la peine d'autrui. » (pp. 25-26.)

« Aussi la vérité de cette dernière phase de la bataille contre les épaves du capitalisme agraire, dans une partie remarquable des campagnes soviétiques, ne fut, et pouvait être reproduite dans sa vérité par la presse bourgeoise. Celle-ci se scandalisa des dispositions prises par Moscou qui confisquaient les biens des koulaks et en déportaient aussi plusieurs milliers dans les terres plus lointaines, où, pour vivre, ils devaient travailler comme tous les autres paysans. Cette conduite légitime et généreuse de l'État soviétique envers des adversaires implacables des masses prolétariennes et paysannes, contre lesquelles ils n'hésitèrent pas à engager une lutte sanglante, fut peinte avec les teintes les plus féroces de la tyrannie et de la persécution. Personne ne se scandalisa, dans la presse capitaliste, du nombre bien plus fort des paysans que la faim et la misère, provoquées par l'oppression du régime politique de leur pays, obligeaient à émigrer de leurs villages pour chercher un abri et du répit dans une autre terre, presque toujours aussi avare et marâtre. Et tandis que c'est la chronique d'hier, d'aujourd'hui, de chaque heure, la terreur par laquelle on répond à la misère qui ne demande que du travail et du pain aux gouvernements représentant la violence, toute cette terreur, la plus fanatique et la plus cruelle, on la retrouva dans la Russie de la collectivisation, dans ces journées où les campagnes s'épuraient des éléments que Lénine avait justement définis comme « les exploiteurs les plus brutaux et les plus féroces ». » (p. 27.)

« Le commencement de la liquidation du koulak en tant que classe coïncidait, en effet, avec une grande offensive que le monde bourgeois reprenait contre l'Union des Soviets en rallumant le feu de la guerre. L'Église de Rome commençait sa « croisade » en dénonçant les persécutions et la tyrannie du régime soviétique, feignant d'ignorer que le pope déporté n'était pas le ministre du culte puni pour sa fonction religieuse, mais le soutien des koulaks et souvent leur excitateur qui venait d'être éliminé des campagnes enflammées d'une vie nouvelle.  » (p. 28.)

« Il reste, cependant, la question : « Cette situation dans laquelle le kolkhozien a la faculté de posséder encore une pièce de terre et un petit capital, ne l'arrêtera-t-elle pas dans l'évolution qui doit le transformer de petit cultivateur en membre de la ferme collective ? » J'ai souvent formulé ce doute devant plusieurs membres de l'artel afin d'en obtenir une réponse claire et précise. La réponse, la voici : « Il faudrait ne pas avoir confiance en ce que nous faisons, c'est-à-dire dans l'énorme développement que nous voulons donner à nos fermes collectives, pour continuer à garder ce doute. Ce qui reste au kolkhozien, et l'exploitation qu'il peut faire de son potager, de sa vache, etc., représente un revenu considérable pour sa famille. Et ceci est un bien, surtout pendant ces premières années de la collectivisation. Mais quand l'artel, agrandie, mécanisée, industrialisée, donnera des profits tels que chaque kolkhozien aura des bénéfices trois, cinq, dix fois plus grands que ceux que lui donne l'exploitation de son potager et de ses animaux de basse-cour, croyez-vous qu'il se sentira encore lié à ce travail, et qu'il ne transformera pas les petits lots entourant son habitation en jardin, du moment qu'il aura de larges moyens de subsistance lui et sa famille ? » » (p. 34.)

« Là où l'artel se fortifie, s'agrandit, s'industrialise, réalisant de considérables progrès, le kolkhozien qui en est membre et artisan conscient ne s'en détache plus. Il continue de transformer toujours sa mentalité et sa nature de paysan jusqu'à ce que les traces en soient effacées. De même que l'industrialisation toujours plus productive de la grande ferme agricole porte logiquement en elle la suppression graduelle des différences économiques et de classe entre les membres de l'artel, de même elle réussit à former en eux une nouvelle conscience, la conscience du véritable kolkhozien. » (p. 35.)

« Ce qui frappe, quand on s'entretient avec les kolkhoziens sur cet argument, c'est la certitude qu'ils manifestent de réussir, à n'importe quel prix, dans la révolution technique et économique de la campagne. « Nous disposons de moyens tels... » « Nous avons tellement de ressources... » « Avec notre Gouvernement ouvrier et paysan nous pouvons... » Et cette certitude n'est point faite d'espoirs vains, mais repose sur la réalité qu'ils ont expérimentée et expérimentent chaque jour. En effet, de même que le pouvoir de l'État a guidé, par un effort incroyable et constant, les masses agricoles vers la collectivisation, de même est-il actuellement présent pour aider et guider l'entreprise collective agricole dans chacun de ses pas. Cette vérité doit être une fois de plus mise en relief. En effet, si la vie de la kolkhoze présente parfois des formes ou des expressions qui résonnent même dans le rythme de la vie économique capitaliste, leur différence reste toujours grande, précisément parce que le régime de l'État des Soviets leur donne une tout autre signification et une tout autre valeur. » (p. 36.)

« Mais ce n'est pas seulement par la Station de machines et tracteurs que la présence et l'œuvre du pouvoir de l'État s'expliquent comme force intégrante et parfois dirigeante de la vie de l'entreprise collective. Il y a encore d'autres facteurs au moyen desquels il agit : l'usine et la ferme agricole d'État, ou sovkhoze. L'usine, précisément par l'effet de la collectivisation agricole, a trouvé le chemin et le motif de son installation à la campagne où elle aide et encourage la culture qui fournit la matière brute à élaborer et transformer. Les usines dans les pays bourgeois se concentrent le plus souvent dans les villes, soit pour ce motif social et politique que le régime capitaliste a tout intérêt de garder le prolétariat des villes loin des populations paysannes, soit parce que celles-ci, dans leurs petites entreprises agricoles, sont plus portées, bien souvent irrationnellement, à la variété et à la pluralité des cultures. Cette dernière tendance existait aussi dans les campagnes soviétiques ; mais dès que le processus de la collectivisation commença avec celui de l'industrialisation rurale, il surgit immédiatement la possibilité et l'intérêt de rapprocher l'usine de la grande ferme agricole. » (pp. 39-40.)

« Le caractère industriel de la sovkhoze et sa spécialisation, qui s'étendit même à tous les élevages les plus importants, donnent désormais à cette entreprise la véritable structure d'une industrie. La sovkhoze représente réellement la grande industrie agricole soviétique. Il suffit de remarquer le simple fait que les sovkhozes cultivant du blé atteignent les plus grandes entreprises industrielles, soit dans la mécanisation de la production, soit dans la formation organique de leur capital. La partie constante de celui-ci, pour citer un exemple, atteint dans quelques sovkhozes les 92 % du capital total ; donc très peu inférieur au pourcentage qu'on retrouve dans les usines Poutilov, à Leningrad, qui est de 95 %. » (p. 41.)

« Pour revenir à l'organisation du travail dans l'entreprise agricole collective, qui s'orienta dans la voie magistralement tracée par Staline et plus spécifiquement élaborée par l'action du Commissaire du peuple à l'Agriculture, Iakovlev, je dirai que le système de distribution du travail par familles et la division des produits de la ferme par tête furent bientôt abandonnés. Ainsi qu'à l'usine, le travail dans sa qualification et dans sa quantité devait servir à l'artel de base pour la répartition, sous toutes ses formes, des revenus de l'entreprise. Et c'est l'émulation qui devait être la force propulsive, pour porter la productivité du travail à son degré le plus haut et le plus perfectionné. » (p. 43.)

« Mais on dira alors : « C'est le travail à la tâche, cette méthode qui est la plus caractéristique de l'exploitation de la main-d'œuvre dans l'agriculture et dans l'industrie capitalistes ! » Je me souviens d'avoir mené moi-même une lutte continue, dans les grandes fermes des cultivateurs lombards, en Italie, pour empêcher que les travailleurs agricoles y fussent embauchés comme tâcherons ; je réclamais au contraire qu'on les payât par tête et par heure. Et j'avais raison. Chez le capitaliste ce système tend à épuiser toute l'énergie du travailleur, à exciter son désir violent du gain, et cela exclusivement pour le plus grand profit du patron. Ce que représente la petite augmentation de salaire que le travailleur peut obtenir par un effort de ses muscles, est quelque chose de pauvre, d'infime, de piteux, en comparaison de ce qu'en tire le capitaliste. C'est cette disproportion impudente qui a poussé tous les travailleurs agricoles et d'usine à vouer à ce système toute leur haine ! Détruisons les bénéfices du patron ; identifions, pour ainsi dire, ces bénéfices avec ceux du travailleur, de manière qu'il puisse, comme cela arrive dans l'entreprise agricole soviétique, acquérir un double avantage : celui, immédiat, d'une plus grande rétribution de son œuvre, et celui, beaucoup plus important, du profit apporté à l'entreprise, qui lui appartient à lui aussi. Le travail à la tâche deviendra alors le système vers lequel tout travailleur aspirera à arriver pour sa satisfaction matérielle et morale. Fixer dans une entreprise agricole capitaliste la rétribution du travail d'après sa qualification et sa quantité et lier ce principe par le système du paiement à la tâche individuel ou collectif, c'est là un moyen d'exploitation tellement connu et prouvé, que tout travailleur conscient, ouvertement ou secrètement, n'a pour lui que de la répugnance. Et s'il l'accepte, il le fera seulement parce que poussé par la nécessité ou obligé par la force ; mais sa fatigue en sera constamment exaspérée. Son travail lui sera plus lourd, plus dur et plus pénible. Transportons cependant ledit système dans la vie et dans l'atmosphère de la ferme soviétique, où il ne reste de lui que le nom et la forme, la substance et l'esprit en étant radicalement transformés, et son application cessera d'être une peine imposée au travailleur, mais elle deviendra au contraire un de ses désirs les plus vifs. La dureté même du travail diminuera et s'égayera. Le travail se fondra dans la jouissance de l'âme et du corps. Il multipliera les énergies physiques du travailleur et l'incitera à l'amour, chaque jour plus profond, pour l'entreprise où il vit, car il s'élèvera et progressera avec elle. » (p. 44.)

« Il est un fait très remarquable qui se vérifie dans la Russie nouvelle, en opposition à ce qui se passe dans les pays bourgeois. L'usine, la ville, qui aussi dans l'Union des Soviets appelaient de nombreux paysans et exerçaient surtout parmi les jeunes leur attrait, virent, avec le commencement et le développement de l'industrialisation agricole, un grand reflux vers la campagne des éléments ruraux émigrés. Ils y retournèrent avec un amour véritable ; ils y apportaient les fruits de la vie et de l'expérience acquise pendant leur séjour parmi le prolétariat industriel, où les nouvelles directives pour l'organisation du travail et pour l'émulation entre les groupes ouvriers et entre les usines avaient été accueillies avec tant d'enthousiasme et avaient donné naissance aux initiatives les plus géniales. Ainsi, par exemple, dans bien des usines, outre les brigades de choc, se formèrent des brigades de remorquage, des brigades pour la bonne qualité du produit, des brigades pour le meilleur rendement, etc. Il faut souligner encore un fait qui montre avec combien de passion l'ouvrier de la ville aime et suit cette réorganisation profonde de la vie rurale. Il est bien difficile, surtout pendant l'été, de visiter la campagne collectivisée sans y trouver des groupes d'ouvriers, qui s'y rendent, pas seulement parce qu'ils sont chargés par leurs fabriques d'aider les kolkhoziens dans certains travaux, mais aussi parce qu'ils sont mus par le désir de s'unir et de collaborer à l'industrialisation de l'entreprise collective. » (p. 45.)

« La femme soviétique s'est éveillée, a vécu et s'est forgée, sous le feu des batailles continuelles. Son histoire la met à l'ordre du jour pour ses sacrifices dans les combats de la Révolution et dans ceux encore plus dramatiques de la guerre civile. Mais ce qui la forma davantage, ce fut essentiellement le régime né d'Octobre, ce furent les principes qu'il proclama et les initiatives qu'il en fit jaillir : l'égalité de la femme et de l'homme dans leurs droits politiques et de travail, la particulière protection de la femme pendant sa maternité, les soins sociaux inlassables et toujours plus attentifs envers ses enfants, son élévation à toutes les occupations auxquelles elle peut aspirer. C'est de cette manière que la paysanne soviétique, après s'être façonnée dans la lutte contre ses ennemis, a accru et éduqué son intelligence et sa conscience jusqu'à comprendre et suivre, dans le plus grand enthousiasme, cette formidable révolution rurale que fut la collectivisation. » (p. 47.)

« Un correspondant du fascisme italien, envoyé dans la Russie soviétique, conclut ses quelques articles sur la collectivisation, en affirmant que la Révolution existait... surtout dans les mots. « Partout », disait-il, « de nouveaux noms pour désigner les kolkhozes ; et des noms comme : « Aurore », « Octobre », « L'Assaut », « Le Pouvoir des Soviets », « Le Bolchevique », etc.. » Il n'a même pas compris que certaines désignations, issues du peuple, sont plus expressives que tout autre baptême. Les nouveaux noms se substituaient par exemple à ceux de « Nejelovo », « Neuroschaïevo », « Golodovka », etc, par lesquels, avant la Révolution, ces paysans avaient nommé le village « de ceux qui ne mangent pas », le village « de la maigre récolte », le village « des affamés » ! Oh ! si dans les pays fascistes, dans l'Europe qui épuise les masses agricoles, ces dernières pouvaient, elles aussi, rebaptiser leurs villages ! » (p. 49.)

« Je ne sais pas si les quelques millions d'exploitations individuelles et paysannes qui ne sont pas encore entrées dans les rangs de la collectivisation, en resteront encore longtemps éloignées. Il me semble que je ne me trompe pas en disant que cela dépendra notamment du développement de l'industrie soviétique, d'où l'agriculture devra tirer en grande partie les moyens nécessaires à sa transformation et à son progrès, et de la maturation simultanée de la conscience collectiviste parmi les masses agricoles qui peuplent les régions de la Russie asiatique. Cela dépendra encore d'un complexe de facteurs de la politique internationale, car il est clair que l'Union des Soviets devra tenir les yeux grands ouverts, entourée comme elle est par le monde capitaliste, voire par une forêt d'armes dirigées avant tout contre son existence et son avenir. Toute prévision me semble enfin assez difficile à faire, car ce ne serait pas la première fois que la méthode « bolchevique » entre en action dans toute sa force, en réalisant par là ce qui auparavant paraissait impossible. Ce mot « bolchevique » n'indique pas seulement un déploiement exceptionnel d'énergies, de volontés, d'ardeur et d'héroïsme dans une action déterminée ; il signifie aussi que, dans le monde soviétique, il y a une force qui dirige et agit et dont l'efficacité est incalculable. Cette force c'est l'État, l'État prolétarien, synthèse de la puissance d'une masse ouvrière et paysanne toute tendue dans un effort de conquête. Il est fort probable donc, qu'avant toute prévision, la collectivisation absorbe aussi ces autres millions des petites entreprises et que pas un paysan de l'Union des Soviets ne reste étranger à l'organisation agricole collective. » (p. 50.)

« En Europe capitaliste, les masses agricoles sont désormais dans l'impossibilité absolue de payer cette écrasante charge foncière, qui s'accompagne d'un grand nombre d'autres impositions vexatoires sur le bétail, sur les outils d'inventaire, sur tout ce dont est composée la petite ferme paysanne. Dans l'Italie fasciste, par exemple, la petite entreprise est bien grevée par quinze impôts de genres divers. Il y en a même sur les volailles. Ce n'est pas de la rhétorique que la phrase qui sort de la bouche des paysans et qui dit : « Il ne nous reste plus que nos enfants qui ne soient pas frappés par la férocité du fisc ! » S'il y a quelque chose dans le régime soviétique qui flétrit une telle infamie, cela réside certainement dans la conception que ce régime a de l'impôt et de la méthode par laquelle il est prélevé. L'impôt foncier constitue un revenu presque insignifiant dans le bilan de l'État prolétarien. C'est, nous le verrons, d'une source bien différente que dérivent ses revenus. Par exemple, dans le budget de 1932, qui était environ de 31 milliards de roubles de recettes, l'impôt foncier n'atteint même pas le chiffre d'un demi-milliard. Et il n'a presque jamais changé, bien que le revenu de la population agricole ait varié et que pour 13 milliards de roubles environ en 1930, on l'estimât en 1932 une somme supérieure à 22 milliards. » (p. 52.)

« Si l'on considère l'artel comme une entreprise agricole industrialisée, il resterait à voir quel est le sort, toujours du point de vue économique, de celui qui en est membre, vis-à-vis de celui qui travaille dans la grande ferme capitaliste. Et cette comparaison est bien cruelle pour ce dernier ! Le bilan le plus récent de la grande ferme dans la région agricole la plus industrialisée de l'Italie fasciste, la Lombardie, porte cette précise constatation : la partie représentant les frais de la main-d'œuvre, sur le revenu brut total de l'exercice agricole est de 25 % environ ; le reste, c'est-à-dire 75 %, va au propriétaire comme taux de son capital terrien ; va au propriétaire comme taux de son capital mobile et d'inventaire ; va encore au propriétaire ou à son substitut, en tant que dirigeant de la ferme. Et, après que l'on a défalqué les frais d'exercice et les impôts, le reste va encore garnir ses caisses comme bénéfice. Le montant des salaires dans la grande ferme, que j'estime la mieux organisée de l'Europe capitaliste, atteint à peine le double de ce que la ferme collective, l'artel, assigne à son bilan pour la seule assistance invalidité et vieillesse. » (p. 58.)

« Ainsi que je l'ai dit au sujet des grandes sovkhozes d'élevage, aussi à l'égard des sovkhozes spécialisées dans la culture des céréales, de ces « fabriques géantes » de blé, comme les appelait la presse soviétique, on a apporté forcément des innovations dont je parlerai plus loin. Je me plais ici, à me rapporter directement à ce que j'ai vu de mes yeux, afin de mieux souligner leur rapports avec l'entreprise agricole collectivisée. Je choisis, entre les nombreuses sovkhozes pour la culture des céréales que j'ai visitées en 1930, une sovkhoze du Caucase du nord, distante environ de cinquante kilomètres de Rostov, et qui est célèbre pour son caractère scolaire expérimental. Elle était contremarquée du numéro « deux », car une autre sovkhoze à côté l'avait précédée et surpassée par l'ampleur du territoire. Cette sovkhoze m'apparut vraiment des plus indiquées pour l'étude, car elle était non seulement une entreprise destinée à la culture du blé, mais elle avait annexé un Institut pour la préparation du personnel technique et une station expérimentale pour les machines agricoles. » (p. 65.)

« En 1931 et en 1932, l'État allouait à l'agriculture, pour les seules machines agricoles, une somme supérieure à un milliard et demi de roubles. Quatre ans après le commencement du premier Plan Quinquennal, déjà 167.000 tracteurs sillonnaient les plaines sans limites, les vallées qui se suivent les unes les autres, et montaient dans plusieurs zones jusqu'à fendre les flancs mêmes de la montagne. Au printemps de 1933, Molotov, lors de la Conférence régionale des kolkhoziens de la moyenne Volga, affirmait : « Dans une seule année, de juin 1933 à juin 1934, nos usines nous donneront 68.000 tracteurs, dont 4.500 « caterpillars » d'un grand rendement, fabriqués pour la première fois dans l'Union des Soviets par les usines de Tchéliabinsk. » En effet, les derniers chiffres de 1933 étaient de 204.000 tracteurs, développant une force de 3.100.000 CV. Les Stations des machines et tracteurs, ces centres puissants où se trouve la plus grande partie des machines agricoles, s'élevèrent en 1933 à plus de 3.000 et élargirent leur œuvre sur un territoire de 70 à 80 millions d'hectares. La presse bourgeoise chaque jour plus décidée à nier ou à diminuer les succès qu'obtient l'Union des Soviets dans l'industrie agricole, ne se cache pas cette réalité ; elle ne se tait pas non plus sur le fait que l'industrie de l'État prolétarien est en train de se soustraire à la nécessité d'une importation ultérieure de machines et de tracteurs de l'étranger. » (p. 68.)

« Avec la collectivisation et son admirable agrandissement, aussi la préparation et l'entraînement de la force motrice première, celle de l'esprit, subirent une nouvelle et formidable poussée. Toute sovkhoze, nous l'avons vu, est une école. Toute Station de machines et tracteurs est aussi une école. La kolkhoze a transformé et vivifié tout le village et la campagne tout entière, où l'on vit dans une atmosphère chargée d'éléments nouveaux pour l'esprit. Tout cela s'est uni à l'effort incalculable de l'État soviétique, effort que même ses adversaires reconnaissent. Les enfants des villages arrachés à l'analphabétisme, poussés à apprendre obligatoirement les notions principales du savoir, dans leur majorité s'élèvent et parviennent aux plus hautes études de la spécialisation scientifique et de la technique agraire. Depuis 1929, cet effort s'est multiplié, a démesurément grandi. Il n'est pas de région où un Institut spécial n'ait été fondé, pris déjà au commencement par la fièvre d'accueillir le plus possible d'éléments que les usines ou les entreprises agricoles envoient pour en faire les forces dirigeantes les plus perfectionnées de la nouvelle agriculture soviétique. C'était une des propositions de Staline qui déterminait les pivots de la phase historique vers laquelle marche fatalement l'Union des Soviets. « Notre pays, disait-il en 1931, est entré dans une période de développement, où la classe travailleuse doit elle-même former ses propres intellectuels et ses techniciens pour la production. » » (p. 70.)

« Parmi les écrits de Gorki, durant ces trois dernières années, les plus passionnés et vibrants ce sont justement ceux qu'il dédie aux miracles de la vie intellectuelle, de la culture, du progrès éducatif, qui se produisent dans tous les villages, et qui transforment la Russie de l'analphabétisme du temps des tzars en un pays où l'on étudie le plus et où travaillent davantage les fonctions de l'intelligence et les énergies mystérieuses de l'esprit. Au mois d'août 1931, il célébrait en des pages brèves, mais que l'on dirait entaillées dans la pierre tellement elles sont fortes et précises, l'anniversaire de la décision du Gouvernement des Soviets, par laquelle on rendait obligatoire l'enseignement élémentaire et l'on dotait tous les villages, mêmes les plus perdus, des moyens financiers nécessaires à cet enseignement. Dans cet écrit Gorki faisait, remarquer que de l'enseignement obligatoire primaire, on était arrivé déjà l'année suivante à l'enseignement de sept ans, dans tous les centres ouvriers et dans toutes les régions agricoles collectivisées ; et que les écoles instituées dans les usines, dans les sovkhozes et dans les kolkhozes, constituaient un système fixe, arrêté, d'enseignement, et marquaient ainsi une nouvelle étape décisive, vers la réalisation d'un nouveau grand programme : l'instruction polytechnique jusqu'à dix-sept ans. L'instruction agraire et deux régimes. Il n'est aucun État bourgeois qui puisse se proposer ce noble but. Gorki, dans son cri de joie et de bataille pour ce que réalisait cette Russie qu'il avait si ardemment désirée, flétrissait la réalité opposée du monde bourgeois. Lui, qui arrivait de l'Italie fasciste, écrivait que dans une ville, sur deux cents jeunes gens qui avaient fini leurs études secondaires et voulaient s'inscrire à l'université, quatre seulement y furent admis. En Allemagne, la presse du Gouvernement s'efforçait de démontrer l'excédent d'étudiants aux cours d'études supérieures ; et elle en tirait comme conclusion la nécessité d'en réduire le nombre par tous les moyens. Les États-Unis s'étaient engagés dans la même voie. « Les capitalistes craignent — concluait Gorki — que les forces intellectuelles qu'ils ne peuvent plus absorber et exploiter à leur profit, ne passent du côté de la classe ouvrière pour servir leur grande cause aussi consciencieusement qu'ils ont servi celle de l'édification de la prison de l'État capitaliste. » » (p. 71.)

« Dans l'Italie fasciste, un groupe d'ingénieurs fut chargé de faire des études pour un accroissement de l'électrification de l'entreprise agricole. Le résultat a démontré qu'il n'est possible, du point de vue technique, d'appliquer utilement la force électrique, que dans la « grande » ferme industrialisée. Et aussi pour cette ferme le coût de l'énergie est trop élevé et son emploi ne peut s'effectuer que si l'État y concourt avec 50 % des frais. Toute possibilité d'usage de la force électrique dans la petite et la moyenne ferme, est donc à exclure. En face de cette réalité, qui est indiscutable non seulement pour un pays mais pour le monde capitaliste tout entier, s'oppose la réalité des campagnes soviétiques. Ici la transformation révolutionnaire permet et facilite l'introduction de tous les bienfaits de la science. Ici, la mécanique et la chimie peuvent, ainsi que l'électrotechnique, oser les expériences les plus hardies dans l'intérêt de toute la collectivité travailleuse. » (p. 75.)

« L'État des Soviets a réellement créé toutes les possibilités pour l'industrialisation agricole la plus parfaite. Avec sa collectivisation qui se généralise chaque jour davantage ; par ses fermes qu'il gère directement ; par son industrie en marche vers des capacités de production énormes; par la fièvre d'étude qui s'empare même de la dernière couche de la population, l'État soviétique possède des éléments tels qu'il est impossible de les trouver dans les pays capitalistes. Et comme si cela ne suffisait pas, il y ajoute la puissance des moyens dont il pourra disposer toujours davantage. » (p. 77.)

« La machine, dans les campagnes industrialisées de l'Amérique, a multiplié la production du blé et du sucre. Mais, cependant que par milliers de tonnes ces produits destinés à l'alimentation de l'homme sont engloutis par la mer ou condamnés au feu, il existe là-bas des millions de paysans qui languissent dans la misère ; le nombre de ceux qui n'ont pas de pain s'accroît tous les jours ; et les affamés marchent sur la capitale pour en être repoussés par les mitrailleuses du Gouvernement. Ce qui arrive aux États-Unis, se répète, dans une mesure et sous des formes variables, dans tout le reste du monde bourgeois. N'envoie-t-on pas à l'abattoir, en Hollande, dans les pays dont l'industrie zootechnique est des plus évoluées, des centaines de bêtes laitières dans l'espoir de diminuer la production et provoquer une hausse sur les prix des produits du lait, tandis qu'à une partie considérable de la population travailleuse des villes et de la campagne, faute d'argent, il est absolument interdit de s'acheter le lait pour l'usage familial ? C'est dans cette tragique contradiction, dans cette apocalyptique vision d'une surabondance démesurée de produits du côté de la classe capitaliste et d'une pauvreté sans égale qui augmente sans cesse et répand la ruine parmi les masses prolétariennes, c'est dans cette contradiction ouverte que se trouve la condamnation, irréfutable et inexorable, du régime économique et politique du monde bourgeois. C'est par cette répudiation qu'aujourd'hui il est poussé à faire des bienfaits de la mécanique, des progrès de la zootechnique, des résultats de la science, que se manifeste l'aveu formel de son agonie. C'est la caractéristique du mourant, de repousser avec mépris et nausée la nourriture dont il s'est alimenté le plus. » (p. 79.)

« Il y a dans la collectivisation agricole une autre forme, « la plus complexe et la plus difficile », selon l'expression adoptée, il y a quelques années, par Staline : la commune. Son histoire a suscité une constante sympathie parmi les masses laborieuses soviétiques ; son nom était un symbole. » (p. 81.)

« La presse bourgeoise — qui ne se le rappelle ? — commença une campagne contre le régime né de la Révolution d'Octobre, en le rendant responsable du sort misérable des milliers de jeunes gens et d'enfants qui, loqueteux et hâves, peuplaient le pavé des villes et des centres ruraux. Non ; ces jeunes gens étaient l'expression vivante de la tragédie où un monde entier d'ennemis avait poussé l'État prolétarien, pour l'étouffer dans le sang et le réduire par la faim. Mais l'État prolétarien recueillit cet héritage par une admirable expansion de solidarité et de bienfaisance. Les « besprisornis » devinrent l'objet de ses attentions les plus assidues, pour les acclimater, peu à peu, à l'atmosphère de la nouvelle vie soviétique, sans employer la répression policière, mais en les rapprochant par contre du cœur de la population. Ce fut ainsi que beaucoup de familles ouvrières et paysannes, appuyées par l'État avec de particulières subventions, accueillirent ces abandonnés et les firent participer à leur travail. De nombreux instituts furent édifiés pour les éduquer et les instruire. Terre, outils agricoles, argent, furent accordés, avec d'autres privilèges, de préférence à ceux de ces jeunes gens qui désiraient retourner à la campagne pour y devenir d'énergiques reconstructeurs. » (p. 81.)

« Ces jeunes délaissés ont maintenant disparu de la campagne et des villes de l'Union soviétique ; mais ils poussent et pullulent dans les rues de New-York et de Chicago, et toute ville de l'Europe bourgeoise les voit affluer surtout de la campagne, cherchant du pain, la main tendue pour recevoir l'aumône. Une fois de plus, c'est la société capitaliste qui engendre ces malheureux ; et tandis qu'elle les laisse tomber et se perdre dans la misère et le vice, l'État prolétarien les recueille fraternellement et les conduit vers la vie, la prospérité et le travail. Et cette vérité est si vivante, si brûlante, qu'on n'a pas besoin de mots pour la colorer. » (p. 82.)

« Le successeur de Lénine, qui se présentait en 1930 devant le XVIe congrès avec la conquête réalisée du passage de millions d'économies agricoles individuelles à la grande entreprise collective, pouvait concrétiser, en février 1934, les grandioses résultats obtenus et tracer les lignes d'une ascension plus imposante et plus sûre. J'ai touché à maintes reprises, au cours de cette étude, à ses points principaux. Mais à un moment donné, Staline porte plus loin son regard et, devant la marche triomphale de l'entreprise agricole, en trace, d'une main de maître, les directives idéologiques et pratiques. La commune, dit-il, la commune primitive « surgie sur la base d'une technique peu développée et de l'insuffisance des produits », disparaît ; mais cela ne veut pas dire que la commune ne « soit nécessaire et ne représente pas la forme la plus élevée du mouvement des kolkhozes ». La commune d'hier devait à son origine et aux conditions encore arriérées de vie et de travail, l'application du système de « socialiser non seulement les moyens de production, mais aussi les conditions de vie de chacun de ses membres ». Un tel « nivellement », qui ne tenait pas compte des intérêts personnels des associés pour les coordonner avec les intérêts sociaux, a constitué le côté le plus faible des communes, à cause duquel plusieurs d'entre elles, pour continuer de vivre « furent obligées de renoncer à la socialisation des conditions de vie et de passer, dans le fait, au système régulateur de l'artel ». Cela ne représentait-il pas un recul au point de vue idéologique ? En tenant compte de la capacité et du rendement de chaque associé, de ses besoins et de ses conditions de vie, ne lésait-on pas cette loi de l'égalité qui est à la base de l'édification de la société socialiste ? Ces questions n'échappaient pas aux débats intérieurs de certains milieux soviétiques, où elles trouvaient parfois quelque indécis ; mais elles intéressaient en même temps les éléments les plus attentifs du monde bourgeois soucieux que ne leur échappât cet argument efficace de propagande et de lutte anti-soviétique et anti-collectiviste : décrire l'avenir de l'entreprise agricole collectivisée comme la réalisation d'un nivellement absolu et totalitaire de toutes les énergies et de tous les besoins individuels. Contre ces incertitudes et ces calculs, nettement contre-révolutionnaires, Staline emploie le sarcasme qui tue, tout en consolidant la doctrine haute et claire de l'égalité qui animera la société et la civilisation futures. « Le fait de songer », dit-il, « à un nivellement des besoins et de la vie personnels, est une bêtise digne d'une secte d'ascètes ». L'égalité véritable n'a rien de commun avec cette conception réactionnaire ; elle est donnée par la destruction des classes, c'est-à-dire : « a) libération égale de tous les travailleurs de l'exploitation, après que les capitalistes sont renversés et expropriés ; b) abolition égale pour tous de la propriété privée sur les moyens de production, après qu'ils ont été mis à la disposition de toute la société ; c) obligation égale pour tous de travailler selon leurs capacités et droit égal pour tous les travailleurs d'être rétribués selon leur travail (société socialiste) ; d) obligation égale pour tous les travailleurs de travailler selon leurs capacités et droit de recevoir selon leurs besoins (société communiste) ». » (p. 84.)

« Demain ! Mais quoique ce demain montre déjà tous ses contours, la critique bourgeoise, toujours pleine de malignité, saisit l'occasion de lancer sa dernière pierre. La grande presse capitaliste, en effet, commente la magnifique affirmation de Staline de la sorte : « C'est bien ; la campagne s'industrialise ; d'ici peu, il n'y aura plus une seule petite entreprise individuelle ; la mécanisation se sera introduite dans le petit domaine strictement familial pour détacher la femme même de ses travaux les plus naturels ; tout, depuis les lavoirs jusqu'aux réfectoires, aura atteint son but qui est celui de rendre toujours plus commune la vie de tous ceux qui travaillent dans l'entreprise agricole collective. Mais tout cela ne donnera que l'apparence du bien-être et de la prospérité, cependant qu'il aura commencé à ronger les racines mêmes de la vie et du progrès humains et aura miné cette dernière cellule vivificatrice qui est la famille. » C'est là une critique qu'on fait aujourd'hui un peu en sourdine. Le problème de la dénatalité pèse sur les pays bourgeois et inquiète les Gouvernements, surtout parce qu'elle se propage dans les campagnes considérées, jusqu'à il y a quelques années, comme les sources intarissables de la race. Il suffit de regarder n'importe quel village pour y voir toutes les familles se briser et s'épuiser sous le poids atroce de la misère et de la terreur ! Les Gouvernements fascistes recourent aux derniers expédients pour exciter l'instinct de reproduction, en accordant de petites aumônes aux paysans qui se risquent à procréer de nouveaux chômeurs et d'autres misérables ; mais en vain. Les résultats obtenus en Italie, en Allemagne, partout, sont de plus en plus négatifs. Comment donc parler de la famille, de son « sauvetage » que le processus victorieux de la collectivisation vers ses manifestations les plus hautes menacerait et empêcherait ? Le régime capitaliste exalte la famille, un « type » de famille qu'aucun bourgeois ne cherche à imiter et qui doit lui servir seulement à l'exploiter ; mais ce régime est maintenant contraint à reconnaître que c'est lui qui tue la famille. Et devant cette réalité, combien grande et combien lumineuse est encore son antithèse ! Le régime soviétique n'a pas la famille pour base ; mais il la respecte et la protège. Je ne dirai pas comment la femme se voit assistée avant et après l'accouchement, car il est connu qu'il n'est pas de pays où la maternité soit entourée de tous soins et de toute protection autant que dans le pays des Soviets. Je ne répéterai pas ce qui est si évident au sujet de l'émancipation de la femme, de la plus humble femme des champs, de son égalité de droits, de son élévation à tous les degrés de la vie sociale. Je ne réfuterai même pas l'erreur de ceux qui disent que tout cet allégement des parents, et particulièrement de la mère, de ce qu'on appelle cyniquement dans le monde bourgeois « la charge de la famille », est un danger et une alarme pour la tranquillité intérieure de la famille même et pour son développement. Toutes ces considérations sont dépassées par les résultats incontestables que le régime soviétique peut offrir à la méditation et à l'admiration du monde entier. » (p. 85.)

« L'organe du Vatican écrivait, il y a peu de temps, que « l'organisation de la presse soviétique est systématique et parfaite et que sa diffusion va prendre des proportions gigantesques ». Cet aveu provoque naturellement une question : « La presse soviétique, n'est-elle donc pas une presse contrôlée, commandée et dominée par le pouvoir central, privée de toute liberté, contrainte à correspondre seulement au service du Gouvernement... tout comme il arrive dans le régime le plus proche et le plus cher au Vatican et dans les autres régimes fascistes ? Et s'il en est ainsi, comment explique-t-on le fait que, pendant qu'en Italie, en Allemagne, la presse diminue très sensiblement sa diffusion, que le tirage des journaux baisse tous les jours, que les ouvriers et les paysans se refusent à les lire même offerts gratuitement, que la nausée et le dégoût de la masse devant les feuilles portant le cachet officiel s'accroissent, dans la Russie des Soviets se vérifie justement, avec éclat, le contraire ? » Là, pour se servir des mots mêmes du Vatican, la diffusion des journaux s'accroît. Là, le travailleur « veut » lire et apprendre. Les grands journaux, quoiqu'ils augmentent leur tirage tous les jours, n'arrivent pas à satisfaire les commandes. La presse quotidienne a porté son tirage de 17 millions et demi d'exemplaires en 1929 à 36 millions et demi en 1933. Et rien que pour les kolkhozes on imprimait en 1933 plus de 1.500 journaux. On ne peut pas faire, en face de tels faits, de dissertations sur la prétendue « liberté de presse ». Il y a la vérité qu'on ne discute pas, car elle est évidente pour tous. Si la presse fausse ou masque la réalité ; si la presse, au lieu d'interpréter l'opinion populaire, tend à l'étouffer ; si elle ne reflète pas sa volonté ; si elle sert seulement ceux qui la commandent, cette presse est refusée par la masse et sa diffusion diminue. Elle est haïe par les masses qui la repoussent comme un poison. Une preuve éclatante nous en est donnée par l'Italie et par l'Allemagne d'aujourd'hui. Mais si la presse est, au contraire, l'écho des sentiments, des besoins, des aspirations de la population travailleuse ; si elle reflète sa vie, la réchauffe et la guide ; si elle accueille les vibrations les plus profondes de la conscience populaire et les rend dans un rythme et dans une harmonie fidèles, alors la presse est volontairement acceptée, est désirée, est demandée. Le journal devient une nourriture quotidienne. Et plus les masses s'élèvent, plus cet aliment leur devient indispensable. C'est ce qui arrive dans l'Union des Soviets, Ceci illustre le fait unique au monde d'une population travailleuse qui n'est jamais rassasiée de journaux et de livres. C'est une preuve indiscutable de l'évolution intellectuelle qui s'accomplit chez des millions de personnes de la campagne soviétique. Où la moindre feuille de kolkhoze arrive, là une ombre de la vieille mentalité paysanne disparaît et surgit une conscience nouvelle. » (pp. 85-86.)

« Qui suit l'histoire de la collectivisation agricole, plus il est libre, comme moi, de tous liens politiques, plus il constate qu'elle est dominée par l'étude et par l'action du Parti. C'est dans le Parti que s'élabore la doctrine, qu'on veille à son application, que se forment ses éléments propulseurs et se forgent ses énergies de lutte, qu'on compose les cadres et qu'on marque les étapes de toutes les conquêtes. Dans le régime de la dictature du prolétariat, Staline disait dans, ses « Questions du léninisme » que « la direction du Parti est l'essentiel ». Cela ne devrait plus scandaliser même le bourgeois ; car il entend répéter tous les jours des déclarations pareilles aux chefs des régimes dictatoriaux, qui cherchent à revêtir d'un uniforme de parti un assemblage d'hommes aux convictions, intérêts et aspirations les plus disparates et ennemies les unes des autres, pour cacher derrière lui la réalité d'un gouvernement d'oligarchie capitaliste exploitant et opprimant sans pitié les masses travailleuses. Par contre, dans l'État soviétique, c'est le prolétariat qui, à travers le Parti, commence et poursuit sa mission historique de rédemption des campagnes, de libération de tous les paysans pauvres de leurs ennemis, de transformation de leurs conditions de vie et de travail, pour les porter peu à peu à l'entreprise industrialisée et collective. » (p. 87.)

« Mais il y a une autre vérité qu'il faut crier à la face de tous les ennemis déclarés ou camouflés de l'Union des Soviets. Il y a quelques années, et précisément depuis que la collectivisation prit une allure sûre et prometteuse et que la réalisation du premier Plan Quinquennal se dessina dans tout son succès, les masses ouvrières virent diminuer leur ration de pain. Elles s'imposèrent des restrictions de tous les produits et se disciplinèrent dans leurs habitudes comme les soldats dans la bataille. Le motif, personne ne l'ignore. L'accroissement de la puissance économique et politique du pays des Soviets enflammait d'impatience le capitalisme mondial ; et la guerre que l'impérialisme japonais avait provoquée et commencée en Extrême-Orient, menaçait de s'étendre à la Russie de la Révolution. Il faut graver en lettres d'or l'élan et l'héroïsme admirables, par lesquels les populations ouvrières et agricoles de l'Union tout entière réalisèrent leur mission historique de poursuivre, inébranlables, dans l'édification préétablie de leur industrie et de la nouvelle agriculture, et de garantir simultanément les frontières de la grande Patrie prolétarienne contre toute agression de ses innombrables ennemis. La préparation de la guerre, dans les pays capitalistes, est l'aubaine de tous les spéculateurs et trafiquants, du grand propriétaire et du gros industriel. Mais la préparation de la défense de l'Etat soviétique devait par contre demander des efforts et des sacrifices incalculables à cette population travailleuse. Et aujourd'hui nous avons la preuve que sa conscience et sa volonté en furent tellement secouées qu'elle a pu atteindre un résultat qui surprit le monde. La menace de la guerre devient plus grande. En Extrême-Orient, où les provocations de l'impérialisme nippon contre l'Union des Soviets se répètent toujours plus ouvertement ; à l'Occident, où l'instauration du fascisme au centre de l'Europe encourage les nombreux partisans d'une guerre antisoviétique. Il y a dans l'air une odeur de guerre ; mais on cherche à dissiper l'impression qu'elle se polarisera contre le pays de la Révolution. » (p. 88.)

« Il existe un document à ce sujet, qui sort de la chronique et qui doit être souligné dans toute son importance. C'est le discours tenu par le porte-voix officiel du Vatican, lors du Congrès international catholique, qui s'est déroulé à Vienne en septembre 1933. Après avoir identifié le bolchévisme avec le régime régnant dans la Russie nouvelle, il déclarait : « On peut dire que le Pape n'a pas de désir plus vif que celui que ce bolchévisme soit repoussé et battu, car il est un des plus farouches ennemis de l'église catholique même. Le Saint Père a, à maintes reprises, prêché cette lutte... Il se réjouit chaque fois qu'un pouce de territoire de chaque pays est purifié de cette peste... Il attend ardemment le jour où cette libération, dans son progrès quotidien, parviendra jusqu'à cette malheureuse Russie... Dans ce but, chaque État peut et doit se servir de tous les moyens qui sont à sa disposition... » » (p. 89.)

« L'Armée Rouge est une expression magnifique de cet effort d'éducation et d'élévation technique de l'Union tout entière. Elle est l'armée la plus puissante du monde, non seulement par sa force militaire, mais aussi par l'esprit qui la vivifie, par l'idéal auquel elle prête serment : « la défense de l'Union soviétique et la lutte pour la fraternité de tous les travailleurs ». Et à côté de cette réalité s'élève le résultat incontestable des œuvres accomplies dans les domaines industriels et agricoles. Au moment des restrictions succède déjà la période qui amènera l'aisance et que même la sombre menace d'une guerre ne pourra interrompre dans sa marche d'édification socialiste vers des conquêtes inimaginables. Ces vérités, qui gagnent désormais les éléments intellectuels et politiques les plus en vue et les plus sérieux du monde bourgeois, se répandent comme la lumière dans les villages les plus perdus, pénètrent l'esprit des paysans même les plus renfermés et les plus ignorants. Peut-être s'ils ne les comprennent pas complètement, les sentent-ils par intuition, et apprennent-ils combien profond est l'abîme où le régime capitaliste les pousse partout, inévitablement. N'est-ce pas le chef du gouvernement fasciste italien qui, après douze ans de son régime, annonce aux populations malheureuses l'ère de la Faim ? » (p. 89.)

« L'histoire entière de la collectivisation est aussi un acte de foi, qui se dépouille de toute mystique religieuse et se concrétise dans l'affirmation des vérités orientatrices du devenir social. A chaque intellect qui cherche dans ce crépuscule de la civilisation capitaliste un rayon de lumière, et surtout au paysan opprimé du monde, elle dit : « Crois dans le prolétariat et dans sa force dirigeante, pour la construction du nouvel ordre économique et social ! Crois dans le droit du paysan à la terre, pour qu'il en jouisse par son travail ! Crois à l'efficacité d'une union toujours plus intime entre les ouvriers des usines et les populations agricoles, élément éducatif des masses rurales, arme de lutte pour les libérer de tous les exploiteurs ! Crois dans l'évolution nécessaire de la petite entreprise individuelle aux formes supérieures de la collectivisation, afin de parvenir à une amélioration économique et culturelle ! Crois dans l'intelligence et dans la capacité du travailleur à atteindre tous les degrés de la science ! Crois que toute conquête industrielle et agricole peut avantager toute la vie de la collectivité travailleuse ! Crois que du sombre abîme de la misère où le paysan se meurt dans le monde bourgeois, il peut et doit arriver au plein soleil ! » L'astrologue qui crie au paysan : « Prends garde au soleil, car le soleil est une masse en feu », n'a pas disparu. Mais à l'aube de chaque jour, le paysan ouvrira des yeux brillants d'espoir. Et dans la splendeur de midi s'enflammeront les énergies les plus profondes de son esprit et de sa volonté. » (p. 90.)

 

 

 Henry Barbusse - Staline - Un monde nouveau vu à travers un homme (1935)

« Son portrait, — sculpture, dessin, photo, — est partout dans le continent soviétique, comme celui de Lénine, et à côté de celui de Lénine. Il n'est pas un coin, dans une entreprise, une caserne, un bureau, une devanture, où il n'apparaisse sur fond rouge, entre un tableau de pittoresques statistiques socialistes (icône antireligieuse), et la faucille enlaçant le marteau. Dernièrement, s'est posée partout, sur les murs de la Russie et des Républiques, une affiche représentant, en très grandes dimensions, les profils superposés de deux morts et d'un vivant : Karl Marx, Lénine, Staline. Et multiplions encore par mille : il n'y a pas beaucoup de chambres d'ouvriers ou d'intellectuels où ne figure pas Staline. Ce peuple de la sixième partie du monde, ce peuple neuf, que vous aimez ou que vous haïssez, voilà la tête qu'il a. » (p. 2.)

« Voici, dans ce Kremlin qui a l'air d'une exposition d'églises et de palais, et au pied de l'un de ceux-ci, une petite maison à trois étages. Celle menue bâtisse que vous ne remarqueriez pas si on ne vous l'indiquait pas, faisait partie des communs du palais, et là habitait jadis quelque domestique du tsar. On monte à l'étage où il y a des rideaux de lin blanc. Ces trois fenêtres sont celles du logement de Staline. Dans le tout petit vestibule, on se jette sur une grande capote de soldat pendue au-dessous d'une casquette accrochée. Il y a trois chambres et une salle à manger. Les chambres sont d'une simplicité de chambres d'hôtel — convenable — de deuxième ordre. La salle à manger est ovale ; on y sert un repas qui vient d'un restaurant ou que prépare une femme de service. Dans les pays capitalistes, un modeste employé ferait la grimace devant les chambres et ne se contenterait pas du menu. Un petit garçon joue dans le local. Le fils aîné Jascheka dort, la nuit, dans la salle à manger, sur un divan qu'on transforme en lit, le cadet dans un tout petit réduit, sorte d'alcôve qui s'ouvre là. L'homme, son repas fini, fume sa pipe à côté de la fenêtre, assis sur un quelconque fauteuil. Il est toujours vêtu de même. En uniforme ? Ce serait trop dire. C'est plutôt une indication d'uniforme, un accoutrement de simple soldat encore simplifié : bottes, culottes et veste montante kakis. On cherche dans sa mémoire : Non, on ne l'a jamais vu habillé autrement, sinon, l'été, en toile blanche. Il gagne, par mois, les quelques centaines de roubles qui constituent le mince salaire maximum des fonctionnaires du Parti Communiste (ça ferait, chez nous, quelque chose comme quinze cents ou deux mille francs). » (pp. 2-3.)

« Cette sorte de génie de se mettre au niveau des auditeurs, c'est la raison profonde de la confiance que cet homme a suscitée dans les foules, et du rôle qu'il lui a été donné d'accomplir. Ne nous y trompons pas d'ailleurs : se mettre au niveau ne signifie pas s'abaisser, se rapetisser, ou user d'une familiarité amorphe. Loin de là, Orakhélachvili, compagnon d'alors de Sosso, me donne une définition nette : « Il n'était ni schématique, ni vulgaire. » Il considérait le militant comme un transformateur qui dit les mêmes choses que le théoricien le plus savant, mais en les adaptant à l'esprit et à la culture de l'auditeur. Comment ? Par des images, par des exemples vivants.

Nous autres, explique Orakhélachvili, nous autres qui formions avec lui un groupe de propagandistes, nous ne pouvions pas nous dépêtrer d'une certaine terminologie. Nous étions hantés par la thèse, l'anti-thèse et la synthèse et autres clefs de la dialectique. Et cet attirail transparaissait trop dans nos discours aux ouvriers et aux paysans. Pas dans ceux de Staline. Il prenait les choses par un autre côté, par le côté de la vie. Par exemple, il empoignait la notion de la démocratie bourgeoise, et montrait, clair comme le jour, pourquoi elle était bonne, comparée au tsarisme, et comment elle n'était pas bonne comparée au socialisme. Et tout le monde comprenait que la démocratie tout en étant susceptible de défricher l'empire, pourrait quelque jour constituer contre le socialisme un gros obstacle qu'il faudrait dégonfler...  » (p. 7.)

« Pas d'injures contre l'adversaire, ajoute le même témoin. Nous avions eu tant à souffrir des menchéviks, que lorsque nous en tenions un devant un auditoire quelconque, nous ne pouvions nous empêcher de lui taper dessus verbalement avec le maximum de ressort, et en avant, les arguments ad hominen ! Staline n'aimait pas porter ce genre de coups. La violence de langage était pour lui une arme prohibée. Tout au plus, lorsqu'il avait vidé d'arguments et réduit au calme plat un contradicteur par une discussion serrée, et que celui-ci, la bouche paralysée, s'esquivait, il lui lançait en guise de flèche une expression proverbiale courante en Transcaucasie, quelque chose comme : « Toi qui es un type si épatant, pourquoi canes-tu devant des gens aussi nuls que nous ? » » (p. 7.)

« Le marxisme éclaire les profondeurs et les nécessités, enchaînées l'une à l'autre, de ces grands bouleversements logiques de la société actuelle, et il donne des règles sûres pour les élaborer. Le marxisme, ce n'est pas, comme on serait tenté de le croire (quand on l'ignore), un recueil de principes complexes ou de commandements à apprendre par cœur, comme une grammaire ou comme un Coran. C'est une méthode. Et elle est simple. C'est celle du réalisme intégral. Polarisation de toutes les idées, tâtonnement de tous les efforts, vers l'assise ferme, le support concret, l'ossature — à travers les mysticismes, religieux ou abstraits, les cortèges de fantômes et les déraillements dans le vide. Pas d'idées ou de formules suspendues en l'air comme si elles pouvaient s'y tenir toutes seules. Karl Marx est le penseur moderne qui fut assez géant pour souffler sur les nuages du ciel de la pensée. La méthode incite à remonter toujours jusqu'aux causes, à descendre toujours jusqu'aux conséquences, à ne jamais lâcher le réel, à mêler étroitement la théorie à la pratique : vérité, réalité, vie.

Le socialisme n'est plus désormais un rêve brumeux et sentimental où l'on ne rencontre du solide que pour s'y casser le nez, mais la doctrine qui calque d'avance les besoins logiques de tous, et que chacun doit loyalement travailler à réaliser, par les moyens les plus nets. Il implique modification de l'état de choses ambiant. Il déblaie et étaie, il fait voir le présent et l'avenir. C'est la sagesse concrète, qui pousse naturellement à la double besogne de démolition et de construction.

La conception marxiste est scientifique. Elle se confond avec la conception scientifique. Le révolutionnaire reste toujours un apôtre et un soldat, mais il est surtout un savant qui va dans la rue. » (p. 8.)

« On sourit quand on entend l'écrivain allemand Emil Ludwig demander à Staline (il l'a fait il y a deux ans) : « N'auriez-vous pas été maltraité par vos parents dans votre enfance, pour être devenu tellement révolutionnaire ? »

Ce bon Emil Ludwig en est encore à croire dur comme fer à ce vieil adage de la sagesse des nations, qui pontifie que pour être révolutionnaire, il faut être méchant, ou aigri, et, dès le bas âge, battu par ses parents. Pauvre argument trop piètre pour être injurieux. Sans doute, le malheur pousse aux épaules les individualités et les masses, mais les révolutionnaires sont bien en avant de la petite « conjoncture personnelle », sur la route du progrès collectif. Staline a répondu patiemment à Ludwig : « Pas du tout. Mes parents ne me maltraitaient pas. Si je suis devenu révolutionnaire, c'est seulement parce que j'ai trouvé que les marxistes avaient raison. » » (p. 9.)

« Il était en prison, en 1903, lorsqu'il apprit une grande nouvelle. Au IIe Congrès du Parti social-démocrate russe, la scission venait de se marquer nettement, sur l'initiative de Lénine, entre bolcheviks et menchéviks. Les bolcheviks : les intransigeants, les lutteurs de classe inflexibles, les militants de fer. Les menchéviks : les réformistes, les adaptateurs, les arrangeurs, les techniciens du compromis et de la combinaison. Les menchéviks s'irritaient contre les bolcheviks qui semblent exagérer à plaisir leurs desiderata. (A-t-on idée ; ces vaincus qui veulent la lune !).

La cassure était mise en question. Il fallait choisir. Encore que la chose ne se posât pas — en pleine puissance et persécution tsaristes, en pleine prospérité de la malfaisance capitaliste — comme elle s'est posée depuis, Staline n'hésita pas : il choisit bolchevik. Il décida « Lénine ». » (p. 12.)

« Il y avait donc quelque part, en Russie (et même aussi, allant et venant parfois en Europe), un grand guide, un frère géant de tous les révolutionnaires — et nous l'avons déjà entrevu. Lénine avait à combattre non seulement contre les pouvoirs publics, mais contre une bonne portion des hommes de son parti. Il exigeait — et ce fut sa grande conception et sa grande œuvre, qui embrassaient tout, le reste — un parti révolutionnaire intransigeant, pur, net et homogène, imperméable à toute espèce de compromission. Il disait que ce parti ne remplirait sa mission de changer la face du monde qu'à cette condition expresse, et que c'était là la question primordiale. Et c'est en ce sens qu'il refit le socialisme dans le socialisme.

On a déjà vu que Staline, avisé par les messages des camarades, alors qu'il était en prison, se rallia totalement à la position prise par Lénine au IIe Congrès du Parti. Dans cette assemblée, Vladimir Ilitch avait volontairement et fortement souligné la divergence qui se posait, au point de vue de la tactique, entre menchéviks et bolcheviks, et creusé, exprès, un fossé entre les deux tendances — ce qui, de la part de cet unitaire, était une initiative terriblement grave. Il y avait à cela des raisons non moins graves : l'unité entre deux tendances trop différentes ne peut être qu'apparente et fictive ; elle ne peut exister que sur le papier. C'est un mensonge d'unité. Staline approuva. D'ailleurs c'était là la forme de son tempérament et de sa mentalité, et on peut dire qu'avant de choisir, il avait déjà choisi. Il n'y eut jamais de désaccord entre Lénine et Staline.

Par contre, ils eurent tous deux de véhéments adversaires au sein du Parti, et tout d'abord Trotski, menchévik opiniâtre et verbeux, qui estimait que l'intransigeance des bolcheviks frappait de stérilité le parti. Trotski traitait Lénine de faiseur de fractions et de diviseur de la classe ouvrière. » (p. 14.)

« La manière simpliste et pleine, de discourir, dont usait Lénine était aussi celle que Staline avait instinctivement adoptée, et dont il ne devait jamais se départir.

Lui non plus ne prétendait pas faire de la tribune un socle et n'aspirait pas à être « une grande gueule », sur le modèle Mussolini ou Hitler, non plus qu'à imiter le grand jeu des avocats comme Alexandrov qui savait si bien agir sur la rétine, sur le tympan et sur la glande lacrymale de l'auditeur, où les bêlements contagieux de Gandhi. Il était, et il est resté, plus sobre encore de paroles que Lénine. Serafima Gopner, qui a joué un rôle en vue dans la Révolution, explique combien elle a été impressionnée par le discours que Staline prononça en avril 1917 sur l'activité du Soviet de Pétrograd (dont il était le seul membre bolchevik). C'était « un tout petit discours où il y avait tout » ; toute la situation y était intégralement exposée, et il était impossible d'en faire sortir ou d'en changer un seul mot. De même, Orakhélachvili constate que « dans un discours de Staline, il n'y a pas une goutte d'eau ».

Mais encore qu'il parle « entre ses dents », d'une voix plutôt sourde, sans mimique et uniquement pour montrer ce qu'il pense, Staline comme Lénine, attache, convainc et bouleverse par la substance de ses discours, qui gardent, visibles, à la lecture toute leur ampleur et leur logique architecturale. Le discours plein de perspectives et de gerbes de lumière, que Staline prononça en fin 1933 sur le bilan du Plan Quinquennal, est un chef-d'œuvre littéraire. » (pp. 17-18.)

« L'infâme fusillade de la Lena, en Sibérie, où la troupe tira sur une délégation de grévistes et sur la foule, et tua cinq cents personnes (1912), causa une émotion énorme ; un grondement précurseur se fit entendre.

Les vrais révolutionnaires, à leurs postes de combat, tentaient un suprême effort pour l'homogénéité d'un parti fort et efficacement révolutionnaire, apportant vraiment dans l'humanité le bienfait d'un changement politique et social profond, à la place d'un menchévisme de défaitisme, qui se mutilait définitivement. Il s'agissait de maintenir la droite ligne parmi un entrecroisement de courbes et des zigzags — entre les « liquidateurs », qui voulaient persuader le parti de se dépouiller des méthodes révolutionnaires et de sombrer dans la légalité ; ceux qui, dépassant les bornes par l'autre bout, tombaient en transes lorsqu'il était question d'exploiter certaines possibilités de la légalité, et ceux qui, « se couvrant de la toge des conciliateurs », prêchaient l'union à tout prix et voulaient faire marcher ensemble, au mépris du sens commun, des tendances qui s'excluaient catégoriquement (c'était la position de Trotski). » (p. 19.)

« Staline l'a fort explicitement spécifié : « La tâche essentielle de la révolution bourgeoise se résume à s'emparer du pouvoir et à le rendre conforme à l'économie bourgeoise existante, tandis que la tâche essentielle de la révolution prolétarienne consiste, après la prise du pouvoir, à édifier une économie socialiste nouvelle. »

En d'autres termes, la révolution bourgeoise est conservatrice. Une demi-révolution, c'est une contre-révolution. Et c'est pourquoi la situation était en réalité si pathétique pour les hommes qui avaient préparé « le grand soir » avec leur vie et leur sang, et dont le devoir était clairement, dès lors, de détruire la nocivité de la révolution bourgeoise, par une seconde révolution. » (p. 22.)

« Partout, où, sur le front de la guerre civile, le danger était grand, on envoya Staline.

« De 1918 à 1920, Staline fut le seul homme que le Comité Central jeta d'un front à l'autre aux endroits les plus périlleux pour la Révolution. » (Kalinine).

« Là où l'Armée Rouge lâchait pied, quand les forces contre-révolutionnaires élargissaient leurs succès, quand l'agitation et la panique pouvaient à tout moment se transformer en catastrophe, alors là, arrivait Staline. Il ne dormait pas de la nuit, organisait, prenait la direction en mains, brisait, insistait — et il réalisait le tournant, arrangeait la situation. » (Kaganovitch).

Si bien que Staline écrit qu'on le transformait en spécialiste du nettoiement des écuries du département de la guerre. » (Vorochilov). [Allusion au désordre des services dirigés par Trotski.]

Ce fut là un des côtés les plus étonnants de la carrière de Staline, un de ceux qu'on ignore le plus. La façon dont il se comporta, et les succès qu'il obtint sur le front de guerre pendant deux ans, auraient suffi à rendre célèbre et populaire un homme de guerre.

Voici quelques aperçus que nous fournissent Vorochilov et Kaganovitch sur « le travail militaire », pendant cette tourbillonnante période, de celui que Vorochilov appelle : « un des plus fameux organisateurs des victoires de la guerre civile ».

En deux ans, Staline se rendit sur le front de Tsaritsyne, avec Vorochilov et Minine, sur le front du 3e Corps, à Perm, avec Djerjinski, sur le front de Pétrograd (contre la première marche de Youdénich), au front ouest de Smolensk (contre-offensive polonaise), au front sud (contre Denikine), de nouveau au front polonais de l'ouest, région de Jitomir, de nouveau au front sud (contre Wrangel). On ne peut pas imaginer situation plus effroyable que celle où se trouvaient les hommes d'Octobre, en 1918, dans un pays qui n'était qu'un champ de bataille jonché de décombres et de cadavres, et où on continuait à se battre pour un suprême but de guerre : le régime politique. » (pp. 25-26.)

« Staline prenait la responsabilité, mais il voulait l'autorité, comme la veulent tous ceux qui s'en servent pour quelque chose. C'est encore Nossovitch le renégat, qui, en tant que témoin, nous apprend un fait : « Quand Trotski inquiet de la destruction des directions militaires de régions, mises debout avec tant de mal, envoya un télégramme disant qu'il était nécessaire de rétablir l'État-Major et les Commissaires dans leurs fonctions et de leur donner la possibilité de travailler, Staline prit le télégramme, et d'une main ferme, y traça les mots : « Ne pas prendre en considération. » Et ainsi, le télégramme ne fut pas pris en considération, et toute la Direction de l'artillerie et une partie de l'État-Major restèrent installées sur une barque à Tsaritsyne. »

D'ailleurs, pour faire appliquer ses ordres, et réaliser l'ordre bolchevik, Staline se rendait en personne sur le front, (un front qui mesurait six cents kilomètres). Cet homme qui n'avait jamais servi dans l'armée possédait un tel sens généralisé de l'organisation, qu'il savait comprendre et résoudre toutes les questions techniques les plus complexes et les plus ardues (surtout que la situation critique, empirant chaque jour, les compliquait encore toutes à un rythme galopant). » (p. 28.)

« Les qualités que Staline déploya dans ces pathétiques circonstances ne constituent nullement des révélations pour qui connaissait l'homme. Il a simplement appliqué dans une nouvelle sphère d'activité ses forces et ses ressources personnelles : promptitude et certitude du coup d'œil, intuition des points culminants d'une situation concrète, notion des vraies causes et des conséquences inévitables d'un fait quelconque, et de la place de ce fait dans l'ensemble, horreur du désordre et de la confusion, entêtement inflexible pour préparer, faire naître, et coordonner, toutes les conditions nécessaires à l'aboutissement d'un projet, une fois celui-ci calculé et arrêté. Tout cela c'est, transposé sur les champs de bataille, du vrai marxisme.

Le chef qui avait sondé et perfectionné à ce point la pratique de réalisation, était sévère, brutal même, pour les incapables, il était inexorable pour les traîtres et les saboteurs —, mais on peut citer toute une série de cas où il intervint véhémentement en faveur d'hommes qui lui paraissaient accusés sans preuves suffisantes, par exemple Parkhomenko qui était condamné à mort, et qu'il fit libérer. » (p. 33.)

« Dans ces périodes où l'on voit chanceler, d'un côté puis d'un autre, les destins des populations, où chacun joue son va-tout, où la responsabilité, qu'on le veuille ou non, s'imprime sur la peau, la question se pose du prix de la vie humaine et du droit qu'on a d'en disposer pour le service d'une cause.

Il faut poser celte question à la lumière du socialisme. Si l'on se trouvait en face d'un régime capitaliste, d'une autorité impérialiste, il n'y aurait pas lieu de le faire. Il n'est que trop évident que le principe du capitalisme impérialiste est basé sur le mépris de la vie humaine : le trafic imposé par la force, le commerce militarisé par les douanes, le système de prédominance, de guerre, (individuelle et collective), forgé en institution. Le régime colonial est un régime pénitencier à rendement intensif. Les pays colonisateurs font prisonnières les populations faibles, confisquent les territoires, et l'indigène est l'ennemi et l'animal domestique : on le pressure, on le décime, on le condamne aux travaux forcés, et, s'il veut sa liberté, on l'exécute : le Congo belge, le Maroc, l'Afrique Occidentale Française, l'Inde, l'Indochine, Java. Et par ailleurs, on fomente des guerres qui font des trous visibles dans l'humanité, pour le profit d'une firme nationalo-internationale représentée par quelques personnages.

Mais le système socialiste est celui qui, contrairement à ceux-là, sert l'intérêt des hommes. Par une organisation logique et juste de tous, il entend améliorer au maximum le sort de chacun. C'est, pourrait-on dire, le système « humanitaire » par excellence.

La question du respect de la vie humaine se pose donc spécialement pour les bolcheviks — socialistes effectifs de notre âge — de la façon la plus stricte et la plus grave, et ils la posent eux-mêmes.

C'est justement par respect pour la vie humaine qu'ils disent qu'il faut savoir mettre de certaines espèces d'hommes hors d'état de nuire ». (p. 33.)

« On dit volontiers : « Toute révolution est sanglante, donc je ne veux pas de révolution, car j'ai le cœur sensible, moi. ». Les conservateurs sociaux qui s'expriment ainsi sont, dans la mesure où ils ne jouent pas la comédie, d'une pitoyable myopie. Nous sommes en plein dans un régime de sang, nous autres, les non-soviétiques.

De tous côtés s'annoncent à nous des iniquités et des massacres. Pour le voir, il suffit de regarder autour de soi. Mais la plupart des gens ne vont pas jusque-là. Ils sont incapables de discerner la souffrance d'autrui. Et somme toute, ils considèrent la révolution non pas au point de vue de ce qu'elle apporte aux hommes, mais à celui des dérangements et des ennuis qu'elle apportera dans leur maison. » (p. 33-34.)

« J'ai entendu longuement Menjinski, le chef de la Guépéou, — et qui vient de mourir — m'expliquer combien il était absurde en principe de taxer de cruauté ou de manque de respect de la vie, le parti politique qui dirige l'Union Soviétique, son objectif étant la solidarité de chacun avec chacun sur la terre, et le travail dans la paix. Et en fait, il m'a montré combien la police révolutionnaire, sœur des masses des travailleurs, guette toutes les occasions où il est possible de « guérir » non seulement les prisonniers de droit commun (dans ce domaine du régime des prisons, les bolcheviks poussent la patience et l'indulgence à un degré presque paradoxal), mais aussi les prisonniers politiques. Les communistes parlent de ce double principe que les malfaiteurs de droit commun sont des gens qui se trompent sur leurs propres intérêts et gâchent leur vie — et qu'il n'est rien que de le leur montrer, et que les ennemis de la révolution prolétarienne, prélude de la révolution complète, sont également (ceux qui sont sincères), des gens qui se trompent, — et qu'il n'est rien de tel que de le leur montrer. C'est pourquoi les prisons s'efforcent, sur toute la ligne, d'être des écoles.

Le problème de la répression se réduit donc à une question de minimum nécessaire en vue du progrès général. Ce minimum, on est aussi coupable de rester en deçà, que de le dépasser. Celui qui épargne des gens qui agiront contre la cause des hommes, est un malfaiteur. Le sauveur d'assassins est un assassin. Le devoir de la véritable bonté est d'embrasser l'avenir.

Si la révolution russe avait, à la grande joie de quelques béats idéalistes, pris le système de pardonner mécaniquement, et de ne pas employer pour se défendre les armes dont on se servait pour l'attaquer, elle ne l'aurait pas fait bien longtemps. Elle aurait été poignardée par la France, l'Angleterre, la Pologne, qui auraient incontinent ramené à Pétrograd le tsar et les Blancs, comme ces pays ont essayé de le faire par tous les procédés. » (p. 34.)

« Et je rapproche de cela ce que Staline m'a dit à moi-même il y a sept ans, à propos du cette fameuse « terreur rouge ». Il parla de la peine de mort : « Nous sommes tout naturellement partisans de la suppression de la peine de mort. Nous croyons du reste qu'il n'y a aucune nécessité pour nous de la maintenir dans le régime intérieur de l'Union. Il y a longtemps que nous aurions supprimé la peine de mort, s'il n'y avait pas le monde extérieur, les autres, les grandes puissances impérialistes, qui nous ont obligés à la maintenir pour préserver notre existence. » » (p. 35.)

« Nous disons parfois, nous autres, en Occident : « les Russes », pour désigner les citoyens de l'état qui va de la Pologne à l'Alaska, sur huit mille kilomètres de la ceinture du globe. Mais ce n'est là — à présent — qu'une manière sommaire, abrégée, et pour ainsi dire symbolique, de s'exprimer. Car la Russie n'est qu'un des pays formant l'U.R.S.S. Pas une province : un pays, uns république. Outre la Russie, il y a, sur les deux milliards d'hectares de l'Union, une douzaine de nations et une centaine de petits pays ou d'agglomérations ethniques différentes s'ordonnant dans la Fédération actuelle après avoir été englobés, pêle-mêle, dans le patrimoine de la famille russe installée sous les voûtes peintes du Kremlin. La Russie proprement dite est, seulement, la plus importante de ces nations et c'est une ville russe qui est le centre administratif du territoire couvrant la moitié du tour du monde : Il faut bien un centre administratif, pour s'administrer. Mais le Géorgien est un Géorgien. L'Ukrainien est un Ukrainien. Ils ne sont pas plus russes que vous et moi. Sous les tsars, ces régions et ces populations, annexées par la violence, étaient, également par la violence, retenues dans le giron national, et alors, « national » signifiait — et combien brutalement ! — « russe ». Russification, dénationalisation, badigeonnage russe, de la structure à la mentalité : les frontières effacées par les semelles militaires, la langue nationale étouffée, à grands cris, par la russe.  » (p. 35.)

« L'attitude des bolcheviks vis-à-vis du problème national leur attira les sympathies de tous, sans amener des détachements nationaux comme on aurait pu le craindre. Et là, encore une fois, la sagesse à larges vues, dans la plénitude hardie, triompha complètement. « Si Koltchak et Denikine ont été vaincus, a écrit Staline, c'est que nous avons eu la sympathie des nations opprimées. »

De l'autre côté d'Octobre, après le second coup de balai est-européen et l'élimination de ce tsarisme démocratique que constituait la domination bourgeoise, Staline devint donc normalement le dirigeant autorisé de la politique du Parti dans la question nationale. » (p. 37.)

« Dans cette Transcaucasie où Staline avait commencé en cachette à incendier le cœur des foules, dans cette région des « frères ennemis » où tous les éléments de la population s'entre-déchiraient, la politique soviétique des nationalités a amené un fait quasi miraculeux : la disparition complète non seulement des luttes de races, mais des haines de races, qui fermentaient là depuis des siècles — et cela, malgré les menchéviks, les dachnaks et les moussavatistes — pseudo-socialistes qui furent un instant les maîtres du pouvoir dans les trois pays transcaucasiens et qui en profitèrent pour y rallumer toutes les guerres intestines, pour y semer la ruine, tout en faisant appel à l'étranger. Dans l'actuelle Géorgie, dans l'Arménie et l'Azerbaïdjan, vous lisez clairement cet axiome : il n'est pour un petit pays aucune espèce de formule qui lui assure autant de liberté, que la formule soviétique.

C'est une amusante image à dimensions légendaires que cette question inspira à un paysan abkhasien dont l'esprit simple et honnête avait été illuminé par le socialisme : « Si un éléphant voit dans une plaine des enfants qui jouent et, voulant les protéger de l'orage, se couche sur eux, il les étouffe tout en les protégeant de l'orage. Or, la poignée d'Abkbasiens que nous sommes, est réellement protégée de l'orage par l'éléphant soviétique — parce que Staline lui tient les jambes. » » (p. 40.)

« Ainsi donc, par suite « d'une combinaison originale des conditions historiques », « le premier pays entré dans la voie du socialisme aura été la Russie, pays économiquement et culturellement retardataire, nonobstant sa forte élite révolutionnaire ». Passer d'un élan par-dessus les républiques de carton et pardessus tout l'échantillonnage des diverses formules capitalistes en action dans les monarchies démocratiques et dans les démocraties monarchiques —, c'était beau idéologiquement. Mais, sur la terre ?. » (p. 43.)

« Qu'on remonte, encore une fois, à ces jours-là, jours d'aboutissement, jours de départ. Quel était le bilan, et l'inventaire ? Quels étaient les restes de la Russie, en novembre 1917, à partir de l'heure où, à l'Institut Smolny, on annonça à Lénine que le drapeau rouge était planté, et que ce drapeau était devenu désormais un des centres du monde ?

La guerre impérialiste de 1914 avait coûté à la Russie 40 milliards de roubles-or, le massacre du tiers de la population ouvrière ; la production industrielle et les transports étaient réduits au cinquième ou au sixième des chiffres de 1913. La guerre civile qui déchira l'Empire sur presque toute son étendue, représente une perte de 50 milliards de roubles-or. Les usines étaient en pièces, et une grande part des travaux publics aussi. Dans les campagnes labourées par le feu, la moitié des terres en friche. L'administration, l'enseignement, tous les corps d'Etat, désagrégés par le cataclysme et par la haine de l'ennemi intérieur. L'Armée Rouge, sans fusils, sans souliers, et sans pain. Le nouvel Etat, qui devait être en proie au blocus et au boycottage, était pour le moment en proie à l'agression armée des grandes puissances. Approchons-nous, de très près, de cette guerre d'invasion d'une espèce spéciale — perfide et masquée — dont les glorieux conducteurs furent M. Clemenceau, M. Poincaré, M. Lloyd George, les bourreaux attitrés de révolutions populaires, décapiteurs, écraseurs et emprisonneurs de peuples — vieux tigres, vieux renards, vieilles bêtes —, qui ont dirigé victorieusement la destruction de tous les soulèvements de libération issus de la guerre de 1914. » (p. 43.)

« De 1918 à 1921, l'Angleterre et la France n'ont pas cessé de tuer des Russes et de ravager la Russie. Notons simplement ceci, en marge : A la fin de 1927, il y avait encore 450 ingénieurs et 17.000 ouvriers qui travaillaient à réparer les déprédations commises dans un seul district pétrolier du Caucase par le passage de la civilisation occidentale —. Et on peut estimer à 44 milliards de roubles-or les destructions accomplies en Russie par l'intervention monstre et monstrueuse, des grands pays européens et américain. Qu'on songe qu'en 1921 — trois ans après la fin de la guerre — l'amiral français Dumesnil, installé en Russie, protégeait en pleine lumière les ennemis au gouvernement soviétique. » (p. 44.)

« Le sabotage de l'industrie naissante, que l'U.R.S.S. faisait des efforts surhumains pour réédifier, a été élevé à la hauteur d'une institution internationale, à laquelle ont pris part de gros personnages, des officiers, des techniciens, des agents, et la diplomatie et la police des grandes puissances. Que de manigances souterraines, que de complots ! Je suis encore éberlué par toutes les photographies de documents que j'ai vues, pour ma seule part. Pendant des années, on pouvait fouiller n'importe quel coin de l'Union, ou y découvrait infailliblement le microbe anglais, français, polonais, roumain, de l'espionnage et de la malfaçon, mêlé au virus de la peste blanche. Il en reste encore certaine dose. Les mêmes gens qui faisaient sauter les ponts et ce qui restait, de travaux publics dans la pantelante. Russie libérée, qui mettaient de l'émeri dans les machines et rendaient les rares locomotives hors d'usage — les mêmes mettent du verre pilé dans les aliments des coopératives ouvrières en 1933, et, en décembre 1934 chargent un des leurs d'aller, par derrière, fracasser la tête de Serge Kirov, en plein Institut Smolny, à Leningrad. Et on découvre des nids de vipères, et des exodes d'assassins et de terroristes refluant de Finlande, de Pologne, de Lettonie où ils grouillent. Et les crimes de ces crapules, exaltés par la presse blanche de la Vérité Russe et autres associations d'escarpes, sont hypocritement commentés dans la grande presse bien pensante. » (p. 44.)

« L'universel besoin de discréditer l'État socialiste, la nécessité morale de couvrir de fange ce défi vivant à l'impérialisme, a donné lieu à un déballement surnaturel de calomnies et de diffamations. On n'entrera pas ici dans ce domaine légendaire et burlesque. Ce voyage serait trop long pour tenir dans un livre. On notera, comme plus graves que les âneries en question (dont il reste pourtant, toujours quelque chose dans les oreilles de nos contemporains), les agences et ateliers parfaitement montés et outillés, notamment en Europe Centrale, et ayant pour objet de fabriquer des faux soviétiques sensationnels susceptibles de mettre eu mauvaise posture l'Etat nouveau vis-à-vis des autorités, et de l'opinion publique des grands pays. » (p. 45.)

« Il y avait des éclairs d'inquiétudes dans les rangs, et même, certaines hésitations au sommet. Exemple : le ci-devant grand industriel Urquarth proposa de prendre, en payant, la concession des usines de l'Oural dont il avait été exproprié. Kamenev et Zinoviev (coup de panique) sont d'avis de céder la concession. Staline est contraire à cette idée. Lénine aussi, mais il balance. Bela Kun qui travaillait dans l'Oural, est convoqué pour faire connaître au Comité Central l'état d'esprit des ouvriers et fonctionnaires qui sont sur place. Ceux-ci étaient hostiles à la concession, qui n'était pour Urquarth qu'un moyen de remettre le pied à l'étrier, et comportant plus d'assujettissement que de profit pour la République. Quand la réunion qui devait décider eut lieu, Zinoviev et Kamenev s'efforcèrent d'obtenir une déclaration de Staline contre la concession dont ils étaient partisans (pour en faire état, par la suite, ils l'ont reconnu). Mais Staline refusa de parler avant que ceux qui venaient de l'Oural eussent donné l'opinion de là-bas. Celle-ci, exposée par Bela Kun, entraîna le rejet de la concession. L'appât prestigieux fut repoussé. » (p. 46.)

« « L'État ne laissera pas saper les fondements de son économie. ». On comprend, au reste, que nos républicains conservateurs d'Occident, nos politiciens à transformations, puis­sent trouver invraisemblable que des hommes politiques remplissent strictement leurs enga­gements, et suivent, droit, leur ligne. Quel est ce procédé nouveau ? Cela fait partie de l'originalité de ces curieux personnages orientaux. Et c'est peut-être une mode qu'ils finiront par donner à la politique. Quoi qu'il en soit, quand ils ont proclamé véhémentement : « Nous ne nous laisserons par rouler », ces honnêtes  gens  avaient  raison. Et ils étaient encore plus honnêtes d'annoncer leur intention.

« Ils y viennent ?... » Non, M. le Ministre ; non, M. le Baron, ils n'y venaient pas. Et très vite, les mines se sont allongées, jusqu'à la caricature, sur vos faces capitalistes. Bien peu d'années après ce début, chacun pouvait constater que les bolcheviks, sur toute la ligne, réalisaient leurs objectifs, reprenaient les entreprises, réduisaient graduellement la part du capital privé, et que de la période de travail économique surmontée par l'enseigne de la NEP, ils sortaient intégralement victorieux. Les compromissions entre le capitalisme et le socialisme, entre l'entreprise privée et l'entreprise collective — le mariage de la carpe et du lapin — étaient bien, en effet, momentanées ; l'éblouissement du capitalisme mondial devant la NEP était bien, en effet, dû au reflet d'un feu de paille ; et le nepman n'était plus qu'un personnage suranné bon à figurer sur les scènes du théâtre comme type pittoresque d'années historiquement défuntes. » (p.49.)

« La théorie donne la trajectoire du point de départ au point d'arrivée. Si elle est correcte, elle a une antenne dans l'avenir. Staline répète après Lénine que c'est le grand levier des choses. Tous ceux qui ont vu Staline à l'ouvrage reconnaissent que c'est justement sa qualité maîtresse de savoir « comprendre la situation à la fois dans son complexe et dans ses détails, de mettre ce qu'il y a de plus substantiel au premier plan, d'aiguiller toute son attention sur ce qui est le plus important pour l'heure ». On peut remarquer que lorsqu'ils parlent des réalisations de Staline, les connaisseurs — tel Kouibychev qui dirigea le Plan d'État — ne disent pas seulement : Il a fait ça et ça. Ils disent : Il a fait ça à temps. » (p. 50.)

« Ne pas oublier, d'abord, — et se répéter — que les deux caractéristiques de la Russie d'alors, c'étaient d'être agricole et d'être arriérée. Le terrain jalonné et piqueté par Pétrograd, Odessa, Tiflis, Vladivostok, Arkhangelsk, était resté jusque là un pays féodal, désordonné et confus, autour des décors du Kremlin, des diamants de la couronne et des iconostases, et avec les traînées lumineuses des Grands-Ducs et des boyards allant faire la noce à l'étranger. La veille encore, la moitié des terres appartenait à 18.000 nobles, l'autre moitié à 25 millions de paysans. L'incohérence de cet état de choses fourmillait encore partout. L'industrie, très en retard, avait quelques centres, (relativement vastes) alimentés pour près de la moitié (43 %) par le capital étranger.

Or, c'est par l'industrie qu'un État moderne peut grandir. C'est par l'industrie qu'il fallait transformer un grand territoire en un grand pays.

Même au point de vue de la paysannerie ? Oui, même au point de vue des progrès tant économiques que politiques de la paysannerie : c'est par l'intermédiaire de l'industrie que pourra se résoudre la transformation socialiste du village.

En conséquence, « le centre de gravité de l'économie doit se déplacer dans le sens de l'industrie » (Staline). Tout cela est plus facile à dire qu'à faire lorsqu'on est en présence de tels océans nus de champs, de steppes et de forêts. Mais on doit commencer par avoir celle audace devant le papier blanc.

Notre pays, il faut le transformer, de pays agraire en pays industriel, capable de produire par lui-même tout ce dont il a besoin. Voila le point capital, la base, de notre ligne générale.

Ainsi parle Staline, Commissaire du Peuple à l'Inspection Ouvrière et Paysanne.

Mais son idée, qui est exactement la même que celle de Lénine, est qu'il ne suffit pas de dire qu'il faut procéder par la voie de l'industrie. Il faut choisir certaines industries parmi toutes : « Industrialisation ne signifie pas le développement général de toute industrie ». Le « centre » de l'économie, sa « base », le seul moyen pour faire progresser l'industrie tout entière, proclame Staline, c'est le développement de l'industrie lourde (métaux. combustibles, transports), c'est « le développement de la production des moyens de production ».

Et cela voulait dire aussi : c'est le développement de quelque chose qui, au moment où on parle, se chiffre à peu près à zéro — par suite du retard des derniers siècles, du déluge des dernières années, et aussi par suite du retard des derniers siècles, du déluge des dernières années, et aussi par suite du dérangement apporté dans les plans ar­chitecturaux de l'économie par l'installation de la NEP qu'il fallait encore admettre un certain temps.

Mais Lénine l'avait péremptoirement spécifié : « Si nous ne trouvons pas les moyens d'implanter et de faire croître chez nous l'industrie, c'en est fait de notre pays en tant que pays civilisé et à plus forte raison, en tant que pays socialiste ». Et Staline dit des choses parallèles à propos de l'industrie lourde. » (pp. 50-51.)

« Ici, on doit ouvrir des parenthèses pour les remplir de considérations similaires à celles qu'on a déjà invoquées. Il s'agit en effet, en­core une fois, avec cette histoire d'industrie lourde, d'une combinaison à longue échéance qui semblait ne pas s'imposer tout d'abord — loin de là. Une autre alternative paraissait beaucoup plus rationnelle : commencer — plus modestement — par reconstituer et développer l'industrie légère, celle du textile, celle de la consommation, celle de l'alimentation, permettant de ravitailler la population, de satis­faire les besoins publics immédiats, de faire taire les réclamations les plus criantes... Au demeurant, l'homme moyen, l'énorme citoyen amorphe, le colossal bonhomme de neige, aime mieux avoir l'air de commencer par le commencement.

Encore une fois, c'était le conflit qui s'ouvrait (celui-ci n'est clos que depuis peu de temps), entre la logique terre à terre et la logique géante, entre les gens à vue longue, avec leurs encombrantes préoccupations d'avenir, et les gens à vue courte, qui n'ont pas de bagages.

Allez du plus petit au plus grand, disaient ceux-ci. Ainsi, vous restreignez le sacrifice public, vous raccourcissez l'ère des privations, vous calmez les plaintes, vous facilitez la paix intérieure, au lieu de vous lancer à corps perdu dans le système du monument dans le village, et de vous attaquer aux records mondiaux, lorsque vous n'avez pas le nécessaire en suffisance.

Mais :

Votre point de vue est faux, camarades.

Et la logique et la patience de l'avenir répondent par la bouche de Staline, et expliquent : Oui, on distribuerait quelques satisfactions immédiates aux populations urbaines et aux populations rurales, si on commençait par l'industrie légère. Et après ? Seule, l'industrie lourde peut servir d'assise à la rénovation industrielle d'un pays. Seul le développement de l'industrie lourde rendra possible la collectivisation des campagnes, c'est-à-dire les grandes réalisations sociales.

« L'alliance entre le paysan et l'ouvrier est nécessaire, constate Staline. Mais rééduquer la paysannerie, détruire sa psychologie individualiste, la transformer en esprit collectiviste, et préparer par là les voies d'une société socialiste, cela ne peut se faire que sur la base d'une technique nouvelle, d'un travail collectif, de la production en grand. Ou bien nous résoudrons cette tâche et alors nous vivrons définitivement, ou bien nous nous en écarterons, et alors le retour au capitalisme peut devenir inévitable. »

Et puis, il y a la question de la défense nationale, qui veut l'industrie lourde.  » (pp. 51-52.)

« Que l'idée du Plan Économique soit une idée exclusivement soviétique, ce n'est pas tant pour raison de priorité, que pour raison organique. Dans les pays capitalistes, les initiatives et les prérogatives privées, la multiplicité et les divergences des intérêts en jeu dans l'œuvre économique, rendent impossible tout plan d'ensemble : la preuve en est faite quand ce ne serait que par les tours de force et d'escamotage mis en oeuvre chaque année à la veille du dernier délai et même souvent après, pour donner à nos budgets une apparence d'équilibre. Il n'en est pas ainsi pour l'État socialiste réalisant une édification strictement logique et d'intérêt public mathématiquement pur, et où la collectivité dirigeante est en même temps la législatrice, l'exécutrice, la propriétaire, et l'usagère.

Toujours est-il que dès qu'il s'annonça, le Plan Quinquennal soviétique, avec son luxe de détails et de précisions, a fait sourire (une fois de plus) les figures occidentales. De quoi ? Ces gens, dont les statistiques économiques étaient reculantes et déliquescentes, et qui fermaient piteusement le cortège des statistiques économiques mondiales — nous servaient des chiffres mirobolants... en les situant dans l'avenir ? Ils faisaient miroiter des métrages de travaux non commencés. Quand on leur demandait : « Comment va telle ou telle industrie, chez vous ? », ils répondaient : « Voici ce qu'elle sera dans cinq ans », et ils se lançaient dans de grandiloquentes perspectives lointaines.

Et puis, nous autres, n'est-ce pas, nous ne pouvions pas nous empêcher de songer, à propos de ces statistiques dans les nuages, aux belles promesses dont sont si prodigues nos politiciens à la mode, à l'égard des citoyens en général, et des électeurs en particulier ; nous ne pouvions pas perdre de vue l'originalité qu'il y aurait chez nous à prendre au sérieux les engagements d'un ministre ou d'un gouvernement.

On avait fort a faire, sous nos cieux, à prêcher la continuée dans les chiffres moscovites. Fallait-il être sectaire pour croire cela ! disaient les uns.

D'autres disaient : les chiffres du Plan Quinquennal sont une fiction, parce qu'ils sont trop élevés. Un semblable déplacement de ressources n'est possible que dans une période de guerre, sous la menace des canons.

J'ai écrit en 1928, (c'est moi, Barbusse, qui parle), que « dans le Plan de Cinq Ans en cours, il ne s'agissait pas de spéculations faites sur les chiffres et les mots par les bureaucrates et les littérateurs, qu'il s'agissait de directives positives ; qu'il fallait considérer les chiffres du Gosplan (Plan d'État) plutôt comme des conquêtes acquises que connue des indications », « et, concluais-je : lorsque les bolcheviks nous assurent qu'en 1931, l'industrie soviétique aura augmenté de 8 %, que 7 milliards de roubles auront été investis dans le relèvement économique, que les stations hydroélectriques atteindront 3 millions 500.000 kilowatts de puissance, etc., il faut nous dire que ces choses existent déjà virtuellement... »

... Or, si les chiffres ci-dessus ne sont pas, à la date indiquée, réalisés exactement, c'est que, tous, ils ont été dépassés. » (pp. 54-55.)

« Dans le régime socialiste, l'ouvrier n'est pas du tout la même espèce de citoyen que dans le régime capitaliste. En régime capitaliste, l'ouvrier est un forçat. Il travaille à contrecœur, parce qu'il ne travaille pas pour lui. Il ne lui est même pas difficile de s'apercevoir qu'il travaille contre lui. Alors il faut l'exciter par des stimulants spéciaux : la pièce de cent sous, le devoir chauvin, la morale chrétienne et tout le tonnerre de Dieu. L'autre sait travailler éperdument, « pour la gloire », parce que la gloire, c'est sa puissance et son élévation. C'est dans les plans matérialistes qu'on trouve le plus d'idéal. » (p. 55.)

« Depuis les premiers pas du pouvoir soviétique, Staline doublait Lénine, et il continua à le doubler quand il ne fut plus là.

(...) Alors, apparut et se marqua l'ascension de Staline, l'accroissement considérable de son autorité, déjà considérable. Il fit de plus en plus figure de chef.

Mais qu'on ne se trompe pas sur le sens de cet ascendant grandissant qu'exerça Staline, qu'on ne se lance pas à la légère dans les variations bien connues du thème du « pouvoir personnel » et de « la dictature ».

Il ne peut pas y avoir de dictature personnelle dans l'Internationale Communiste et en U.R.S.S. Il ne peut pas y en avoir, parce que le communisme et le régime se développent dans les cadres de doctrine extrêmement précis, dont les plus grands sont les serviteurs, — et que le propre de la dictature, du pouvoir personnel, est d'imposer sa propre loi, son propre caprice, à l'encontre de la loi.

(...) Un homme comme Staline a été violemment combattu, et a violemment riposté. (Il a surtout, du reste, pris l'offensive). Oui ; mais toute cette rude discussion à rebondissement fut une lutte crûment éclairée, qui s'est déployée au vu et au su de tous, et dont tous les points ont été ressassés d'une façon retentissante. Grand procès public devant le jury et le peuple, non machination de palais.

En réalité, dans l'organisme socialiste, chacun prend normalement sa place, selon ce que chacun apporte de solide et de valable. C'est une sélection qui se fait toute seule par la force des choses. On domine dans la mesure où l'on comprend et où l'on concrétise l'irrésistible marxisme. « C'est tout simplement, dit Kroumine, par sa supériorité comme théoricien et par sa supériorité comme praticien, que Staline est devenu notre chef ». Il est le chef pour la même cause qui fait qu'il réussit : c'est parce qu'il a raison.

Il est vrai qu'il n'y a encore qu'un seul pays où les choses peuvent se passer ainsi — mais en juger différemment, c'est ne rien comprendre au régime soviétique. J'ai dit une fois à Staline : « Savez-vous qu'on vous considère en France comme un tyran qui n'en fait qu'à sa tête, et un tyran sanguinaire, par-dessus le marché ? » Il s'est rejeté en arrière sur sa chaise, en proie à son gros et bon rire d'ouvrier travailleur.

Le dirigeant qui dispose, dans des plans qu'il superpose à l'État tout entier, du sort des populations diverses, est le même qui se considère comme « tenu de rendre des comptes » au premier camarade venu, et se déclare à chaque instant prêt à le faire.

Seule l'altitude exceptionnelle de Trotski, dont le rôle public avait été considérable à côté de Lénine, et qui avait tendance à se placer au-dessus du Comité Central, fit poser la question de « la direction » au XIVe Congrès.  » (pp. 56-57.)

« En 1927, XVe Congrès du Parti. Période d'édification où est surtout en jeu le problème de la collectivisation de l'agriculture : « Sauter du pauvre cheval du moujik sur le cheval d'acier » — cette sorte d'image d'Épinal par laquelle Lénine dessina sa pensée d'une façon si voyante, représentait en réalité une bien grosse affaire. On peut même le dire : la plus grosse affaire de stratégie sociale des temps modernes : Collectiviser la campagne par la machine, et en même temps modifier la men­talité du paysan par la raison. Dans l'état de choses d'alors, la forte position du koulak (paysan riche), renforcé naguère par la NEP, amasseur et exploiteur, était le dernier mais puissant espoir de revanche de restauration capitaliste que nourrissait la bourgeoisie vaincue.

Un bel artiste, Eisenstein, a transposé dans un film cinématographique, cette « Ligne Générale » qu'on épelle lorsqu'on parle du passage de la pauvre haridelle champêtre au cheval-vapeur. Le paysan isolé se débat sur son petit lopin de terre, sur son imperceptible part individuelle de l'immense mosaïque rurale. Sur cet îlot, il fait plutôt figure de vaincu et de naufragé : en butte aux intempéries, à la gelée ou à la sécheresse qui, chacune à sa façon, brûle ses blés, à la grêle qui les massacre, à l'épidémie qui assassine son cheval unique ou son irremplaçable vache. L'homme et la femme s'attellent ensemble au travail bestial sans fond, sans fin. Ils jouent leur va-tout, chaque saison, dans un grand coup de hasard. Ils détestent et envient l'ouvrier. Ils se détestent et s'envient, de voisin à voisin : on n'emplit sa poche qu'en vidant celle d'autrui (« le paysan, dit Staline, n'arrivait à l'aisance qu'en lésant le voisin »). On bâtit sa maison tout contre celle du voisin, pour que le voisin ne puisse pas la brûler. L'homme et la femme sortis de la terre sont aussi la proie du paysan riche qui les assomme par ses gros moyens, et qui les prend au piège et leur suce le sang par le prêt usuraire.

Esclaves du sol, forçats de la vie, les travailleurs parsemés dans les campagnes ne peuvent que ressasser à vide avec leurs bouches affamées : Je suis propriétaire ! Et l'État ne peut rien pour eux, parce qu'ils sont trop.

Quelle différence, s'ils se mettent à cent, ou à mille, pour cultiver ensemble le domaine cent fois ou mille fois plus grand qui est constitué par la réunion de leurs bouts de terrain ! Alors, en avant les grands moyens ! Les machines qui vous expédient le travail en un clin d'œil, et qui travaillent, toute proportion gardée, beaucoup mieux que vous, et toute une organisation vaste, robuste et riche, que la grêle, la sécheresse ou l'épizootie ne font que gêner, mais ne peuvent pas tuer, et devant laquelle le koulak est forcé de mettre bas les pattes. (Et alors, l'État Soviétique est là, pour donner la main à tous les pauvres, et pousser les riches, les accapareurs et les usuriers, hors de la circulation). Et c'est l'alignement des sacs, (les gros et les petits), et chacun se trouve gagner, isolément, plus qu'avant ! » (p.59.)

« L'opposition. En 1927, offensive massive, sur toute la ligne, de l'Opposition contre la direction du Parti Russe et de l'Internationale Communiste. S'étant déjà souventes fois manifestée et extériorisée à des occasions diverses, n'ayant jamais cessé d'être latente et fermentante, l'opposition se déchaîna alors d'une façon méthodique et violente, et sur un plan de guerre. Le feu se concentra sur Staline, et c'est Staline qui incarna, avec une extrême énergie, la défense de la ligne du Parti.

L'opposition, qu'est-ce que c'est, exactement ? On en a maintes et maintes fois parlé dans nos parages. On en parle encore pas mal. Au premier abord, on ne comprend guère, en dehors des initiés, ce phénomène russe ou importé de Russie. On apprend que des révolutionnaires importants, des militants de premier plan, se mettent subitement à traiter leur parti en ennemi, et qu'ils sont traités en ennemis. On les voit, tout d'un coup, sortir des rangs, et se débattre comme des diables sous des averses de malédictions. Ils sont éliminés, exclus, maudits, — pour des désaccords qui semblent des divergences de nuances. On est tenté de conclure : Ils sont rudement sectaires, les uns et les autres, dans le pays du Nouveau !

Pas du tout. Si on s'approche, on voit que ce qui était compliqué se simplifie — mais que ce qui paraissait superficiel ne l'est nullement en réalité. Ce ne sont là aucunement affaires de nuances, mais affaires de dissemblances profondes mettant véritablement en question l'avenir.

Comment cela ?

D'abord, remarquons que le Parti Communiste tel que l'a voulu Lénine dans sa haute sagacité, est un parti d'intransigeance et d'inflexibilité quant aux principes. La fantaisie n'y a point de place. Dans d'autres partis, peuvent vivre et se promener en paix des dirigeants à faux nez et à double face, sans que nul ne songe à réclamer vis-à-vis d'eux l'intervention chirurgicale. Mais le Parti Communiste n'admet pas un effectif qui fasse le moindrement bigarrure. Il n'admet pas que des formules vagues puissent avoir cours chez lui, et qu'on y recolle les choses ou les idées avec des à peu près. Mais il approfondit toujours, prend toujours au tragique.

Remarquons, en second lieu, que le Parti Communiste Soviétique est une force d'État, dans ce sens que c'est l'avant-garde du prolétariat qui dirige un État Socialiste, et qu'il fait œuvre de chair et de sang. Et, enfin, qu'il travaille dans le neuf, et qu'il est un exemple qui n'a pas d'exemple. Pour cette triple raison, le choc des tendances y est plus important qu'ailleurs, mais aussi le besoin d'unité, et le Parti a un terrible dynamisme d'homogénéité, il est violemment rectificateur et orthopédique. Si l'on réfléchit aux conditions dans lesquelles il œuvre et à l'énorme et multiple tâche originale qui lui incombe, on reconnaîtra qu'il ne doit pas en être autrement. » (p. 60.)

« Toute l'opposition gravite autour de la personnalité de Trotski. S'il ne la personnifie pas toute, on peut dire qu'il la symbolise toute. C'est grâce à lui qu'elle devint un grand péril — en raison de l'autorité que lui conférait le rôle, qu'il avait joué dans l'histoire de la révolution et les débuts de l'État soviétique.

Aujourd'hui, Trotski, exilé de Russie par suite de la guerre ouverte qu'il a faite au régime, est en proie à certaines vexations des polices capitalistes et aux sarcasmes de la grande presse, à cause de son ancien titre de Commissaire du Peuple. Ce qu'on pourchasse dans Trotski, et dont on se venge sur lui, sous nos cieux européens, c'est la part qu'on lui attribue dans la Révolution d'Octobre. La bourgeoisie internationale, qui n'entre pas dans le détail, se donne la joie et la gloire de brimer un bolchevik. Mais à côté de cette persécution qu'il ne mérite plus depuis longtemps, il trouve l'appui et la complicité de toute une collection d'ennemis divers du régime soviétique, et sans parler de son travail politique actuel, on ne peut pas ne pas constater les coups de poignard qui ont été portés, par lui et par les siens, à l'U.R.S.S. et à l'internationale Communiste. Ce fut réellement une tentative de meurtre, et une entreprise de démolition.

Faut-il redire que le facteur personnel a influé sans doute sur l'attitude de Trotski ? Très vite, même du vivant de Lénine, son incompatibilité avec tout autre dirigeant, s'avéra. « C'est très difficile de travailler avec ce camarade », ronchonnait Zinoviev qui, pourtant, passa plus d'une fois dans son camp. Trotski était décidément trop trotskiste. » (p. 63.)

« Menchevik au début, Trotski est toujours resté menchévik. Il est devenu anti-bolchevik peut-être parce que trotskiste, mais, à coup sûr, parce que vieux menchévik. Mettons, si on veut : c'est le trotskiste qui a réveillé en lui le vieux menchévik.

(...) Mais les qualités mêmes de Trotski ont de graves contreparties qui les changent facilement en défauts. Son sens critique hypertrophié mais sans ampleur (celui de Lénine était encyclopédique, comme celui de Staline), l'arrête sur le détail, l'empêche de considérer l'ensemble et le mène au pessimisme.

Et puis, il a trop d'imagination. Il a une incontinence d'imagination. Et cette imagination, se bousculant elle-même, perd pied, ne distingue pas le possible de l'impossible (ce qui n'est du reste pas le métier de l'imagination). Lénine disait que Trotski était parfaitement capable d'échafauder neuf solutions justes, et une dixième solution catastrophique. Les hommes qui travaillaient avec Trotski vous racontent que chaque matin, au réveil, tout en ouvrant un oeil et en s'étirant, ils murmuraient : « Qu'est-ce que Trotski va encore inventer aujourd'hui ? »

Il voit trop toutes les alternatives ; toutes sortes de scrupules l'assaillent ; la thèse et l'antithèse le hantent en même temps. « Trotski, c'est l'homme-volant », disait Lénine. Alors, il hésite, il oscille. Il ne se décide pas. Il manque d'assurance bolchevique. Il a peur. Il est, instinctivement, contre ce qu'on fait. » (pp. 63-64.)

« Trotski appréhendait là, pour la révolution, une impasse fatale. Cette avancée sur un point unique en face du front capitaliste lui semblait vouée à la défaite, (il avait peur, et le menchévik ressuscitait ou plutôt se réveillait en lui). Dans ces conditions, disait-il, il fallait considérer la Révolution Russe comme provisoire.

On se rappelle que lors du VIe Congrès du Parti, au mois d'août 1917, Préobrajinski avait essayé de faire admettre que la socialisation de la Russie serait conséquence de l'établissement du socialisme partout ailleurs. Et c'est parce que Staline s'était vigoureusement élevé contre, qu'on ne vota pas l'amendement d'inspiration trotskiste faisant dépendre de la réussite préalable de la révolution mondiale la possibilité de fonder une société socialiste dans la Russie tsariste désaffectée. » (p. 65.)

« Staline et Trotski se dressent vraiment ici comme le contre-pied l'un de l'autre. Ce sont deux types d'hommes placés l'un à un bout, l'autre à un autre bout, de la collection contemporaine. Staline s'appuie de tout son poids sur la raison, le sens pratique. Il est armé d'une impeccable et inexorable méthode. Il sait. Il comprend intégralement le léninisme, le rôle dirigeant de la classe ouvrière, le rôle dirigeant du Parti. Il ne cherche pas à se faire valoir, il n'est pas troublé par un désir d'originalité. Il tâche seulement de faire tout ce qu'on peut faire. Il n'est pas l'homme de l'éloquence ; il est l'homme de la situation. Quand il parle, il ne cherche de combinaisons qu'entre la simplicité et la clarté. Comme Lénine, il enfonce toujours les mêmes clous. Il multiplie l'interrogation (parce qu'elle fouille l'auditoire) et appuie largement sur les mêmes mots, comme tel grand prédicateur antique. Et il est infaillible pour vous mettre sous les yeux les points forts et les points faibles. Il n'a pas non plus son pareil pour dépister la complaisance réformiste, la contrebande opportuniste. « Quel que soit, dit Radek, le voile dont l'opportunisme couvre son misérable corps, il le décèle. » (Toi, qui te dis orthodoxe, tu n'es qu'un droitier déguisé en gauchiste !)

Cette fameuse question de l'édification socialiste dans un seul pays présente assez bien, redisons-le, les positions que les protagonistes soviétiques occupèrent dans la série de duels idéologico-politiques qui s'engagèrent lors de la première phase de construction de l'U.R.S.S. Elle explique aussi couramment comment on a pu dire que la défensive-offensive de Staline, qui osa s'attaquer à Trotski considéré, surtout depuis la mort de Lénine, comme tabou, « épura et rajeunit le Parti en le débarrassant des restes de gangue de la IIe Internationale ». La lutte contre le trotskisme est la lutte contre l'esprit petit-bourgeois, confus, tatillon et lâche —, et pour tout dire, contre-révolutionnaire, au sein du Parti. » (p. 67.)

« La bureaucratie ? Oui, sans doute, on a presque toujours raison lorsqu'on l'incrimine. Elle a une tendance déplorable à l'obésité stérile, ou bien, si elle est maigre, à la momification. Il faut lui disputer âprement sa place et savoir dispenser la juste part de cet indispensable organisme. Mais, tout de même, l'administration a bon dos, et plus d'une fois, on la prend à partie avec une théâtrale véhémence, et les yeux fermés, uniquement parce que l'on veut, pour une raison ou pour une autre, faire pièce au gouvernement. Plus de vingt ans en çà, en 1903, Lénine répondait aux menchéviks et à Trotski : « Il est clair que les clameurs sur la bureaucratie ne sont qu'une façon de montrer son mécontentement personnel de la composition des organes centraux. Tu es bureaucrate parce que tu as été nommé par le Congrès, non pas conformément à ma volonté, mais en dépit d'elle... Tu agis de façon brutalement mécanique, car tu te réfères à la majorité du Congrès du Parti et tu ne tiens pas compte de mon désir d'être coopté... Tu est un autocrate parce que tu ne veux pas remettre le pouvoir aux mains de l'ancien groupe de copains qui défend d'autant plus énergiquement sa tradition que le blâme infligé par le Congrès à sa formule lui est désagréable. ». Ainsi s'exprimait Lénine qui était un terrible psychologue, avec ses cent yeux perçants. » (p. 70.)

« L'opposition a fait tout ce qu'elle a pu pour décourager la révolution, elle a jeté dans le monde (de toutes ses forces, tout au moins), le doute, le spectre de la ruine, de la désolation de la perdition, et un assombrissement de crépuscule.

« Secouez notre opposition, dit Staline, jetez au loin sa phraséologie révolutionnaire, et vous verrez qu'en elle, au fond, est installée la capitulation ! »

Et une nulle fois : « Le trotskisme s'efforce d'injecter le manque de foi dans les forces de notre Révolution ».

Le trotskisme, qui a quelque peu débordé sur le globe, s'attaquant au réseau de l'Internationale Communiste, a essayé dans la mesure de ses moyens, de jeter à bas l'oeuvre d'Octobre. Autour de Trotski, toutes sortes de gens venus de tous les côtés, exclus, renégats, mécontents, et anarchistes, mènent une lutte de dénigrement systématique et de sabotage, une lutte exclusivement anti-bolchevique et anti-soviétique, parfaitement négative, et qui a toutes les formes de la trahison. Ces transfuges s'évertuent à être les fossoyeurs de la Révolution Russe. » (p. 72.)

« Le Plan qui embrassait les années 1928 à 1933, et qui a été remplacé en fin 1932, au bout de quatre ans, par un nouveau Plan Quinquennal, parce qu'on l'a considéré alors comme terminé, s'implantait à la fois, dans les villes et dans les campagnes : Renforcement de l'industrie — spacieux bond en avant — et conquête de la socialisation des campagnes. (Deux grandes questions vivantes qui se tiennent profondément par le ventre — et par la puissante carcasse de la machinerie). Cette Russie, qui était à l'arrière de l'industrie universelle, il fallait la transporter à l'avant, en la socialisant toute.

Revoyons les objectifs de base, qui s'étendent à perte de vue — tels qu'ils furent délimités par Staline : « Il s'agit de métamorphoser la Russie arriérée, en un pays modernisé techniquement — pour ne pas dépendre des pays capitalistes, pour que le pouvoir soviétique soit solide et que le socialisme puisse vaincre, pour permettre l'élimination du koulak et la transformation de la petite exploitation agricole privée, en collectivisation de l'agriculture, pour avoir une défense militaire suffisante ». Et il s'agissait aussi, pour cette édification dans un seul pays, de se passer du capital étranger.

Malgré les résultats très notables acquis par le seul pays en question, qui se débattait, véhémentement et méthodiquement à la fois, depuis dix ans, l'opinion mondiale n'avait pas désarmé, ne lui avait pas pardonné d'être sorti de « l'ordre » et la grande presse d'information capitaliste (qui est une presse de non information) poursuivait ponctuellement sa tactique malhonnête qui consistait ou bien à nier les résultats, d'un trait de plume, comme on nie un engagement, ou bien dans le cas où il eût été trop stupide de nier ces résultats, à les attribuer à un abandon des principes socialistes. Lorsque fut engagé le dernier plan quinquennal, et jusqu'à son achèvement, la même fielleuse ironie fit grimacer les journalistes officiels.  » (p. 73.)

« Or le Plan Quinquennal de 1928, étayé de chiffres gigantesques, aboutit, en quatre ans, à une réalisation d'ensemble de 93 %. En ce qui concerne l'industrie lourde, la réalisation en quatre ans donne 108 %. La production nationale a triplé de 1928 à 1934. La production d'avant-guerre était, en fin 1933, quadruplée.

De 1928 à 1932, le nombre des ouvriers est passé de 9.500.000 à 13.800.000 (grosse industrie surplus de 1.800.000, agriculture, 1.100.000, employés de commerce 450.000) — et, naturellement, le chômage est devenu là-bas une vieille histoire du passé.

La part de l'industrie dans la production totale, c'est-à-dire par rapport à la production agricole, était, en 1913 de 42 %, en 1928 de 48 %, en 1932 de 70 %.

La part de l'industrie socialiste dans l'industrie était, à la fin des quatre ans, de 99,93 %.

Le revenu national a augmente, pendant les quatre ans, de 85 %. A la fin du plan, il était de plus de 45 milliards de roubles. Un an après, de 49 milliards (1/2 % d'éléments capitalistes et étrangers).

Les fonds de salaires des ouvriers et employés sont passés de 8 milliards à 30 milliards.

Le nombre des personnes sachant lire et écrire est passé pour toute l'U.R.S.S. fin 1930 à 90 % fin 1933.

Qu'on veuille bien, un instant, collationner ces chiffres, qui témoignent d'une progression unique dans les annales du genre humain, avec les honnêtes prophéties qui figurent plus haut — faillite, impasse, catastrophe, effondrement — et qui se sont exprimées alors que le Plan était à peu près réalisé déjà, à la face de tous.

De nouvelles branches d'industrie ont été mises en œuvre, depuis les machines-outils, les autos, les tracteurs, les produits chimiques, les moteurs, les avions, les machines agricoles, les puissantes turbines et les générateurs, les aciers fins, les alliages ferreux, jusqu'au caoutchouc synthétique et à la fibre artificielle. Je suis allé de Londres à Leningrad, il y a deux ans, dans un grand bateau où tout, absolument tout, dans la machinerie et l'aménagement, était de construction soviétique (jusqu'aux pianos, celui des passagers et celui de l'équipage). J'ai vu à Moscou un avion gigantesque (à l'intérieur de ce monument, on avait la perspective d'une galerie d'usine), où ne se trouvait rien qui ne provînt de l'U.R.S.S. et n'y eût été manufacturé — sauf les pneus du train d'atterrissage. » (pp. 73-74.)

« Grinko, Commissaire du Peuple aux Finances de l'U.R.S.S. nous apprend que le financement du Plan Quinquennal en quatre ans représente 116 milliards de roubles au lieu de 86 milliards prévus.

Et Grinko ajoute : « Nous avons battu à plate couture les notions bourgeoises suivant lesquelles le pays des Soviets ne pouvait, par ses propres ressources et sans le concours d'emprunts étrangers, mettre à exécution le prodigieux programme d'édification socialiste...

« La principale raison qui nous a permis une telle accumulation de capitaux, est dans le fait primordial que chez nous le gaspillage du revenu national, tel qu'il se pratique dans les pays capitalistes, n'existe pas. Nous avons liquidé les classes parasitaires qui dans tous les pays capitalistes consomment improductivement une portion énorme du revenu national... Nous ne faisons pas de politique impérialiste... Nous n'avons pas d'anarchie dans la production sociale. Toutes nos ressources sont affectées presque exclusivement au financement de l'édification économique et culturelle... »

Grandes paroles, dont on ne saurait exagérer la majesté et la signification profonde, et qui, prononcées en 1934 par un ministre des finances en exercice, éclairent violemment une totale transformation du mécanisme collectif. Ces paroles, qui ont tout le volume et toute la richesse des faits positifs qu'elles ne font qu'exprimer, sont a reprendre et à méditer par tous les hommes : Nous n'avons pas de fuites, nous n'avons pas de dérivation. Nous ne pouvons pas avoir de fraude. Le parasitisme infectieux des intermédiaires, la spéculation et les scandales qui nécrosent l'ossature des grands pays, nous ne les connaissons pas. Nous pratiquons une politique sensée, probe, et tout le mécanisme fonctionne rond et plein pour le profit de tous et de chacun. » (p. 76.)

« En 1929, année de l'apogée de la production capitaliste industrielle, l'Union Soviétique venait au cinquième rang des pays du Globe, après les États-Unis et les 139 milliards de roubles-or de sa production, après l'Angleterre et l'Allemagne chacune avec 39 milliards, après la France (29 milliards).

Depuis, la production capitaliste a baissé de 36 % et avec ses 33 milliards de roubles-or de production, l'U.R.S.S. vient au second rang des puissances productrices dans le monde : après les États-Unis.

Pour la construction des machines agricoles et des locomotives le record mondial est détenu par l'U.R.S.S. (pour les seules machines agricoles, sa production annuelle présente vaut 420 millions de roubles-or, celle des États-Unis 325 millions).

L'U.R.S.S. occupe le second rang dans le monde pour la production des machines en général, et aussi pour la production du pétrole, du fer et de l'acier ; le troisième rang pour la production d'énergie électrique (après les États-Unis et le Canada). Le troisième rang également pour l'industrie des chaussures, que je cite à titre d'exemple, parce qu'on s'est copieusement complu à parler des souliers percés et des souliers fictifs de ces pauvres Russes ; la dominent encore dans cette branche, les États-Unis et la Tchécoslovaquie d'où feu Batta avait su couvrir de semelles neuves le sol de l'Europe. » (p. 76.)

« Le chômage. Pendant cette période du Plan où le chômage a été éliminé de l'U.R.S.S., le nombre des chômeurs est passé, en Angleterre de 1.290.000 à 2.800000 ; en Allemagne, de 1.376.0000 à 5.500.000. En France, le nombre des chômeurs qui n'a cessé de s'augmenter nonobstant un court arrêt momentané fin 1933, est aujourd'hui de 1.600.000 chômeurs complets, et (à côté des tués, les invalides) : 2.900.000 chômeurs partiels. [Pour la France, ce chiffre a été obtenu en appliquant au nombre total des ouvriers de l'industrie le pourcentage de chômage fourni par l'enquête des inspecteurs du travail et des ingénieurs des mines.] Aux États-Unis, d'après l'Institut Alexander-Hamilton, le nombre des sans-travail était en mars 1933, de 17 millions. En Italie, 1.300.000 chômeurs. En Espagne 650.000 chômeurs en septembre 1934 (28.000 de plus qu'en janvier).

On nous dit que dans plusieurs de ces pays-là, le chômage a diminué. Remarquons que même là où on parle des diminutions du chômage, on parle aussi des diminutions du total des salaires. Mais remarquons surtout qu'il n'y a pas au monde de bluff et d'escamotage plus éhontés que ceux qui sont ourdis autour des chiffres officiels du chômage, dans tous les pays, capitalistes. Il n'est pas possible de se moquer plus délibérément du public que ne le font les autorités compétentes en jouant sur les mots et sur les chiffres pour dissimuler la situation réelle. Aucun pays capitaliste n'avoue ses chômeurs. On « oublie » des catégories entières de travailleurs, des en­treprises n'ayant pas un certain contingent de personnel, on « néglige » des régions en­tières. Après l'opération consistant à couper en deux le temps de travail d'un ouvrier pour donner cette demi-journée à un chômeur, on efface le chômeur de la liste, alors que rien n'a été changé à rien, car deux fois un demi, cela fait bien un. (États-Unis). Sans parler des travaux publics à crédit qui creusent le gouffre de l'avenir, non plus que des opérations sur papier qui changent les mots sans changer les choses... Et sans parler du grossissement goi­treux de l'industrie de guerre (partout, et surtout en Allemagne et au Japon)... C'est ainsi que le chômage s'efface aux yeux des foules fascinées (fascisées). A fortiori, on ne secourt qu'un nombre outrageusement infime de chômeurs dans les royaumes du capitalisme. Les autres vivent par hasard.

« Il y a trois ans, constatait Staline en 1933, il y avait un million et demi de chômeurs en U.R.S.S. ». En U.R.S.S. aujourd'hui, le nombre des ouvriers a augmenté de 4 millions et demi.

Les salaires ? Pendant les quatre ans en question, ils ont baissé, aux États-Unis de 35 %, en Allemagne de 50 %, en Angleterre de 50 %. En Italie — de 1929 à 1931 — de 24 à 45 % — en tenant compte naturellement, du pouvoir d'achat. En U.R.S.S. les salaires ont augmenté de 67 % (moyenne de l'ouvrier industriel : 991 roubles en 1930 ; 1.519 roubles en 1933). » (p. 77.)

« A côté de l'énorme recherche de formules neuves et directes de théâtre et de mise en scène, à côté des bouleversantes créations du cinéma soviétique, on devrait parler longuement ici, de la littérature soviétique, puisqu'il s'est fait sur cette voie une belle avancée constructive, et puisque, aussi bien, Staline s'est toujours vivement préoccupé du développement des lettres et des arts. Le rôle social des écrivains, que Staline définit : « les ingénieurs des âmes », soulève un problème qui ne concerne pas seulement l'homogénéité de la société socialiste, mais qui intéresse, au plus haut point, le progrès de l'art lui-même, en faisant entrer aujourd'hui des éléments nouveaux dans la peinture de la vie contemporaine. Ce sont les vastes perspectives, visuelles, idéologiques, et dramatiques, du collectif, et aussi le sens d'un devoir humain qui est le reflet, en chaque être actif, du progrès humain. » (p. 78.)

« Dans nos vieux pays, qui ont encore le cynisme ou l'insanité de se louanger eux-mêmes pour leur mission spirituelle, tout ce qui touche à l'esprit est, en réalité, méprisé et sacrifié. On constate le ravalement de la science et de la culture au service de la guerre et de la conservation sociale. Les écrivains, les artistes, les savants, tous les intellectuels sont appauvris par le Pouvoir soucieux de déverser tous les deniers publics dans le gouffre des armements. Les étudiants n'ont plus guère d'avenir, et le peu qui leur en reste est dépourvu de dignité. Leurs diplômes ne sont, à tous égards, que chiffons de papier. Ils sont accaparés, domestiqués — en tant qu'inventeurs, en tant qu'éducateurs — pour la préparation matérielle et idéologique de la guerre, et pour l'exploitation du prolétariat. Ils doivent, bon gré mal gré, devenir, avec leurs cerveaux, des fournisseurs de guerre (parents pauvres des autres), ou des agents de police de la réaction. » (p. 79.)

« Au début de 1934, la défense nationale représente dans le budget soviétique 4,5 % du budget total (pour le Japon 60 %, pour la France 40 %, pour l'Italie 33 %). L'Armée Rouge est de 562.000 hommes. L'armée du Japon est de 500.000 hommes. Hitler en réclame 300.000 comme la France, mais il en a, en réalité, 600.000 sous la main, selon les prévisions les plus basses, pour un territoire 50 fois plus petit que celui de l'U.R.S.S. L'armement soviétique a progressé considérablement. Vorochilov déclarait, au début de 1934, que l'outillage et l'armement représentaient en 1929, 2,6 chevaux-vapeur par soldat rouge, et en 1934, 7,74 CV. » (p. 79.)

« Le déficit budgétaire était, en 1930, de 900 millions de dollars aux États-Unis et de 2 milliards 800 millions de francs en France ; l'année suivante, le déficit américain se multipliait par trois et devenait 2 milliards 800 millions de dollars, le français se multipliait par deux et devenait 5 milliards 600 millions de francs ; avant-dernier budget, 9 milliards. [La dette de la France est de 64 milliards-or, sans compter les dettes communales. Le déficit du Trésor, sans compter le déficit des chemins de fer, est d'environ 12 milliards. (M. Caillaux, président de la Commission des Finances du Sénat, décembre 1934).] Italie, 4 milliards de lires. Et aujourd'hui, en Amérique, c'est tout un échafaudage d'État de combinaisons aussi draconiennes que vaines à quoi s'évertuent une collection de cervelles de qualité supérieure. Et en France, c'est — outre l'immoralité de la Loterie permanente — l'inflation politique, la planche aux décrets-lois, qui permet de travailler le Français pris à la gorge, pour lui faire rendre son magot. Le déficit s'agrandit partout malgré l'augmentation forcenée des impôts, malgré toutes les diminutions des salaires, des traitements, des allocations de chômage, des pensions, le rognement lamentable des crédits affectés au développement scientifique, aux besoins sociaux, à l'éducation, aux progrès, malgré les « conversions » qui font faire faillite aux petits épargnants. » (pp. 79-80.)

« Il y a aussi les gros politiciens tapageurs comme M. Herriot, représentant du capitalisme occidental, fournisseur attitré d'étiquettes radicales aux gouvernements réactionnaires — M. Herriot qui se bat les flancs et se donne tout le mal qu'il peut pour essayer de rapetisser le socialisme soviétique à la dimension de son propre programme électoral, qu'il ressuscite à cette occasion.

Je sais bien ce qu'on va me dire : « Si vous disiez autant de mal de la Russie que vous en dites du bien, nous vous croirions. M. Herriot, par exemple, dans son dernier livre, fait un reportage équilibré, objectif avec des lumières et des ombres, tandis que vous, vous faites un panégyrique, par parti pris. »

Voire. C'est la seule réalité qui fait le panégyrique. Nous n'inventons aucun argument.

Est partial celui qui, serviteur d'une conception bâtarde et médiocre de républicanisme capitaliste, ne voit pas les dimensions et les profondeurs de l'originalité créatrice mise en action là-bas Celui-là ne situe pas le fait soviétique dans ses vrais cadres du temps et de l'espace, dans son cadre mondial et historique, dans ses répercussions sur l'humanité. Il ne dit pas la vérité.

Or, le fait, le voici. Le plus misérable État de l'Europe (malgré ses grandeurs désertiques), ignare, ligoté, battu, affamé, saignant et démoli, est devenu en dix-sept ans le plus grand pays industriel d'Europe, le second du monde — et le plus civilisé de tous, sur toute la ligne. Une telle progression, qui ne s'est jamais présentée, s'est accomplie — ce qui ne s'est jamais présenté non plus — par les seuls moyens de ce pays dont tous les autres ont été les ennemis. Et cela s'est fait par la force d'une idée, qui est à l'opposé de l'idée directrice de toutes les autres sociétés nationales — l'idée fraternelle et scientifique de justice.

Dire seulement qu'un tel fait (une telle conquête de l'esprit humain), est « intéressant », et « qu'on ne doit pas le condamner en principe », c'est ne pas le comprendre ou bien c'est tromper les gens. Mettre les quelques ombres de cet extraordinaire tableau sur le même plan que ses lumières ; comparer ces institutions-là aux nôtres, c'est vraiment se moquer du monde.

Mais laissons le cortège des hommes-orchestres comme M. Herriot, des minus habens comme M. Poincaré, des aimables jésuites comme M. Mallet, des ivrognes comme M. Parijanine, des fripouilles comme M. Bajanov.. » (p. 81.)

« Les avantages matériels de la collectivisation ont été, au cours de la colossale installation actuelle du socialisme dans les campagnes, confirmés par certains faits caractéristiques. Signalons-en un : Il est reconnu aujourd'hui qu'en Ukraine, c'est la mise en œuvre des grandes ressources de la communauté qui a permis de parer aux grands dangers dont la sécheresse menaçait la récolte, et d'avoir, en 1934 pour toute l'Union, en dépit des conditions atmosphériques défavorables, une récolte meilleure que celle de 1933. » (p. 83.)

« A la fin de 1934, la prospérité économique de l'U.R.S.S. était telle, que le Gouvernement soviétique a annulé les dettes des kolkhoz, ce qui représentait la coquette somme de 435 millions de roubles — sans même oublier de donner des primes et des avantages aux kolkhoz qui s'étaient acquittés de leurs dettes. « Quel autre gouvernement sur la Planète aurait pu s'offrir ce luxe ? » s'est contentée de constater l'autre soir la Radio Centrale de Moscou. » (p. 84.)

« Des critiques persistent. La majorité des kolkhoz ne rapportent pas. Et voici même que certains communistes proposent carrément de liquider cette expérience onéreuse.

Une fois de plus, notre solide dirigeant montre sa grandeur de vues en s'opposant avec une amère violence à cette solution sommaire de myopes. Il crie par-dessus cette explosion de criailleries :

Ils ne rapportent pas ? C'est comme les usines industrielles en 1920 : ils rapporteront (d'ailleurs il en est beaucoup qui rapportent). Mais « ils sont surtout la base de l'ensemble, le fondement du système... On ne peut considérer le rendement économique du point de vue mercantile, en partant de la conjoncture du moment. Le rendement économique doit être envisagé au point de vue de l'économie nationale tout entière et pour une période d'activité de plusieurs années. Seul un tel point de vue peut être appelé vraiment léniniste, vraiment marxiste. »

C'est pourquoi c'est le point de vue stalinien.

Si Staline sermonne les abandonneurs, les « gâcheurs » de droite, il secoue aussi les « phraseurs » de gauche, et aussi les dirigeants qui se laissent gagner de vitesse par les faits. » (p. 85.)

« Tandis que la campagne soviétique, non sans combats, se perfectionne et s'idéalise, nos regards évoquent un autre grand continent piétiné par le capitalisme suprême, les États-Unis. Les ensemencements de blé y ont été diminués du dixième. La valeur de la production agricole est tombée, de 11 milliards de dollars, en 1929, à 5 milliards en 1932. En deux ans, la valeur des fermes (terres et machines) a diminué de 14 milliards de dollars. 42 % des agriculteurs ont hypothéqué leurs biens, et s'il y a eu, en 1932, que 258.000 expulsions, c'est grâce à la révolte armée des fermiers.

Et la N.R.A., émanation cérébrale du capitalisme, n'a d'autre recours que le malthusianisme des récoltes, le suicide : réduction de 8 % de la surface cultivée, primes aux paysans ayant des terres qu'ils cessent de cultiver, primes aux planteurs de coton qui enterrent 25 à 50 % de leur récolte. Un ouragan vient de dévaster des plantations : joie, victoire nationale !

Les journaux français annoncent que la bonne récolte « menace » les vignerons de la Champagne... Pour remonter les affaires, là-bas et ici, à nous les inondations, les gelées, la grêle, et le phylloxéra !

Nous avons déjà parlé des monumentales destructions du café brésilien. De pareilles mesures, qui sentent à la fois le crime et la folie, méritent qu'on s'y arrête, avec un certain frisson de terreur. Aussi bien, elles se généralisent extraordinairement depuis ces dernières années. Il ne s'agit pas de faits isolés ; il s'agit bel et bien d'une méthode capitaliste. » (p. 87.)

« Quelle place pour ces extravagances funestes, dans un pays comme l'U.R.S.S. où tout excédent d'un produit se dirige automatiquement là où il manque ? « Si quelqu'un parlait d'employer de pareils procédés chez nous, a déclaré Staline, on se hâterait d'enfermer celui-là dans un asile d'aliénés. » » (p. 88.)

« Les ouvriers soviétiques sont des hommes comme les autres. Pourtant, je l'ai déjà dit, ils n'ont pas les mêmes têtes et ils n'ont pas les mêmes bras que les ouvriers des pays capitalistes, puisque, ici, ils sont en lutte contre le patronat, et que là-bas, ils travaillent pour eux-mêmes. Le sentiment d'orgueil et de joie qui brille sur la face des ouvriers soviétiques est le « changement » qui frappa le plus Gorki lorsqu'il revint en U.R.S.S. en 1928 après une longue absence. « Voilà ce qu'ont fait les ouvriers socialistes ! » telle est la phrase qu'on entend le plus souvent — et proférée avec quel accent de fierté ! — dans les foules ouvrières, en présence des réalisations qui s'amassent l'une sur l'autre, s'épaulent, se recouvrent et foisonnent sur l'aire illimitée de l'ex-Russie, avec la rapidité artistiquement organisée d'un cinéma, parmi le ralenti de la vie mondiale. » (p. 88.)

« Qui dira ce qui se passe dans toutes les geôles capitalistes de l'univers, qui donnera un aperçu des milliers et des milliers de scènes infernales et bestiales dont sont responsables les gardiens de l'ordre bourgeois et leur génie sadique de la souffrance humaine ! Italie, Allemagne, Finlande, Pologne, Hongrie, Bulgarie, Yougoslavie, Roumanie, Portugal, Espagne, Venezuela, Cuba, Chine, Indochine, Afrique. Il suffit de voir à l'œuvre n'importe quelle bourgeoisie et ses policiers, pour proclamer : Nous sommes à l'âge du sang. Mais on a entendu, dans le chaos universel, la beauté de la voix accusatrice d'un Dimitrov. Et on voit du même côté, comme un symbole et un signe de lumière, le puissant Thaelmann crucifié sur la Croix Gammée. » (p. 89.)

« On dit : « les socialistes ont gouverné : en Angleterre, en Allemagne. Regardez ce qu'ils ont fait. »

On néglige d'ajouter que les personnages en question étaient peut-être socialistes de nom, mais qu'ils n'ont jamais appliqué le socialisme. Toutefois, il faut reconnaître que ce sophisme prend beaucoup de force en raison de la réelle déconvenue que tels chefs social-démocrates, par leurs agissements, pendant la guerre et après la guerre, ont apportée aux ouvriers. Ces maquignonnages, ou déloyaux ou puérils et ces effectives trahisons, ont discrédité pas mal le socialisme et l'ont notablement affaibli dans certains milieux ouvriers non mûrs pour l'énergique intransigeance du communisme.

D'autre part, on exhibe avec honneur M. Mac Donald, socialiste converti à la vertu capitaliste, « comme on exhibe un ivrogne guéri, dans les sociétés de tempérance », dit M. Snowden (qui n'y trouve à redire que pour des raisons de jalousie et d'animosité personnelle). Quant aux réalisations de l'U.R.S.S. on les cache, on les vole aux peuples. » (p. 96.)

« Mussolini, haut-parleur de la réaction mondiale, s'est produit sur la scène sociale — comme pur socialiste — au moment où les capitalistes étrangers roulaient encore sur l'or et où il n'y avait qu'à trahir pour avoir les moyens de se hisser en l'air. Aujourd'hui l'assassin de Mattéotti et de milliers de ses frères, bénéficie pour la série de ses apostasies et de ses crimes, d'une pesante conspiration du silence, qui est la caractéristique et la honte de notre époque, et il a inoculé sa gloire à l'Italie.

Le chef des Chemises Noires, le roi nègre des Italiens, n'a fait que replâtrer la façade de l'Italie, mais, par ailleurs, il n'y a rien accompli de positif, si ce n'est de diminuer le nombre des Italiens. La ruine n'a cessé de se propager dans ce pays qui est aujourd'hui, économiquement, le plus misérable Etat de l'Europe après l'Allemagne. (Le fascisme, « régénérateur du monde » !). En Italie, où l'instituteur donne ses leçons en uniforme, où les ouvriers, même non-chômeurs, n'ont pas de quoi nourrir la nichée — on organise des canonisations pour essayer de faire aller le commerce. » (p. 98.)

« La machine du haut de laquelle Hitler pérore, a certains rouages terribles. Toutes les forces, toutes les ressources, d'un grand pays à demi assommé, mais encore puissamment viable, l'encyclopédique administration allemande, la tenace confiance disciplinaire qui subsiste encore dans une partie de cette compacte population, — tout cela est mis fébrilement au service du réarmement. Il s'agit de pouvoir arriver à quelque résultat concret éclatant avant l'effondrement économique. L'ouvrier allemand, qui travaille, touche moins aujourd'hui que ne touchait le chômeur il y a quelques années. (La misère est bonne conseillère). Le Parti Communiste voit grandir son influence morale sur le scandale de l'Allemagne. Le seul recours d'Hitler, qui n'a aucun programme constructif, c'est la guerre. Dès qu'il se sentira suffisamment armé et muni d'alliances, il jettera le masque. Jamais aucun pays n'a été entraîné aussi clairement dans l'aventure. » (p. 99.)

« L'Empire Français, les colonies ? On fait à grande pompe une vaste Conférence impériale française pour tirer un honnête rendement de ces nations vaincues et punies. Ce rendement est nul. Pourtant, depuis longtemps l'indigène exproprié est condamné au labeur épuisant, au labeur mortel, dans toute l'Afrique. Il est la bête de somme, la bête militaire, la bête à impôts. Au Gabon, dont la population noire fond à vue d'œil, le nègre est obligé de vendre sa femme pour payer l'impôt. En Afrique Equatoriale et Occidentale Française, le non payement du tribut exigé par la civilisation spoliatrice entraîne le massacre et la démolition des villages. Au Maroc, les femmes sont des otages pour les impôts. En Indochine, on construit des chemins de fer à l'usage des colons, dans des conditions telles qu'on a pu dire que chaque traverse de la voie représente un cadavre d'indigène. Et si un patriote relève la tête, on abat ce bandit au nom de la Patrie. » (p. 100.)

« Aux États-Unis, M. Roosevelt réunit des gens graves autour d'une table, comme on fait du spiritisme, pour que se révèlent les moyens de résoudre la quadrature du cercle de l'équilibre économique en régime capitaliste. Et il emploie des trompe-l'œil, et des trucs fascistes pour faire semblant d'y arriver. Il ne peut pas ne pas user de ces moyens, et ces moyens ne peuvent pas aboutir : Comment concevoir l'harmonisation dans l'intérêt de tous, d'une économie nationale, dès lors que celle-ci continue à être soumise à l'arbitraire et aux dictatures morcelées des gros intérêts privés ? Une société, tout comme une maison, doit se construire par la base et non pas le toit. La tentative de M. Roosevelt, qui ne peut être qu'apparente et que momentanée, signifie : commencer le bâtiment socialo-économique, par le toit. C'est de l'abstraction et de la littérature. C'est pire : puérilité ou tricherie, c'est, finalement, tout baser sur le capitalisme. » (p. 101.)

« Les contre-révolutionnaires ont pour eux d'avoir les armes et les services publics, et de pouvoir mentir par radio. Les révolutionnaires ont pour eux « d'avoir raison ». C'est la lutte finale, comme gronde l'hymne des foules. » (p. 102.)

« Le peuple russe, le premier peuple qui se soit occupé à sauver les peuples, l'U.R.S.S., l'unique expérience socialiste, apportent une preuve réelle, une preuve bâtie ; le socialisme est faisable ici-bas.

Les résultats du socialisme sont là, les voici. Que les saltimbanques et les renards de tribune n'essayent pas de nous faire croire qu'ils sont quelque part ailleurs. Là est le pays où sous la main de deux hommes supérieurs, ont été unis « le génie pratique américain, et l'élan révolutionnaire », le pays d'intelligence et de devoir — avec son besoin de vérité, son enthousiasme et son printemps. Il fait tache sur la mappemonde pas seulement parce qu'il est neuf, mais parce qu'il est propre.

La régie socialiste soviétique est la seule qui ait créé de la prospérité, et qui ait créé des vertus civiques — qui n'ont rien à voir avec le sinistre code d'honneur des bandits à la Mussolini ou à la Stavisky qui brillent côte à côte dans toutes les capitales. La Révolution d'Octobre a vraiment apporté une purification de la moralité et de l'esprit public, alors qu'aucune réforme religieuse ou politique ne l'avait fait jusqu'ici — ni le Christianisme, ni le Protestantisme, ni les Droits de l'Homme et du Citoyen. » (p. 103.)

« Revenons encore une fois à la figure de cet homme qui est toujours entre ce qui est fait, et ce qui est à faire. (...)

Il est la cible de nos ennemis, et ils ont raison, dit Knorine. Il est le nom de notre Parti, dit Boubnov. C'est le meilleur de la vieille cohorte de fer, dit Manouilski. Les vieux bolcheviks, on les respecte, dit Mikoyan, pas parce qu'ils sont vieux, mais parce qu'ils ne vieillissent pas. (...)

Cet homme net et lumineux est, nous l'avons bien vu, un homme simple. Ce n'est difficile de le rencontrer que parce qu'il travaille toujours. Quand on va le voir, dans une salle du Kremlin, on rencontre en tout et pour tout, trois ou quatre personnes au pied d'un escalier et dans des vestibules. Cette simplicité organique n'a rien à voir avec la simplicité « au chiqué » de tel monarque Scandinave qui daigne sortir à pied dans les rues ou d'un Hitler faisant claironner par ses propagandistes qu'il ne fume pas et ne boit pas de vin. Staline se couche régulièrement à 4 heures du matin. Il n'a pas 32 secrétaires, comme Lloyd George, il n'en a qu'un, le camarade Proskrobitchev. Il ne signe pas ce que d'autres écrivent. On lui fournit le matériel, et il fait tout. Tout lui passe entre les mains. Et cela n'empêche pas qu'il réponde ou fasse répondre à toutes les lettres qu'il reçoit. Quand on le rencontre, il est cordial, familier. Sa « franche cordialité », dit Serafima Gopner, « sa bonté », « sa délicatesse », dit Barbara Djaparidzé, qui lutta à côté de lui en Géorgie. » (pp. 103-104.)

« Staline a écrit des livres importants et en grand nombre. Plusieurs d'entre eux ont une valeur classique dans la littérature marxiste. Mais si on lui demande ce qu'il est, il répond : « Je ne suis qu'un disciple de Lénine, et toute mon ambition est d'être un fidèle disciple. ». Il est curieux de remarquer combien dans les exposés du travail accompli sous sa direction, Staline met systématiquement au compte de Lénine le mérite de tous les progrès obtenus, alors qu'il en a lui-même une large part, et que, du reste, on ne peut pas réaliser le léninisme sans être soi-même un inventeur. Ici, le mot : disciple, rehausse — mais ces hommes ne s'en servent que pour rabaisser leur rôle particulier, et rentrer dans l'ensemble. Ce n'est pas de la sujétion, c'est simplement de la fraternité. » (p. 105.)

« Si Staline a foi dans la masse, la réciproque est vraie. C'est un véritable culte que la Russie Nouvelle a pour Staline, mais un culte fait de confiance, et jailli tout entier d'en bas.

L'homme dont la silhouette sur les affiches rouges, se détache, encastrée dans celles de Karl Marx et de Lénine, est celui qui s'intéresse à tout et à tous, qui a fait ce qui est et qui fera ce qui sera. Il a sauvé. Il sauvera.

Nous savons bien que selon les paroles mêmes de Staline, « les temps sont révolus où les grands hommes étaient les principaux créateurs de l'histoire ». Mais s'il faut nier le rôle exclusif exercé sur les événements par le « héros », tel que le pose Carlyle, il ne faut pas contester son rôle relatif. Là aussi, il faut penser que ce qui est pareil, s'obéit. Le grand homme est celui qui, prévoyant le cours des choses, le devance au lieu de le suivre et, préventivement, agit contre quelque chose, ou agit pour. Le héros n'invente pas la terre inconnue, mais il la découvre. Il sait susciter les vastes mouvements de masses — et pourtant ils sont spontanés —, tellement il en connaît les causes. La dialectique, bien appliquée, tire d'un homme ce qu'il contient — d'un événement aussi. Dans toutes les grandes circonstances, il faut un grand homme, comme une machine centralisatrice. Lénine et Staline n'ont pas créé l'histoire — mais ils l'ont rationalisée. Ils ont rapproché l'avenir. » (p. 106.)

 

 

Connaissance de l'URSS - 1917-1947 - Un bilan de 30 ans (1947)

« Il n'y a jamais eu dans l'histoire du monde une transformation aussi rapide que celle qui a été opérée en Russie depuis 1917. L'écrivain anglais Wells rencontra Lénine en 1920, au moment où on élaborait à Moscou un plan d'électrification échelonné sur 10 ou 15 années. Le romancier britannique, pourtant spécialiste des anticipations, considéra le plan comme irréalisable. « Tout en niant en marxiste orthodoxe toutes les utopies, écrivit-il, Lénine est finalement tombé dans l'utopie électrique ». Or, ce premier plan a non seulement été réalisé, mais il a été dépassé. Il prévoyait la mise en service de nouvelles centrales électriques d'un total de 1.500.060 kilowatts en 10 ou 15 ans à partir de 1920. En réalité, à la fin de 1935, c'est pour un total de 3.800.000 kilowatts que de nouvelles centrales ont été mises en service. Deux fois et demi le chiffre prévu par le plan. » (p. 4.)

« La guerre d'intervention se termina en 1921. Le pays était ruiné. L'économie était délabrée : usines détruites, matériel usé, gares incendiées. En 1920, la production industrielle atteignait 13,8 % de celle de 1912. Plus que la petite industrie et l'artisanat inclus dans cette statistique, la grande industrie avait souffert. Sur 138 hauts-fourneaux en ordre de marche au début de 1914, il n'en restait plus que 12 en 1920. Sur les 150 fours Martin en ordre de marche en janvier 1914 dans l'Oural et le Sud, 8 seulement restaient allumés en 1920. La production de la fonte en 1920 et 1921 ne représentait plus que 2,8 de celle qui avait été obtenue en 1914. Et si l'on songe que dans l'empire des tsars, la production industrielle était insuffisante, cela permet de mieux comprendre ce qu'il y avait de dramatique dans la situation de la Russie soviétique. Dans la presse étrangère, on proclamait la faillite du communisme. Plus sérieux, H. G. Wells écrivait alors : « Qu'on me permette de dire que la désolation de la Russie actuelle n'est nullement le résultat d'attaques contre un bon système social battu en brèche par des forces malfaisantes... Ce n'est pas le communisme qui, la grande guerre terminée, a contribué à harceler la Russie souffrante en soudoyant des bandes d'envahisseurs, des insurrections et en lui infligeant ce honteux blocus de tortionnaires... Le Gouvernement bolchéviste de Russie n'est pas plus responsable du déchaînement de ces maux que de leur continuation »... » (pp. 7-8.)

« Les transformations économiques ayant modifié la structure sociale de l'U.R.S.S., il n'y avait plus à l'intérieur du pays de base de classe pour une opposition ouverte, du type de celle que le pouvoir soviétique avait dû combattre dans les premières années de son existence. Toutefois, il y a des complots, des sabotages et des tentatives d'espionnage sévèrement réprimés de 1934 à 1938. Des hommes politiques et des généraux, convaincus de trahison, sont juges, condamnés et exécutés. Dans la presse étrangère d'alors, on protestait avec une vertueuse indignation. Aujourd'hui, on ne peut plus douter du service que le Gouvernement soviétique a rendu à son pays et, disons-le, à l'humanité entière, en détruisant la cinquième colonne qui tentait de désorganiser la production et la défense nationale. M. Albert Mousset n'est point spécialement soviétophile. Il dirige la chronique de politique étrangère de l'Epoque. Voici son opinion : « Cette action contre les menées militaires de la cinquième colonne sera, avec le gigantesque effort industriel du régime stalinien, l'un des facteurs de la victoire contre l'Allemagne. Vorochilov, commissaire du peuple à la guerre depuis 1924, pourra désormais forger en toute sécurité l'instrument de la victoire ».l7 M. André Pierre n'est point spécialement soviétophile. Il dirige dans Le Monde la chronique des questions soviétiques. Voici son opinion : « L'Armée Rouge avait été épurée en temps opportun de tous les éléments suspects et il n'y avait ni défaitistes, ni traîtres dans ses rangs ».18 » (p. 11.)

« Il n'y a pas de miracle soviétique. L'U.R.S.S. exécute le quatrième plan quinquennal avec l'aide de ses seules richesses, 32 et en s'appuyant sur les avantages propres au système socialiste. Les peuples soviétiques travaillent. Ce qui fait leur force, ce qui justifie leur optimisme, c'est qu'ils ne sont point tourmentés par la peur des crises, par l'obsession du chômage. Ils vont laborieusement, héroïquement parfois, « au-devant de la vie ». » (p. 16.)

« L'étude du sous-sol et des propriétés des roches a été très poussée en vue de la construction de barrages, tunnels et autres ouvrages d'art. Une étude approfondie des propriétés physico-mécaniques des argiles a permis de construire des barrages très importants, par exemple à Svirstroï, sur des roches plastiques, qui habituellement sont évitées pour ce genre de constructions. Pour édifier un barrage sur la Kama, dont le sous-sol comporte des roches solubles : gypse, anhydrite et sel gemme, on a dû trouver des méthodes nouvelles pour éviter les dissolutions par infiltration. De nouveaux procédés de protection ont été mis au point : par exemple le drainage des eaux par les couches filtrantes sableuses, l'intercalation d'une barrière de sol artificiellement gelé entre les roches solubles et les eaux de filtration, etc. » (p. 24.)

« On aurait pu croire qu'au pays des plans quinquennaux, toutes les énergies seraient tendues vers les problèmes essentiellement pratiques de la construction de la société moderne et que les jeunes mathématiciens seraient encouragés à ne faire quel des recherches d'utilisation immédiate. Il n'en a rien été. Pour ne citer qu'un exemple, on ne conçoit pas le plan quinquennal auquel le théorème de Hilbert-Gelfond rappelé plus haut pourrait avoir la moindre utilité. La conception générale du monde qui prévaut en Union Soviétique est celle du matérialisme dialectique. C'est essentiellement une conception réaliste, une conception qui n'accepte d'autre nécessité, d'autre autorité que celles qu'imposé la réalité, mais qui, par contre prétend parfaire la libération de l'homme, tant à l'égard de la nature qu'à celui de la société où il vit. La mathématisation de plus en plus manifeste des sciences montre que le mouvement d'idées né au XVIIe siècle et que l'en peut appeler l'analyse mathématique, au sens large du mot, est le plus puissant instrument d'investigation du réel que l'homme se soit forgé. Il n'est donc pas surprenant que la société soviétique voie avec faveur se développer les études mathématiques les plus abstraites. Un réalisme bien entendu ne craint pas l'abstraction. Paul Langevin qui était un physicien expérimentateur, mais aussi un mathématicien averti, disait : « Les mathématiques contemporaines deviennent de plus en plus abstraites, et c'est grâce à cette abstraction que nous parvenons à mieux pénétrer le concret ». L'analyse mathématique apparaît donc comme la forme la plus élevée de l'activité mentale de l'homme. Et puis le talent mathématique, le génie sont aussi des réalités. De tout cela il faut conclure qu'il n'est pas surprenant qu'en Union Soviétique le dépistage des jeunes talents mathématiques soit soigneusement organisé. » (p. 35.)

« Avant la Révolution, l'état des constructions mécaniques de la Russie, était particulièrement retardataire, et la plupart des besoins étaient couverts par l'importation. L'industrie des constructions mécaniques accusait même un retard par rapport aux autres branches d'industrie. La valeur totale de la production des industries mécaniques de la Russie ne présentait que 6,8 % de la valeur totale de la production industrielle du pays. La construction des machines pour un certain nombre d'industries faisait même totalement défaut : l'aviation, la construction automobile, la construction de tracteurs, la construction de turbines hydrauliques, de roulements à billes, de machines à forger et à emboutir. La construction planifiée et rapide de machines débuta avec le premier quinquennat stalinien. C'est d'ailleurs à partir de la même époque, que date la construction d'usines importantes et que commence l'introduction de procédés industriels de fabrication. (...) La très grande diversité des branches de la construction mécanique ne permet pas de définir complètement les gigantesques progrès atteints par cette industrie depuis sa création récente. Les données partielles ne peuvent qu'illustrer les progrès dans les principales branches de l'industrie. En les exprimant en valeur, on obtient les chiffres suivants : en 1913, la production totale de l'industrie mécanique était ramenée aux prix 1926-27 de 1,4 milliards de roubles ; en 1928, la production a encore relativement peu augmentée et atteint 2,5 milliards de roubles. A la fin du premier quinquennat cette valeur représente 9,4 milliards de roubles. En 1937, le chiffre atteint est de 30 milliards de roubles, et en 1940 il est de l'ordre de 50 milliards de roubles. Les branches où les progrès ont été particulièrement remarquables sont  La construction de machines-outils. — Cette branche était particulièrement peu développée avant la Révolution. En 1913, on ne produisit que 1490 machines-outils, en 1927-28 on en fabriqua environ 2.000, mais déjà en 1932 on atteint 19.700, en 1937, 48.400 et en 1939 la production dépasse 55.000 machines-outils. Mais l'augmentation du nombre des machines-outils, ne reflète pas complètement le développement de cette industrie, car avec le nombre, la complexité et l'importance des types de machines s'accrut parallèlement. On est passé de la fabrication de perceuses et de tours, à la construction de fraiseuses, de tours revolver, de rectifieuses, et finalement de machines semi-automatiques et automatiques. (...) La construction de tracteurs. — Avant la Révolution, la Russie ignorait la construction des tracteurs. Cette industrie débuta en 1923, et à la fin du deuxième quinquennat l'U.R.S.S. occupait dans cette branche la première place dans le monde. Construction des machines agricoles. — Cette industrie était déjà considérablement développée avant la Révolution, mais ne produisait que les outils les plus simples. La mécanisation intensive des travaux agricoles, l'introduction de plus en plus large des tracteurs dans l'agriculture, exigeaient la construction de machines plus puissantes et plus complètes. Par conséquent la construction soviétique est caractérisée par une évolution quantitative et surtout qualitative : passage des machines les plus simples aux puissantes usines ambulantes. C'est ainsi qu'en 1937, on a construit en U.R.S.S. 50.000 moissonneuses-lieuses batteuses. A côté du développement de ces machines combinées, on a poussé la construction de machines spéciales attelées aux tracteurs : ramasseuses de betteraves, de pommes de terre etc... » (pp. 44-45.)

« Le développement des ressources énergétiques et surtout de l'électrification, ne doit pas être considéré seulement comme une branche de la production d'énergie, mais comme un des facteurs déterminants de la reconstruction technique de l'ensemble de l'économie nationale, comme une des voies principales du développement de la technique moderne. Les réalisations de l'Union Soviétique dans le domaine de l'énergétique et de l'électrification, donnent une idée générale du niveau technique et du développement de l'ensemble de l'économie du pays. Nous allons passer en revue les voies et les caractères principaux de l'évolution de l'énergétique soviétique, et la contribution apportée par la technique et la science russes. (...) L'analyse du développement de l'énergétique soviétique, conduit aux conclusions suivantes : 1° D'après le rythme de son développement l'énergétique soviétique n'a pas d'égale et est la première au monde. 2° D'après le niveau de son équipement, énergétique et électrique, l'U.R.S.S. occupe à la suite des quinquennats staliniens la troisième place dans le monde et la deuxième en Europe. 3° Le niveau technique et la qualité des installations peuvent également être comparées à celles des pays les mieux équipés. En ce qui concerne par exemple le rendement des centrales thermiques, des progrès considérables ont été accomplis même par rapport à l'époque des premiers plans quinquennaux. Ainsi la consommation du combustible pour un kWh d'énergie électrique produite, était en 1932 de 0,77 en U.R.S.S. 0,68 aux U.S.A., et de 0,69 en Grande-Bretagne. Ces chiffres sont passés en 1939 à 0,605 en U.R.S.S. pour 0,62 aux U.S.A. Ainsi donc la consommation de combustible a été réduite de 30 % en U.R.S.S. alors qu'elle n'était réduite que de 10 % aux U.S.A. » (p. 47.)

« L'Union Soviétique reçut en héritage de la Russie tsariste une industrie produisant un peu plus de 4 millions de tonnes de fonte, et 4 millions de tonnes d'acier. Les usines les mieux équipées et les plus importantes se trouvaient dans les régions méridionales, et appartenaient pour la plupart à des groupes étrangers. Les larges possibilités d'exploitation d'une main-d'œuvre à bon marché, et le cadre restreint du marché métallurgique intérieur, n'ont pas créé les conditions du développement d'une technique avancée, d'un renouvellement systématique des équipements, et d'un large développement de la mécanisation des procédés de production, et l'état retardataire de la construction mécanique d'avant guerre ne stimulait pas la production d'aciers spéciaux. C'est pourquoi, jusqu'à la première guerre mondiale le niveau technique des usines métallurgiques de la Russie, était en retard sur la technique étrangère, quoique les usines métallurgiques les plus importantes aient été projetées et construites sous la conduite de spécialistes étrangers et même parfois entièrement importées, et assemblées sur place. Si au moment de leur érection, ces usines se trouvaient à peu de chose près, au niveau de leurs modèles étrangers, dans la suite, par l'absence de la modernisation de leurs techniques, elles se trouvèrent assez rapidement dépassées dans la voie du progrès. (...) Mais même ce pauvre héritage n'a pu être recueilli en entier et en état de marche. La guerre civile a embrasé les régions industrielles du Sud, et n'a laissé derrière elle que destructions et ruines. En 1920, la production sidérurgique est tombée à 115.000 tonnes de fonte, 194.000 tonnes d'acier, et 147.000 tonnes de laminés. C'est à partir de ce niveau catastrophique, que le pays est parti à la reconquête et au rétablissement de son industrie sidérurgique. » (pp. 50-51.)

« Les méthodes de construction des hauts-fourneaux ont marqué des progrès décisifs. Les nouveaux hauts-fourneaux soviétiques, par leur puissance et le degré d'équipement peuvent être placés en tête de la technique mondiale. La construction de hauts-fourneaux d'une capacité de l'ordre de 1000 m3, est une chose assez récente. Aux U.S.A., ce type de construction n'apparaît qu'en 1927, et en Allemagne on en compte quelques unités seulement, construites avant la guerre avec le concours de firmes américaines. (...) En 1934-35, les ingénieurs soviétiques abordèrent la mise au point du haut-fourneau le plus puissant du monde. Ce projet, pour l'élaboration duquel on fit appel à tous les spécialistes du pays, concerne la construction de hauts-fourneaux de 1.300 m3. La hauteur totale est de 31 m. Le projet réunit tous les perfectionnements connus à ce jour concernant la mécanisation de l'alimentation et de d'évacuation de la fonte. Chaque four possède son tableau centralisé de contrôle. Les appareils Keuper ont été perfectionnés, des nouvelles souffleries ont été étudiées. Ce four peut produire de 1.500 à 1.700 tonnes de fonte en 24 heures. » (p. 52.)

« A partir de la deuxième moitié du 19e siècle, en liaison avec l'essor industriel, l'agrandissement des villes, et de l'éclairage au pétrole, le développement des chemins de fer, le remplacement dé la navigation à voile par les bateaux à vapeur, l'invention du moteur à combustion interne, la demande des combustibles liquides ne cessa de croître. En un laps de temps relativement court, l'industrie pétrolière devient une des branches principales de l'économie, tout en changeant d'aspect. (...) A cette époque, les fluctuations des cours du pétrole brut exerçaient une influence considérable sur l'évolution de l'industrie pétrolière russe. Un autre facteur important était l'afflux des capitaux étrangers. En relation avec ces deux facteurs, l'intensité et le caractère d'exploitation de chacun des gisements dans son ensemble et des différents horizons en particulier étaient déterminés, non pas par des considérations d'exploitation rationnelle, en vue d'extraire le maximum de pétrole de chaque couche, mais par l'état anarchique du marché du pétrole et des produits dérivés. Ainsi lorsque les cours montaient on se mettait à forer n'importe où jusqu'au jaillissement, traversant des couches intermédiaires riches et imprégnées de pétrole, et il n'y a pas de doute que ces méthodes barbares ont entraîné la perte irrémédiable de quantités énormes de pétrole. Lorsque les cours baissaient la fièvre de l'industrie pétrolière se transformait en marasme. Le rythme d'extraction baissait brutalement, les pompages dans les couches déjà reconnues allaient au ralenti, entraînant également des pertes de pétrole. » (p. 57.)

« On ne peut comprendre la portée de l'effort culturel accompli depuis trente ans par l'Union Soviétique, ni apprécier les réalisations de cet effort dans le domaine particulier des lettres et des arts, si l'on ne sait que les conditions qui ont cours et force en ces matières dans nos pays capitalistes y ont été peu à peu éliminées et en ont complètement disparu. Alors que chez nous la culture demeure réservée aux classes possédantes, dans l'Union Soviétique la culture, devenue vivante par l'intégration complète des notions traditionnelles au processus de la vie sociale, est ouverte de droit à tout citoyen selon ses capacités, la division des classes ayant pratiquement disparu. Alors que chez nous la concurrence commerciale, le profit personnel et la lutte pour ce profit demeurent la loi et la fin de ceux qui sont devenus — pas toujours par sélection naturelle et par goût — des savants, des écrivains, des artistes, dans l'Union Soviétique chaque citoyen est orienté dès l'enfance à cultiver ses goûts et ses capacités naturelles et appelé à les employer, le plus largement possible, au profit de l'œuvre commune de construction et de développement de la société. » (p. 60.)

« Les compositeurs soviétiques syndiqués, conscients de leurs buts et de leurs principes idéologiques communs, ont formé l'Union des Compositeurs Soviétiques qui, bien loin de demander à ses membres une limitation de leur développement individuel au point de vue artistique, sollicite au contraire tous leurs efforts personnels pour examiner et discuter les problèmes posés par l'évolution de la musique soviétique en général et de ses diverses branches populaires, militaires, enfantines, etc... On voit ici les musiciens soviétiques se réunir pour prendre en commun les décisions qui, au niveau de leur compétence, sont susceptibles d'influencer favorablement le développement de la culture musicale sous toutes ses formes. Les initiatives de l'Union des Compositeurs Soviétiques ne se comptent plus : organisation de concerts, commandes passées à des compositeurs, voyages d'études et de propagande musicales dans les kolkhoz et dans les unités militaires, organisation de concours de composition, etc... (...) L'extraordinaire solution du problème des nationalités, que l'on doit au génie de Staline, a sa répercussion sur le plan dramatique. Le théâtre soviétique présente des pièces en 33 langues différentes. Dans la plupart des Républiques nationales, les théâtres ont été fondés seulement après la Révolution de 1917 : 27 en Arménie, 23 au Tadjikistan, 17 en Kirghizie, 11 en Turkménie. Après la Révolution, le nombre de théâtres est passé en Ukraine de 35 à 126, en Géorgie de 3 à 46, en Ouzbékistan de 1 à 49, en Kazakhstan de 2 à 49, en Biélorussie de 3 à 16, en Azerbaïdjan de 2 à 27. Des théâtres sont nés aussi en Karakalpakie, en Ossétie, en Yakoutie, chez le peuple Komis et aux républiques et régions nationales. Depuis 1936, l'Institut d'Etat d'art théâtral forme chaque année une promotion d'acteurs appartenant aux différentes nationalités de l'U.R.S.S. et qui rejoignent ensuite leur pays natal pour y constituer des ensembles de professionnels. Pendant la guerre de tels ensembles ont été formés par les studios des Umizilès et de Komis de l'Institut d'Art. Actuellement, le studio Tchouvache prépare lui aussi une promotion. (...) A l'aube du régime soviétique, Lénine soulignait déjà l'importance culturelle du cinéma en demandant que son destin soit orienté vers le peuple pour élever sans cesse son esprit et lui apporter la somme des connaissances humaines. Aujourd'hui, le cinéma est devenu, comme le nomma Staline « l'art du peuple par excellence ». En U.R.S.S., les cinémas sont tellement fréquentés par les enfants, et surtout les adolescents en âge d'aller à l'école, que tout récemment, les dirigeants furent obligés de prendre des mesures énergiques interdisant aux moins de 16 ans l'accès aux salles en dehors des dimanches et jours fériés. Toute la presse de l'Union Soviétique depuis les grands journaux de la capitale jusqu'aux petites feuilles de province, la presse locale et les journaux muraux des usines, rédigés par les travailleurs, publie des critiques approfondies de chaque nouveau film exprimant ainsi l'intérêt du public pour le cinéma. Pourquoi le cinéma a-t-il en U.R.S.S. cette large audience populaire ? Dès sa naissance, le cinéma soviétique est représenté officiellement par un ministre de la cinématographie, actuellement Ivan Bolchakov, sous la direction duquel, le cinéma travaille dans le cadre du plan d'état unique de développement de l'économie nationale. L'installation d'une cinématographie d'état conditionna l'évolution nouvelle en supprimant les producteurs trop souvent hantés par le souci des recettes, et permit aux cinéastes de s'adonner exclusivement à leurs recherches et à leurs tentatives professionnelles. La conception de l'art détourné de son objet à des fins commerciales n'a pas cours en U.R.S.S. (...) En 1945, il a été alloué aux documentaires et aux actualités 40.000.000 de roubles, soit 20 % de la somme globale octroyée au cinéma. Pendant la guerre, les actualités eurent à remplir une mission dangereuse mais grandiose : graver sur la pellicule la lutte héroïque du peuple soviétique. Chaque jour, de tous les fronts, arrivaient au studio central des actualités de nouveaux documents. Plus de 3.500.000 mètres furent tournés, d'une valeur historique incalculable. On peut ainsi constater combien le cinéma soviétique s'intègre de plus en plus profondément à la vie économique de l'U.R.S.S. et combien cette interpénétration dans tous les domaines favorise le développement des films artistiques. » (pp. 68-69-71-73.)

« Le vaste programme de reconstruction se réalise actuellement à Moscou, Leningrad, Stalingrad, Kiev, Kharkov, Sverdlovsk, Minsk. Une multitude de nouvelles villes surgissent. Ce programme ne consiste pas à reconstruire ce qui existait, mais à intégrer la reconstruction dans le plan d'ensemble du développement du pays, c'est-à-dire tout d'abord à reprendre et à poursuivre le programme d'équipement interrompu par la guerre, compte tenu évidemment des dévastations et des enseignements passés. Pour cela il faut mécaniser les éléments fonctionnels et chercher enfin les moyens propres à augmenter la rapidité du travail, à diminuer le volume des matériaux employés et à économiser sur le temps de travail, ce qui économise les capitaux. Le plan prévoit comme coefficient d'effort, un pourcentage de 200 % par rapport à 1938. On estime qu'en 1960 l'U.R.S.S. dépassera l'Amérique en niveau de production, et qu'en 1975 l'U.R.S.S. pourrait atteindre le potentiel industriel et le niveau culturel le plus élevé du monde. L'ampleur de la reconstruction à Stalingrad a été particulièrement remarquable. En 1945 la ville a retrouvé 45 % de sa capacité industrielle. A Leningrad, au début de cette année, il y avait 1 million de mètres carrés d'immeubles industriels reconstruits et 600.000 m2 de logements, 200 écoles, 370 maternelles et tout l'équipement de voierie. Dans la région on avait déjà reconstruit toutes les centrales électriques, 700 kolkhoz et 25 sovkhoz. L'effort financier réalisé par l'Etat a été énorme. En pleine guerre, en 1944, l'Etat avançait 16 milliards de roubles pour la reconstruction des régions libérées. En janvier 1945, 23.000 écoles et instituts étaient reconstruits sur 28.000 détruits. » (p. 76.)

« Les recherches archéologiques ont connu, depuis la Révolution, un essor particulièrement remarquable dans des régions que la politique tsariste négligeait ou qu'elle abandonnait aux chercheurs étrangers. Ces recherches sont dirigées par l'Institut d'histoire de la culture matérielle de l'Académie des sciences de l'U.R.S.S. et par les instituts similaires des diverses républiques ou territoires. Ces travaux ont été excellemment résumés par les professeurs Minorski, de Cambridge, Kisselev et Tarakanova, de l'Académie des Sciences de l'U.R.S.S. » (p. 79.)

« Il est certes impossible de se faire une idée de l'immense transformation réalisée dans la conception de la nature, de l'homme et de la société, par la Révolution soviétique, d'après les témoignages insuffisants que nous en avons donnés. Nous avons dit pourquoi ces témoignages sont si rares. Chaque fois qu'il paraît possible aux esprits libres du monde entier de connaître enfin et de faire connaître les réalisations du monde nouveau créé à l'Orient de l'Europe par le génie de Lénine, de Staline et de peuples entiers, un nouvelle vague de calomnies et de mensonges déferle de la bouche des hommes publics du capitalisme et tente d'opposer sa boue à la lumière des faits. Déjà les sacrifices inouïs, consentis par les peuples de l'Union Soviétique pour la liberté du monde, sont reniés par ceux que cette liberté offusque et près d'être oubliés par ceux-là même qu'ils ont sauvé. Puisse notre témoignage, animé de la seule passion du vrai, passer comme un rayon pur, si faible soit-il, à travers les voiles obscurs de l'impuissante négation. Nous savons qu'il cheminera et qu'il fera son œuvre, peu à peu, à travers l'esprit et le cœur des hommes, jusqu'au jour où, par nos efforts unis, la lumière qu'il puise à la source de vérité, brillera souveraine sur l'humanité réconciliée. » (pp. 81-82.)

« Dans ces trente premières années de vie soviétique, ce qu'il y a d'admirable, c'est l'audace des réalisations annoncées dès leur prise du pouvoir par les Bolcheviks, ce sont les difficultés inouïes qu'ils avaient le droit de ne pas prévoir et dont ils ont triomphé, et c'est, qu'en dépit de tout, ils n'ont jamais rien lâché d'essentiel, bien au contraire, que de tout nouvel obstacle ils ont fait surgir de nouveaux progrès. Alors que les frontières de leurs pays étaient enfoncées et qu'il était dans l'état de décomposition totale où l'avait jeté le régime tsariste, ils ont appelé le monde à se libérer, à faire cesser la guerre la plus meurtrière qui fut alors connue ; et le monde a répondu en lançant sur tous les territoires de l'ancien empire russe des armées de contre-révolution. Les dévastations, la famine, le typhus ne les ont pas empêchés d'entraîner le peuple à défendre sa jeune révolution, à s'organiser pour faire renaître le pays de ses ruines. Puis nouvel effort héroïque, nouveaux sacrifices de chacun à la cause commune : la réalisation des plans quinquennaux pour équiper le pays et pour le rendre indépendant de toute ingérence, de tout chantage économiques venus de l'extérieur. Et voilà qu'en plein travail de construction pacifique, l'avènement d'Hitler à la tête de l'Allemagne oblige à prévoir de nouveau la guerre. Et voici enfin la guerre, ses ravages effroyables. Cependant les nations soviétiques sont aujourd'hui plus que jamais ardentes, vivantes, puissantes et tournées vers une prospérité nouvelle, vers une prospérité qui sera bientôt telle que le monde n'en a jamais connu de semblable, alors qu'entre les nations capitalistes, les unes orient misère et sont prêtes à démanteler leur antique puissance pour se faire aider et d'autres, tout près d'asphyxier sous leur opulence sans emploi, exercent l'intimidation du riche sur le pauvre et voudraient opprimer partout la démocratie. » (p. 83.)

« La socialisation complète de la production dans toutes les branches de l'économie, supprimant toute possibilité d'exploitation dans un but de profit, la transformation du régime de la propriété, comportant la remise de la terre aux paysans producteurs, — la disparition des classes sociales, ont mis fin à l'exploitation de l'homme par l'homme. Dans l'économie planifiée socialiste, c'est la société, le peuple tout entier, qui profite de la productivité du travail. En Union soviétique, chaque ouvrier, et l'Etat en tant que représentant de l'intérêt général des travailleurs, ont intérêt à augmenter cette productivité. C'est pourquoi les syndicats soviétiques et les conseils d'usines développent l'émulation socialiste et le mouvement stakhanoviste. Le système de la fixation des salaires a varié depuis 1918. Ils furent d'abord décrétés par l'Etat, puis fixés par des contrats collectifs, et, enfin, par la commission d'usine des salaires. Dès 1926, les salaires réels dépassaient de 33 % les salaires d'avant guerre. Aujourd'hui le « salaire social », c'est-à-dire la partie du salaire que l'ouvrier ne reçoit pas en argent mais en avantages sociaux de toutes sortes, est évalué à un tiers du salaire payé en argent. Une économie planifiée socialiste dont le but est d'élever le niveau économique, culturel et social des travailleurs, ne connaît pas de conflits de salaires. D'autre part la complète indépendance de la politique des salaires à l'égard des lois du marché — intérieur comme extérieur, assure sa stabilité. » (p. 84.)

« La protection de la maternité et de l'enfance est une des plus admirables institutions de l'U.R.S.S. La législation soviétique a, dès le début, considéré la maternité comme un devoir social et s'est efforcé de concilier, au moyen d'institutions sociales multiples, les tâches de la mère, de la travailleuse, de la citoyenne. Dès la naissance de l'enfant, son éducation — en prenant, ce terme dans sa plus large acception — commence. Les crèches, les jardins et les terrains d'enfants où les soins les plus attentifs, les plus éclairés, les plus rationnels, leur sont réservés, sont ouverts à tous les enfants, sans toutefois qu'il existe une obligation pour les familles qui sont absolument libres de garder leurs enfants chez elles si elles le préfèrent. D'année en année, le nombre de ces institutions augmente. » (p. 85.)

« Le principe fondamental de la législation soviétique a été, dès le début, l'égalité des droits de la femme et de l'homme. En 1926 ce principe était inscrit dans la Constitution. En décembre 1936 il fut incorporé dans la nouvelle Constitution dont l'article 122 est ainsi rédigé : « Des droits égaux à ceux de l'homme sont accordés à la femme, en U.R.S.S., dans tous les domaines de la vie économique, publique, culturelle, sociale et politique ». (...) Un nouveau régime préside aux rapports conjugaux désormais épurés de toute considération d'intérêts. La vie conjugale s'édifie maintenant sur les principes de liberté et d'égalité, mais le mariage ne doit pas être considéré à la légère. Le divorce devient de moins en moins fréquent : à Moscou 8.000 en 1937 au lieu de 16.000 en 1936. Le nombre des mariages augmente d'année en année et les familles nombreuses deviennent de plus en plus fréquentes. L'Etat leur a versé 922 millions de roubles en 1938, 1 milliard 325 millions en 1940 et il a assigné plus de 2 milliards de roubles aux allocations de maternité en 1945. (...) La femme a été un des plus grands bénéficiaires de la Révolution d'Octobre. Pour juger à sa juste mesure l'évolution prodigieuse de la situation de la femme russe depuis l'abolition du tsarisme, il faut tenir compte de ses conditions de vie avant la Révolution. Dès l'âge de 30 ou 40 ans, l'ouvrière était épuisée, et la vie de la paysanne était plus pénible encore. Elle était obligée d'accomplir, depuis l'aube jusqu'à la nuit tombante, un travail au-dessus de ses forces, et elle avait à supporter, en outre, les reproches perpétuels et même les coups du mari et du patron. Sa situation était en somme celle d'une esclave. On comptait alors 75 % d'illettrés dont les femmes constituaient le plus fort contingent. Même dans les milieux privilégiés, la femme avait de la difficulté à s'instruire, à s'émanciper. A la fin du XIXe siècle, on ne comptait dans toute la Russie, que 7.000 femmes possédant une instruction supérieure. (...) Entraîner à la vie politique économique et sociale toutes les femmes, même les plus arriérées, fut donc considéré comme une tâche primordiale. Les résultats obtenus ont été magnifiques et ceci dans tous les domaines de l'activité nationale. (...) On compte aujourd'hui plus de 1.300.000 femmes dans l'enseignement, 100.000 femmes médecins, 250.000 travailleuses scientifiques (laboratoires ou instituts de recherches) ; 25.000 ont un titre ou un grade universitaire ; 199 ont reçu le prix Staline pour avoir obtenu des résultats exceptionnels dans les domaines de la science, de l'art, de la littérature et du travail. 456.000 femmes ont été élues aux différents organismes de l'administration soviétique (soviets de villages, de villes, de régions etc...) 277 font partie du Conseil Suprême. Plus de 1.700 femmes sont aujourd'hui députées aux Soviets suprêmes des Républiques fédérées et autonomes. En 1939, les femmes constituaient environ 40 % du contingent des ouvriers et employés. Dans l'industrie, leur proportion était de 63 %. Au moment de l'agression allemande, plus de 30 millions de femmes participaient à l'édification de l'Etat socialiste. Environ 19 millions de kolkhoziennes, plus de 11 millions d'ouvrières et d'employées. Au cours des 6 dernières années, la participation des femmes a considérablement augmenté. Le nombre des femmes occupant des postes de directeurs, d'ingénieurs et de techniciens dans l'industrie, les transports et le bâtiment atteint 4.000.000. Les femmes dirigent de grosses entreprises et même des branches entières d'industrie. Dans l'agriculture la femme participe à l'égal de l'homme à la direction des kolkhozes. En 1940, 60.000 kolkhoziennes géraient des fermes d'élevage ou travaillaient comme chefs d'équipes. 15.000 environ étaient présidentes ou vice-présidentes de kolkhoz. » (pp. 88-89-90.)

« Le développement de la médecine en U.R.S.S. depuis la Révolution de 1917 est considérable et impressionnant ; mais ce qui fait son intérêt exceptionnel c'est que ce développement s'est fait non seulement sur le plan de la science et de la technique médicales proprement dites, c'est-à-dire, en définitive, les soins à donner aux malades, mais sur le plan social, parallèlement à l'édification tout entière du pays : il ne s'agit pas seulement de médecine telle qu'on l'enseigne dans les Facultés, mais de protection de la santé publique. Ce qu'on appelle, dans le reste du monde, la médecine sociale, y constitue tout juste, jusqu'à maintenant, une spécialité de plus comme la parasitologie ou l'orthopédie. En Union Soviétique, au contraire, c'est la médecine traditionnelle, la médecine de soins, qui semble ne constituer qu'une des pièces de l'immense appareil sanitaire qui sous-tend en quelque sorte toute la vie du pays. (...) En 1913, la Russie comptait environ 20.000 médecins ; actuellement, il y en a 6 fois et demie autant. (...) Un rôle important dans l'abaissement de la mortalité des blessés revient au très large emploi des sérums préventifs et curatifs ; à ce point de vue, l'Union Soviétique occupe une des premières places du monde. L'emploi des sérums et des bactériophages sauve des milliers de vies humaines menacées par la gangrène et le tétanos. Les hôpitaux d'évacuation qui étaient, durant la guerre, les formations les plus nombreuses et les mieux outillées, avaient également en vue le raccourcissement des délais de guérison, aussi bien que la perfection des résultats obtenus, sans oublier que le blessé inapte aux armées doit quitter l'hôpital, préparé à la meilleure utilisation possible pour le travail industriel ou agricole. La routine est bannie des hôpitaux soviétiques : toute mesure nouvelle, vérifiée par l'expérience comme efficace, doit immédiatement entrer dans la pratique quotidienne. L'expérience de la guerre a montré que la majorité des blessés qui succombent sur le champ de bataille ne meurent pas tant de la gravité de leurs blessures que du fait qu'une aide assez prompte ne leur a pas été apportée, ou qu'une hémorragie n'a pas été arrêtée. D'où la nécessité d'organiser un secours médical aussi rapide et aussi parfait que possible sur le champ de bataille. Aussi, Staline a-t-il institué des récompenses spéciales pour les brancardiers qui ramènent promptement aux postes de secours leurs camarades blessés, montrant ainsi la grande responsabilité qui incombe à ceux qui doivent assurer les premiers soins. Ces premiers soins sont actuellement donnés beaucoup plus près de la ligne de feu : le premier parage chirurgical des plaies, la première transfusion sont actuellement effectués sous le feu même de l'ennemi, ce qui a considérablement amélioré les résultats. » (pp. 91-94-98.)

« Le tsarisme laissait après sa chute des masses arriérées et ignorantes qui étaient sous l'influence du clergé, des seigneurs et des koulaks. (...) On ne comptait, en 1914-1915 que 1.958 écoles secondaires comprenant 635.591 élèves. Le nombre des enfants de nobles et de commerçants dans les écoles secondaires était de 508.091. Ainsi, une minorité privilégiée accaparait les établissements d'enseignement. (...) Chez les minorités, l'analphabétisme était pour ainsi dire total. Sur 152 nationalités résidant sur le territoire de l'U.R.S.S., 30 seulement possédaient un alphabet et beaucoup ne comptaient qu'un petit nombre d'écoles élémentaires tolérées comme moyen de russification. Dans certaines contrées, principalement chez les peuples d'Orient et du Nord, le pourcentage d'illettrés atteignait parfois 98 %. La politique de russification était appliquée systématiquement. On était arrivé à persuader les populations que la langue russe était l'unique instrument de culture. (...) Quels sont les résultats déjà atteints en ces 30 années de pouvoir soviétique ? (...) De 1920 à 1940, environ 50 millions d'adultes illettrés apprirent ainsi à lire et à écrire. (...) Dans la R.S.F.S.R. seule, plus de 3 millions d'enfants ont fréquenté les jardins et les terrains d'enfants au cours de l'été 1944. Dans l'Union tout entière ce nombre a dépassé 6 millions. (...) Le nombre d'élèves qui suivaient les classes de la 5e à la 7e dans ces écoles est passé de 1.614.571 en 1929-30 à 8.780.049 en 1938-39. (...) L'école secondaire ou école de 10 ans qui existe déjà dans toutes les villes, les chefs-lieux de districts, les cités ouvrières, sera rendue obligatoire dans un avenir prochain lorsqu'elle sera généralisée. Son réseau, particulièrement depuis 1930, s'étend très rapidement. [9.028.156 pour l'année scolaire 1938-1939 contre 635.591 pour l'année scolaire 1914-1915]. (...) L'essor de l'enseignement secondaire a provoqué un énorme développement de l'enseignement supérieur. En 1939, l'U.R.S.S. comptait déjà plus d'établissements supérieurs que l'ensemble des pays de l'Europe réunis. (...) Le nombre des étudiants a considérablement augmenté. De 112.000 en 1914-15, il s'est élevé à 601.000 en 1938-39, 65 chiffre formidable si on le compare au nombre total des étudiants des grands états européens qui est seulement de 270.000 y compris les élèves des écoles supérieures. Proportionnellement à sa population, l'Union soviétique compte 3 fois plus d'étudiants que tous les autres grands états européens y compris le Japon. (...) Ce qui caractérise le système d'enseignement soviétique, c'est qu'il n'apparaît pas comme un système rigide et immuable mais qu'il se modifie et s'adapte continuellement aux besoins nouveaux. On étudie, on expérimente pour transformer et améliorer. Le fossé qui séparait les intellectuels des travailleurs manuels n'existe plus, grâce à la liaison entre la théorie et la pratique. Loin de s'opposer, théorie et pratique, de même que science et technique sont liées entre elles dialectiquement et l'on peut passer continuellement de l'une à l'autre. (...) En 1939 on comptait parmi les élèves des écoles supérieures soviétiques, 33,9 % d'ouvriers ou d'enfants d'ouvriers et 21,7 % de paysans ou d'enfants de paysans. » (pp. 101-102-103-104-107-109-110.)

« Dans les trente années qui se sont écoulées depuis la Révolution une nouvelle civilisation est née en U.R.S.S. Il faut d'abord s'entendre sur les termes. Quand on dit qu'un pays est civilisé, cela signifie généralement que l'ordre règne dans ce pays, que des relations de confiance mutuelle existent entre le gouvernement et les citoyens, que la sécurité matérielle est assurée, que la société obéit à des préceptes moraux universellement admis. Le terme de civilisation implique aussi en général une haute activité intellectuelle et un épanouissement des lettres et des arts. L'histoire a connu des civilisations brillantes, entre autres celles d'Athènes au temps de Périclès, de l'Empire Romain aux deux premiers siècles, de quelques villes italiennes aux XIVe et XVe, de la République des Pays-Bas pendant la plus grande partie du XVIIe d'une partie du siècle de Louis XIV, de la bourgeoisie anglaise au XIXe siècle, etc... Mais toutes ces brillantes civilisations dont les apports ont été précieux, avaient deux points faibles : elles étaient fragiles et ne profitaient qu'à de petites minorités privilégiées. De même que la civilisation hellénique reposait sur le travail des esclaves et les entreprises des marins, de même la civilisation victorienne reposait sur l'exploitation d'un immense empire colonial et sur le travail des ouvriers britanniques qui ne profitaient que fort peu de cette civilisation. Toutes ces civilisations étaient donc menacées de l'intérieur par suite des injustices sociales qu'elles recouvraient et de l'extérieur par les convoitises qu'elles éveillaient. (...) Le développement du capitalisme a entraîné des bouleversements de plus en plus rapides dans les conditions de la production, il a fait mûrir des contradictions, des antagonismes de toutes sortes qui ont conduit finalement à des guerres gigantesques. Ainsi a commencé à sonner le glas des civilisations bourgeoises du XIXe siècle. Sans doute elles se survivent, mais partout, aussi bien en Europe qu'en Amérique, elles sont en complète décadence. On peut même dire qu'elles ne se survivent qu'en se décomposant. Ce sont en effet les phénomènes de décomposition qui constituent actuellement les éléments les plus originaux de ces civilisations en déclin. Il serait facile d'en donner des exemples dans l'ordre des lettres et des arts, mais ce n'est pas ce dont il s'agit ici. Ce qui nous intéresse c'est qu'en 1917, la première révolution socialiste a triomphé en Russie et que ce grand phénomène historique a été le point de départ d'une nouvelle civilisation, qui, au milieu des difficultés les plus grandes, s'est développée régulièrement pendant 30 ans. Elle est encore toute jeune, mais son contenu est déjà assez riche pour nous permettre de porter sur elle un jugement d'ensemble. L'aspect le plus original, c'est le développement d'une civilisation dans une société sans classes. Grands propriétaires fonciers et paysans, capitalistes et prolétaires ont cessé de se combattre ; tous les antagonismes de classes ont disparu. Pour la première fois dans l'histoire apparaît une société où la notion de classe perd peu à peu toute signification. Cela ne s'est pas accompli miraculeusement. Il a fallu un long effort, des batailles qui ont même été marquées par des avances et des reculs. En gros, il a fallu 15 ans pour vaincre les éléments sociaux qui voulaient maintenir la vieille exploitation de l'homme par l'homme. La dernière étape décisive a été la lutte contre la classe des paysans riches, les koulaks, qui portait en elle tous les espoirs d'un retour au capitalisme. Les koulaks étaient définitivement vaincus en 1932 et depuis la société sans classes n'a cessé de se renforcer. Edifier une société sans classes est une entreprise gigantesque. Il faut d'abord mettre hors d'état de nuire la petite minorité d'exploiteurs qui détient les richesses fondamentales. Cela est une œuvre révolutionnaire. (...) Depuis longtemps, il n'existe plus de classes antagonistes en U.R.S.S. mais il existe encore des couches sociales différentes. On en distingue trois principales : les paysans kolkhoziens, les ouvriers et les intellectuels. (...) La civilisation soviétique a également pour condition la fin des antagonismes d'ordre national. L'U.R.S.S. est le premier état multinational où de nombreux peuples différents sont associés sur un pied d'égalité absolue. Au temps des Tsars, les Russes opprimaient de façons diverses la plupart des peuples qui composaient l'Empire. Le gouvernement révolutionnaire a aidé d'abord ces peuples à se débarrasser de l'exploitation capitaliste ou féodale, puis il a reconnu à tous des droits égaux et fait du nouvel Etat soviétique une Fédération de Républiques associées dont la liberté, proclamée par la Constitution, va jusqu'au droit de séparation. Le gouvernement soviétique ne s'est pas contenté de reconnaître et de proclamer l'égalité et l'autonomie des diverses nationalités, il a soutenu matériellement les groupes les plus retardataires pour leur donner la base économique sans laquelle la civilisation ne peut pas s'épanouir ; il a favorisé l'usage des diverses langues nationales et encouragé ces peuples à rechercher dans leur passé, dans leurs traditions, les éléments d'une culture originale. Ainsi s'est développée cette fraternité sans précédent qui unit étroitement tous les peuples de l'U.R.S.S. » (pp. 111-112.)

« Le régime soviétique ne s'est pas contenté d'inscrire dans la Constitution l'égalité absolue de l'homme et de la femme, il a aidé la femme à participer à toutes les activités sociales sans exception, y compris la défense nationale. Et pour cela, il a pris un ensemble de mesures qui permettent de soulager la femme des fardeaux particuliers que lui impose la maternité. Le développement incomparable des maternités, des crèches, des garderies, des jardins d'enfants, des restaurants d'entreprises, des blanchisseries, etc..., a donné à la femme une liberté d'action qu'elle ne possède dans aucun autre pays. Cette égalité absolue entre hommes et femmes en Union soviétique a frappé les observateurs les plus superficiels, mais on n'en voit pas toujours toute la portée. C'est en effet un phénomène de civilisation d'une importance décisive. L'égalité réelle modifie profondément les rapports entre hommes et femmes. Les relations sentimentales ont une base plus saine et plus solide, parce que ce ne sont plus des rapports de supérieur à inférieur. C'est là sans doute la cause profonde de la consolidation régulière de la famille, visible en Union soviétique depuis de longues années, alors que dans les pays capitalistes on assiste au contraire à une crise croissante des rapports familiaux, en dépit de toutes les propagandes religieuses. » (p. 113.)

« La collectivisation des moyens de production a permis au gouvernement de saisir dans son ensemble tout le processus de production et de répartition. Il est donc parvenu, non sans un long et grand effort d'organisation, à diriger de façon consciente toute l'activité économique du pays. Dans le monde capitaliste la production est commandée par la recherche individuelle du profit, de sorte que l'évolution générale résulte du heurt de forces contraires et aveugles. Les intérêts se choquent, s'entrecroisent, donnant des résultats inattendus qui sont en général très cruels pour le plus grand nombre et parfois désastreux pour la société tout entière. Aucun gouvernement n'a pu jamais établir un plan de développement pour une période un peu longue sans que les événements soient venus démentir ses prévisions. On passe ainsi de périodes de prospérité à des périodes de crise, les rivalités internationales s'aggravent et conduisent finalement à la guerre. Tout cela engendre une incertitude constante et entretient dans le monde une atmosphère d'insécurité et d'angoisse dont nous commençons à avoir une certaine expérience. En Union soviétique, les données de ce problème fondamental sont radicalement différentes. Le gouvernement est en mesure de préparer pour de longues périodes des plans de développement qui sont ensuite réalisés. La production étant connue avec une approximation suffisante, il est facile de donner à tous les citoyens les moyens de consommation correspondants, de déterminer la partie du revenu national qui sera consacrée soit à l'accumulation pour augmenter la production, soit à la défense nationale, soit enfin aux dépenses sociales et culturelles dont l'importance ne cesse de grandir d'une année à l'autre. Au désordre et à l'anarchie, succède l'ordre ; la sécurité remplace l'inquiétude ; le travail est garanti à tous. Enfin, et surtout, le pays tout entier prend conscience des buts que l'on peut, que l'on veut et que l'on doit atteindre. Sans doute, ces prévisions peuvent être modifiées par l'intervention des ennemis extérieurs. La guerre a bouleversé le troisième plan quinquennal. Mais cela n'est pas un argument contre le régime qui, au contraire, avait prévu qu'il faudrait sans doute faire face à cette épreuve redoutable et qui a été capable de la surmonter victorieusement. La fin des crises et du chômage, la sécurité, un développement rapide de toutes les forces productives, voilà ce qu'apporté l'économie planifiée. Ce sont les conditions nécessaires au progrès de la civilisation, puisqu'il n'y a pas de civilisation progressive sans un fond solide de sécurité et de prospérité. Il convient encore de remarquer que la planification ne peut jouer ce rôle civilisateur que parce qu'elle développe chez chaque citoyen le sentiment des responsabilités sociales. La planification est un puissant instrument de transformation de la conscience individuelle. Chaque travailleur participe, selon ses moyens, à la préparation du plan, il considère ensuite comme une affaire d'honneur l'accomplissement de la tâche, et les succès développent la confiance dans ses propres forces. » (pp. 113-114.)

« Ce qui importe avant tout, c'est la naissance de l'homme nouveau, de l'homme socialiste. Comment est-il actuellement ? Il apparaît d'abord comme passionnément attaché à sa patrie. Il ne s'agit pas ici d'un patriotisme de commande, résultant d'une propagande habile. Il a dans son cœur le souvenir de tous les sacrifices, de tous les efforts consentis pour sortir de la misère et de l'état arriéré où il était plongé au temps des tsars. Il a lutté et vaincu pendant trente ans. Les belles usines, les barrages, les maisons nouvelles, les écoles, le métro de Moscou, les kolkhoz, tout cela est le produit de son travail persévérant, tout cela lui appartient et lui garantit son avenir. Ces hommes qui ont travaillé sans ménager leur peine, se sont sentis liés entre eux par une solidarité indestructible. Le citoyen soviétique aime son pays parce que c'est lui qui l'a construit et défendu et qu'il peut être fier de son œuvre. Cette fierté paraît à certains un peu puérile. Mais comment ne serait-il pas orgueilleux devant tant de réalisations, comment n'aimerait-il pas cette terre à laquelle il a donné tant de sueur et aussi tant de sang ? Et cela est également le secret de l'attachement passionné que l'homme soviétique éprouve pour ceux qui l'ont guidé au milieu des difficultés et des dangers, et avant tout pour le plus grand d'entre eux, pour Staline. Ceux qui s'imaginent que cet amour n'est que le résultat d'une propagande bien menée, tournent le dos à la réalité. Charles Maurras disait en parlant de Pétain : « Enfin les Français ont quelqu'un à aimer ! ». La propagande n'a pas manqué, mais l'amour n'est pas venu. L'affection du peuple soviétique pour ses dirigeants a pour fondement une confiance qui n'a cessé de se développer au cours de trente ans d'efforts et de succès communs. Les dirigeants soviétiques n'ont pas trompé le peuple soviétique, ils n'ont pas cherché à le nourrir d'illusions, ils lui ont toujours parlé le dur langage de la raison, c'est pourquoi cette confiance est méritée. L'affection pour Staline ne se distingue pas en fait dans le peuple soviétique de l'amour pour la Patrie, parce que Staline a été le bâtisseur de la patrie soviétique. Le citoyen soviétique se distingue aussi par son enthousiasme et sa confiance dans l'avenir. Il existe toujours des trésors d'enthousiasme dans le peuple, mais l'oppression de classe le refoule systématiquement et l'empêche de se déployer. Quand le peuple soviétique a été débarrassé de ses exploiteurs il s'est mis courageusement au travail, sans s'effrayer des difficultés, et régulièrement, irrésistiblement, il a progressé. Les succès ont nourri son enthousiasme qui s'est accompagné d'une confiance raisonnée dans un avenir toujours plus beau. Le citoyen soviétique a maintenant le sentiment qu'il est invincible, qu'il n'est pas de difficultés dont il ne puisse venir à bout. Cela paraît à certains, de la fatuité, de la présomption. Ces défauts existent bien quelquefois, mais exceptionnellement car Staline et les dirigeants soviétiques ont toujours eu soin de mettre en garde les peuples soviétiques contre ce danger. En tout cas, le découragement, le désespoir, la fuite devant les difficultés, si répandus dans nos sociétés occidentales, sont de plus en plus rares dans la société soviétique. Tous les citoyens soviétiques ne sont pas également fermes, il en est qui peuvent se décourager devant l'effort, mais ils ne représentent que des minorités qui ne cessent de décroître. » (p. 115-116.)

« Etre libre signifie avoir la possibilité d'accomplir ce que l'on considère comme juste et nécessaire. Cette liberté n'existe pas en règle générale dans le monde capitaliste. Les salariés, en raison de leur condition économique inférieure, n'ont d'autre liberté que de vendre leur puissance de travail. Les autres, ceux qui sont riches et se croient indépendants, n'ont qu'une liberté aveugle, car ce qu'ils entreprennent échoue le plus souvent devant des forces contraires. La liberté individuelle en régime capitaliste conduit aux crises et à la guerre, ce n'est pas une liberté, c'est un aveuglement. Au contraire, dans une société socialiste consciente des buts qu'elle veut atteindre, les hommes se sentent libres parce qu'ils ont les moyens de participer avec toute leur ardeur à la réalisation d'un but qui suscite leur enthousiasme. Il ne saurait y avoir d'autre liberté. Si l'on veut comprendre cela, il suffit de lire deux romans récents de J. P. Sartre, intitulés Les chemins de la liberté. Les héros, qu'il veut représenter comme des hommes libres, ne sont en réalité que le jouet des circonstances, et leurs réflexions sur la liberté tarit en eux toutes les sources de l'enthousiasme et de l'action. Ce sont des êtres désespérés, enfermés dans une solitude inhumaine. Ces livres, écrits à la gloire de la liberté, représentent un réquisitoire accablant contre la liberté telle que peut la concevoir notre civilisation. Au contraire, la liberté jointe à la conscience de ce qui est juste et nécessaire, emporte l'enthousiasme créateur et développe les liens de solidarité entre les hommes. C'est cette liberté qu'éprouve le citoyen soviétique. Il est le créateur conscient d'un monde fraternel, il n'est plus un malheureux perdu au milieu d'un univers absurde, il est au contraire affectivement lié à tous les êtres qui, avec lui, travaillent pour le même idéal. Trente ans de lutte, trente ans d'efforts n'ont pas seulement créé les fondements d'une civilisation nouvelle, ils ont aussi donné au monde un exemple. La civilisation soviétique est, à tous égards, la civilisation qui s'édifiera sur les ruines du monde capitaliste. » (p. 116.)

 

 

 

Fernand Grenier - Au pays de Staline (1950)

« Comment expliquer cet attrait de l'Union soviétique ? Pour les ouvriers, rien de plus simple. Ils ont le sentiment de la solidarité prolétarienne. Cette solidarité, ils l'ont apprise dès l'entrée à l'usine — où il faut se serrer les coudes si l'on veut défendre les intérêts qui sont communs au voisin d'établi. Ils l'ont complétée dans les manifestations où l'on ne forme plus qu'un seul cœur, une seule volonté, une seule masse de combattants pour la même idée. Ce sentiment, ils l'ont ressenti souvent et profondément dans leur rude existence en versant leur obole pour les camarades en grève, en cessant le travail par solidarité pour une corporation en lutte, en se levant pour arracher au bagne les marins de la mer Noire, en allant collecter — en 1920 — de porte en porte pour les affamés de la Volga, en se levant pour protester contre l'exécution de Sacco et Vanzetti. Ce sentiment, ils l'éprouvaient intensément quand ils suivaient avec passion la lutte opiniâtre de Dimitrov contre les juges nazis de Leipzig, quand ils partaient combattre dans les brigades internationales à la fois pour la liberté du peuple espagnol et la sécurité de la France ou quand ils faisaient retentir la clameur : « Des avions pour l'Espagne ! »... Rien n'était plus naturel que leur enthousiasme éclatant dès leur entrée en U.R.S.S.... Ils ne s'inquiétaient pas de savoir s'ils trouveraient la perfection au pays du socialisme. Au cours de leur voyage, ils interrogeaient, ils posaient de nombreuses questions, ils critiquaient même. Mais à l'arrivée, leur premier sentiment était celui d'un frère venant rendre visite à un aîné qui s'était libéré. Ce dont ils avaient conscience à Niégoréloïé, c'est qu'ils étaient entrés dans un pays nouveau où ils ne rencontreraient ni un banquier, ni un actionnaire des mines du Donetz, ni un hobereau sibérien, ni un chef de bande fasciste. Voilà pourquoi leur cœur battait plus vite lorsqu'ils abordaient la terre soviétique. » (p.3.)

« En août 1936, je rencontrais dans l'express Moscou-Leningrad une dame qui terminait son voyage et se rendait dans la ville de Pierre-le-Grand pour s'embarquer sur la Baltique à bord d'un navire soviétique à destination de Dunkerque. Une dame hargneuse, très collet monté, la méchanceté écrite sur son visage au teint bilieux. Elle maudissait tout : la lenteur du service à l'hôtel, le poulet mal cuit, le lavabo qui fonctionnait mal. Comme je n'acquiesçais pas, sa colère montait. A la fin, avec une joie mauvaise, elle trouva l'argument suprême : « Quel pays, il n'y a même pas de chiens ! »

Ainsi, mon interlocutrice s'en retournait sans avoir prononcé un seul mot d'admiration, par exemple, devant les enfants des crèches ; elle n'avait pas été frappée par les tableaux émouvants que l'on rencontrait à chaque pas, témoignant de l'effort et de l'ascension continue d'un peuple vers le bien-être et la lumière...

Seuls, les chiens la préoccupaient — et les petites commodités que sa pauvre vie desséchée et égoïste n'avait pas rencontrées.

Ces gens sans cœur étaient d'ailleurs une petite minorité. Ils faisaient illusion à leur retour, car la presse ouvrait largement ses colonnes à un témoignage tendancieux tandis qu'elle les fermait à cent témoins favorables. » (p.4.)

« Le premier cheminot soviétique, rencontré à Niégoréloïé avait raison : son pays était un immense chantier. Il l'est demeuré. C'est en 1927, que Staline lança le mot d'ordre : « Rattraper et dépasser les pays capitalistes les plus avancés. » Malgré les railleries des adversaires de l'U.R.S.S., l'œuvre s'est accomplie victorieusement. En 1940, l'industrie lourde de l'U.R.S.S. avait atteint une production globale de près de 12 fois supérieure (exactement 11,7) à celle de la Russie de 1913. La seule industrie des constructions mécaniques et de transformation des métaux avait augmenté de 41 fois sa production d'avant la révolution. Des industries inexistantes sous les tsars : celle des tracteurs, de l'automobile, de l'aluminium, du magnésium, du caoutchouc étaient nées. Le nombre des ouvriers et employés était passé de 10.800.000 en 1928 à 31 millions en 1940. En moins d'un quart de siècle, avec ses seules forces et sans capitaux étrangers, la vieille Russie agraire s'était ainsi transformée en un grand pays industriel.

Ce qui frappe d'ailleurs dans l'examen de ce développement économique à un rythme sans précédent dans l'histoire des nations, c'est la méthode suivie, le réalisme dont ont fait preuve Staline et le Comité central du Parti communiste (bolchevik) de l'U.R.S.S. Les usines ne se sont pas édifiées au hasard mais suivant des plans mûrement étudiés. » (p.6.)

« L'agression hitlérienne du 22 juin 1941 arrêta brutalement la réalisation de ce nouveau bond en avant.

Dans le second semestre de 1941, l'invasion allemande obligea le gouvernement soviétique à transférer vers l'Est le personnel et le matériel des usines d'Ukraine, de Biélorussie, des régions de Moscou et de Leningrad. Des millions d'hommes, des dizaines de milliers de machines-outils émigrèrent vers l'Oural, la Sibérie, le Kazakhstan. En trois mois, grâce à l'héroïsme des cheminots et du personnel des usines évacuées, 1.360 grandes entreprises furent ainsi mises hors d'atteinte de l'ennemi. Ce fut la période la plus tragique de la guerre — l'Allemagne, maîtresse de presque toute l'Europe, disposant d'un immense potentiel industriel. Les entreprises évacuées vers l'Est avaient cessé toute production et n'étaient pas encore réinstallées dans les nouvelles régions de l'arrière. Or, les régions occupées par l'envahisseur fournissaient, au moment du conflit, 63 % du charbon consommé par l'Union soviétique, 68 % de la fonte, 60 % de l'aluminium, 58 % de l'acier. Privée de ces territoires, la production globale de l'industrie soviétique baissa de plus de moitié. Plus une tonne de charbon ne parvint du Donetz occupé et plus une tonne de fer de Krivoï-Rog. Voznessenski, président de la Commission du plan d'Etat, a révélé (L'Économie de guerre de l'U.R.S.S.) qu'en décembre 41, à l'heure où les Allemands étaient aux portes de Moscou et de Leningrad, la production des laminés de métaux ferreux (base de l'industrie de guerre) avait diminué de trois fois ; celle des roulements à billes nécessaires à la construction des avions, des chars et de l'artillerie, n'était plus que la 20e partie de la production de 1940. Tout autre régime politique se serait écroulé dans des conditions économiques aussi difficiles. Mais il y avait Staline qui dirigeait le Comité d'État pour la défense nationale, s'occupant à la fois du front et de l'arrière. Sa volonté inébranlable, sa maîtrise exceptionnelle, sa confiance en l'avenir servirent d'exemple à des millions de communistes et de sans-parti. A l'heure même où Hitler annonçait « la fin de toute résistance à l'Est », Staline faisait adopter un vaste plan de construction de nouvelles usines sidérurgiques dans l'Oural et la Sibérie.

Aussi, dès mars 1942, six mois après l'évacuation des usines des régions envahies, la production remontait rapidement. En particulier, la production de l'industrie de guerre dans les seules régions de l'Est atteignit ce mois-là le niveau qui était celui de toute l'Union soviétique au début de la guerre. » (pp.7-8.)

« Avec l'écrasement de l'Allemagne hitlérienne s'est posée dans toute son ampleur la tâche de la reconstruction. Il convient ici de se rappeler que les territoires temporairement occupés représentaient 33 % de la production industrielle globale. La destruction totale ou partielle et le pillage atteignirent 31.850 usines ou installations industrielles. Malgré l'effort inouï d'évacuation des usines vers l'Est, il fut perdu dans les territoires occupés 175.000 machines-outils, 34.000 marteaux-pilons et presses, 2.700 haveuses, 15.000 marteaux-piqueurs, les installations de centrales électriques d'une puissance de 5 millions de kilowatts, 62 hauts fourneaux, 213 fours Martin ; 45.000 métiers à tisser furent détruits ou emportés par les occupants, 15.800 locomotives et 428.000 wagons enlevés, 4.280 bateaux à vapeur ou remorques et 4.029 péniches coulés, 13.000 ponts de chemin de fer détruits. On peut encore y ajouter, outre les pertes de l'agriculture dont nous parlerons plus loin, la moitié des habitations dans les villes occupées (1.209.000 maisons). L'ensemble des pertes subies représentait environ 2/3 de tout l'avoir national des territoires envahis. Jamais encore, aucune guerre n'avait produit des destructions aussi terribles.

Le plan quinquennal, actuellement en cours, prévoit la reconstruction économique complète de ces régions. En outre, à la fin de ce plan, en 1950, la production industrielle dépassera de 48 % celle d'avant-guerre (de 15 % dans les régions dévastées).

En 1948, la production de l'ensemble de l'Union soviétique a dépassé de 18 % le niveau de 1940. Tous les objets manufacturés sont revenus en vente libre depuis décembre 1947 et on assiste régulièrement à la baisse de leurs prix de vente. On peut donc prévoir que, comme ses devanciers, le plan quinquennal actuel sera réalisé avec un an d'avance sur le délai prévu.

Encore quelques années et la production soviétique égalera celle des États-Unis. » (p.8.)

« Il y a, de plus, chez nous, anarchie dans la production — chaque industriel essayant de vendre ses marchandises sans s'occuper du voisin.

Le système économique de l'U.R.S.S. donne, au contraire, l'image d'une très belle mécanique de précision, sans ces « à coups » économiques qui, dans nos pays, signifient la misère pour des millions de gens sans emploi.

Certains, après avoir nié les possibilités de réaliser les plans quinquennaux, se rattrapaient ensuite en disant : « Oui, mais sur la qualité des marchandises, il y aurait beaucoup à dire ! » C'était la tarte à la crème des antisoviétiques de la période 1932 à 1939.

Il est exact, qu'à cette époque, la qualification professionnelle de certains ingénieurs et ouvriers avait encore besoin de s'améliorer. Pour la raison très simple que la grande majorité des travailleurs industriels étaient venus des campagnes, de ces villages où, vingt ans auparavant, la population était totalement illettrée. C'était là un lourd handicap pour le pouvoir soviétique. N'empêche que le rendement du travailleur industriel progressait à pas de géant et que la qualité des marchandises, la qualité du travail s'amélioraient sans cesse. » (pp.9-10.)

« Que les antisoviétiques aient cru d'ailleurs de bon ton de se gausser des difficultés rencontrées, des faiblesses à corriger, cela suffit à montrer en eux d'insupportables prétentieux, ignorant tout des problèmes de la construction socialiste. Ils ont pensé, par leurs écrits de mauvaise foi, altérer la sympathie ardente que des millions d'hommes portent aux géants qui transforment de fond en comble l'empire des tsars !

Quelle erreur! Car ce sont précisément les difficultés rencontrées qui donnent la mesure exacte des victoires remportées par l'Union soviétique.

C'en est une que d'avoir, en un quart de siècle, dépassé l'industrie anglaise, allemande, française, d'avoir conquis la première place en Europe et bientôt, la première dans le monde, sans aide de l'étranger, rien que par le labeur obstiné de 190 millions de citoyens animés par le plus haut idéal qui ait jamais été proposé aux hommes !

C'en est une, de taille, que l'Union soviétique n'ait mis que trente années pour atteindre le développement économique que les Etats-Unis auront mis plus d'un siècle à acquérir !

Ce seul rapprochement des délais conclut avec une force singulière en faveur du régime soviétique, placé cependant au départ, dans les conditions défavorables d'un pays arriéré à tous points de vue. L'Union soviétique apporte ainsi la preuve vivante de la supériorité écrasante du système de production socialiste sur le système capitaliste. » (p.11.)

« Bien-être matériel, mais aussi essor de la culture. J'ai vu bien des choses émouvantes en U.R.S.S. mais j'avoue que les isbas d'anciens koulaks transformées en salles de lecture ou en lieux de réunion de la chorale ou de l'orchestre du village m'ont fait une impression au moins égale à celle des magnifiques Palais de culture de Moscou, de Leningrad ou de Bakou. » (p.16.)

« La ruée hitlérienne occasionna des ravages considérables dans les régions occupées et dans certaines d'entre elles, l'avance nazie fut tellement rapide que l'évacuation du cheptel et des machines ne put avoir lieu. En totalisant les pertes de toute nature, on aboutit à l'effrayant tableau suivant ; 1.876 sovkhoz (vastes fermes d'Etat) ; 98.000 kolkhoz et 2.890 stations de machines et tracteurs détruits ou pillés ; perte de 7 millions de chevaux, 17 millions de bovins, 20 millions de porcs, 27 millions de moutons et de chèvres, abattus ou emmenés par l'envahisseur ; perte de 137.000 tracteurs, de 49.000 moissonneuses-batteuses ; incendie de 285.000 écuries ou étables et de 3.500.000 habitations paysannes (sur les 12 millions existantes en 1940) ; destruction de 505.000 hectares de vergers et 153.000 hectares de vignes. A ces pertes matérielles, il faut ajouter, celles autrement lourdes de 10 millions de civils (dont la majeure partie habitant la campagne) tués pendant les bombardements, fusillés, pendus ou morts en déportation. » (p.17.)

« Mais la lutte contre la nature revêt aussi d'autres aspects absolument prodigieux. Voici que, pour vaincre la sécheresse, les soviétiques vont « fabriquer » des forêts et des étangs. Pendant des siècles, les hommes ont abattu les forêts le long des rivières et les rivières disparaissaient. Pendant des siècles, ils ont labouré la steppe, ils l'ont épuisée, car ils ne savaient pas l'exploiter rationnellement. Ils savaient que la destruction des forêts menait à la sécheresse et aux mauvaises récoltes. Ils savaient que l'érosion arrêtait la fertilité. Ils le savaient, mais telles sont les lois de la société capitaliste qui, pour gagner de l'argent aujourd'hui même, détruit et la beauté de la nature et les récoltes à venir.

Or, sur l'initiative de Staline, un plan bouleversant la surface de la terre sur une étendue égale à la moitié de l'Europe, vient d'être mis en chantier. Il aura pour effet d'écarter définitivement la sécheresse apportée périodiquement par les vents brûlants d'Asie centrale sur les riches terres de la Russie méridionale (partie européenne), de fixer les sables, d'améliorer la qualité des terres cultivables dans ces régions.

Pour ce faire, des massifs forestiers seront plantés, couvrant une superficie de 6 millions d'hectares (une dizaine de départements français), 45.000 bassins, réservoirs et étangs artificiels seront creusés, permettant un meilleur approvisionnement en eau, le développement du système d'irrigation et la construction de nombreuses petites hydro-centrales. Enfin, les agronomes et biologistes soviétiques, Lyssenko en tête, travaillent à ce reboisement accéléré, ainsi qu'à un plan d'assolement, d'engrais et de labourage perfectionné. Ce plan gigantesque est échelonné sur quinze années.

Un plan utopique ? Non pas. Sa réalisation est commencée. » (pp.18-19.)

« Le socialisme se donne comme but de fournir à chacun un standard de vie élevé, ce qui signifie manger à sa faim, avoir un logement confortable, la possibilité de fréquenter bibliothèques, théâtres et cinémas... bref, suivant la saisissante formule de Staline, « avoir une vie belle et joyeuse ».

Mais, première observation : le standard de vie de la population, dans un pays socialiste, est directement fonction de la puissance économique du pays.

Deuxième observation : nous examinons le standard de vie des habitants d'un pays qui ne possédait au moment de la Révolution de 1917, qu'une industrie arriérée, une agriculture inchangée depuis le moyen âge, d'un pays dont on peut affirmer sans aucune exagération, qu'il y a trente ans, un cinquième seulement de la population mangeait à sa faim. Tout jugement qui ne tiendrait pas compte de ce terrible point de départ serait faussé à la base. Point de départ qui explique, au surplus, la nécessité dans laquelle s'est trouvée l'Union soviétique non d'édifier d'abord des usines textiles ou l'industrie alimentaire, mais de commencer par construire des hauts fourneaux, des usines de constructions mécaniques, des centrales électriques. C'est seulement à partir de 1932, une fois l'industrie lourde solidement assise, que l'on a pu commencer à développer sur une grande échelle l'industrie légère, celle qui fabrique les objets de consommation. » (p.20.)

« Ces remarques faites, nous pouvons examiner le standard de vie du citoyen soviétique.

Conquête capitale : les peuples de l'U.R.S.S. sont les seuls au monde à bénéficier d'une loi — la Constitution stalinienne —, qui donne à chacun le droit au travail. Le salaire, le traitement assuré, cela compte dans un budget familial et il ne s'agit pas là d'une affirmation gratuite.

Ouvrez un exemplaire du journal Moscou-Soir et vous y lirez : « On demande des fraiseurs, des maçons, des comptables, des dactylos ». Présentez-vous devant n'importe quelle usine de la capitale, vous y verrez des écriteaux : « On embauche des ajusteurs, des manœuvres, etc. »

Quant aux artistes, aux écrivains, aux savants, ils ne furent jamais à pareille fête. Ils jouent, ils écrivent pour des millions d'hommes arrachés aux ténèbres et goûtant maintenant aux joies de l'esprit. » (p.21.)

« Le développement du revenu national, c'est-à-dire la richesse de l'ensemble du pays était passé (en prix inchangés) de 25 milliards de roubles en 1928 à 48 milliards en 1933, 96 milliards en 37 et 128 milliards en 1940. » (p.22.)

« Avant de clore ce chapitre, je crois utile de répondre ici à la question de la différence des salaires — souvent critiquée par ceux qui développent à ce sujet toutes sortes de fumeuses théories, plus ou moins anarchisantes.

L'Union soviétique entend réaliser la société communiste où chacun travaillera selon ses capacités et recevra selon ses besoins, ce qui supprimera en fait les salaires. Mais pour que chacun puisse satisfaire ses besoins, il faut une formidable abondance de produits et de marchandises, ce qui ne peut être que le fruit du travail des hommes. D'où la nécessité, dans la période actuelle (société socialiste) de payer chacun suivant la valeur de son travail. Le jeune paysan arrivant de son village, arriéré techniquement et qui débute comme balayeur ne peut être payé comme l'ingénieur. Il faut qu'il s'instruise, qu'il s'assimile la conduite des machines. Ainsi, il augmentera sa qualification, son salaire, son niveau de vie. Plus sa qualification augmentera, plus son travail sera utile à la collectivité, et plus celle-ci sera en mesure d'augmenter son revenu. » (p.25.)

« Combien de fois avons-nous entendu proclamer, sous une forme ou une autre, le fameux : « l'homme est un loup pour l'homme ? » A en croire certains, l'homme serait incurablement égoïste et cruel et ainsi leur conclusion est-elle toute trouvée : « Vous ne le changerez pas ! » Or, comme l'écrivait Marx, il y a un siècle :

Est-il besoin d'une grande pénétration pour comprendre que les vues, les notions et les conceptions des hommes, en un mot leur conscience, change avec tout changement survenu dans leurs conditions de vie, leurs relations sociales, leur existence collective ? (Karl Marx et Friedrich Engels : Manifeste du Parti communiste, p. 25, Editions Sociales, 1947.)

Une confirmation éclatante de cette analyse des auteurs du Manifeste communiste a été donnée par l'Union soviétique. » (p.28.)

« Les divergences d'intérêts entre les groupes sociaux ont disparu. Les différences entre la classe ouvrière et les paysans d'une part, entre les manuels et les intellectuels, d'autre part, s'effacent.

Comment ? Il est aisé de le comprendre. Un ouvrier qui ne se contente pas de faire marcher sa machine, qui réfléchit longuement sur de nouvelles méthodes de travail, qui cherche, invente, expérimente, se rapproche de l'ingénieur (un exemple illustre : le mineur Stakhanov qui est devenu ingénieur des mines). Un paysan qui utilise le tracteur et la moissonneuse-batteuse, un paysan qui voit son kolkhoz sélectionner les graines et le bétail, qui se rend en visite dans les stations expérimentales, se rapproche de l'agronome. L'ouvrier assiste, comme l'ingénieur, aux conférences de production mais il fréquente aussi le théâtre et les conférences d'écrivains, il discute de musique ou de biologie. Le paysan est de plus en plus assidu à la bibliothèque du kolkhoz. De plus, tous ont un idéal commun — ainsi on peut déjà parler de disparition graduelle des différences entre ces diverses catégories de la population.

C'est ce rôle nouveau de l'ouvrier, de l'intellectuel, du paysan, qui explique la formation d'un homme nouveau en Union soviétique.

L'attitude de cet homme nouveau envers son métier, son foyer, sa patrie, atteste des changements profonds survenus dans l'ancien empire des tsars.

Dans les conditions de l'Union soviétique — nous l'avons déjà noté — mieux on travaille, plus il y a de marchandises ; plus il y a de marchandises et plus le bien-être général augmente. Il en résulte une conception nouvelle, une conception socialiste du travail. Chacun cherche à dépasser sa norme, à bien entretenir sa machine, à éviter les malfaçons, à réduire les frais généraux. D'autant que le chômage, liquidé pour toujours, n'est plus à craindre. » (p.28.)

« L'homme nouveau se manifeste aussi dans son foyer. Il considère sa compagne comme son égale dans tous les domaines. La conception de la femme, être inférieur, sujet mineur, a disparu devant les qualités manifestées par les femmes comme directrices d'usine, ingénieurs, docteurs, savants ou présidentes de kolkhoz. La guerre, au surplus, a multiplié les exemples d'héroïsme, de compétence et d'énergie des femmes, remplaçant partout les hommes, mobilisés aux armées. » (p.29.)

« Est-ce à dire que 190 millions de Soviétiques sont devenus des hommes nouveaux ? Non. Le passé n'a pas totalement disparu dans la conscience de tous. Quel est votre plus grand ennemi ? demandait-on un jour à Lénine au début de la révolution, et le prestigieux homme d'Etat répondait : « la force de l'habitude ». Il faut donc encore convaincre, prêcher d'exemple, entraîner — quelquefois punir. Il y a des déchets, un Vlassov ou un Kravchenko. Le fait que l'antisoviétisme mondial les porte sur le pavois fait mieux ressortir les figures nobles et saines des millions d'autres — ces milliers d'officiers et de soldats prisonniers des nazis qui ont préféré à la trahison, la chambre à gaz ou le four crématoire et ces milliers d'autres qui n'ont pas troqué leur conscience socialiste pour la salle de bains d'un palace de New-York.

Bien sûr, le nouveau se heurte encore à l'ancien. Mais c'est le neuf qui l'emporte et à pas de géant dans ce pays neuf, lui aussi, où l'on recensait, en 1939, 76 millions d'êtres humains de moins de vingt ans — près de la moitié de la population. Indice de jeunesse — donc du goût du neuf, de l'action, du culte des héros. » (p.29.)

« Aujourd'hui encore, les hommes qui proclamèrent durant des années « confiance à Hitler, confiance à Mussolini, confiance à Franco », et agirent dans ce sens ; aujourd'hui encore, la presse qui a succédé aux Matin et aux Gringoire calomnie sans relâche l'Union soviétique et ses dirigeants. Au demeurant, rien de plus naturel. « C'est bon signe », me disait un jour un vigneron de Bourgogne, « tant qu'ils lanceront leurs injures contre le pays des Soviets et Staline, c'est que Staline et l'U.R.S.S. seront dans la bonne voie ! »

Les insultes des ennemis du peuple sont, à nos yeux, un hommage probant à l'Union soviétique et à son chef.

Les inventions sont souvent, certes, d'une sottise qui l'emporte encore sur la grossièreté. Savourez ces extraits du Matin :

1er décembre 1920 : Lénine serait subjugué par une Raspoutine rouge, la jeune Olga Gorokhoff, officiellement appelée « Madame la Commissaire ».

25 août 1921 : A Kazan, les autorités rouges ayant trouvé chez un bourgeois de la ville un cheval de course qui avait gagné plusieurs prix, le passèrent par les armes.

13 juillet 1922 : Les délégués bolcheviks font à La Haye des dépenses somptuaires ; ils achètent dix bicyclettes neuves. Mais Litvinov ayant fait une chute, opte pour le cheval et se commande culotte chez le tailleur le plus élégant de la ville.

21 février 1923 : En Russie soviétique, la polygamie est autorisée et un fils peut épouser sa mère.

23 août 1925 : Pour répandre la vérité soviétique au pays des fjords, Dame Kollontaï, l'ambassadrice rouge, a plus d'un tour dans son sac. C'est ainsi qu'elle engage nombre de Norvégiens célibataires et communistes à entreprendre le voyage à Moscou aux frais de la caisse soviétique, à condition d'épouser là-bas des agitatrices qualifiées. Devenues Norvégiennes, celles-ci ne peuvent plus être expulsées. Une fois installées en Norvège, elles s'empressent de demander le divorce, sans pour cela perdre la nationalité norvégienne. Quant aux ex-maris, il leur est enjoint de refaire le voyage à Moscou, pour y épouser d'autres agitatrices non moins qualifiées. On prétend que ces pèlerins d'un nouveau genre ont pris goût à ce nouveau métier et que leurs déplacements matrimoniaux se renouvellent avec une fréquence remarquable.

La propagande antisoviétique ne prend pas toujours un aspect aussi humoristique (humoristique pour nous, car même parmi ceux qui, à relire ces nouvelles ahurissantes, s'esclafferont, il en est qui ajoutèrent foi à des nouvelles tout aussi ridicules). Certaines campagnes sont plus subtiles et, partant, plus dangereuses, par exemple celles qui présentent l'Union soviétique comme un pays totalitaire. [Tel Paul Faure qui, dans le Pays socialiste du 30 juin 1939, écrivait : « Du bolchévisme russe à l'hitlérisme allemand, le pouvoir totalitaire étend à travers l'Europe sa contagion malsaine. ».]

On ne peut plus nier l'essor de l'économie soviétique. Il est devenu impossible de passer sous silence le bilan culturel prodigieux du pays des Soviets. Personne ne peut effacer de l'histoire l'épopée de Stalingrad. Alors, nos adversaires répandent la légende d'un régime qui écrase l'homme et en a fait un robot.

En même temps, on a défiguré de façon abominable le rôle de Staline présenté comme un dictateur méprisant et écrasant les masses populaires.

De braves gens s'y laissent encore prendre et c'est pour eux que je voudrais apporter ici honnêtement les textes et arguments (en m'excusant de leur longueur). » (p.32.)

« Que Staline ait pris la part la plus active à l'élaboration des décisions, certes, cela n'est pas douteux ; dans toute direction collective, l'apport de chacun est proportionnel à son expérience et à ses qualités personnelles et Staline se classe incontestablement à la tête de la magnifique équipe des dirigeants soviétiques.

Mais la caractéristique du dictateur, c'est le mépris des masses populaires. Or, il n'est pas d'homme qui ait, avec autant de bonheur que Staline, exalté la puissance créatrice des travailleurs et préconisé aussi souvent la collaboration intime des dirigeants et du peuple. » (p.33.)

« Car ce chef est la modestie même. Il ne pense qu'à se déclarer l'élève de Lénine alors qu'il a lui-même enrichi considérablement l'histoire de l'humanité en apportant les solutions justes au problème des nationalités, en dirigeant l'industrialisation du plus grand État du monde et la collectivisation des campagnes les plus arriérées, en apportant une contribution décisive à l'élaboration de la Constitution la plus démocratique du monde, en prenant la direction du Comité d'État pour la défense qui est venu à bout de la plus gigantesque machine de guerre que le monde ait jamais connue, enfin, en menant, avec une maîtrise exceptionnelle, cette politique de paix grâce à laquelle les partisans d'une troisième guerre mondiale ont été mis si souvent en échec. Sans parler de son apport théorique et pratique considérable à la doctrine du socialisme scientifique de Marx-Engels-Lénine et qui justifie amplement que son nom soit associé aux trois précédents.

Henri Sellier, sénateur socialiste, écrivait en juin 1938 :

Que Staline soit l'un des génies constructeurs les plus remarquables que l'humanité ait connus, personne, même ceux qui lui reprochent un esprit dictatorial rigoureux, ne peuvent, de bonne foi, le contester.

... Que les plaisantins et les sceptiques ridiculisent à perte de vue les formules enfantines de reconnaissance et d'admiration que le peuple russe, dans sa naïveté religieuse, prodigue à celui dont l'effort lui a valu en quelques années une telle amélioration de vie, cela s'explique.

Mais que les socialistes, à qui Staline a fourni la preuve éclatante de la possibilité d'organiser l'économie d'une gigantesque nation, en prescrivant totalement la propriété individuelle des instruments de travail, s'associent aux clameurs intéressées de leurs adversaires les plus stupides et les plus intransigeants, cela est plus regrettable.

Si Karl Marx a donné une doctrine aux socialistes, Staline a démontré que son application était possible et ses résultats salutaires. A ce titre, il a droit à leur profonde reconnaissance et à leur vive admiration... (Russie d'aujourd'hui, juin 1938.)

Qu'un tel pilote, éclairé et ferme, soit la cible de toutes les haines, nul ne s'en étonnera. Que la découverte avant 1939, en Union soviétique d'une petite bande de traîtres et leur juste châtiment aient fourni prétexte aux infamies lancées contre Staline, voici cependant qui n'est pas nouveau dans l'histoire. » (p.37.)

« Il faudrait un volume pour relater toute l'histoire des âpres et nécessaires batailles menées par Lénine et Staline contre les diverses oppositions surgies avant et après la Révolution de 1917. Contentons-nous ici d'en rappeler un épisode particulièrement dramatique.

A la mort de Lénine (1924), Trotski crut le moment venu de ressortir sa thèse de « l'impossibilité de construire le socialisme dans un seul pays ». Et ce n'était pas là un débat académique. A cette époque, l'Union soviétique commençait seulement à se relever des effroyables blessures de la guerre et des interventions étrangères. A côté de là grande industrie socialiste subsistaient des exploitations de moyenne importance (employant chacune quelques douzaines d'ouvriers), administrées par leurs propriétaires ou directeurs qui, par leurs capacités techniques et leur sens commercial, pouvaient ranimer la production. Des concessions étaient accordées à des capitalistes russes ou étrangers, l'Etat soviétique n'ayant pas la possibilité de tout remettre en ordre par ses seules forces. Dans les campagnes, la plupart des paysans ne produisaient que pour leurs besoins. La misère était grande. Dans ces conditions, voyez l'effet de la théorie de Trotski consistant, en somme, à dire : « Vous savez, si la révolution n'éclate pas dans d'autres pays, nous n'en sortirons pas ». Pareil langage pouvait amener le découragement, la lassitude des impatients et de ceux qui ne comprenaient pas les nécessités historiques et cela au moment même où une vigoureuse tension des forces était indispensable.

Il fallait combattre avec vigueur ce nouvel assaut du trotskisme ou se résigner à une politique de désespoir ou d'abandon.

Il fallait définir l'orientation, la marche à suivre qui devait décider de la victoire ou de la défaite du socialisme.

Ce fut Staline qui se chargea de cette lourde tâche. » (p.38.)

« Concluons maintenant sur ce point. Toute l'histoire du Parti bolchevik montre avec évidence la position défaitiste constamment défendue par Trotski, Zinoviev, Kaménev, Boukharine, Rykov.

Les difficultés les effraient. Ils doutent de la possibilité de construire le socialisme. Ils proposent de céder devant l'adversaire. Et il faut chaque fois, l'énergie, la clairvoyance et la foi dans la victoire de Lénine et de Staline, pour réaliser, étape par étape, l'édification du socialisme. (...)

Que font au contraire Boukharine, Zinoviev et consorts ? Certes des déclarations de fidélité à la majorité, mais, en leur for intérieur, ils tiennent le raisonnement suivant : « Ils nous ont battus, soit, mais patience ! Ils ne viendront pas à bout des difficultés. On connaîtra des périodes difficiles et nous en rendrons responsables les dirigeants, Staline en tête. Les masses, alors, nous donneront raison et nous appelleront à la direction. »

Malheureusement pour les Trotski et les Boukharine, les difficultés seront résolues les unes après les autres, marquant chaque fois un nouveau pas en avant sur le chemin du socialisme. Le pays se couvrira de hauts fourneaux, de centrales électriques. La campagne sera sillonnée de tracteurs, de machines agricoles et les fermes collectives se multiplieront. Le bien-être grandira. La marche à l'aisance s'accentuera de jour en jour. » (p.39.)

« J'ai assisté en 1937-1938 à, des réunions d'usines, à ces réunions monstres où j'ai entendu s'exprimer toute l'indignation des travailleurs contre les espions, contre les assassins de Gorki, de Kouibychev, des soldats tués dans les déraillements de trains organisés par les trotskistes ou des mineurs victimes des explosions provoquées par une bande de misérables.

A cette époque, du Matin au Populaire, on hurlait à la décomposition du régime soviétique. Beaucoup de braves gens s'y laissèrent prendre — comme, aujourd'hui, avec les livres de Koestler et de Kravchenko.

Et cependant, l'histoire a tranché. La trahison découverte et exterminée dès le temps de paix a rendu l'Union soviétique invincible. » (p.41.)

« Par contre, la trahison, cependant connue bien avant la guerre mais recouverte d'un voile pudique, des Pétain et des Laval, des Déat et des Doriot a abouti pour notre pays aux catastrophes que l'on sait. Il est vrai que la trahison chez nous n'était pas le fait d'individus isolés, mais de toute une classe sociale qui n'hésitait pas à dire : « Plutôt Hitler que le Front populaire ! » Toute une classe sociale qui, aujourd'hui encore, en France et dans le monde, réunit, sous la houlette des milliardaires américains, de Gaulle et Pétain, Blum et Reynaud, Franco et Churchill, Spaak et les nazis « blanchis » de l'Allemagne occidentale. La cinquième colonne avait son siège à Berlin. Elle reçoit aujourd'hui ses ordres de Wall Street. Mais c'est toujours la même haine antisoviétique, le même rêve odieux et insensé d'en finir avec l'U.R.S.S. C'est toujours, en un mot, la même trahison des intérêts des peuples. » (p.42.)

« Certains prétendus esprits forts se sont lourdement gaussés de l'admiration portée à Lénine et à Staline par des millions d'hommes à l'intérieur et à l'extérieur de l'U.R.S.S. tandis que des « amis » cherchaient toutes sortes d'explications embrouillées à ce « culte soviétique » qui faisait éclore de « nouveaux dieux ». Enfin, d'autres ont prétendu que la popularité de Lénine et de Staline avait été créée de toutes pièces, artificiellement, par eux-mêmes.

Ce n'est pas si compliqué. Depuis 1924, chaque jour entre quatre et cinq heures, ils sont des milliers d'hommes, de femmes et d'enfants qui se rendent au Mausolée de la place Rouge. Rien, absolument rien, ne les contraint de venir saluer avec émotion la dépouille de Lénine. Pourquoi ces citoyens anonymes rendent-ils cet hommage quotidiennement renouvelé par d'autres ? Parce qu'ils savent ce qu'ils doivent à Vladimir Ilitch.

Cette ferveur devait tout naturellement entourer le disciple fidèle, le continuateur. Elle s'exprime dans les discours, les articles de journaux, les portraits brandis dans les manifestations ou placés dans les demeures les plus humbles. Cette belle gravure en couleurs représentant Staline et Vorochilov que je découvrais dans un foyer kolkhozien du Caucase, elle avait été apportée de la garnison où le fils avait accompli son service militaire. Dans la maison d'à côté, c'était un portrait de Kalinine avec la photographie du fils, officier rouge. Dans une troisième demeure, par contre, les murs se décoraient de modestes cartes postales reproduisant les traits de Lénine, Staline, Vorochilov, Kaganovitch. Rien donc d'officiel ; chacun manifestait à sa façon et suivant ses acquisitions personnelles sa reconnaissance aux dirigeants.

Oui, les peuples de l'U.R.S.S. portent une profonde admiration à Lénine et à Staline. Cette reconnaissance, cette affection sont parfaitement raisonnées.

Qu'elles soient chaque jour plus ardentes, rien de plus naturel. Plus l'édification socialiste se poursuit et plus se développe le bien-être, plus grandit la reconnaissance des masses populaires. C'était l'élite, les militants qui voyaient clairement il y a vingt ans, la route indiquée par Staline, mais cette élite s'est élargie constamment au fur et à mesure des succès obtenus et de la confirmation éclatante de la justesse des prévisions. Plus l'instruction du peuple s'élève, plus grandit le nombre d'hommes et de femmes qui comprennent toujours mieux l'immense portée de l'œuvre accomplie. Plus l'éducation communiste englobe de nouvelles générations et plus grandit l'affection pour Staline ». (p.43.)

« Je sens, tout à coup, combien il est difficile en un seul livre de dresser le bilan prodigieux de la construction socialiste. Un séjour même prolongé à Londres ou à Stockholm vous donne difficilement de quoi remplir deux cents pages avec les impressions recueillies. Tandis que l'Union soviétique a apporté de telles transformations dans tous les domaines qu'il est nécessaire d'opter : ou bien, pour être complet (et encore !) écrire plusieurs gros volumes ou bien faire un choix parmi tant de réalisations sociales du plus prodigieux intérêt.

Faire un choix ? Ici encore, ce n'est pas chose aisée.

Pour y suppléer, évoquons donc, en quelques touches rapides, des victoires dont l'importance de chacune nécessiterait un chapitre. » (p.45.)

« La guerre, ici encore, a apporté la preuve péremptoire de la cohésion de l'Union soviétique, de cet État multinational de cent peuples. Une République comme l'Ukraine a été longtemps travaillée par des courants nationalistes séparatistes. Maintes fois, la presse antisoviétique d'avant-guerre a essayé de faire croire à ses naïfs lecteurs que ces courants chauvins étaient toujours puissants et on se rappelle les campagnes sur « l'Ukraine martyre », « dominée par le Kremlin » « aspirant à se libérer du joug de Moscou ». Or, l'Ukraine a été occupée dès le début de la guerre et quand les armées d'Hitler étaient aux portes de Moscou, l'occasion était belle pour le peuple « martyr » de « secouer le joug des maîtres ». La vérité, c'est que les occupants ne trouvèrent jamais assez de personnalités pour constituer à Kiev ou à Kharkov un gouvernement de collaboration comme ceux de Pétain à Vichy, de Quisling en Norvège ou de Mgr Tiso en Slovaquie. Au contraire : la résistance à l'envahisseur a été acharnée — pas seulement chez les mineurs du Donetz, mais encore dans les campagnes où les héroïques partisans du légendaire général Kovpak rencontrèrent l'appui total des paysans. C'est par centaines de milliers que l'on compte les Ukrainiens exterminés ou déportés pour être demeurés fidèles au régime soviétique. » (pp.45-46.)

« Autre grande victoire de l'Union soviétique : la pleine ascension de la femme à l'égalité politique, économique, sociale et culturelle. Même parmi les adversaires de l'Union soviétique, peu se sont efforcés de nier cet énorme progrès historique — se contentant de se moquer des femmes-maçons ou des femmes-terrassiers. » (p.46.)

« Des jeunes kolkhoziennes de moins de 20 ans, venues pour faire des achats à la ville, nous racontèrent que dans leur village, tous les jeunes apprenaient à tirer au fusil, car « ils ne laisseraient jamais les fascistes détruire le régime soviétique ». Nous eûmes tous, à ce moment-là, la très nette impression que si une agression contre l'U.R.S.S. se produisait, ce serait un peuple entier qui se dresserait pour défendre ses conquêtes sociales. » (p.51.)

« Dans aucun pays du monde, les livres et les journaux ne sont aussi bon marché — tant l'État attache d'importance au développement de la culture.

Quant à l'effort pour développer l'instruction publique, il tient du prodige. Voici la République du Tadjikistan, en Asie centrale. Sous les tsars, on recensait, en tout et pour tout, quelques écoles primaires avec 369 élèves et 13 instituteurs. La rentrée des classes, en 1948, a vu affluer 275.000 enfants, entourés de la sollicitude de 12.500 instituteurs et institutrices. Il convient d'y ajouter 769 professeurs d'écoles normales et supérieures.

Ne parlons de la science que pour enregistrer le fait de plus de cent mille chercheurs travaillant en permanence dans tous les domaines de l'activité humaine, bénéficiant de la sollicitude constante des pouvoirs publics et de la considération de leurs concitoyens.

Ainsi, le passé de misère et d'ignorance a été définitivement aboli. En trente années ! Quelle puissance que ce régime capable de développer tout à la fois l'industrie et l'agriculture, les sciences et les arts !

Les mensonges et les calomnies ne peuvent rien contre ces faits — car les faits sont têtus ! » (p.52.)

« Des contradicteurs nous objectent : « C'est entendu, on a fait un gros effort pour l'industrie et l'agriculture, on a protégé la mère et l'enfant. On a développé l'instruction publique ; la jeunesse est magnifique, c'est exact. Seulement, il n'y a pas de liberté. C'est la dictature. Et, en définitive, c'est cela qui nous empêche d'accorder notre sympathie à l'Union soviétique. » Il n'y aurait donc pas de liberté en U.R.S.S. ?

Tout d'abord, de quelle liberté s'agit-il ?

Car, au fond, tout le problème est là.

Est-ce la liberté laissée à une infime minorité, propriétaire des moyens de production, de faire travailler pour elle des millions d'ouvriers, la liberté accordée à quelques deux cents seigneurs modernes, d'être les maîtres tout-puissants des mines et des fabriques. Est-ce la liberté laissée à une classe de hobereaux de vivre grassement du travail de millions de paysans misérables ? Est-ce la liberté laissée aux adversaires du peuple de truster la presse, le cinéma, la radio pour en faire des instruments de corruption, de défense des oligarchies économiques ou financières, d'organisation systématique et permanente du mensonge et de la calomnie ? Est-ce la liberté laissée à une poignée de traîtres de constituer librement une « cinquième colonne » pour saboter, comploter, porter atteinte aux conquêtes populaires ?

Alors, oui, de telles libertés n'existent pas en U.R.S.S., car ces « libertés »-là sont néfastes au peuple tout entier. La liberté accordée à Franco de préparer tranquillement la rébellion a coûté la vie à deux millions d'Espagnols. La liberté donnée à Hitler par la République de Weimar d'organiser ses sections d'assaut a d'abord peuplé les camps de concentration de centaines de milliers de socialistes et de communistes, d'athées et de croyants et a valu ensuite des fleuves de sang à l'humanité.

Non, l'Union soviétique ne connaît pas et ne veut pas connaître de ces « libertés ». C'est pourquoi on ne peut y faire de propagande pour revenir au régime capitaliste. » (p.53.)

« Liberté de choisir ses représentants ? Quel pays au monde permet à tous ses citoyens âgés de 18 ans, sans distinction de nationalité ou de race, hommes et femmes, fils d'anciens seigneurs comme fils d'ex-paysans pauvres, d'élire leurs représentants au suffrage secret et directement à tous les échelons du pouvoir soviétique ?

Un seul exemple. Voici Moscou : 2.200.000 électeurs — soit 96 % du collège électoral — ont voté en 1935. (Je n'ai pas de statistiques sur les dernières élections aux Soviets locaux, mais le système de large participation populaire est demeuré le même.) Ils ont tenu 1.856 assemblées électorales au cours desquelles près de 100.000 propositions les plus diverses ont été déposées (concernant l'urbanisme, les écoles, les clubs, les loisirs, les sports, etc.) Au cours de ces assemblées, 2.056 députés ont été élus (dont 1.179 ouvriers d'usine, 307 ingénieurs, 152 employés, 55 étudiants, 21 artisans, 122 ménagères).

Ni Paris, ni Londres, ni Washington ne sont administrés par un collège aussi large et aussi représentatif du peuple laborieux. » (p.53.)

« Rien d'inutile, rien de superficiel dans la presse soviétique : elle éduque les constructeurs du socialisme, cette presse calme et tranquille, comme tout le peuple soviétique lui-même « toujours prêt au travail comme à la défense ». La presse des hommes simples et valeureux qui, d'un bout à l'autre du pays, édifient des usines, irriguent des déserts, défrichent des steppes. La presse d'un monde nouveau qui va de l'avant par la critique du mal et l'exaltation du bien. » (p.54.)

« Il est vrai que là-bas n'existe qu'un seul Parti : le Parti communiste (bolchevik) de l'U.R.S.S. Cela s'explique très aisément. On oublie trop souvent qu'en 1917-18 existèrent d'autres partis qui ne tardèrent pas à devenir le refuge des éléments hostiles au régime et défenseurs des intérêts des classes déchues. » (p.55.)

« Répondant en 1936 à André Gide, au sujet de son premier livre antisoviétique, je rappelais en ces termes des souvenirs personnels : (...)

Cela compte pour les travailleurs soviétiques, de ne plus avoir à subir une telle domination. Droit au travail, à l'instruction, aux loisirs, au repos. Droit à la sécurité du lendemain, au bien-être et à la culture. Droit de gestion des assurances sociales confiées aux syndicats. Démocratie à l'usine par les assemblées de production et la libre critique. Droit du paysan à la jouissance perpétuelle de la terre qu'il féconde par son travail et droit de gérer son kolkhoz comme il l'entend. Droit de l'artiste et de l'écrivain d'obtenir de vastes débouchés pour leurs créations. Ce sont là des libertés inestimables et qui n'intéressent pas seulement quelques milliers d'individus, mais des millions.

Il est vrai que nous entendons assez souvent défendre une conception très particulière de la démocratie et du droit de l'individu.

Selon certains, la démocratie supposerait absolument le désaccord.

Les organisations soviétiques d'une circonscription électorale se consultent et tombent d'accord sur la candidature à la députation du plus populaire des ouvriers ou du plus émérite des savants de la région. Aucun citoyen n'éprouve le besoin d'opposer sa propre candidature à celle qu'a réalisée l'union. Cela signifie-t-il l'absence de démocratie ? » (pp.57-58.)

« On a tellement brodé sur l'absence de liberté en U.R.S.S. que de braves gens se figurent encore par exemple, que la mère est contrainte de déposer son enfant à la crèche ou qu'obligation est faite au « troupeau soviétique » de se distraire au club, collectivement. Selon certains, toute vie de famille aurait disparu, tout goût ou désir personnel serait broyé, toute initiative brisée, toute personnalité étouffée.

Quelle caricature de la vie soviétique ! (...)

Le socialisme ne signifie pas l'obligation d'aller au club, de chanter ou de jouer aux échecs !

La vie de famille entravée ? Il y a plus d'amour vrai en Union soviétique qu'ailleurs. On s'y marie jeune et le plus souvent, par amour, du fait — nous l'avons vu — que les considérations de famille ou d'établissement ne jouent plus aucun rôle. » (p.58.)

« L'initiative brisée, la personnalité étouffée ? Bien au contraire. On cherche, on invente en Union soviétique comme nulle part ailleurs. On encourage de toutes manières l'esprit d'initiative. On soigne les talents. On fait connaître à tout le pays l'explorateur intrépide, l'ouvrier qui a trouvé une nouvelle méthode de travail, le médecin qui a découvert un remède, le poète de seize ans, la jeune directrice de telle usine « de choc » ou le paysan animateur d'un kolkhoz d'élite. Papanine est partout populaire, comme le mineur Stakhanov ou Maxime, l'artiste de cinéma, comme Maria Demtchenko la kolkhozienne ou l'écrivain Cholokhov, comme Zoïa ou les jeunes héros de Krasnodon. » (p.59.)

« Chaque matin, dans le train qui m'amène de Saint-Denis à Paris, je vois les journaux lus par ces employés, ces fonctionnaires qui commencent leur travail à neuf heures. Neuf sur dix sont ainsi les victimes ignorantes du mensonge diffusé à haute dose sur tous les événements contemporains.

Rentrés le soir dans leur pavillon de banlieue, ils ouvrent le bouton du poste de radio : « au quatrième top... voici le journal parlé » et ce dernier ne le cède en rien à l'Aurore ou au Figaro lus le matin. S'ils vont passer quelques heures au cinéma, les « actualités » continuent la même besogne d'intoxication tandis que le « grand film », neuf fois sur dix, ne fait nul appel à la réflexion, ne sollicite aucun effort de pensée, ne développe aucune idée généreuse. Ainsi, du 1er janvier au 31 décembre, des millions de nos compatriotes sont soumis à un pilonnage quotidien et ne parviennent pas toujours à s'échapper du filet aux mailles serrées tendu sur eux.

Ces petits bourgeois ne sont pas, pour la plupart, des gens méchants et ils ne sont pas des foudres de guerre. En 1914, la dactylo a vu partir son fiancé et en 1939, ce fut son mari et son fils. Elle a souffert, espéré, maudit les responsables. Mais, la paix revenue, le « mystère des guerres » dont parlait Lénine est resté, pour elle et ses semblables, plus épais que jamais. » (p.60.)

« L'Union soviétique ne peut pas faire une autre politique que celle tendant à défendre la paix — et nous voulons le prouver.

Premier argument : cette politique de paix tient a son régime même. Jaurès écrivait : « Le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l'orage. » Si cela est vrai, et c'est vrai, le socialisme, c'est la paix. L'Union des Républiques socialistes soviétiques — Etat socialiste — ne peut donc vouloir que la paix.

Il n'y a pas un chômeur en U.R.S.S. et il n'y en aura jamais. Nous avons montré pourquoi dans des chapitres précédents consacrés au développement harmonieux de l'économie soviétique. Donc, pas besoin de la guerre pour essayer d'éviter les crises, pour conquérir des marchés ou des sources de matières premières. Au contraire, la paix lui est nécessaire pour continuer sa marche en avant.

En est-il de même dans l'autre monde ? En 1939, on comptait aux Etats-Unis 49 firmes occupant plus de 10.000 ouvriers ; on en recensait 344 en 1945. Pratiquement, toute l'économie américaine est entre les mains de huit grands groupes financiers qui exercent un pouvoir illimité, sans contrôle, ayant leurs hommes au gouvernement qui appliquent strictement la politique de ces puissances économiques. De plus, la capacité de production des États-Unis a augmenté de deux fois et demi par rapport à 1939. Les magnats américains sont donc placés devant le problème de trouver des débouchés pour écouler une production plus que doublée. D'où l'offensive menée contre les industries concurrentes de celles des États-Unis, d'où le plan Marshall, d'où les dépenses folles pour les armements.

Pour justifier aux yeux des masses populaires l'énormité des crédits militaires (5.000 milliards de francs) les journaux, la radio — aux mains des trusts — se livrent à une campagne quotidienne d'excitation à la guerre contre l'U.R.S.S. et certains n'hésitent pas à le proclamer crûment. Lisez cet aveu du journal américain : U.S. News and World Report du 31 décembre dernier :

Si vraiment la paix était assurée, tout serait détraqué ; à l'heure présente, les dépenses d'armement et l'aide aux autres pays soutiennent les affaires.

Confirmation éclatante de ce que disait Jaurès.

Deuxième argument : aucune classe, aucun citoyen en Union soviétique n'a intérêt à la guerre. Pas un seul intellectuel, pas un seul ouvrier, pas un seul paysan, pas un seul artisan ne s'est enrichi du dernier conflit. Tous en ont souffert cruellement et il n'y a pas de famille qui ne porte le deuil du père, d'un ou de plusieurs fils qui ne sont pas rentrés et qui reposent quelque part entre la Volga et la Sprée.

Mais voyez les États-Unis.

Avant 1914, les États-Unis devaient à l'Europe 6 milliards de dollars. Quatre ans plus tard, la dette était amortie, mais, en outre, les financiers américains avaient investi 10 milliards de capitaux à l'étranger et ils détenaient la moitié des stocks d'or. Pendant que des soldats américains tombaient sur notre sol, à Saint-Mihiel ou au Bois Le-Prêtre, le nombre des millionnaires triplait.

La dernière guerre a été une source de profits autrement fabuleux. Roosevelt avait bien promis « qu'il n'y aurait plus de millionnaires de guerre ». Mais les monopoles américains ont leurs hommes politiques dévoués. Toutes les propositions d'ordre fiscal déposées par Roosevelt furent battues en brèche. Conséquence : selon la statistique officielle du ministère du Commerce des États-Unis, les bénéfices nets avoués, réalisés entre 40 et 45, ont dépassé 52 milliards de dollars, soit quatre fois plus que de 36 à 39. » (pp.60-61.)

« Il est aisé de constater, dès 1946, que se multiplient les campagnes d'excitation antisoviétique d'abord dans les pays de langue anglaise, étendues ensuite à la France, l'Italie, la Belgique etc. L'affaire dite de l'« espionnage russe au Canada », le discours provocateur de Winston Churchill à Fulton, la campagne de mensonges sur « les blindés russes fonçant sur Téhéran, la Turquie mobilise », l'accusation lancée contre l'Union soviétique de vouloir annexer la Mandchourie, de reconstituer la Wehrmacht en U.R.S.S., de se préparer à occuper l'Albanie, etc. A toutes ces provocations, Staline riposte en 1946 par six interventions calmes, précises, lumineuses. » (p.62.)

« Affirmez votre sympathie pour l'édification du socialisme, votre solidarité avec les bâtisseurs du monde nouveau, proclamez votre admiration pour leurs dirigeants, il n'en faut pas plus pour être taxé « d'agents de Moscou », de « séparatistes » et autres pauvretés chères à de Gaulle et aux antisoviétiques.

Tant il est vrai qu'il sera toujours impossible aux esprits serviles de comprendre l'attachement profond et désintéressé à un idéal de progrès et de solidarité humaine.

Nous les connaissons bien ces insulteurs de l'Union soviétique : ce sont ceux qui veulent faire marcher en arrière la roue de l'histoire.

Leurs aïeux luttaient, voici cent cinquante ans, avec les émigrés de Coblentz, aux côtés du roi de Prusse et de l'empereur d'Autriche, — contre la France de nos pères. Avant la première guerre mondiale, ils tressaient des couronnes au tsar de Russie qui leur accordait de copieuses ristournes sur les emprunts arrachés à une épargne française odieusement trompée ; ils prenaient parti contre les écrivains russes d'avant-garde, contre cent millions d'opprimés. Après la révolution, ils furent aux côtés des Denikine, des Koltchak, des Wrangel, subventionnés, armés par eux. Pendant la guerre sauvage du fascisme italien contre l'Abyssinie, ils étaient aux côtés de Mussolini et criaient : « Pas de sanctions contre l'Italie ! » Ils furent contre la République espagnole, et pour Franco, contre la République tchécoslovaque, et à Munich, ils livrèrent à la botte hitlérienne dix millions d'amis de la France.

Pendant la guerre contre le fascisme, ils étaient avec Pétain. Ils sont aujourd'hui avec de Gaulle qui rêve d'une nouvelle croisade contre l'U.R.S.S., avec Léon Blum dont l'hostilité haineuse a grandi à la mesure des victoires des bâtisseurs du monde nouveau.

Basse besogne accomplie tantôt pour combattre « la dictature » de Robespierre ou la « sauvagerie » des bolcheviks. Tantôt pour « sauver la paix ! » ou « défendre la civilisation ». Toujours contre les peuples libres, toujours contre la France.

La chaîne est ainsi continue, du comte de la Rocque de 1792 au Casimir du même nom, des Thermidoriens corrompus par le banquier anglais Pitt aux collaborateurs payés dès avant la guerre par l'espion hitlérien Abetz ; du traître Dumouriez au traître Doriot ; des Chouans soulevés contre la République aux Cagoulards et aux hommes de Laval — assassins des Péri, des Sémard, des Guy Moquet et des Danielle Casanova — ; du Matin de 1905 applaudissant aux massacres des ouvriers par les Cosaques, au Matin de 1940 félicitant Hitler de sa victoire contre la France ; du Gringoire de 1938 couvrant les massacreurs à croix gammée des femmes et des enfants de Madrid et de Guernica à Carrefour de 1947 reprenant les inventions de Goebbels sur la macabre mise en scène hitlérienne de Katyn. » (p.67.)

« Nous venons de voir, dans les précédents chapitres, comment la Russie tsariste, arriérée et misérable s'était transformée en une Union soviétique libre, forte, heureuse et pacifique. Nous avons répondu à l'objection majeure de ses adversaires : « Oui mais... la liberté ? », essayé de montrer quels liens puissants avaient toujours réunis les peuples de France et de Russie. Il nous reste, avant de conclure, à examiner quel mal l'antisoviétisme a fait à notre pays. Abordant ce domaine, il est impossible de passer sous silence le livre retentissant de Sayers et Kahn la Grande Conspiration contre la Russie dont le tirage de la traduction française a atteint 80.000 exemplaires — malgré le silence quasi total de la presse docile aux consignes d'étouffement.

Dans leur œuvre capitale, les deux écrivains américains ont projeté la lumière la plus aveuglante sur la chaîne continue de provocations et de complots de tous genres qui ont été tramés contre cette Union soviétique à laquelle on reproche si souvent sa méfiance et qui n'avait — et n'a encore — que trop de raisons de s'exercer.

Grâce à ce livre remarquable, nous possédons une histoire de l'antisoviétisme mondial — tout au moins dans ses agissements conspiratifs — qui nous montre les responsabilités écrasantes de certains Français dans une politique absolument stupide et parfaitement criminelle. » (p.78.)

« Le gouvernement soviétique qui avait vu tous ses efforts battus en brèche depuis des années par les partisans des concessions à l'Allemagne, accepta de conclure ce pacte [le pacte germano-soviétique], afin de gagner du temps et de se préparer à une agression jugée par lui inévitable.

La nouvelle du pacte éclata dans le monde comme un coup de tonnerre. La presse, la radio se déchaînèrent contre l'U.R.S.S., la colère populaire fut dirigée non contre les saboteurs des pourparlers avec le gouvernement soviétique, mais contre ce dernier.

Selon nos adversaires, l'U.R.S.S. aurait dû signer le traité anglo-franco-soviétique, même sans aucune garantie de la part des Alliés, même sans être autorisée à faire pénétrer l'Armée rouge en Pologne.

Dans ce cas, il est aisé de prévoir ce qui se serait passé.

L'Allemagne venait à bout de la Pologne en quinze jours, comme ce fut le cas. L'U.R.S.S. était alors attaquée peu après du fait qu'elle avait pris fait et cause pour les Alliés. Que faisait l'armée française ? Pas plus que ce qu'elle a fait pendant la drôle de guerre : attendre l'arme au pied (il n'existait pas en 1939 de plan d'attaque de la ligne Siegfried). Que faisaient les Anglais ? La Grande-Bretagne ne comptait en août 1939 que quelques divisions ; la R.A.F. venait à peine d'être créée et sa flotte de guerre ne pouvait pas pénétrer dans la Baltique. L'U.R.S.S. se battait seule, car des antisoviétiques aussi virulents que Chamberlain et Bonnet n'auraient pas plus admis de « se battre pour les Russes » qu'ils n'avaient accepté de « se battre pour les Tchèques ». La France et l'Angleterre, telles qu'elles étaient dirigées à cette époque, auraient pratiqué une politique de non-intervention. Pire encore, il n'était pas exclu de prévoir une aide directe ou indirecte apportée à l'Allemagne par ses complices de Munich.

On a aussi parlé de « collusion germano-soviétique » à propos de la Pologne. A la rigueur, ce point de vue pourrait être défendu si l'U.R.S.S. avait franchi la frontière polono-russe dès le premier jour de la guerre. Elle ne l'a fait que lorsque la résistance polonaise s'est effondrée le 17 septembre, quinze jours après la déclaration du conflit. Ce faisant, l'Union soviétique occupait des territoires qui, à de rares exceptions près, lui avaient appartenu autrefois et que les nationalistes polonais lui avaient arrachés par la violence en 1921. Elle sauvait dix millions d'hommes de la domination des fascistes allemands et la revue anglaise The Fortnightly avait raison d'écrire :

Il n'y a pas de doute que l'écrasante majorité de la population de ces territoires acclama l'avance russe.

Le coup était d'ailleurs dirigé contre Hitler, ce qu'en termes diplomatiques, Molotov n'hésitait pas à reconnaître :

Il s'est créé en Pologne une situation qui exige du gouvernement soviétique qu'il veille particulièrement à la sécurité de son État. La Pologne est devenue un champ propice pour tous les hasards et surprises qui peuvent créer une menace envers l'U.R.S.S.

Qui pouvait créer une « surprise » contre l'U.R.S.S. sinon l'Allemagne ? L'opération visait donc bien celle-ci. » (p.89.)

« Le pacte de non-agression germano-soviétique allait faire l'objet de bien des commentaires dont les plus indignés étaient formulés par ceux-là mêmes qui avaient combattu avec le plus de vigueur le pacte franco-soviétique de 1935. C'est que s'écroulait leur rêve de constituer à nouveau le bloc antisoviétique comme il s'était réalisé à Munich une année plus tôt. Ces hypocrites étaient prêts à acclamer la croisade contre l'U.R.S.S. sous la houlette de Hitler.

La diplomatie soviétique empêcha la coalition de se reformer comme cela avait été le cas en 1919 où les Allemands, ennemis d'hier, collaboraient avec les Alliés dans la guerre contre le pouvoir soviétique. De plus, l'Union soviétique gagna un temps précieux pour mieux se préparer à l'agression hitlérienne qu'elle savait inévitable. » (p.90.)

« 1939-1940. La « drôle de guerre » battait son plein. Il était déjà clair à l'époque que, profitant du besoin qu'avait Hitler de la neutralité russe, le gouvernement soviétique avait occupé la Bessarabie, les provinces russes de Pologne et les pays baltes non seulement en conformité des vœux des populations intéressées, mais pour mieux préparer sa participation à la guerre contre le nazisme.

Au lieu de tenir compte de cette rapide aggravation des rapports germano-soviétiques pour améliorer les nôtres avec l'U.R.S.S., on assista à une campagne inouïe de haine contre le pays du socialisme. A lire les journaux de cette époque, ce n'était plus l'Allemagne qui était l'ennemie, mais l'U.R.S.S. On envoyait à la Finlande du matériel de guerre qui devait nous manquer cruellement en mai-juin 1940 : 179 avions, 472 pièces d'artillerie, 795.000 obus, 5.100 mitrailleuses et 200.000 grenades à main.

On organisait en Syrie une armée qui était destinée à attaquer l'U.R.S.S. par le Caucase. M. Massigli (Aujourd'hui ambassadeur à Londres.), ambassadeur à Ankara, négociait avec le gouvernement turc pour obtenir son appui dans la croisade antisoviétique. On chassait de France l'ambassadeur de l'U.R.S.S.

En mai, les Allemands attaquaient cependant qu'à l'intérieur la Cinquième colonne travaillait à plein. Le 14 juin, Paris était occupé et le 22 juin, c'était l'armistice. Weygand, Pétain et Laval triomphaient.

Ainsi l'antisoviétisme s'est avéré toujours l'arme essentielle des ennemis de la France. C'est lui qui a fait couler le sang des soldats et des marins français en 1919. C'est lui qui a sacrifié les petits porteurs d'emprunts russes en 1926. C'est lui qui a fait saboter le pacte franco-soviétique de 1935. C'est lui qui a conduit à la honte de Munich en 1938. C'est lui qui a fait échouer les pourparlers militaires de Moscou en 1939. C'est lui qui nous a coûté quatre années d'occupation — et nos frères fusillés, morts en déportation, tués dans les bombardements, notre pays dévasté et mis en esclavage. On peut examiner sans passion, avec la plus stricte objectivité, ce que le peuple français a récolté à travers toutes les manifestations criminelles des ennemis de l'amitié franco-soviétique ; partout du sang, des ruines, des larmes.

Qu'il se lève donc le Français capable de citer un seul acte antisoviétique qui nous ait apporté quelque chose de positif !

On ne trouvera pas un seul de nos compatriotes qui puisse répondre à cette question précise. » (pp.90-91.)

« L'année 1946 voit la campagne s'accentuer. Il n'est pas un bobard de provenance américaine qui ne trouve reproduction dans une presse prétendue française. Les 21 et 22 février paraissent, en même temps, trois articles antisoviétiques du journaliste américain Walter Lippman, l'un dans Carrefour, l'autre dans le Figaro et le troisième dans le Courrier de Paris, ce dernier sous le titre : « La Russie veut la Tripolitaine. » (...)

Puis se produit le discours agressif de M. Churchill à Fulton. La publicité accordée à la harangue de « l'homme au cigare entre les dents » est beaucoup plus généreuse, dans la plupart de nos journaux, que celle faite à la réponse, pleine de force tranquille, du généralissime Staline. » (pp.92-93.)

« Au cours des deux premières années qui suivent la victoire de l'Allemagne, la plupart des journaux conservent encore (sauf exceptions) une certaine retenue dans leurs accusations et attaques venimeuses contre l'Union soviétique. A partir de 1947, c'est un déluge d'infamies qu'il est impossible de relever, tant elles sont nombreuses et quotidiennes. A qui la palme ? Sans doute à l'hebdomadaire gaulliste Carrefour. Ce dernier publie un dessin : Deux soldats russes, coiffés du bonnet mongol à étoile rouge, hirsutes et squelettiques comme de bien entendu. Ils n'ont pas le couteau entre les dents mais un revolver à la main et à leurs pieds gît un officier polonais assassiné. C'est le dessin, à peine retouché, paru en 1943 dans le journal de Goebbels « Das Reich », au moment de la macabre mise en scène de « la fosse de Katyn ! » » (p.93.)

« « Les Russes sont le nombre, c'est vrai, disent certains, mais ils n'ont pas de matériel. Sans l'aide des Américains, ils n'auraient pas vaincu à Stalingrad. »

C'est un raisonnement qui a encore trop souvent cours et qui vise à un double but : minimiser le rôle décisif de l'Armée rouge dans la dernière guerre et diminuer dans l'esprit public le potentiel militaire de l'Union soviétique.

Coupons donc, une bonne fois, le cou à ce canard.

Pendant toute la guerre, l'U.R.S.S. a reçu des Alliés, 10.000 tanks, 10.000 canons et 10.000 avions. Durant la même période, elle a fabriqué chaque année une moyenne de 30.000 tanks, 120.000 canons, 40.000 avions. » (p.96.)

« Au pays de Staline, tout progresse à un rythme vertigineux. Cela vous remplit d'allégresse, mais vous oblige — joyeusement — de remettre plusieurs fois votre travail sur le chantier. C'est en vacances, l'an dernier, quand la pluie nous tenait à l'hôtel, que j'écrivais le chapitre sur l'agriculture. Quelques mois plus tard, la presse soviétique publiait de copieux numéros spéciaux sur le gigantesque plan de lutte contre la sécheresse — ce qui obligea à une retouche. Puis est venu le nouveau plan triennal du développement de l'élevage soviétique, succédant au retentissant rapport de Lyssenko à l'Académie des sciences. Nouvelle retouche. » (p.98.)

« Le désir de donner au lecteur une image exacte de l'Union soviétique et notre souci de la vérité m'ont entraîné à n'évoquer que des souvenirs personnels, à ne citer que des chiffres ou des textes indiscutables.

Les antisoviétiques n'ont pas de ces préoccupations. Ce n'est pas seulement que, généralement, ils ont le mépris de ceux qui les lisent ou qu'ils écrivent pour des intérêts menacés par le socialisme triomphant. C'est aussi que leur fatuité les pousse à juger d'une œuvre gigantesque sans qu'ils se soient même préparés par la lecture de quelques brochures élémentaires sur le socialisme scientifique. Un Dominique Pado séjourne trois semaines à Moscou et il écrit un livre ignoble que couronne je ne sais plus quel jury d'ignorants.

On sait aussi que tout ouvrage antisoviétique est assuré de la plus large publicité. Devant le mensonge, diffusé ainsi à haute dose, devant l'énormité des calomnies déversées chaque jour sur le pays et les hommes qui ont écrit tant d'épopées, il est difficile à ceux qui ont vu de se taire. Même s'ils se sentent tout petits devant l'événement dont ils parlent.

C'est une question d'honnêteté, certes, un besoin impérieux de bonne foi, mais aussi une affirmation de solidarité. Chaque succès de l'Union soviétique enrichit tous les travailleurs du monde : qu'ils soient de peau blanche, jaune ou noire. Quelle que soit la partie du globe que vous habitez, quel que soit votre métier, l'espoir d'une vie radieuse est en vous parce que l'Union soviétique existe. » (p.98.)

« Nous devons opposer aux menteurs qui sont payés pour préparer la guerre contre l'Union Soviétique une véritable croisade de la vérité.

Car notre indignation à tant d'infamies antisoviétiques ne suffit pas. Prenons la presse. Nous devons convaincre fraternellement tel ouvrier parisien qui aime cependant d'instinct l'Union Soviétique, qu'il ne peut pas plus longtemps donner ses huit francs quotidiens à un Franc-Tireur antisoviétique. Tel de nos amis, qui laisse son fils lire des Sélection du Reader's Digest ou des France-Dimanche, doit trouver les arguments pour amener son gars à abandonner la lecture de ces feuilles empoisonnées. Prenons le cinéma. Telle salle passe un film antisoviétique — on en tourne actuellement une dizaine à Hollywood —, son propriétaire doit sentir monter la réprobation du public et s'il récidive, voir son cinéma déserté par nos amis. Il faut pourchasser l'antisoviétisme partout, systématiquement, lui arracher ses victimes une à une, avec à la fois le calme des forts et le courroux des justes.

Sans doute, en ce domaine, une idée fausse a encore trop souvent cours.

Des amis vous disent : « j'aime à entendre les deux sons de cloche. » Or, l'antisoviétisme ne vise pas à confronter des points de vue, à informer objectivement. Avez-vous vu tous ces Franc-Tireur et ces Matin-le Pays, ces Aube et ces Populaire, ces Aurore et ces Parisien libéré faire connaître à leurs lecteurs le plan de lutte contre la sécheresse, la dérivation des fleuves sibériens, les trois baisses des prix soviétiques survenues depuis un an ? Ont-ils parlé des déclarations à leur retour d'U.R.S.S. de Frédéric Joliot-Curie, de Marcel Prenant, de Louis Daquin, de Claude Morgan, du journaliste catholique Pierre Debray ? Les avez-vous vus protester contre l'interdiction des films soviétiques ? Déplorent-ils la partialité révoltante de la Radiodiffusion dite Nationale ? Pas un mot. Silence sur toute la ligne. C'est que leur mission est de mentir, travestir, calomnier l'Union Soviétique. Et le Figaro renvoie Jean Effel parce qu'il a refusé de faire des dessins antisoviétiques!

Parlons franc. C'est faiblesse de continuer à lire la presse du mensonge « pour entendre le pour et le contre », aidant ainsi involontairement à préparer une guerre atroce contre ceux qui nous ont sauvés de la barbarie fasciste. » (p.102.)

« J'écris ces lignes le jour même du 70e anniversaire de Staline. Une leçon parmi beaucoup d'autres est à tirer de sa vie : contre les ennemis du peuple, il a toujours montré une fermeté impitoyable et c'est ainsi que l'Union Soviétique a pu se développer et vaincre. » (p.103.)

 

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