Néo-réformisme contre Néo-libéralisme : la solution ?

Sommaire :

Guerres du XXIème siècle : Les dogmes d'Ignacio Ramonet

I - Mondialisation ou impérialisme : une question de mots

II - Le mythe des Etats impuissants

III - Contre la guerre, vite l'Europe

La théorie sur le néo-libéralisme n’est-elle pas ‘‘néo-réformiste’’ ?

1. La théorie du néo-libéralisme

2. Le néo-libéralisme : idéologie, politique ou nouveau stade du capitalisme ?

3. Confusion sur le caractère de l’Etat

A propos du livre "L'Empire contre-attaque" :

Toni Negri et la mondialisation

Quand l'imbécile sort de l'ombre, il ne montre que les ténèbres

I - Ce qu'enseigne le professeur Negri

II - Le marché global et le pouvoir suprême du capital

III - L'impérialisme putréfié

IV - Du réformisme national au réformisme mondial

V - Ce que nous concluons avec Lénine

Guerres du XXIème siècle : Les dogmes d'Ignacio Ramonet

Herwig Lerouge, 18 décembre 2002

Ignacio Ramonet dirige le mensuel Le Monde Diplomatique et est l'initiateur du projet Attac, qui défend l'introduction de la «Taxe Tobin» sur la spéculation financière. Son dernier livre, Guerres du XXIème siècle (Ed. Galilée), trace un portait (réaliste) de l'apocalypse qui menace l'humanité étouffée par la dictature des multinationales. Mais face à la menace, il ne nous propose que le rôle de l'orchestre du Titanic.

I - Mondialisation ou impérialisme : une question de mots ?

L'horreur et le chaos, c'est ainsi qu'Ignacio Ramonet décrit le monde de ce début de XXIe siècle, dominé par l'impérialisme. Mais pourquoi évite-t-il ce terme ?

a - L'horreur et le chaos

«La mondialisation économique, écrit Ramonet, touche les moindres recoins de la planète, ignorant aussi bien l'indépendance des peuples que la diversité des régimes politiques. La Terre connaît une nouvelle ère de conquête, comme lors des colonisations. Cette conquête s'accompagne de destructions impressionnantes. Des industries entières sont brutalement sinistrées, dans toutes les régions. On assiste à la réapparition et la généralisation du travail des enfants, aussi en Europe. Les grands groupes saccagent l'environnement...»

Sur les 6 milliards d'habitants de la planète, «à peine 500 millions vivent dans l'aisance, tandis que 5,5 milliards demeurent dans le besoin. Depuis 1989, il y a eu plus de soixante conflits armés ayant fait des centaines de milliers de morts et plus de 17 millions de réfugiés ! (...) Des dangers de nouveaux types apparaissent : hyper-terrorisme, fanatismes religieux ou ethniques, prolifération nucléaire, crime organisé, réseaux mafieux, spéculation financière, grande corruption, extension de nouvelles pandémies, pollutions de forte intensité, effet de serre, désertification... ». Ramonet décrit comme peu savent le faire les horreurs d'un monde dominé par l'impérialisme en ce début de siècle. Mais il évite scrupuleusement ce terme marxiste pour décrire le stade actuel du capitalisme mondial.

Ce n'est pas innocent. Dans son ouvrage La face cachée de la mondialisation, le marxiste américain, James Petras écrit : «A la fois description des évolutions qui caractérisent notre époque et règle d'action, ce terme de mondialisation se présente avec un air d'inéluctabilité qui désarme l'imagination et empêche de penser et d'agir en faveur d'un système alternatif- en faveur d'un ordre économique et social plus juste.» 1

Ramonet : « Depuis 1989, il y a eu plus de soixante conflits armés qui ont causé des centaines de milliers de mort et provoqué la fuite de 17 millions de réfugiés.» Impérialisme ? Jamais entendu parler...

C'est bien une impression d'inéluctabilité qui se dégage du bouquin de Ramonet. Comment se battre contre une mondialisation qui serait le produit de la révolution technologique et du flux d'informations, des forces du marché ? «La seconde révolution capitaliste (la mondialisation, ndlr) résulte de trois transformations. L'informatisation et le passage au numérique bouleversent le travail, l'économie, les communications, l'éducation, la création, les loisirs. Les nouvelles technologies favorisent l'expansion de la sphère financière. Elles stimulent les activités planétaires, permanentes, immédiates et immatérielles. La déréglementation de Reagan a stimulé la mondialisation de l'économie, la dynamique principale de ce début de siècle».

Le concept d'impérialisme par contre désigne les multinationales et les Etats impérialistes comme les forces qui dirigent l'internationalisation en partant de lois économiques découvertes par Lénine en 1916 dans son livre L'Impérialisme, stade suprême du capitalisme. Il y décrit comment la libre concurrence se convertit «en monopole, en poussant la concentration de la production et du capital à un point tel qu'elle fait surgir le monopole: les cartels, les syndicats patronaux, les trusts et, fusionnant avec eux, les capitaux d'une dizaine de banques brassant des milliards. Monopoles dont le rôle est décisif dans la vie économique. (...)

Propriété privée fondée sur le travail du petit patron, libre concurrence, démocratie: tous ces slogans dont les capitalistes et leur presse se servent pour tromper les ouvriers et les paysans, sont depuis longtemps dépassés. Le capitalisme s'est transformé en un système universel d'oppression coloniale et d'asphyxie financière de l'immense majorité de la population du globe par une poignée de pays «avancés». Et le partage de ce «butin» se fait entre deux ou trois rapaces de puissance mondiale, armés de pied en cap (Amérique, Angleterre, Japon) qui entraînent toute la terre dans leur guerre pour le partage de leur butin.»2

b - Le débat sur les termes à utiliser

La vie a confirmé cent fois cette analyse: concentration du capital, conquêtes coloniales à la recherche d'investissements plus juteux que dans les métropoles, colonisation, deux guerres mondiales entre des blocs impérialistes pour se repartager le monde, accroissement de l'inégalité entre capitalistes et travailleurs, entre pays impérialistes et nations opprimées. La mondialisation n'est autre chose que la tentative de l'impérialisme, américain d'abord, imitée par l'ensemble des impérialistes, de sortir de la crise qui frappe l'ensemble du système depuis le milieu des années septante. En libéralisant (au profit des multinationales) le commerce, l'investissement; en détruisant les protections sociales, en dérégulant et privatisant tous azimuts.3

Cette libéralisation a été mise en place par les Etats impérialistes chargés de défendre leurs multinationales respectives. Elle a été mise en oeuvre par des institutions financières internationales, dont le personnel est nommé par ces Etats impérialistes. Les innovations technologiques jouent un rôle pour autant qu'elles servent les intérêts impérialistes : délocalisation, spéculation, automatisation de la production. Leur développement permettrait de nourrir et de fournir de l'eau aux habitants du monde entier et de faciliter le travail de milliards d'ouvriers. Mais, dans le cadre du système impérialiste, il n'a conduit qu'au chômage, à l'appauvrissement de l'immense majorité de l'humanité, à l'intensification de l'exploitation.

Aujourd'hui, les marges d'une exploitation plus grande se rétrécissent et la pauvreté croissante aggrave les crises de surproduction. Dans cette situation, l'impérialisme se tourne à nouveau vers la guerre. Il ne peut en être autrement aussi longtemps qu'un nombre de plus en plus restreint de capitalistes pourra s'approprier le fruit du travail de l'humanité. Il n'y a de solution que dans la lutte pour la destruction du système impérialiste et pour le socialisme.

Ne cherchez, chez Ramonet, aucune sympathie pour des révolutionnaires qui luttent pour le renversement de l'impérialisme. Il met les FARC colombiennes et la Nouvelle Armée Populaire des Philippines dans le même sac que des bandes somaliennes rançonnant la population.

C'est pourquoi le débat sur les termes à utiliser n'est pas sans importance. Petras : «Le terme "impérialisme", issu du discours marxiste, a été abandonné par maints intellectuels de gauche au cours de la guerre idéologique lexicale suite à l'effondrement du socialisme, en 1989, sous la forme qu'il avait prise en URSS. Ironie de l'histoire, c'est précisément quand les conditions si bien décrites et expliquées par le concept "d'impérialisme" deviennent véritablement mondiales, que l'on abandonne cet outil nécessaire pour comprendre ce qui arrive et éclairer la pratique politique. (...)

"L'inéluctabilité" de la mondialisation et l'adaptation ou la soumission des peuples du monde entier au capitalisme libéral dépendent de la capacité des classes dominantes à plier le peuple à leur volonté et à lui faire prendre les intérêts du capital pour les siens. Cela dépend aussi de la capacité des classes dominantes à saper la résistance croissante au capitalisme, quelle qu'en soit la forme. (...) La construction d'un monde nouveau, plus juste ... nécessite qu'on forme un ensemble d'outils intellectuels qui puissent servir dans cette lutte. Le concept d'impérialisme est un de ces outils, une arme que l'on peut tourner contre les avocats de la mondialisation, les propagateurs et les gardiens de l'ordre économique mondial.»4

c - La social-démocratie revisitée

Evidemment, les critiques de la mondialisation «inéluctable» veulent y apporter des ajustements. Ils veulent canaliser les forces qui dirigent le processus de mondialisation pour «fonder une nouvelle économie, plus solidaire, basée sur le principe du développement durable et plaçant l'être humain au cœur de ses préoccupations (...) en associant la société civile naissante (ONG, associations diverses) aux prochaines grandes négociations internationales sur des problèmes liés à l'environnement, la santé, la suprématie financière.» Le but étant d'arriver à «une nouvelle distribution du travail et des revenus dans une économie plurielle où le marché occupera une partie de la place, avec un secteur solidaire et un temps libéré de plus en plus important».

Tout cela donc sans toucher aux bases de l'économie capitaliste : la propriété privée des moyens de production. Car l'«illusion détruite en 1989» nous apprend, dit Ramonet, qu'«aucun pays ne peut se développer sérieusement sans économie de marché (et) la liberté de pensée a pour condition une certaine liberté économique».

Et voilà : il n'y a pas d'alternative au capitalisme. Pourtant une chose est certaine : c'est l'échec total de l'illusion d'un capitalisme moins «sauvage», proclamée depuis un siècle par la social-démocratie. Ramonet ne peut que constater que la social-démocratie «est devenue la droite moderne. Pour elle, la politique c'est l'économie et l'économie, c'est la finance et la finance ce sont les marchés. Elle privatise, démantèle le secteur public, favorise les fusions». Alors, il en invente une nouvelle en ajoutant à l'ancienne un zeste de «société civile».

Ramonet réchauffe le plat déjà servi en 1915 par Kautsky, le dirigeant d'alors de l'Internationale Socialiste, et réfuté à l'époque par Lénine. Ce dernier relevait : «Kautsky détache la politique de l'impérialisme de son économie en prétendant que les annexions sont la politique préférée du capital financier, et en opposant à cette politique une autre politique bourgeoise prétendument possible, toujours sur la base du capital financier.

Il en résulte que les monopoles dans l'économie sont compatibles avec un comportement politique qui exclurait le monopole, la violence et la conquête.»5 Pour Lénine, «la «lutte» contre la politique des trusts et des banques, si elle ne touche pas aux bases de leur économie, se réduit à (...) des souhaits pieux et inoffensifs.» C'est pourtant cette expérience que Ramonet veut répéter.

1 James Petras et Henry Veltmeyer, La face cachée de la mondialisation, pp. 5-6. Editions Parangon, 2002 ·2 Lénine, «L'impérialisme, stade suprême du capitalisme», in Oeuvres complètes, tome 22, Editions sociales, Paris, 1960 ·3 Voir à ce sujet "Le communisme, l'avenir de l'humanité". Documents du VIIème Congrès du Parti du Travail de Belgique, pp 76-80, par.82 à 97. Mars 2002. A consulter sur www.solidaire.org ·4 Petras, o. c., pp. 5-6 · 5 Lénine, o. c., p.291.

II - Le mythe des Etats impuissants

Ramonet. «La mondialisation libérale n'est pas pilotée par les Etats. Les dirigeants politiques se sentent débordés par une mondialisation qui modifie les règles du jeu et les laisse partiellement impuissants».

a - Le mythe des Etats impuissants

Impuissants, les Etats ? Pourtant traité après traité, loi après loi, ce sont toujours les décisions des gouvernements et parlements qui ont éliminé les barrières pour la liberté de circulation du capital et des marchandises. De la libéralisation du commerce des devises en passant par le marché européen unique jusqu'à l'élargissement des accords sur le commerce mondial à travers le GATT et l'OMC, ce sont les politiciens des pays impérialistes qui ont créé la situation actuelle devant laquelle ils se déclarent impuissants aujourd'hui.

Qui a décidé la politique économique et sociale de dérégulation, de privatisation, de réductions d'impôt et de cotisations sociales, de démolition des acquis sociaux et d'intensification de la productivité du travail, sinon Reagan et Thatcher, imités par Blair et toute la social-démocratie européenne ? Et quand les Etats européens ont créé l'Union européenne, était-ce pour avoir un Etat fort et grand, capable de s'opposer aux multinationales, d'empêcher qu'elles ne mettent la main sur les services publics, qu'elles introduisent le travail flexible et qu'elles fassent de l'évasion fiscale ? Non, bien sûr. Ce sont les Etats européens, lors des Sommets et des Conseils des Ministres qui obligent les pays membres à privatiser.

Sans doute, l'Etat prend-il en Europe la forme d'une fédération d'Etats nationaux. Mais l'Etat européen est plus que jamais, comme l'Etat belge, «l'organisation que les classes dominantes, propriétaires fonciers et capitalistes, se sont donnée pour préserver leurs privilèges» (Marx, Manifeste).

Le passage de l'ancien commissaire européen (socialiste) Van Miert aux conseils d'administration Philips et de Swissair, bien connus des travailleurs belges, n'est qu'un exemple parmi des centaines de ce que, plus que jamais, dans «la république démocratique (européenne aussi), la richesse exerce son pouvoir d'une façon indirecte, mais d'autant plus sûre. D'une part, sous forme de corruption directe des fonctionnaires. D'autre part, sous forme d'alliance entre le gouvernement et la Bourse» (Engels).

Et la construction de la défense européenne signifie qu'aussi au niveau de l'Europe «les Etats capitalistes, nés de la nécessité d'armer la bourgeoisie dans sa lutte contre la classe ouvrière, se sont graduellement transformés en Etats impérialistes, chargés également de garantir la domination des monopoles sur l'ensemble des peuples du monde.» (Lénine). Les seuls Etats à résister à la mondialisation impérialiste sont les Etats socialistes ou des régimes anti-impérialistes comme celui de Milosevic. C'est pourquoi ils attirent sur eux toute la puissance militaire et subversive des Etats capitalistes «impuissants» contre les multinationales.

La théorie de l'impuissance des Etats est une théorie de combat contre ceux qui prônent une alternative réelle à la mondialisation impérialiste, dit James Petras : «Cette théorie perturbe la lutte politique, car si ce n'est pas contre l'Etat, qui maintenant est soi-disant inexistant, contre quoi lutterait-on? Cette théorie engage les groupes politiques et sociaux à agir dans les interstices du système dominant, mais à petite échelle. (...) La reconnaissance du rôle de l'Etat-nation dans la mondialisation permet de repérer les énormes potentialités de l'Etat comme centre de formes alternatives de l'organisation économique (socialiste). Celles-ci pourraient être des entreprises publiques, des coopératives autogérées et une planification décentralisée de la réallocation et de la redistribution des revenus, des crédits, des terres et de l'assistance technique.»1

b - Vite, avant que ça n'explose

Ramonet, comme de nombreux idéologues de l'altermondialisme, est farouchement opposés à un débat sur le bilan du socialisme. Les mouvements révolutionnaires qui se battent pour renverser l'impérialisme ne peuvent pas compter sur sa sympathie. Il met les FARC colombiennes et la Nouvelle Armée Populaire des Philippines dans le même sac que des bandes somaliennes rançonnant la population: «Un peu partout, au Pakistan, en Algérie, en Somalie, au Congo, en Colombie, aux Philippines ou au Sri-Lanka, des entités chaotiques ingouvernables se développent, échappent à toute légalité, replongent dans un état de barbarie. La force l'emporte alors sur le droit, et seuls des groupes de pillards sont en mesure d'imposer leur loi en rançonnant les populations».

On voit bien là le caractère de classe de cette opposition à la mondialisation impérialiste. Les excès de l'impérialisme peuvent amener la révolte populaire à balayer l'ensemble du système impérialiste, y compris la situation privilégiée dans laquelle se trouvent les intellectuels occidentaux.

Comme il l'écrit dans l'édito de novembre du Monde diplomatique : «Aussi incroyable que cela puisse paraître, les milliards de damnés de la terre se tiennent politiquement tranquilles. C'est même l'un des grands paradoxes de notre temps: plus de pauvres que jamais, et moins de révoltés qu'il n'y en eut jamais. Cette situation peut-elle durer ? C'est peu probable. En raison sans doute de l'épuisement du marxisme comme moteur international de la révolte sociale, le monde traverse une sorte de transition.» La globalisation impérialiste qui pousse toutes les contradictions du monde impérialiste à leur comble, produira inévitablement une contre-offensive globale de toutes les forces populaires écrasées par la misère, la surexploitation, la domination, la terreur et la guerre.

Alors vite, avant que les damnés de la terre n'explosent, enlevons la mèche de la dynamite pour sauver le système. Imaginons une autre politique, mais surtout pas le socialisme.

1 Petras, o.c., 80-81

III - Contre la guerre, vite l'Europe ?

Ramonet constate que les États-Unis «dominent le monde comme nul empire ne l'a jamais fait». Ils entraînent le monde vers le fascisme et la guerre.

a - Contre la guerre, vite l'Europe ?

«La lutte contre le terrorisme autorise tous les excès et les mesures autoritaires contre ceux qui s'opposent à l'hégémonie américaine et la mondialisation libérale. L'idée chemine qu'il redevient possible d'apporter des solutions militaires à des problèmes politiques et/ou économiques.»

Ramonet veut retirer la mèche de la poudrière avant que les damnés de la terre ne se révoltent.

L'évolution vers la guerre s'accompagne de violations du droit international. «Déjà sous Clinton, il y eut une rupture avec le droit international. La guerre de l'Otan contre la Yougoslavie ­ qui n'avait commis aucune agression extérieure - est une nouvelle étape dans les relations internationales. L'ingérence humanitaire, considérée comme moralement supérieure à tout a amené l'Otan à transgresser deux interdits majeurs de la politique internationale: la souveraineté des Etats (article 3 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen d'août 1789) et les statuts des Nations Unies. (...) Il n'y a pas eu de résolution de l'Onu pour le Kosovo. Les USA n'acceptent plus d'être bridés par le légalisme de l'ONU.»

Et depuis la publication, le 20 septembre dernier, du document sur la nouvelle «stratégie nationale de sécurité des Etats-Unis», les USA ont «rétabli le droit à la «guerre préventive» que Hitler appliqua en 1941 contre l'Union soviétique, et le Japon, la même année, à Pearl Harbor contre les Etats-Unis».

b - Quelle lutte contre la guerre ?

Ramonet est un opposant féroce à la domination américaine et il n'a pas de mots assez durs pour conspuer ces «dirigeants européens (...) qui adoptent déjà, à l'égard de l'empire américain, dans un réflexe de caniche, l'attitude de servile soumission qui sied aux fidèles vassaux». Il appelle de ses voeux une Union européenne forte car «sans défense autonome, solide et imposante, nulle politique étrangère n'est crédible. L'Europe vérifie ce principe fondamental de la diplomatie sur tous les terrains des crises, et tout particulièrement dans le conflit israélo-palestinien. Alors qu'elle demeure un contributeur économique fondamental, son poids diplomatique est négligeable. Les citoyens désespèrent devant l'impuissance de l'Europe».

S'opposer à Bush-Hitler est un devoir pour tous les progressistes de la terre. Et trouver des alliés aussi. Mais une Union européenne impérialiste et forte, peut-elle être un facteur de paix ? L'Europe s'oppose aux USA. Admettons. Mais en quoi cette opposition se distingue-t-elle de ce que Lénine constatait en 1916 : «Supposons qu'un Japonais condamne l'annexion des Philippines par les Américains. Se trouvera-t-il beaucoup de gens pour croire qu'il est mû par l'hostilité aux annexions en général, et non par le désir d'annexer lui-même les Philippines ? Et ne devra-t-on pas reconnaître que l'on ne peut considérer comme sincère et politiquement loyale la «lutte» du Japonais contre les annexions que s'il se dresse contre l'annexion de la Corée par le Japon et réclame pour elle la liberté de séparation d'avec le Japon.»

Lorsque Ramonet demande une Europe forte, il répand l'illusion d'une Europe 'pacifiquement' impérialiste et transforme la protestation contre la globalisation impérialiste en un soutien à une super-puissance européenne.

Que peut attendre de l'Europe, le tiers monde saigné à blanc par l'impérialisme dominé par les USA ? Qu'a fait au tiers monde, l'Europe quand elle dominait le monde: annexions, pillage des matières premières et des ressources naturelles, asservissement des populations locales, guerre à tous ceux qui osaient résister. Quelle est la politique européenne actuelle ? Le commissaire européen responsable du Commerce, Pascal Lamy, est partisan d'une ouverture plus grande des frontières du tiers monde en ce qui concerne les marchandises et les capitaux.

Une Europe forte, avec sa propre défense, ne fera que rapprocher une nouvelle guerre mondiale pour la redistribution des zones d'influence dans le monde. Il ne peut pas en être autrement tant que cette Europe sera capitaliste. En appelant au renforcement de la défense et de la politique extérieure européenne, Ramonet répand l'illusion d'une Europe impérialiste «pacifique» et il entraîne la contestation de la mondialisation impérialiste dans le soutien à la superpuissance européenne.

Si on veut la paix, il ne faudra compter que sur la lutte des victimes de la mondialisation impérialiste et non sur les impérialistes qui veulent leur part du gâteau. Il faudra se battre pour une société sans multinationales, sans suprématie du capital, bref sans propriété privée des moyens de production. Autrement dit une société socialiste. Mais là, c'est une chose dont on ne parle pas dans les cercles de Ramonet.

 

La théorie sur le néo-libéralisme n’est-elle pas ‘‘néo-réformiste’’ ?  

Etudes Marxistes no44 – 1998, (Thomas Gounet)

Mondialisation, délocalisation, déréglementation, les termes ne manquent pas pour désigner les changements dans l’économie mondiale. Certains vont plus loin et affirment que toutes ces modifications manifestent une nouvelle étape du capitalisme. Ils appellent cela le néo-libéralisme. Ce serait le libéralisme adapté à la situation du marché mondial. Ils se fixent pour tâche de combattre ce néo-libéralisme, plutôt que le capitalisme. Jamais la pauvreté dans le monde n’a été si écrasante. Jamais la richesse n’a été si abondante. 225 multimilliardaires, dont à leur tête se trouve le patron de Microsoft, Bill Gates, disposent d’une fortune plus grande que ce que gagnent en un an 47% de la planète. 1 Jamais l’écart entre les plus riches et les plus pauvres n’a été si important. Et l’arrogance des capitalistes ne cesse d’augmenter. Pour eux, il n’y a point de salut en dehors de l’adhésion inconditionnelle, voire de la soumission, aux lois du marché. Les négociations sur l’AMI (Accord multilatéral sur l’investissement) au sein de l’OCDE (Organisation de Coopération et de Développement Economique), qui rassemble les 29 pays les plus riches, en sont un exemple. 2  Devant ce retour en force des conceptions sur la libre concurrence, le libre-échange et le laisser-faire, certains, en particulier en Amérique latine, estiment que nous vivons une nouvelle étape du capitalisme, à savoir le néo-libéralisme. Ainsi, la rencontre syndicale internationale tenue à La Havane du 6 au 8 août 1997 et réunissant de nombreux syndicats progressistes, surtout d’Amérique latine, comme la CUT cubaine ou la CGT française, écrit que ‘‘la mondialisation néo-libérale est une nouvelle phase de l’impérialisme’’, elle parlait même ‘‘d’une nouvelle phase du capitalisme’’.

1. La théorie du néo-libéralisme : Il n’est pas facile de trouver une position cohérente et élaborée de la théorie du néo-libéralisme. En soi, cela marque déjà le manque de clarté sur ce concept. Néanmoins, on peut établir les choses suivantes à partir de ce qu’en disent certains auteurs du mouvement zapatiste au Mexique, du Parti communiste brésilien et surtout des trotskistes de la Quatrième Internationale. (Nous ne mettons pas ces trois sources sur le même pied, comme nous le verrons plus tard.)

Premièrement, il y a une prédominance de l’idéologie libérale. C’est le retour des idées présentées à la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe par Adam Smith et David Ricardo. A l’époque, ces économistes essayaient de fonder théoriquement le capitalisme industriel naissant contre les survivances féodales. Ils affirmaient le parasitisme des grands aristocrates et des propriétaires fonciers qui ne vivaient que de leur rente. Ils prônaient la fin des privilèges, la libre concurrence, le libre-échange, le laisser-faire comme meilleur moyen de créer des richesses. En ce temps, ils jouaient donc un rôle progressiste. Mais, aujourd’hui, reprendre ces conceptions manifeste une volonté de soumettre le monde entier aux lois du marché, donc de la bourgeoisie mondiale. C’est l’idéologie attitrée de celle-ci qui sert non seulement à justifier sa domination, mais aussi à l’étendre. Car c’est sur cette base qu’elle tente d’ouvrir les marchés nationaux encore partiellement protégés. Avec cela, elle s’applique à réglementer les échanges à l’échelle mondiale. Nous pouvons être d’accord avec ce point.

Deuxièmement, nous sommes à l’époque de la mondialisation. ‘‘Les années 80 ont été marquées par une mondialisation croissante de l’activité économique’’, écrivent les trotskistes de la Quatrième Internationale. 3 Une véritable définition de ce dont il s’agit n’est pas présente, mais c’est un terme qui revient continuellement. Riccardo Petrella, ancien fonctionnaire à la Commission européenne, précise : ‘‘Selon nous, le nouveau monde global qui émerge de la mondialisation débouche sur la proposition suivante : l’avenir de chacun de nous se fabrique à l’échelle du monde. Le processus de mondialisation marque le début de la fin du système national en tant qu’alpha et oméga des activités et des stratégies planifiées par l’homme.’’ 4 Ce point, comme les suivants, est plus contestable.

Troisièmement, et c’est lié au point précédent, il y a prédominance des marchés financiers sur le reste. Cela reflète la domination absolue de la logique du marché. Les trotskistes notent lors de leur congrès : ‘‘De manière cohérente avec la doctrine néo-libérale, la décennie 80 s’est traduite par une déréglementation financière effrénée qui a sous-tendu et même amplifié le processus de mondialisation.’’ 5 Et le sous-commandant Marcos de l’armée zapatiste au Mexique (au Chiapas) est encore plus clair sur ce point : ‘‘Grâce aux ordinateurs, les marchés financiers, depuis les salles de change et selon leur bon plaisir, imposent leurs lois et leurs préceptes à la planète. La mondialisation n’est rien de plus que l’extension totalitaire de leurs logiques à tous les aspects de la vie. Naguère maîtres de l’économie, les Etats-Unis sont désormais dirigés, télédirigés, par la dynamique même du pouvoir financier : le libre-échange commercial.’’ 6

Car une autre grande caractéristique - c’est la quatrième - est que les multinationales surplombent les Etats nationaux. Elles leur deviennent supérieures, dictant leurs conditions à n’importe quel gouvernement du monde même le plus puissant. L’Etat devient un organe complètement dépendant, une annexe des lobbies patronaux. Cette expression est la plus nettement soulignée chez le sous-commandant Marcos : ‘‘Le nouveau capitalisme international rend les capitalismes nationaux caducs, et en affame jusqu’à l’inanition les pouvoirs publics. Le coup a été si brutal que les Etats nationaux n’ont pas la force de défendre les intérêts des citoyens.’’ Et : ‘‘Dans cette nouvelle guerre, la politique, en tant que moteur de l’Etat-nation, n’existe plus. Elle sert seulement à gérer l’économie, et les hommes politiques ne sont plus que des gestionnaires d’entreprise. Les nouveaux maîtres du monde n’ont pas besoin de gouverner directement. Les gouvernements nationaux se chargent d’administrer les affaires pour leur compte. Le nouvel ordre, c’est l’unification du monde en un unique marché. Les Etats ne sont que des entreprises avec des gérants en guise de gouvernements, et les nouvelles alliances régionales ressemblent davantage à une fusion commerciale qu’à une fédération politique.’’ 7  Les trotskistes sont un peu plus prudents sur ce point. D’un côté, ils affirment comme le sous-commandant Marcos : ‘‘Cette situation se distingue de l’internationalisation du capital : les multinationales étaient en effet jusque là l’agent d’une métropole impérialiste auprès des pays dominés et instituaient des relations univoques, complétées par un système de domination politique. Avec la mondialisation, les relations sont d’emblée multilatérales et les groupes multinationaux ont franchi une étape supplémentaire dans l’internationalisation qui les conduit peu à peu à s’autonomiser par rapport à leurs Etats de rattachement.’’ 8 Et ils ajoutent : ‘‘L’idée d’un espace politique, économique, territorial homogène au niveau de l’Etat-nation est condamné par la mondialisation, et rien ne prouve qu’un tel espace se reconstituera à l’échelon supérieur (régional).’’ 9 Mais, d’un autre côté, ils écrivent : ‘‘Si nombre d’entreprises multinationales opèrent sur plusieurs continents et produisent dans plusieurs dizaines de pays, elles demeurent adossées à la puissance politique, diplomatique, monétaire, militaire des impérialismes dominants.’’ 10

Cinquièmement, les privatisations et la réduction du rôle de l’Etat forment un point important de cette nouvelle phase. Le sous-commandant Marcos précise : ‘‘Dans le cabaret de la globalisation, l’Etat se livre à un strip-tease au terme duquel il ne conserve que le minimum indispensable : sa force de répression. Sa base matérielle détruite, sa souveraineté et son indépendance annulées, sa classe politique effacée, l’Etat-nation devient un simple appareil de sécurité au service des méga-entreprises. Au lieu d’orienter l’investissement public vers la dépense sociale, il préfère améliorer les équipements qui lui permettent de contrôler plus efficacement la société.’’ 11 Une thèse que l’on retrouve chez les trotskistes, mais avec une connotation clairement réformiste (voir plus loin) : ‘‘La crise affecte en effet la fonction redistributive des Etats, qui favorisait une certaine cohésion sociale. D’où la perte de légitimité d’institutions battues en brèche par les effets conjugués des privatisations (renforcement des pouvoirs économiques privés), de la globalisation (perte de contrôle par le haut des rapports économiques et monétaires), de la dérégulation. Ce phénomène ne concerne pas exclusivement des Etats dépendants et des classes dominantes fragiles. Il commence à affecter aussi certaines bourgeoisies européennes.’’ 12

Sixièmement, tout ceci est lié à la domination américaine, si pas au niveau de son Etat, du moins en ce qui concerne l’idéologie. Le sous-commandant Marcos insiste sur ce point : ‘‘Cette mondialisation répand aussi un modèle général de pensée. L’American way of life, qui avait suivi les troupes américaines en Europe lors de la deuxième guerre mondiale, puis au Vietnam et, plus récemment, dans le Golfe, s’étend maintenant à la planète par le biais des ordinateurs.’’ 13 Les trotskistes écrivent : ‘‘La tendance actuelle semble esquisser un rétablissement de la suprématie politico-militaire mais aussi économique des Etats-Unis.’’ 14 Riccardo Petrella écrit : ‘‘Ce qu’on peut appeler l’économie de type Madonna est un processus réel d’unification de la consommation de biens d’information et de communication, qui repose sur une logique semblable (celle du marché) et fait appel aux mêmes ressources (des infrastructures et des réseaux de publicité massive à la grandeur de la planète).’’ 15 Au vu de cette explication, il peut sembler à certains lecteurs que les caractéristiques de la théorie du néo-libéralisme sont claires et précises. Il n’en est rien. Nous nous attacherons à le montrer essentiellement sur deux points : Le néo-libéralisme est-il une nouvelle étape du capitalisme ? Quelle conception de l’Etat ont les partisans de cette théorie ?

2. Le néo-libéralisme : idéologie, politique ou nouveau stade du capitalisme ? Les partisans de la théorie du néo-libéralisme sont d’abord confus sur leur concept : Le néo-libéralisme est-il une simple idéologie ? Caractérise-t-il aussi une politique économique, par opposition au keynésianisme qui favorisait l’intervention de l’Etat pour soutenir la demande ? Ou est-il une nouvelle étape du capitalisme ? Il est très difficile d’avoir une réponse claire. Ainsi, Luis Fernandes du Parti communiste du Brésil entame de la façon suivante son discours lors de la Conférence sur le programme socialiste de ce parti, à Brasilia en août 1995 : ‘‘Le thème du néo-libéralisme n’est pas une simple mode. C’est un mouvement réel et concret vers une nouvelle configuration institutionnelle du capitalisme qui devient de plus en plus dominant dans le monde d'aujourd'hui. Etant donné sa profondeur et son étendue, ce mouvement de longue haleine marquera la configuration et l’évolution brésilienne et mondiale pour un certain temps.’’ 16 Mais il la termine par : ‘‘Il s’agit d’une contre-révolution intellectuelle inspirant des développements politiques, économiques et sociaux. Il ne faut pas cependant la confondre avec de nouvelles techniques de gestion micro-économiques, ni la considérer comme une nouvelle phase du capitalisme. C’est plutôt une réponse déterminée aux développements structuraux et conjoncturels du capitalisme.’’ 17 Ainsi, on commence par dire que ce serait une modification fondamentale du système, puis on termine par le nier. Mais remarquons que, même dans ce dernier cas, ce serait l’idéologie qui influe de façon déterminante sur les développements objectifs du capitalisme.

Le sous-commandant Marcos déclare que nous sommes dans la phase de la quatrième guerre mondiale. Le titre de son article dans Le Monde Diplomatique est d’ailleurs : ‘‘La quatrième guerre mondiale a commencé’’. Il y a eu les deux guerres mondiales, puis la Guerre froide qui s’est clôturé par la victoire du capitalisme, et maintenant la quatrième : ‘‘Si la troisième guerre mondiale a vu l’affrontement du capitalisme et du socialisme sur divers terrains et avec des degrés d’intensité variables, la quatrième se livre entre grands centres financiers, sur des théâtres mondiaux et avec une formidable et constante intensité.’’ La symbolique illustre abondamment ses propos : ‘‘Vers la fin de la Guerre froide, le capitalisme a créé une horreur militaire : la bombe à neutrons, arme qui détruit la vie tout en respectant les bâtiments. Mais une nouvelle merveille a été découverte à l’occasion de la quatrième guerre mondiale: la bombe financière. A la différence de celles d’Hiroshima et de Nagasaki, cette nouvelle bombe non seulement détruit la polis 18 (ici la nation) et impose la mort, la terreur et la misère à ceux qui y habitent, mais elle transforme sa cible en simple pièce de puzzle de la mondialisation économique. Le résultat de l’explosion n’est pas un tas de ruines fumantes ou des milliers de corps inertes, mais un quartier qui s’ajoute à une mégalopole commerciale du nouvel hypermarché planétaire et une force de travail reprofilée pour le nouveau marché de l’emploi planétaire.’’ 19 Les allusions ont l’avantage d’être claires, mais le concept beaucoup moins : car peut-on mettre sur le même pied les deux guerres mondiales, la Guerre froide et cette nouvelle forme de colonisation sous l’égide des marchés financiers ?

Les trotskistes ne sont pas plus explicites, mais ils permettent de mieux voir le cheminement théorique de cette conception. Ils commencent par aborder la question de la récession généralisée de 1974-1975 ‘‘qui a précipité l’ensemble des pays impérialistes dans ce que l’on peut appeler la crise, celle qui dure depuis lors’’. A ce moment-là, les gouvernements poursuivent encore des politiques keynésiennes. La récession de 1974-1975 est le premier retournement de ce qu’ils appellent ‘‘l’onde longue’’, qui caractérise une période du capitalisme. Puis vient le début des années 80 : ‘‘C’est le second tournant important, qui voit se diffuser les politiques néo-libérales à travers le monde, avec une étonnante similitude d’objectifs et de moyens’’. C’est devenu une étape dans l’onde longue : ‘‘La phase néo-libérale, dont nous ne sommes évidemment pas sortis, se décompose en plusieurs sous-périodes où l’on peut distinguer l’offensive (1980-1986), le succès apparent (1987-1990), la rechute (1991-1993), puis la reprise.’’ 20 Ainsi, pour les trotskistes, le néo-libéralisme, au départ une idéologie transformée en politique, finit par aboutir au niveau de phase au sein d’une onde économique longue qui a commencé en 1974. La position trotskiste montre comment la théorie du néo-libéralisme part d’un changement dans les idées (le néo-libéralisme plutôt que le keynésianisme) pour aboutir à caractériser une modification structurelle du capitalisme. Le concept de néo-libéralisme est apparu dans les années 80. Il s’agissait d’abord de caractériser les politiques suivies par Reagan aux Etats-Unis et Thatcher en Grande-Bretagne. Certains auteurs de l’époque soulignaient cet aspect libéral pour sous-entendre ou affirmer explicitement qu’il existait une autre politique possible, social-démocrate, celle de Mitterrand en France par exemple. Ils prônaient cette dernière car plus sociale, plus humaine. Mais l’orientation sociale-démocrate était claire. Eriger le néo-libéralisme en étape permet d’épargner le rôle des sociaux-démocrates dans la situation actuelle du capitalisme. Mais, surtout, cela revient à revendiquer le passage à une nouvelle phase, social-démocrate celle-là. C’est pour cela que les trotskistes ont sauté sur cette théorie pour la reprendre et la propager. Indépendamment de cela, nous devons nous interroger pour savoir si le capitalisme ne traverse pas un nouveau stade. Pour définir une nouvelle étape du capitalisme, que faut-il ? Il faut découvrir un changement structurel soit du capitalisme lui-même, soit d’un élément essentiel du capitalisme. Selon Lénine, il y a deux stades dans le capitalisme : le capitalisme concurrentiel et l’impérialisme ou l’époque des monopoles. Or quelles sont les transformations objectives de la période actuelle, celles qui la déterminent fondamentalement ? Elles sont au nombre de trois essentiellement et aucune ne remet en cause le capitalisme en lui-même : la crise économique, la chute du Mur de Berlin et l’internationalisation croissante de la production.

2.1. La crise économique : La crise économique a commencé à se faire sentir dans les économies des pays riches à la fin des années 60 et elle a éclaté ouvertement en 1973. C’est une caractéristique essentielle du capitalisme actuel, engendrée par le système lui-même. Elle rend l’accumulation fondée sur l’exploitation ouvrière beaucoup plus difficile. En effet, celle-ci est bloquée partiellement parce que le niveau de la demande ne suit pas celui de la production et cela se manifeste soit dans la surproduction, soit dans la surcapacité importante. 21 La crise économique est une épine dans le pied de la bourgeoisie mondiale, car elle l’empêche de réaliser les profits qu’elle voudrait engranger sur le dos des travailleurs. Ceci peut paraître paradoxal lorsqu’on voit le niveau record de bénéfices obtenus par les plus grandes firmes de la planète ou l’enrichissement phénoménal de certains patrons comme Bill Gates. Mais les gains colossaux sont souvent suivis par des pertes aussi importantes. Ainsi, si Ford a réalisé le bénéfice record de l’industrie automobile en 1997 avec 6,92 milliards de dollars 22, la firme américaine avait subi une perte de 2,3 milliards de dollars en 1991 et de 7,4 milliards de dollars en 1992. En outre, ces grandes entreprises doivent lutter contre la tendance continuelle à la baisse de la rentabilité. Les 200 plus grandes sociétés industrielles du monde avaient un rapport de profit sur fonds propres de 13,55% en 1973 ce qui veut dire que si elles investissent 100 dollars, elles reçoivent en moyenne 13,55 dollars comme profit. Ce taux a reculé jusqu’à 7,21% en 1991. C’est à ce moment que les efforts de restructuration, de réduction du personnel, ont pris cours. 832 000 travailleurs ont perdu leur emploi au sein de ces firmes géantes. 23 Résultat : le taux de profit est remonté à 15,51% en 1997. 24 Mais il est probable qu’il baisse de nouveau en 1998 et plus que probablement en 1999, avec l’approfondissement de la crise en Asie et dans le monde.

La crise économique rend la situation insupportable aux travailleurs et à la population. Car c’est sur eux que les patrons tentent de faire porter le poids des rationalisations. Ce sont eux qui perdent les emplois. Ce sont eux qui travaillent plus dur dans les entreprises. Ce sont eux qui doivent accepter la flexibilité, l’adaptation continuelle au marché, les horaires impossibles. Ce sont eux qui subissent l’amputation la plus importante de leurs revenus, suivant la politique des ‘riches plus riches et pauvres plus pauvres’. Ce sont eux qui sont victimes de la réduction des dépenses sociales. C’est parmi eux que se recrutent les exclus, les sans-emploi, les sans-papiers, les sans-logis... La crise économique montre qu’objectivement le capitalisme, en tant que système, n’a plus rien à offrir aux travailleurs et aux populations de ce monde. Les travailleurs s’appauvrissent et deviennent de plus en plus esclaves de la bourgeoisie. De plus, ils créent moins de richesses parce que, le pouvoir d’achat étant stabilisé, la demande ne peut absorber l’accroissement de la production que les capitalistes veulent imposer pour accroître leur taux de profit. C’est donc dans la recherche de l’exploitation toujours plus grande que la crise économique capitaliste naît. La récession en Asie illustre totalement ce propos. Cette partie du monde était considérée comme le modèle. Le Japon était le pays le plus dynamique parmi les nations industrialisées. Il symbolisait la réussite de la coopération entre ouvriers et patrons, le management participatif. Il représentait la pertinence de la recherche permanente de la compétitivité. Or, depuis 1991, l’archipel ne parvient plus à faire croître son produit intérieur brut (PIB), soit la richesse produite en un an par le pays. Et ce, malgré l’injection de 23 000 milliards de francs belges dans l’économie nipponne par le gouvernement. En octobre 1998, celui-ci a dû mettre encore 13 000 milliards de francs belges pour sauver son système bancaire de la faillite, les dettes non recouvrables 25 s’élevant à 20 000 milliards de francs belges. Soit 10% du PIB nippon !

La Corée du Sud était, elle, la manifestation du succès d’un pays du tiers monde, la preuve selon la bourgeoisie mondiale qu’il n’y avait pas de fatalité au sous-développement au sein même du capitalisme. Même en Chine, le pays était montré en exemple. Ses taux de croissance, 8,2% en moyenne par an de 1960 à 1992 26, dépassaient tous les autres. Aujourd’hui, la nation est exsangue. Les pauvres apparaissent partout. Les licenciements avaient été bannis. Puis, le gouvernement dictatorial de Kim Young-sam avait essayé d’introduire un décret pour les permettre. Le mouvement de lutte de décembre 1996 et janvier 1997 avait annihilé cette tentative. C’est le nouveau président ‘démocratique’ Kim Dae Jung qui a fait signer ce décret en février 1998. Cet opposant politique, il a passé tellement d’années en prison pour sa contestation de la dictature militaire qu’on l’a surnommé ‘le Mandela asiatique’ est totalement sous la coupe du Fonds monétaire international (FMI). En décembre 1997, quelques jours avant les élections, il a dû signer, comme tous les candidats importants à la présidence, une lettre dans laquelle il acceptait les conditions du FMI, sinon celui-ci refusait d’accorder le prêt de 57 milliards de dollars indispensable pour que le pays continue à survivre.

Le capitalisme, c’est la dictature du marché et de la bourgeoisie mondiale. Le sous-commandant Marcos écrit à ce propos : ‘‘Le fils (le néo-libéralisme) dévore le père (le capital national) et, au passage, détruit les mensonges de l’idéologie capitaliste : dans le nouvel ordre mondial, il n’y a ni démocratie ni liberté ni égalité ni fraternité. La scène planétaire est transformée en nouveau champ de bataille où règne le chaos.’’ 27 Effectivement, de plus en plus, c’est le chaos. Les contradictions éclatent partout. Puisque les profits se réduisent, les différents centres impérialistes, les capitalistes des Etats-Unis, d’Europe et du Japon, se disputent âprement un gâteau qui se rétrécit. Puisque, pour accroître la tarte à se partager, ils essaient d’exploiter davantage encore les travailleurs et les populations, les révoltes sont plus nombreuses. Déjà, le peuple indonésien est sorti dans les rues pour exiger le départ du dictateur Suharto, mis en place en 1965 par les Etats-Unis, mais qui devenait gênant pour ceux-ci. Des émeutes surgissent aujourd’hui contre la famine qui sévit dans l’ancienne colonie néerlandaise. En Corée du Sud, les travailleurs luttent pour empêcher les licenciements. A la pointe de ce combat, les ouvriers de Hyundai Motors, un des principaux conglomérats du pays, ont réduit le nombre de licenciements prévus par la direction de 4830 à 227. En Russie, les mineurs de Sibérie font grève pour recevoir leurs salaires, non payés depuis des mois par l’Etat. Certains avouent avoir été à l’avant-garde pour mettre au pouvoir Boris Eltsine, en espérant que le capitalisme allait leur apporter richesse et confort. Aujourd’hui, ils voient que c’est la misère et la famine qui les attendent. A cause de toutes ces contradictions, le danger de guerre militaire est plus grand que jamais. Car quand on ne peut résoudre les problèmes ‘pacifiquement’ par la voie économique, il faut passer à d’autres moyens. Si un des centres de l’impérialisme voit sa part du gâteau diminuer, il ne restera pas inactif et tentera par d’autres voies, dont celle de la violence armée, de récupérer son rang. Comme le dit aussi le sous-commandant Marcos, la crise économique détruit aussi les illusions sur le capitalisme. Il n’y a ni démocratie ni liberté ni égalité ni fraternité pour les travailleurs dans ce système (car, pour les capitalistes, cela existe bel et bien !) 28 Lors de la crise des années 30, la bourgeoisie, en fin de compte, a affirmé que le problème venait du marché laissé à lui-même. Soit celui-ci ne peut corriger de lui-même les désastres sociaux qu’il provoque, soit il ne peut le faire suffisamment vite. De là sont nées les idées pour réglementer davantage le marché par des interventions publiques. C’est le principe du ‘New Deal’ élaboré par l’administration américaine de Franklin Roosevelt : l’Etat soutient la demande pour éviter la chute. A la base de ce projet, l’économiste anglais Keynes élaborait une théorie justifiant la régulation par l’Etat. A partir de 1933, cette politique a été mise en place aux Etats-Unis. Elle a permis dans un premier temps de diminuer le chômage. Mais celui-ci a repris en 1937 et 1938. La guerre a éclaté des contradictions du capitalisme (dont la crise) et a relégué le problème de l’emploi au second plan. A partir de 1945, les politiques keynésiennes se sont généralisées dans les pays capitalistes développés. Pour la classe bourgeoise, il fallait aussi empêcher l’extension du socialisme, en assurant aux travailleurs des nations riches une certaine sécurité d’existence. C’est ainsi que l’Etat s’est chargé d’une part de plus en plus importante des dépenses sociales, un processus qui avait commencé après la Première Guerre mondiale.

Ce sont ces politiques qui sont condamnées par la crise actuelle. Puisqu’elles préconisent un endettement des pouvoirs publics pour financer la relance et la Sécurité sociale, il est difficile de continuer une fois que l’Etat est complètement endetté. Il n’y a plus de capitalistes et de rentiers prêts à fournir des fonds pour appuyer une telle approche, car le risque de non-remboursement devient réel. Donc, il faut accroître les taux d’intérêt pour quand même attirer des financiers potentiels. Ce qui a deux effets négatifs : primo, cela alourdit encore l’endettement de l’Etat, car il faut payer de plus en plus cher l’emprunt public ; secundo, cela décourage l’investissement par prêt en général, car les taux d’intérêt augmentent aussi pour ce genre d’activités (sinon tous les fonds sont accaparés par les pouvoirs publics). Donc on aboutit au résultat exactement inverse à celui voulu par les politiques keynésiennes. Pour la bourgeoisie, il faut autre chose. La crise détruit beaucoup d’illusions quant à un compromis de classe entre travailleurs et patrons. Prétendre que les intérêts des ouvriers et ceux des capitalistes sont conciliables est de plus en plus intenable avec l’approfondissement de la récession. Car pour rétablir les profits, les patrons doivent exploiter davantage leur personnel. De cette façon, c’est le mythe réformiste, social-démocrate, qui a du plomb dans l’aile. De même, la crise a mis à mal l’illusion que les pays du tiers monde pouvaient se développer sous l’égide ou avec la coopération des Etats riches. L’exemple de la Corée du Sud montre qu’au contraire, dès qu’ils deviennent des concurrents réels, (parce que les capitalistes américains voulaient un développement au sud pour affronter la Corée du Nord), la bourgeoisie mondiale les force à redevenir dépendants (quand la ‘menace’ du socialisme est moins forte). Enfin, la crise a souligné qu’il y a bien une lutte à mort entre le capitalisme et le socialisme en tant que systèmes. L’illusion révisionniste de la coexistence pacifique entre les deux s’amenuise avec le rétablissement du capitalisme en URSS. La bourgeoisie mondiale a donc relancé son idéologie fondamentale, le libéralisme. Celle qui lui permet de justifier ses profits exorbitants. Celle qui argumente l’écart croissant de richesses entre pauvres et riches. Celle qui fait ouvrir les portes de toutes les régions aux plus grandes multinationales. Celle qui s’en tient strictement à la loi du marché. Et aux travailleurs et aux populations du monde, les capitalistes disent pour les empêcher de se révolter contre ce système inhumain : ‘‘Il n’y a rien à faire ; la mondialisation est inévitable ; la domination des marchés mondiaux est inévitable ; le progrès technique qui détruit les emplois est inévitable ; vous devez vous soumettre, parce que si vous ne le faites pas ce sera encore pire pour vous.’’ Et elle détruit toute forme collective de lutte, de sorte que les seules formes de résistance qu’elle tolère encore sont individuelles. On peut appeler cette idéologie ‘néo-libéralisme’. Mais il est clair qu’elle est une conséquence de la crise économique et non une caractéristique de celle-ci. Cela peut changer d’ailleurs très vite. La crise actuelle montre que les marchés laissés à eux-mêmes accélèrent le processus de blocage de l’accumulation, ce que redoutent le plus les capitalistes. En particulier, le déplacement très rapide des capitaux d’un pays à l’autre a entraîné la banqueroute de la Thaïlande, puis celle de l’Indonésie, suivie par la Corée du Sud et maintenant la Russie et le Brésil, même si cela n’explique pas fondamentalement la crise économique. Les apôtres du libéralisme pur et dur, comme l’économiste américain Jeffrey Sachs, propose la nationalisation des banques dans les pays en difficulté, comme au Japon. Et d’autres lui emboîtent le pas pour réclamer la réglementation des marchés, en particulier financiers. Serait-ce alors le début d’une nouvelle phase, celle du néo-keynésianisme ?

2.2. La chute du Mur de Berlin : Un deuxième élément objectif fondamental de l’époque actuelle est la restauration du capitalisme en URSS et dans les pays de l’Europe centrale, ainsi que l’avancée des idées bourgeoises en Chine et au Vietnam. Ce retournement condamne les illusions révisionnistes sur la coexistence pacifique et sur la fin de la lutte de classes sous le socialisme. Déjà, Lénine, en 1918, dénonçait cette croyance : ‘‘La transition du capitalisme au communisme, c’est toute une époque historique. Tant qu’elle n’est pas terminée, les exploiteurs gardent inéluctablement l’espoir d’une restauration, espoir qui se transforment en tentatives de restauration.’’ 29 Mais, à l’instigation de la bourgeoisie mondiale, cet événement est apparu pour beaucoup de travailleurs, pour bon nombre de pays du tiers monde, même pour les autres nations socialistes, comme la fin d’une perspective alternative. Cela a affecté la propagation du socialisme. Les capitalistes ont pu ronronner, après avoir raconté en long et en large les prétendus crimes du système communiste : le socialisme est impossible ; c’est un échec économique ; il n’y a plus qu’un seul système viable, le capitalisme, qui fonctionne même s’il n’est pas parfait. En réalité, ce n’est pas le socialisme qui a failli, mais le révisionnisme initié par Khrouchtchev. Cette théorie qui annonce la fin de la lutte de classes sous le socialisme est une révision du marxisme. Elle fait croire que capitalisme et socialisme peuvent vivre en coexistence pacifique et que le socialisme sort automatiquement vainqueur. L’Etat n’est plus un instrument de domination de classe. La bourgeoisie mondiale est vue comme une entité pourrissante à tel point qu’on la présente comme étant incapable d’agir pour combattre les grandes luttes ouvrières dans le monde et a fortiori en URSS. Avec une telle conception, on affaiblit la vigilance des travailleurs dans les pays socialistes et on permet à la bourgeoisie de se reconstituer dans le pays socialiste jusqu’à ce qu’elle reprenne effectivement le pouvoir. 30 Si, en même temps, il n’y a plus d’alternative et si les illusions sur la conciliation de classes ne tiennent plus la route, la bourgeoisie peut ressortir son idéologie de base, le libéralisme. C’est l’expression de son triomphe. C’est la manifestation de son arrogance qui voit dans la chute du Mur de Berlin la fin de l’histoire. Mais la crise économique actuelle qui se développe peut changer bien des choses. Elle annonce peut-être la fin de l’histoire capitaliste. L’heure, de toute façon, n’est plus à la suffisance. Car ce qu’a fait la bourgeoisie mondiale en Russie est une catastrophe. Depuis 1991, depuis qu’elle a pris le pouvoir, le PIB (produit intérieur brut) russe a chuté de 50% et certains experts parlent même de 83%. Le néo-libéralisme n’est donc plus aussi bienvenu. L’obligation d’avoir du profit, donc pour cela d’exploiter davantage les travailleurs et le tiers monde, est érigée en loi absolue.

2.3. L’internationalisation croissante de la production : Le troisième aspect objectif de la phase actuelle du capitalisme concerne ce que certains appellent abusivement la mondialisation. Car, de mondialisation, il n’est pas réellement question. Un économiste de l’organisation marxiste allemande KPD écrit : ‘‘Nous nous trouvons au milieu d’un processus de mondialisation, qui a commencé il y a 200 ans et qui n’en est, primo, qu’à ses débuts - et il ne peut en être autrement sur le plan historique. Secundo, il se réalise dans une société pas encore mûre, ‘préhistorique’, le capitalisme. La phase actuelle de tout ce processus ne peut être définie par un concept qui englobe le tout. Si nous devions quand même choisir une notion qui caractérise la sous-partie actuelle du processus, nous devrions, après un examen minutieux des données, l’appeler, non mondialisation, mais continentalisation. Mais ce concept est une étape intermédiaire dans le processus, comme au siècle dernier la constitution de marchés régionaux (l’Allemagne du Sud-Est, la France du Nord, le pays basque, etc.) l’était dans la formation des marchés nationaux et comme aujourd’hui ces marchés nationaux forment une étape vers la continentalisation.’’ 31

En réalité, il y a trois phénomènes nouveaux dans l’internationalisation.

Primo, les marchés financiers sont reliés entre eux. On peut dire que, sur ce plan, il y a mondialisation, bien qu’il n’y ait que les pays développés ou dits émergents qui ont un véritable marché financier. Aujourd’hui, il est possible de passer instantanément de la Bourse de Tokyo à celle de Londres pour finir à Wall Street, la Bourse de New York. De même, les places des autres pays riches, y compris celles des nations de l’Asie orientale ou des principaux pays d’Amérique latine comme le Brésil, l’Argentine ou le Mexique, sont en relation avec ces trois grands centres financiers mondiaux. Le capital se déplace ‘librement’ de l’une à l’autre. Si on peut situer le début de cette réalisation au cours des années 70, on peut aussi affirmer que c’est l’aboutissement du phénomène d’exportation des capitaux qui a commencé au XIXe siècle et qui définit en quelque sorte la phase de l’impérialisme, c’est-à-dire le stade monopoliste du capitalisme, celui où ce sont des entreprises géantes qui dominent le monde. ‘‘Ce qui caractérisait l’ancien capitalisme, où régnait la libre concurrence, écrit Lénine en 1916, c’était l’exportation des marchandises. Ce qui caractérise le capitalisme actuel, où règnent les monopoles, c’est l’exportation des capitaux.’’ 32  La mondialisation des marchés financiers est donc une conséquence de l’impérialisme. Mais, en même temps, elle détermine le capitalisme actuel. La finance forme de ce fait un des secteurs privilégiés, car elle attire une grande partie de l’épargne de la population. Avant 1970, celui qui disposait d’argent faisait construire une maison. Aujourd’hui, il le place sur les marchés financiers. Les capitalistes ont convaincu un certain nombre de leurs travailleurs d’investir en actions leur maigre épargne. Cette arrivée massive de fonds a dopé l’accumulation. La Bourse a progressivement remplacé les banques comme source principale de moyens d’investissement pour les entreprises. Celles-ci ont trouvé le financement de leur capital non plus principalement dans les établissements financiers mais sur les marchés boursiers alimentés par la spéculation de toute sorte. Cela a déterminé les exigences attendues des firmes : non seulement l’accumulation (à long terme) est importante, mais le bénéfice à court terme a une influence ; car, si les spéculateurs ne sont pas contents des résultats, ils vendent leurs titres, ce qui rend plus difficile le recours à une prochaine augmentation du capital pour l’entreprise en question. En 1916, Lénine décrivait déjà la situation de l’impérialisme comme telle : ‘‘Le propre du capitalisme est, en règle générale, de séparer la propriété du capital de son application à la production ; de séparer le capital-argent du capital industriel ou productif ; de séparer le rentier, qui ne vit que du revenu qu’il tire du capital-argent, de l’industriel, ainsi que de tous ceux qui participent directement à la gestion des capitaux. L’impérialisme, ou la domination du capital financier, est ce stade suprême du capitalisme où cette séparation atteint de vastes proportions. La suprématie du capital financier sur toutes les autres formes du capital signifie l’hégémonie du rentier et de l’oligarchie financière ; elle signifie une situation privilégiée pour un petit nombre d’Etats financièrement ‘puissants’, par rapport à tous les autres.’’ 33 La période actuelle est l’application stricte de ce que Lénine écrivait il y a plus de quatre-vingts ans : la domination de la logique financière dans le capitalisme ; l’hégémonie des formes du capital financier, les banques à l’époque de Lénine, les fonds de placement et de pension agissant en Bourse aujourd’hui (d’ailleurs souvent liés à des banques) ; la suprématie des marchés financiers mondiaux établis dans quelques Etats puissants (Wall Street aux Etats-Unis, Londres en Europe et Tokyo au Japon) qui dictent leurs conditions aux autres pays par l’intermédiaire du FMI ou de tout autre organisme international de gestion de la dette. L’obligation d’avoir du profit, donc pour cela, d’exploiter davantage les travailleurs et le tiers monde, est érigée en loi absolue.

Secundo, les technologies de l’information se sont fortement développées. Elles permettent à l’heure actuelle de faire circuler une information d’un point à l’autre du globe en un instant. De ce point de vue, il y a également mondialisation de l’information. Mais, comme pour les marchés financiers, cela ne concerne que les pays riches et les grandes villes des autres nations. Car, pour participer à cette internationalisation, il faut posséder les techniques élémentaires de la télécommunication mondiale. La mondialisation de l’information a trois effets. Premièrement, elle permet l’exportation instantanée des capitaux à l’échelle planétaire. C’est ce qui a rendu possible la mondialisation des marchés financiers et qui explique pourquoi celle-ci n’a été effective que dans les années 70 : elle a dû attendre la révolution micro-électronique à la base du développement des technologies de l’information. Deuxièmement, la mondialisation accélère la gestion internationale des entreprises. Cela commence par l’organisation d’une firme à l’étranger. La maison mère peut avoir un contrôle plus étroit sur ses filiales grâce au fait qu’elle peut recevoir des informations de celles-ci, en temps réel, à n’importe quel moment à sa demande. Mais cela peut passer dans la gestion de la production. La conception des produits et des outils de production peut être développée à un endroit, dans un centre de recherches spécialisé, et appliquée à un autre, dans un site de production. Ce qui permet de concentrer la production dans quelques usines et la recherche dans un centre mondial et donc de réduire le personnel. Troisièmement, la mondialisation de l’information permet aussi d’uniformiser les modes de vie au niveau mondial. C’est ce que le sous-commandant Marcos appelle la généralisation de l’American way of life.

Tertio, l’organisation de la production même se déroule à un niveau qui dépasse les frontières nationales. C’est une conséquence du développement des multinationales après la seconde guerre mondiale. Au départ, l’implantation d’usines à l’étranger servait à approvisionner le marché local. De plus en plus, avec la multiplication des filiales, il a été possible d’abord de les gérer comme un ensemble cohérent pour une région (l’Amérique du Nord, l’Europe, l’Asie du Sud-Est, l’Amérique du Sud). Dans l’automobile, dès 1967, Ford, à l’initiative sur ce plan, a créé un holding pour coordonner toutes ses activités en Europe. Il a été suivi en 1980 par son grand concurrent américain, General Motors. Ensuite, les multinationales ont décidé de spécialiser chacun de leurs sites. C’est de nouveau Ford qui, dans l’automobile, a commencé cette politique à la fin des années 80 : les usines de Valence et de Dagenham se concentrent sur la production de la Fiesta, celle de Genk reçoit en exclusivité la fabrication de la Mondeo, les sites allemands construisent les modèles plus sophistiqués. Enfin, il y a un échange permanent entre les différentes unités, car en amont de la filière de la production, on se spécialise aussi et on doit donc approvisionner plusieurs usines du même groupe. On appelle ces achats et ventes au sein d’un même groupe des échanges intra-firme. Des estimations sur les entreprises des trois grands pays industriels, les Etats-Unis, le Japon et l’Allemagne, ont permis de préciser que ce commerce intra-firme représente un tiers du commerce international. Cette organisation internationale permet la concentration de la production sur quelques sites à l’échelle d’un continent (Europe, Amérique du Nord, Asie de l’Est, etc.). Cette internationalisation rend effectivement l’intervention des Etats nationaux vis-à-vis des marchés financiers plus difficile sous le capitalisme, ne fût-ce que par le fait que les capitaux sont mobiles et que les spéculateurs sanctionnent immédiatement les politiques qui ne leur plaisent pas. De ce fait, cela renforce l’idéologie libérale, celle qui consiste à dire qu’en dehors du marché, point de salut. Mais, de nouveau, avec la crise financière, de plus en plus de voix s’élèvent au sein de la bourgeoisie pour demander la réglementation des flux de capitaux, non seulement au niveau international, mais aussi national.

2.4. Le néo-libéralisme, une idéologie, pas une phase : Il y a donc trois changements objectifs majeurs de la période actuelle : la crise économique, la restauration du capitalisme dans certains pays socialistes importants et l’internationalisation croissante. Ces trois phénomènes favorisent, comme nous l’avons vu, l’idéologie de la bourgeoisie, le libéralisme ou néo-libéralisme. Mais cela peut changer très vite avec l’aggravation de la crise. En aucun cas, on ne peut parler de nouveau stade du capitalisme, et certainement pas l’appeler phase néo-libérale. Car ce n’est pas le stade qui est en crise, mais le capitalisme. Cette confusion adroite est utilisée par les trotskistes pour justifier le système capitaliste lui-même et le réformisme. Dans leur programme, ils abordent la question des ondes longues. Une onde est une période de plusieurs dizaines d’années caractérisée par une évolution cyclique : d’abord une croissance, puis un retournement et une chute; ensuite, revient une phase de croissance et ainsi de suite. Il y a effectivement un caractère cyclique à long terme dans le capitalisme. Le capitalisme permet un développement des forces productives, comme aucun autre mode de production avant lui. Mais, à un moment donné, puisqu’il y a recherche du profit de la part des patrons, le processus d’accumulation se bloque. Il y a surproduction ou surcapacité. C’est la crise économique. Celle-ci se généralise. Les contradictions s’aiguisent. Les patrons veulent restaurer leur rentabilité en exploitant davantage encore leurs ouvriers. Ils veulent imposer au tiers monde des conditions de pillage des richesses qui leur sont encore plus favorables. Et ils se disputent entre eux les parts d’un gâteau qui a tendance à s’amenuiser. La crise prend un caractère directement ‘politique’. Car les capitalistes ne parviennent pas à la résoudre. Au contraire, leurs solutions approfondissent la récession, demandant de plus en plus aux travailleurs et aux populations du monde. Pour ceux-ci, il apparaît plus clairement que le problème vient du système lui-même. De ce fait, la crise économique structurelle est une partie de la crise générale du capitalisme, qui fait de celui-ci un mode de production condamné par l’histoire. La crise générale est définie comme suit : la phase du capitalisme où celui-ci se trouve dans de telles contradictions qu’il a de plus en plus de mal à subsister en tant que système, qu’il devient un obstacle au développement des forces productives au point qu’il est nécessaire de le remplacer par le socialisme. La Troisième Internationale caractérisait cette situation de la sorte : ‘‘Le système de l’impérialisme mondial et la stabilisation partielle du capitalisme sont donc minés de divers côtés : contradictions et conflits entre les puissances impérialistes ; multitude des peuples coloniaux soulevés pour la lutte ; prolétariat révolutionnaire des métropoles; dictature du prolétariat dans l’URSS détenant l’hégémonie en mouvement révolutionnaire mondial. La révolution mondiale est en marche.’’ 34 Dans la crise générale, les quatre grandes contradictions s’aiguisent: antagonisme entre système capitaliste et socialisme ; intérêts inconciliables entre patrons et ouvriers ; contradictions entre pays riches et populations du tiers monde ; luttes intenses entre impérialistes. Mais c’est sauter pour mieux plonger. Les contradictions entre puissances s’aiguisent pour conquérir le plus de colonies. De ces antagonismes naît la première guerre mondiale pour un repartage du monde. Ce conflit est une véritable boucherie pour les ouvriers et les paysans, entraînés sur le champ de bataille pour défendre les intérêts de leurs capitalistes.  A la fin de la guerre, les révoltes éclatent un peu partout. Elles manifestent le dégoût des masses pour ce capitalisme qui les a poussées à s’entre-tuer. En Russie, ces mouvements, dirigés par le Parti bolchevik, conduisent à la révolution. L’URSS naît. Staline écrit : ‘‘La crise générale du système capitaliste mondial a commencé pendant la Première Guerre mondiale, surtout du fait que l’Union soviétique s’est détachée du système capitaliste. Ce fut la première étape de la crise générale.’’ 35 À partir de 1929, la crise économique éclate dans les pays industrialisés. Elle se déclenche dans le pays riche le plus dynamique de l’époque, celui qui est devenu la première puissance de la planète, les Etats-Unis.

Le capitalisme présente de nouveau son incapacité à continuer le développement, à assurer le besoin des gens. Au contraire, il envoie dans la misère la plus noire des millions de travailleurs, comme conséquence du krach boursier. Dans certains pays comme l’Allemagne, l’Italie et le Japon, le processus d’accumulation est tellement bloqué, la crise politique est à ce point paralysante que la bourgeoisie locale opte pour le fascisme, c’est-à-dire la dictature ouverte vis-à-vis des ouvriers et l’expansion coloniale accélérée. Le fascisme représente le caractère le plus abject, le plus réactionnaire, le plus violent de la dictature de la bourgeoisie. Il aiguise encore davantage les contradictions du système. Cela débouche effectivement sur une nouvelle guerre mondiale, qui fait encore plus de victimes que la première. De cette confrontation internationale, sortent de nouveaux pays socialistes, la Chine, la Corée et le Vietnam en Asie, les pays de l’Est en Europe. A partir de 1873, le système capitaliste entre en récession dans la plupart des économies nationales européennes. Les patrons ne peuvent accumuler aussi vite que par le passé. Le processus de concurrence aboutit à la constitution de monopoles dans un certain nombre de secteurs et ceux-ci se trouvent ‘à l’étroit’ dans les frontières nationales. C’est surtout le cas pour les sociétés de chemins de fer, car la plupart des concessions ont été accordées et les nouvelles lignes ne concernent que des voies secondaires peu fréquentées. La solution préconisée par les capitalistes est l’expansion à l’extérieur du territoire d’origine. Les capitaux s’exportent sur une vaste échelle. Les colonisations recommencent, pénétrant en Afrique profonde, annexant la quasi-totalité de l’Asie. Les barons du rail peuvent construire des chemins ferroviaires dans ces contrées inexploitées, tout en revendant leurs sociétés nationales non rentables à leur Etat. Tout cela, ainsi que l’apparition de nouveaux secteurs comme l’automobile, la construction électrique, les télécommunications, permet une nouvelle croissance, dont le tiers monde fait les frais. Le capitalisme prend une dimension réellement mondiale, transformant partout les rapports sociaux pour en faire des relations capitalistes ou influencées directement par la recherche du profit et l’exploitation salariée. Cette modification du capitalisme en impérialisme tire les patrons hors de la crise économique à partir de 1895. Le déclenchement de la crise économique en 1973 amorce une nouvelle étape de la crise générale du capitalisme. Car il montre que le capitalisme s’avère incapable de développer les forces productives d’une façon continue et harmonieuse.

De nouveau, il appauvrit les travailleurs pour essayer de résoudre la crise. Il aboutit au fait que toutes les illusions sur les conciliations de classes n’ont rien empêché et que ce qui reste, c’est l’antagonisme structurel entre les intérêts de la bourgeoisie mondiale, d’une part, et ceux des travailleurs des différents pays. Il a certes réussi à casser le modèle soviétique. Cela a ralenti le processus de prise de conscience. Mais, d’un autre côté, il a accéléré l’internationalisation de l’économie, donc la propagation de la crise et des conditions de changement. La crise générale est mondiale. Le Parti Communiste d’Inde (People’s War) écrit à ce sujet : ‘‘La crise économique mondiale dispose de toutes les potentialités pour se transformer en troisième phase de la crise générale du capitalisme, c’est-à-dire en une crise révolutionnaire intense dans une partie considérable du camp impérialiste.’’ 36 Mais, jusqu’à présent, les phases étaient liées aux guerres mondiales. Aussi ajoute-t-il : ‘‘Une crise révolutionnaire de niveau mondial peut se produire non seulement à partir d’une guerre mondiale, amis aussi d’une grande crise économique et de l’effondrement et de la ruine, sur le plan financier, de quelques économies capitalistes majeures. Quelle que soit la cause, le critère important pour déterminer si une nouvelle phase de la crise générale du capitalisme a commencé ou pas, est de définir si oui ou non une crise révolutionnaire intense à l’échelle mondiale est apparue et si oui ou non il y a affaiblissement objectif des mécanismes de l’Etat dans les pays impérialistes majeurs.’’ 37 La crise économique n’est donc pas, comme le présentent les trotskistes, une phase dans une onde longue qui verrait, à moment donné, un retournement vers la croissance. Car, dans ces conditions, on défend la pérennité du système capitaliste et la crise n’est qu’une péripétie dans l’onde longue. La crise est, au contraire, la manifestation que le capitalisme ne sort pas de ses contradictions. Et son issue est complètement incertaine, car cela dépend de beaucoup d’éléments : la situation objective de la crise qui s’approfondit, d’une part, mais aussi de la prise de conscience subjective des travailleurs et de la population, de l’incapacité de la bourgeoisie mondiale de trouver une solution à la crise et de l’existence d’un parti communiste capable de transformer l’aspiration des masses en une révolution socialiste.

3. Confusion sur le caractère de l’Etat : La théorie du néo-libéralisme présente également une mauvaise interprétation de la nature de l’Etat. Selon celle-ci, l’Etat est davantage que l’organe qui sert à la domination de classe. Pour les trotskistes, il a aussi une fonction sociale, du moins dans les pays riches, puisqu’ils écrivent : ‘‘La crise affecte en effet la fonction redistributive des Etats, qui favorisait une certaine cohésion sociale.’’ 38 A la troisième conférence de Sao Paulo, qui regroupe une série d’organisations latino-américaines, le texte adopté précise : ‘‘L’Etat doit être un lieu de participation et de prise de décisions nationales, car il est obligé de jouer un rôle central de régulation et de promotion de l’égalité sociale, sans abandonner la direction de l’économie à la volonté du marché.’’ 39

3.1. La théorie de l’Etat selon Marx, Engels et Lénine : ‘‘L’Etat, écrit Engels dans son ouvrage consacré à l’origine de la famille, de la propriété privée et de l’Etat, est bien plutôt un produit de la société à un stade déterminé de son développement ; il est l’aveu que cette société s’empêtre dans une insoluble contradiction avec elle-même, s’étant scindée en oppositions inconciliables qu’elle est impuissante à conjurer. Mais pour que les antagonistes, les classes aux intérêts économiques opposés, ne se consument pas, elles et la société, en lutte stérile, le besoin s’impose d’un pouvoir qui, placé en apparence au-dessus de la société, doit estomper le conflit, le maintenir dans les limites de l’ordre ; et ce pouvoir, né de la société, mais qui se place au-dessus d’elle et lui devient de plus en plus étranger, c’est l’Etat.’’ 40 Que dit Engels ? Primo, l’Etat est un produit de la lutte de classes. Il est là pour assurer la domination de la classe dominante sur les autres classes. Donc tout Etat est un Etat de classe. Secundo, il est une manifestation du caractère inconciliable des intérêts de classes. Il ne peut donc être un lieu de participation démocratique. Car il organise d’abord la répression des classes exploitées par la classe dominante, ensuite la démocratie au sein de cette dernière. Tertio, le pouvoir de l’Etat se place au-dessus de la société. Installé par la violence et par aucun autre moyen, l’Etat s’arroge le droit d’imposer les lois que la classe dominante édicte. Quarto, sa mission première est d’estomper le conflit entre classes. Ce que Lénine précise en affirmant qu’il s’agit de ‘‘retirer certains moyens et procédés de combat aux classes opprimées en lutte pour le renversement des oppresseurs.’’ 41 En d’autres termes, le but de l’Etat est d’empêcher que la classe exploitée puisse arriver à remettre en cause son pouvoir. Il y parvient par les moyens suivants: faire obstacle à la prise de conscience, entraver l’organisation des travailleurs et évidemment réprimer toute velléité de contestation. Quinto, l’appareil de l’Etat ne se recrute pas seulement dans la classe dominante, mais dans toutes les classes. C’est ce qui rend son caractère ‘étranger’, c’est-à-dire qui apparaît comme non lié à une classe, au-dessus de la mêlée. Si la machine étatique était issue seulement de la classe dominante, il serait aisé aux travailleurs de la renverser, puisque celle-ci forme la minorité dans le capitalisme. D’abord, son lien direct avec la bourgeoisie serait plus évident. Ensuite, son corps armé, qui forme le dernier rempart à son pouvoir, serait beaucoup plus petit que ce qu’il n’est aujourd’hui. Sexto, ce caractère étranger confère aux fonctionnaires un pouvoir qui ne vient pas de la société, mais de la classe dominante. Le chef de la police a de l’autorité et un corps pour la faire respecter, mais il ne suscite guère le respect.

3.2. L’origine de l’Etat ‘‘redistributeur’’ : Quand on considère la politique des Etats capitalistes en Europe sous l’égide des Etats-Unis depuis la deuxième guerre mondiale, on peut voir l’application de ces principes. A ce moment, les bourgeoisies européennes sont ébranlées. Une partie d’entre elles a collaboré avec les nazis, une autre a fui. Le socialisme a acquis une grande popularité, car ce sont les résistants communistes qui ont mené les combats les plus importants dans les pays occupés et c’est l’URSS qui a porté la plupart des coups décisifs contre Hitler. Washington tente de replacer des gouvernements pro-capitalistes partout en Europe. Son but est réinstaurer la domination de la bourgeoisie locale. Comme les partis communistes ont accepté cette situation en Europe occidentale, les hommes politiques ont pu revenir et reprendre le pouvoir. L’Etat capitaliste a été reconstruit. Là où ils ont refusé, un autre type d’Etat est apparu, un Etat socialiste comme en Albanie. En Grèce, l’opposition des communistes à l’arrivée des troupes britanniques a débouché sur une guerre civile remportée par les Anglais. L’Etat est donc bien le produit d’une lutte de classes. Les bourgeoisies locales intègrent des ministres communistes dans leur gouvernement. Elles ont compris que c’était le meilleur moyen de récupérer leur autorité. Ce qu’elles exigent : que les armes soient rendues à l’armée officielle. En contrepartie, elles accordent la Sécurité sociale et relancent l’économie, assurant un revenu aux travailleurs. Elles ‘modèrent le conflit’ : elles empêchent la prise de conscience et elles enlèvent aux classes opprimées l’outil le précieux pour exercer le pouvoir ou pour contester celui de la bourgeoisie, à savoir les armes. Quand elles n’ont plus besoin des communistes, elles les jettent hors du gouvernement. Car Washington a bientôt une autre stratégie. Il faut encercler l’URSS et ses alliés. Il faut propager l’anticommunisme. C’est alors la chasse aux sorcières. Dans les syndicats, les communistes sont chassés aussi bien aux Etats-Unis qu’au Japon. En Europe, la bourgeoisie crée des syndicats alternatifs en France et en Italie. Modérer le conflit, c’est alors éliminer la force qui, à l’intérieur, peut le mieux organiser les travailleurs, les communistes et, à l’extérieur, c’est présenter une alternative capitaliste stable à l’URSS. Le gouvernement américain favorise la création d’une Europe unifiée sur base du libre échange.

C’est dans ce cadre que se développe ce qu’on a appelé l’Etat-providence et auquel les tenants de la théorie du néo-libéralisme se rallient, opposant le capitalisme civilisé, régulé, à celui ‘sauvage’ de la mondialisation. Dans la plupart des pays, il y a eu des accords entre patronat et syndicats pour élever la productivité, tout en haussant les salaires et en accordant des avantages sociaux comme la Sécurité sociale. Pour les patrons, ces pactes ont permis le retour de la croissance de l’accumulation, en évitant le plus possible les conflits sociaux.

Le rôle de l’Etat s’est accru en prenant en charge ces dépenses sociales, mais en développant davantage les infrastructures, en assurant certains services à la population, en élargissant les tâches d’enseignement, de santé, en reprenant les activités non rentables pour le privé, en s’occupant des secteurs stratégiques pour l’ensemble de l’économie nationale. Ces tâches servaient le processus d’accumulation des capitalistes à l’époque et c’est pour cette raison que l’appareil de l’Etat s’est accru. Cela ne change rien au caractère ‘étranger’ de cette machine ni à son utilisation au service de la classe capitaliste. Aujourd’hui, ces fonctions ne sont plus nécessaires, du moins pas de la même manière. 42 D’abord, entretenir un tel appareil d’Etat implique un endettement trop cher, à la longue, pour la bourgeoisie. Elle veut donc le réduire. De plus, avec le chômage et l’internationalisation, il y a surabondance de main-d’œuvre. Les patrons peuvent choisir où ils investissent et font jouer la concurrence entre travailleurs pour obtenir les meilleures conditions. A cela s’ajoute la chute du socialisme (en réalité du révisionnisme) dans les pays de l’Est qui enlève dans la classe ouvrière la croyance dans une alternative. Enfin, les capitalistes cherchent de nouvelles perspectives de profit et certains secteurs publics, avec les changements technologiques, peuvent en offrir. D’où, durant la période actuelle, la bourgeoisie mondiale prône la réduction des dépenses sociales et une modification du rôle économique des pouvoirs publics. Ceux-ci ne doivent plus s’occuper que de ce qui est indispensable pour que l’économie fonctionne. Dans cette optique, les entreprises publiques doivent, au minimum, être gérées comme des firmes privées. C’est pourquoi elles ne reçoivent plus que des enveloppes fixes, avec comme but final de supprimer celles-ci, de telle sorte que les services publics s’autofinancent. C’est pourquoi de plus en plus, elles font payer le coût exact des services rendus aux clients, indépendamment de leurs revenus. C’est pourquoi - aboutissement logique de cette politique - les secteurs qui peuvent l’être sont cédés au privé.

Dans toutes les périodes du capitalisme, les patrons fixent la fonction et les tâches de l’Etat bourgeois. De 1950 à 1980, ils veulent des pouvoirs publics actifs pour réguler l’économie nationale. Après 1980, ils imposent une réduction de ce rôle au profit des marchés. Mais cela ne change rien à la nature de l’Etat. Celui-ci est toujours l’instrument de domination de classe de la bourgeoisie. L’Etat ne disparaît pas. Au contraire, dans ses tâches de répression, il prend de plus en plus d’importance, avec les mesures pour accroître les forces policières. Si l’on se place sur le plan de savoir qui dicte les orientations des pouvoirs publics et pour qui travaille la machine d’Etat, il n’y a aucun changement. En 1953, le président de General Motors devenu ministre de la Défense, Charles Wilson, répondit à quelqu’un qui lui demandait s’il ne pouvait pas y avoir de conflit entre ses deux postes : ‘‘Je ne peux le concevoir. Pendant des années, j’ai pensé que ce qui était bon pour notre pays était bon pour General Motors et vice versa. La différence n’existait pas. Notre entreprise est trop importante. Elle croît en même temps que la prospérité du pays.’’ 43 Aujourd’hui, on assiste au même phénomène. Si les Etats-Unis ont des difficultés commerciales avec le Japon, en particulier dans l’automobile, le président Bush fait un voyage en 1991 dans l’archipel, emmenant dans ses valises les trois présidents des trois grands constructeurs américains, General Motors, Ford et Chrysler. Si l’on se place au niveau de ses tâches, l’Etat définit toujours l’orientation générale pour les capitalistes. Il défend leur intérêt collectif fondamental et pas seulement leurs intérêts spécifiques. S’il y a une divergence entre les deux, il privilégiera le premier, parce que son rôle est justement d’empêcher une remise en question du système. C’est pourquoi il peut prendre des mesures à l’encontre des patrons particuliers, comme par exemple l’éclatement du monopole de Microsoft (pour autant que le procès aboutisse). Une telle situation porte préjudice soit aux autres capitalistes, soit à la pérennité du système lui-même. Auparavant comme aujourd’hui, le rôle de l’Etat est donc d’assurer la continuité du capitalisme.

3.3. La théorie de l’Etat dénaturée : La théorie du néo-libéralisme aboutit à plusieurs conclusions contraires à cette analyse de l’Etat.

Primo, elle veut faire croire qu’il en faut revenir à une autre politique et que l’Etat peut être un moteur de ce retour. Il y a donc une autre stratégie possible. La théorie du néo-libéralisme est donc fondamentalement réformiste, car elle prône finalement le retour de la réglementation, de l’Etat-providence, des politiques keynésiennes face à la déréglementation, à l’Etat libéral, aux politiques de laisser-faire. Il est intéressant de noter que le terme de phase néo-libérale tend à protéger la social-démocratie, car il met l’accent sur l’offensive de ‘droite’ de la bourgeoisie. On propose ainsi de revenir à une politique de ‘gauche’, tout en restant dans le capitalisme, une solution préconisée par les partis socialistes des pays européens ou, de manière plus offensive aujourd’hui, par les partis écologistes. Parce que cette ‘politique de gauche’ de défense des pouvoirs publics serait meilleure que celle de droite qui veut les démanteler. On oublie que ces orientations sont définies par la bourgeoisie mondiale, qu’elles soient de ‘gauche’ ou de ‘droite’, et que pour en finir avec les privatisations il faut changer de système, il faut renverser le capitalisme, donc prendre le pouvoir d’Etat et supprimer l’appareil public existant.

Secundo, cette politique peut être réalisée, selon les tenants de la théorie du néo-libéralisme, en obligeant l’Etat, présenté comme neutre, de tenir compte du mouvement populaire. C’est ce que développe, par exemple, Riccardo Petrella : ‘‘L’Etat, en tant que promoteur et garant des intérêts de la population, est intervenu dans cette évolution (du capitalisme sauvage du XIXe siècle - note de la rédaction) en freinant les excès dont s’était rendu coupable le capitalisme compétitif national.’’ 44 Et l’ancien fonctionnaire européen de proposer de créer une nouvelle structure à l’échelon mondial pour faire ce que l’Etat a réalisé à partir de la fin du XIXe siècle : réguler le capitalisme compétitif mondial. Sans voir que l’Etat sert directement les intérêts des patrons et qu’il ne sort jamais de la logique capitaliste.

Tertio, la théorie du néo-libéralisme crée l’illusion d’un Etat indépendant des grands monopoles et des multinationales, elle fait croire que cet Etat est possible. Pourtant, les Etats et leurs fonctionnaires supérieures participent activement à l’élaboration des stratégies capitalistes contre les travailleurs et les populations du monde. Le personnel du sommet de l’appareil public est d’ailleurs souvent interchangeable avec celui des grandes firmes, comme le montre l’exemple de ce président de General Motors qui devient ministre de la Défense aux Etats-Unis. Mais il y a d’autres cas célèbres. Ainsi, ce commissaire européen à l’industrie, Etienne Davignon, qui devient président de la Société Générale de Belgique. C’est lui qui soumet un projet de création d’un marché unique européen au début des années 80, un texte qui sera à l’origine de la création de la Table ronde des industriels européens où siègent 45 des plus grands patrons du vieux continent. Cette Table ronde participe à plusieurs organismes dans lesquels se côtoient aussi bien des représentants patronaux que des hauts fonctionnaires européens, à tel point qu’il est parfois difficile de les distinguer. Il y a fusion entre les dirigeants des grandes entreprises et ceux de la machine étatique. Et le garant de ce pouvoir capitaliste est et reste l’Etat bourgeois.

Quarto, sous un langage de gauche, les tenants de cette théorie rejettent, passent sous silence, estompent ce qui est inacceptable pour la bourgeoisie, à savoir la prise du pouvoir d’Etat par la violence révolutionnaire. On ne peut pas ‘conquérir’ le pouvoir des multinationales sans s’attaquer à celui des Etats, sans renverser l’Etat bourgeois et le briser. Si les grands groupes capitalistes ne peuvent se satisfaire des Etats actuels car trop ‘nationaux’, ils en créeront éventuellement d’autres plus larges à un échelon plus élevé. Car ils ont besoin de toute façon d’un tel instrument pour gérer les conflits de classe. Et les classes laborieuses ont besoin de s'emparer de ce pouvoir pour supprimer leur oppression. La conquête du pouvoir d’Etat est, pour les travailleurs, le seul moyen de s’approprier la structure économique. C’est le seul instrument qui pourra exproprier les patrons de leur premier outil de contrainte, la possession du capital. Ce caractère réformiste de la théorie explique pourquoi les trotskistes s’en sont emparés et l’ont reprise à leur sauce. Ils veulent détourner les progressistes de leurs tâches révolutionnaires et installer la confusion dans leur esprit. Le passage suivant, issu de leur congrès, est très intéressant pour montrer qu’ils laissent filtrer leurs conceptions de défendre le capitalisme. Ils écrivent : ‘‘Le corollaire de cette analyse est la légitimité restreinte de ce mode de fonctionnement du capitalisme.’’ Donc le capitalisme a une légitimité. Ils poursuivent : ‘‘Sans idéaliser rétrospectivement ses performances, la force du mode de production capitaliste a été au cours des années d’expansion de savoir traiter les besoins et les aspirations conformément à sa propre logique. Il a pu assurer une croissance très soutenue, tout en en répartissant les fruits en termes de gains de pouvoir d’achat de manière relativement égalitaire et en tout cas assez largement diffusée pour donner au système l’argument de l’efficacité.’’ 45 Qu’est-ce ceci, sinon une sorte d’apologie du capitalisme des années d’expansion, celui de 1950 à 1973, qui assurerait le développement des forces productives, permettrait une redistribution de la richesse et dont la clé de l’efficacité serait ce partage des gains de productivité ? Si ce n’est pas un appel à retourner à cette époque ou quelque chose de semblable, qu’est-ce d’autre ? C’est oublier les conditions difficiles dans lesquelles se trouvaient les travailleurs et les peuples du monde, par exemple avec la guerre en Corée et au Vietnam, le massacre d’un million de personnes en Indonésie en 1965, la lutte de libération anti-coloniale en Algérie, les nombreux coups d’Etat et guerres dans le tiers monde, le maintien à bas prix des matières premières, dont le pétrole, freinant le développement des pays pauvres, les grèves contre les conditions de travail et contre l’abrutissement de la chaîne de montage, etc. C’est détourner les progressistes de leurs tâches de prendre le pouvoir d’Etat et de bâtir une société socialiste. Dans le passé, les trotskistes ont violemment attaqué les pays où la machine d’Etat capitaliste a été renversée et où le socialisme a été instauré sous la direction d’un parti communiste. Rien n’a changé aujourd’hui. Les trotskistes cultivent d’ailleurs la confusion la plus complète. Ils écrivent en effet : ‘‘Les revendications transitoires constituent un pont entre les revendications immédiates répondant aux besoins urgents et la conquête du pouvoir. Mais ces ponts et passerelles sont aujourd’hui bien fragiles. Où se trouve le pouvoir ? Encore concentré dans les appareils d’Etat réellement existant, mais déjà aussi délégué aux institutions régionales et internationales.’’ 46 Cette position ne peut que mener à l’ambiguïté.

C’est d’ailleurs le cas dans les rangs trotskistes même : ‘‘Des camarades ont semblé choqués de la question soulevée dans le rapport : où est le pouvoir ? On peut répondre en effet simplement que la lutte des classes commence encore, comme l’ont dit les classiques, de Marx à Trotski, sur l’arène nationale et que son horizon stratégique demeure d’abord la conquête du pouvoir politique à cette échelle nationale. Ce n’est pas encore faux, mais ce n’est plus tout à fait vrai.’’ 47 Mais, d’un autre côté, ils affirment : ‘‘L’idée d’un espace politique, économique, territorial homogène au niveau de l’Etat-nation est condamné par la mondialisation, et rien ne prouve qu’un tel espace se reconstituera à l’échelon supérieur (régional).’’ 48 Présenter une thèse et son contraire semble la manière dont les trotskistes essaient d’avancer leur réformisme, tout en faisant croire qu’ils se réfèrent au marxisme.

4. Les conditions objectives sont mûres pour le socialisme : La confusion suscitée par les forces progressistes par la chute du Mur de Berlin cache un phénomène fondamental : le monde n’a jamais été aussi proche de conditions objectives pour passer au socialisme.

Objectivement, les contradictions internes au capitalisme s’aiguisent de plus en plus. Il y a d’abord les antagonismes de classes qui deviennent plus explicites. Les patrons doivent restaurer leurs profits sur le dos des ouvriers, et donc les exploiter davantage. Il y a les contradictions entre la bourgeoisie mondiale et les populations opprimées du monde. Les capitalistes tentent d’augmenter le pillage des ressources de toute nature dans le tiers monde, en imposant une domination sans partage sous l’égide d’institutions comme le FMI. Les révoltes en Indonésie, les luttes ouvrières en Corée du Sud montrent la résistance des travailleurs contre cette hégémonie et la réfutation concrète que la mondialisation capitaliste n’est pas une fatalité. Les conflits entre capitalistes eux-mêmes s’accroissent. Comme le gâteau s’amenuise, la bataille pour les parts s’amplifie. Les Etats-Unis, qui ont un déficit commercial énorme vis-à-vis du Japon, somment celui-ci de s’ouvrir aux importations américaines. De même, le Japon et l’Europe veulent jouer un rôle plus grand dans les institutions internationales, dominées jusqu’ici par Washington. L’aiguisement de toutes ces contradictions montre que le capitalisme ne s’en sort pas, qu’il n’offre plus d’avenir aux populations de ce monde. Le risque est grand qu’il entraîne la planète dans une troisième guerre mondiale, plus dévastatrice encore que les deux précédentes.

Objectivement, la crise économique s’approfondit. La faillite du développement capitaliste est particulièrement marquée là où il a été chanté jusqu’il y a peu comme modèle : au Japon, en Corée du Sud et plus généralement en Asie de l’Est. Si la vitrine flambe, qui peut croire que l’arrière du magasin ne sera pas atteint ? Le krach boursier qui a débuté en Asie a déjà atteint la Russie. Il sévit en Amérique latine et s’attaque aux Etats-Unis. De là, il peut embraser toute la planète et mettre celle-ci en état de crise totale, avec fermetures d’entreprises, chômage et misère généralisée. La crise montre l’inefficacité du système. En 1989, tous les gouvernements et les médias du monde capitaliste ont célébré le mauvais fonctionnement du socialisme en URSS et dans les pays de l’Est. Ce qui est faux. 49 Depuis lors, ils ont prouvé dans ces nations qu’ils étaient capables d’être encore plus mauvais, puisque, par exemple, le PIB de la Russie a chuté de plus de la moitié depuis 1991. Mais, aujourd’hui, ils vont plus loin, envoyant la planète entière dans les affres de la pauvreté et du chaos.

Objectivement, le développement technologique a atteint un tel point qu’il pourrait plus que jamais fonder une économie socialiste. On est parvenu au stade où il serait possible d’assurer tous les besoins fondamentaux de la population mondiale : alimentation, logement, transport, etc. Mais cela n’est pas réalisé, car pour les capitalistes seul compte le pouvoir d’achat. Et c’est pour cela que plus d’un milliard de gens sont officiellement en état de famine. C’est pour cela que deux milliards ne disposent pas d’eau potable. Sans compter les soins de santé élémentaires qui ne sont pas assurés. De même, on pourrait, grâce aux nouvelles techniques, se passer du marché. Les biens pourraient être choisis par les consommateurs à partir d’un ordinateur personnel. Puis, grâce aux réseaux internationaux de télécommunications les ordres seraient transmis directement à l’usine de production. Les produits pourraient même être livrés à domicile à l’heure convenue par le client. Pourtant, la bourgeoisie ne connaît plus qu’un seul terme : le marché et l’adéquation au marché, celui-là même qui enrichit les uns et appauvrit les autres, celui-là qui rend les travailleurs fous dans les usines parce qu’il faut produire toujours plus avec moins de travailleurs.

Objectivement, les autres idéologies ont montré leur faillite. Le réformisme a présenté ses limites, lorsqu’il ne peut plus créer l’illusion que les ouvriers doivent recevoir des miettes lorsque leur patron gagne davantage. Le tiers-mondisme a manifesté ses faiblesses lorsqu’il a simplement exigé au sein de l’actuel partage de la planète une distribution plus juste pour les pays pauvres, alors qu’augmente la ponction des nations riches sur la production de richesses dans le tiers monde. Le révisionnisme a conduit à la restauration ouverte du capitalisme. Le fascisme a entraîné le monde dans la guerre la plus épouvantable que le globe ait connu jusqu’à présent. Le libéralisme, nouveau ou non, provoque des écarts de revenus et de fortune de plus en plus importants et accélère le déclenchement de la prochaine récession. Souligner le caractère favorable de ces conditions objectives, ne veut pas dire sous-estimer les difficultés. Car subjectivement les travailleurs sont toujours soumis à une grande pression de la part des capitalistes. Ils confondent souvent la faillite du révisionnisme en URSS avec celle du communisme. Ils ne voient guère d’alternative et un certain nombre d’entre eux tombe dans le fatalisme et le défaitisme. Il n’est pas impossible qu’ils trouvent une certaine sympathie dans des théories réformistes formulées d’une façon nouvelle, comme celles avancées par les écologistes. On peut penser aussi que les capitalistes tenteront d’imposer des solutions fascistes, en les présentant d’une autre manière. Même si cela favorise une nouvelle guerre mondiale. La tâche d’un parti communiste est de transformer les conditions objectives en situation avantageuse, y compris subjectivement. Mais, pour cela, il faut rester fidèle au marxisme-léninisme et ce n’est pas en reprenant les thèses sur le néo-libéralisme qu’on le restera.

Notes : 1 - PNUD, Rapport mondial sur le développement humain 1998, p.33. 2 - Voir articles dans ce numéro. 3 - XIVe Congrès mondial de la Quatrième Internationale, Inprecor, février 1996, p.6. 4 - Groupe de Lisbonne, Limites à la compétitivité, Editions Labor, Bruxelles, 1995, p.61. 5 - Inprecor, op. cit., p.7. 6 - Le Monde diplomatique, août 1997. 7 - Le Monde diplomatique, août 1997. 8 - Inprecor, op. cit., p.7. 9 - Inprecor, op. cit., p.17. 10 - Inprecor, op. cit., p.13. 11 - Le Monde diplomatique, août 1997. 12 - Inprecor, op. cit., p.14. 13 - Le Monde diplomatique, août 1997. 14 - Inprecor, op. cit., p.7. 15 - Groupe de Lisbonne, op. cit., p.35. 16 - Luis Fernandes, ´Os fundamentos da ofensiva neoliberal', Intervençao especial na conferencia sobre o programa socialista do PC do B, Brasilia, agosto de 1995, p.1. 17 - Luis Fernandes, op. cit., p.6. 18 - Polis veut dire cité en grec. Dans la Grèce antique, la cité était l’Etat : Athènes, Sparte, etc. C’est de là que dérive tous les mots français dérivés de poli-: c’est la science du gouvernement de la cité (donc de l’Etat). 19 - Le Monde diplomatique, août 1997. 20 - Inprecor, op. cit., p.5. 21 - Cela dépend de secteur à secteur. Mais, en général, une utilisation des capacités à 90% ou plus reflète les variations saisonnières. Une utilisation inférieure montre un blocage du processus d’accumulation. 22 - Nous prenons les chiffres en dollars, car les données officielles sont exprimées dans cette devise. Le dollar a fortement fluctué par rapport au franc belge. En 1985, il valait près de 70 francs belges. Puis il a chuté pour se rapprocher de 30 francs au début des années 90. Depuis 1996, il est proche de 37 francs pour tomber à 33 francs en octobre 1998. 23 - C’est une perte nette. Cela veut dire que peut-être davantage de travailleurs en ont perdu, mais que ces firmes ont racheté d’autres entités et ont donc augmenté de cette façon le nombre de leur personnel. 24 - Calculs effectués sur base des TOP 500 mondiaux établis les différentes années par Fortune, en éliminant les sociétés financières et de services. 25 - Ce sont des prêts que les banques ont accordé, mais dont il y a peu de chances qu’elles voient un jour le remboursement à cause de la faillite de l’emprunteur, souvent un spéculateur. 26 - Calcul établi à partir des chiffres donnés dans Angus Maddison, L’économie mondiale 1820-1992, OCDE, 1995, p.203. 27 - Le Monde diplomatique, août 1997. 28 - Il y a des forums, comme ceux de Davos qui se déroulent début février de chaque année, où les capitalistes de tous pays et de tous secteurs (hommes de presse, politiciens, hommes d’affaires, idéologues) discutent ‘démocratiquement’ des grands problèmes et de la manière de les résoudre en faveur de la bourgeoisie. Il y a aussi bon nombre d’organismes de lobbying et d’autres, comme la Table ronde des industriels européens, dont le rôle est de définir la position commune des patrons et de dicter celle-ci aux gouvernants. (Voir article sur l’AMI) 29 - Lénine, La révolution prolétarienne et le renégat Kautsky, dans Œuvres complètes, Tome 28, p.263. 30 - Pour une explication plus détaillée voir Ludo Martens, L’URSS et la contre-révolution de velours, Editions EPO, Bruxelles, 1991, et Ludo Martens, ´La voie de la révolution mondiale au XXIe siècle' dans Etudes marxistes n°39, septembre-octobre 1997. 31 - Offensiv, mai 1998, p.14. 32 - Lénine, L’impérialisme, stade suprême du capitalisme, dans Œuvres complètes, Tome 22, p.260. 33 - Lénine, L’impérialisme, stade suprême du capitalisme, dans Œuvres complètes, Tome 22, p.258. 34 - Programme de l’Internationale communiste, adopté par le Ve Congrès mondial le 1er septembre 1928 à Moscou, Etudes marxistes n°40, novembre-décembre 1997, p.36. 35 - Staline, Les problèmes économiques du socialisme en URSS, Editions en langues étrangères, Beijing, 1974, p.59. 36 - Parti Communiste d’Inde (marxiste-léniniste) - People’s War, Crise générale du capitalisme, dans Etudes Marxistes, n° 36, mars-avril 1997, p.28. 37 - Parti Communiste d’Inde (marxiste-léniniste) - People’s War, op. cit., p.29. 38 - Inprecor, op. cit., p.14. 39 - Inprecor, n°358, 11 au 24 septembre 1992, p.24. 40 - Friedrich Engels, L’Origine de la famille, de la propriété privée et de l’Etat, Editions sociales, Paris, 1975, p.178. 41 - Lénine, L’Etat et la révolution, dans Œuvres complètes, Tome 25, p.419. 42 - Voir à ce sujet Gérard de Sélys, Privé de public, Editions EPO, Bruxelles, 1996, p.17-22. 43 - Sénat américain, Comité des services armés, Audition de confirmation de Charles Wilson comme secrétaire à la Défense, 18 février 1953, cité dans Robert Reich, The Work of Nations, Vintage Books, 1992, p.48. 44 - Groupe de Lisbonne, op. cit., p.25. 45 - Inprecor, op. cit., p.9. 46 - Inprecor, op. cit., p.17. 47 - Inprecor, op. cit., p.19. 48 - Inprecor, op. cit., p.17. 49 - Voir l’article sur le livre de Bairoch dans ce numéro.  

 

Toni Negri et la « mondialisation » : Quand l'imbécile sort de l'ombre, il ne montre que les ténèbres

(Source : "Le Prolétaire")

La dite « mondialisation » de l'économie capitaliste et tout ce qui en découle au niveau de l'organisation politique, économique et militaire de la bourgeoisie, fait l'objet d'un vaste mouvement alternatif d'opposition dans lequel se retrouvent à la fois tous ceux qui subissent sur le plan économique et social les conséquences de cette course à la centralisation capitaliste et tous leurs représentants qui se sentent floués politiquement par l'obsolescence de leurs vieilles thèses sur la démocratie nationale et qui doivent leur redonner un nouveau lustre. Cette opposition démocratique est menée sur un front interclassiste, et la classe ouvrière est entraînée dans cette voie par ses organisations réformistes et opportunistes syndicales et politiques. Dans tout mouvement interclassiste, il y a toujours des théoriciens, et les anti-mondialistes n'en manquent pas. Les groupes politiques ou les intellectuels se font ainsi valoir socialement grâce à leur « découverte » de l'ouverture d'une nouvelle ère du développement capitaliste et des nouvelles perspectives « de lutte et d'action » qu'elle ouvrirait. L'anti-mondialisme est un vrai salon Lépine en matière d'imagination politique petite-bourgeoise. Parmi tous ceux qui auscultent le système capitaliste du haut leur infaillible science du renouveau politique, Toni Negri, ex-dirigeant de «Potere Operaio» et ex-chantre de la lutte armée excitatoire contre l'État bourgeois, se place aux premières loges. Co-auteur avec Michael Hardt d'un livre, « L'Empire », sur le capitalisme mondialiste d'aujourd'hui, il est un des porte-parole de ces nouvelles théories petite-bourgeoises sur le développement capitaliste et ses conséquences politiques pour le prolétariat et les masses exploitées. Nous ne nous baserons pas notre critique sur ce livre, mais sur un article qu'il a fait paraître dans « Le Monde Diplomatique » de janvier 2001 et qui a l'avantage de refléter de manière synthétique les positions modernisatrices du professeur Negri et d'être facilement accessible aux lecteurs (toutes les citations ci-après sont tirées de là).

Ce qu'enseigne le professeur Negri

Dans son article, le professeur Negri fait d'abord un double constat ; premièrement : « (...) il n'y a pas de marché global (à la manière dont on en parle depuis la chute du mur de Berlin, c'est-à-dire non seulement comme paradigme macro-économique mais comme catégorie politique) sans forme d'ordonnancement juridique, et cet ordre juridique ne peut exister sans un pouvoir qui en garantisse l'efficacité ; et deuxièmement : « l'ordre juridique du marché global (que nous appelons « impérial ») ne désigne pas simplement une nouvelle figure du pouvoir suprême qu'il tend à organiser : il enregistre aussi des puissances de vie et d'insubordination, de production et de lutte de classes qui sont nouvelles. » Le professeur ne cache d'ailleurs pas que son objectif est de lancer sur le marché de la théorie une nouvelle mouture politique élaborée selon une « approche marxienne », en fait une énième tentative encore plus vile de modernisation du marxisme :
« Le moment, dit-il, est donc venu d'ouvrir une véritable discussion et de vérifier de manière expérimentale les concepts que nous proposons, afin de renouveler la science politique et juridique à partir de la nouvelle organisation du pouvoir global. »

Mais qui va être le sujet des expériences du professeur Negri, sinon le prolétariat ? Qui va donc assumer l'échec programmé de ces expériences, sinon toujours le prolétariat ? Mais qui tirera les bénéfices ce cet échec, sinon la bourgeoise et le professeur Negri qui y trouvera l'occasion d'échafauder encore de nouvelles théories ! La pensée du professeur Negri peut être résumée par trois postulats : a) Le marché capitaliste est arrivé à un stade dit « global » et il entre dans une dimension inconnue jusqu'à présent ; b) Cette dimension capitalistique engendre de nouvelles formes d'organisation politique et économique du capitalisme et de la bourgeoisie, classe qui en représente toujours les intérêts ; c) Cette nouvelle donne rend nécessaire de nouvelles alternatives de luttes, de nouveaux objectifs politiques et de nouvelles formes d'organisation pour la classe des prolétaires et les masses exploitées du monde.

Le marché global et le pouvoir suprême du capital

Commençons d'abord par cette idée que le capitalisme a atteint une dimension nouvelle, qui transfigure sa nature même et déplace ses centres du pouvoir dans un centre unique : le « pouvoir suprême » ou « impérial ». Loin de nous l'idée que le capitalisme ne s'est pas démesurément dilaté à l'échelle planétaire depuis la publication du texte-jalon de Lénine sur l'impérialisme (« L'impérialisme, stade suprême du capitalisme », 1916). Mais cette centralisation capitaliste et cette ronde infernale du capital financier qu'elle suscite, répondent à des lois totalement immuables et parfaitement décrites par Marx, reprises ensuite comme fondements de l'explication de Lénine sur la nouvelle phase impérialiste dans laquelle venait d'entrer le capitalisme. Elle ne modifie donc pas sa nature, elle la confirme. Le contexte du capitalisme d'aujourd'hui se distingue de ce qu'il était pendant la phase d'expansion post-deuxième guerre impérialiste par le fait que l'écroulement des pays de l'Est, mais aussi des facteurs comme la fin du cycle des guerres nationales anticoloniales, ont ouvert une nouvelle phase de repartage du monde où les batailles de rapine entre grands groupes capitalistes sont devenues acharnées, où les manœuvres des impérialismes dominants sont toujours plus conflictuelles, où l'échelle de ces disputes pour la domination des marchés s'élargit et où la vitesse de réaction des armées financières capitalistes devient une donnée toujours plus importante. La formidable capacité d'expansion du capital à tous les domaines de la vie (même l'air que l'on respire est devenu source de commerce avec les fameux droits de polluer américains) est un phénomène qui n'étonne pas les marxistes : « Le capitalisme, c'est la production marchande à son plus haut degré de développement, où la force de travail elle-même devient une marchandise. L'extension des échanges tant nationaux qu'internationaux, surtout, est un trait distinctif du capitalisme. Le développement inégal et par bonds des différents pays, est inévitable en régime capitaliste. »

Dire que le capitalisme est entré dans une nouvelle dimension est une vraie découverte d'universitaire en mal de sensation historiques ! Chaque minute qui passe nous fait découvrir une dimension nouvelle du capitalisme puisque, le temps d'écrire ces lignes, il s'est encore accru de quelques pouces quelque part dans le monde ! Globalisant, le capitalisme l'a toujours été, destructeur de modes anciens de production aussi (et il le fut bien plus à sa formation et dans ses premières phases de pénétration du monde qu'il ne l'est aujourd'hui dans un monde qu'il a totalement conquis !), éliminateur de la petite production aussi, brasseur de population grâce à l'émigration ouvrière aussi. L'important pour l'analyse de la situation du capitalisme n'est donc pas la taille prise par le capital mais ses règles de croissance, puisque c'est par rapport à ces règles de croissance que se définissent les règles de sa destruction. La dimension quantitative du capitalisme ne nous sert pas pour développer une théorie ou un programme de lutte anticapitaliste, elle nous indique «seulement» le degré de maturité de la société pour la révolution. Ce n'est pas le contenu de la révolution prolétarienne qui change avec la taille de l'ennemi, mais seulement la propre taille, dimension et échelle de cette révolution. L'internationalisation du capitalisme est un processus si peu nouveau que Lénine le décrivait déjà comme le principal facteur de développement du capitalisme en Russie et se félicitait que grâce à ce processus et à ses effets destructeurs pour la société russe réactionnaire, se créaient et se développaient les conditions objectives de la révolution démocratique et prolétarienne (Il ne gémissait pas sur la mainmise du capital européen sur la libre détermination russe !). La dimension nouvelle du capitalisme entré dans sa phase impérialiste n'avait donc rien d'une inconnue et n'avait donc rien d'imprévisible pour les marxistes d'alors, pas plus qu'aujourd'hui la dimension du capitalisme serait une imprévision du marxisme ou une découverte inattendue. La guerre entre capitaux et leurs états-majors nationaux, l'élargissement toujours plus grand des champs de bataille n'ont donc rien à voir avec une gestion « impériale » où l'impérialisme se présenterait comme entité unique, étouffant les antagonismes au point de les faire disparaître, même si cette unicité est décrite par le professeur Negri comme le résultat du rapport de force du plus fort, les États-Unis sur les autres.

La centralisation du capital, la toute puissance du capital financier, la tendance à l'accaparement du marché par un nombre toujours plus restreint de capitalistes, la fusion de capitaux toujours plus importants, comme d'ailleurs leur désagrégation toujours plus brutale, ne datent pas d'hier ; ce sont autant de phénomènes inscrits dans le développement même du capital et régis par les lois invariantes du mode de production capitaliste. L'échelle prise ces vingt dernières années par la centralisation du capital et l'accélération de sa circulation à l'échelle planétaire ne peut que nous réjouir, pour deux raisons : elle confirme toutes les thèses marxistes sur les lois fondamentales du capitalisme ; et, accumulant à une échelle formidable les contradictions internes de ce mode de production, elle œuvre potentiellement de formidables perspectives pour la lutte internationale et internationaliste de la classe ouvrière, même si nous n'en voyons pas encore à l'instant les réels prémisses. Le fameux constat du professeur Negri sur la globalisation du marché, base de toute son imbécile divagation « marxienne », n'est que du réchauffé : le véritable « constat » d'origine a été fait il y a un siècle avec la caractérisation de la nouvelle phase impérialiste du capitalisme. Depuis, le capitalisme n'a fait que se propager de manière gigantesque sans changer ni de nature ni de phase.

L'impérialisme putréfié

Mais le professeur Negri, comme porte-parole de la démocratie bourgeoise, voit dans ce gigantisme de la centralisation du capitalisme à l'échelle mondiale autre chose de bien plus subliminal, quelque chose que seuls les petits-bourgeois avides de nouveautés peuvent percevoir : « Ce dispositif [de concentration militaire, monétaire, culturel, linguistique, communicationnel, NdlR] est supranational, mondial, total : nous l'appelons « empire ». Encore faut-il distinguer cette forme « impériale » de gouvernement de ce que l'on a appelé pendant des siècles « l'impérialisme ». Par ce terme nous entendons l'expansion de l'État-nation au-delà de ses frontières ; la création de rapports coloniaux (souvent camouflés derrière le paravent de la modernisation) aux dépens de peuples jusqu'alors étrangers au processus eurocentrés de la civilisation capitaliste ; mais aussi l'agressivité étatique, militaire et économique, culturelle, voire raciste, de nations fortes à l'égard des nations pauvres. Dans l'actuelle phase impériale, il n'y a plus d'impérialisme - ou, quand il subsiste, c'est un phénomène de transition vers une circulation des valeurs et des pouvoirs à l'échelle de l'Empire [souligné par nous, NdlR]. De même, il n'y a plus d'État-nation : lui échappent les trois caractéristiques substantielles de la souveraineté - militaire, politique, culturelle -, absorbées ou remplacées par les pouvoirs centraux de l'Empire. La subordination des anciens pays coloniaux aux États-nations impérialistes, de même que la hiérarchie impérialiste des continents et des nations disparaissent ou dépérissent ainsi : tout se réorganise en fonction du nouvel horizon unitaire de l'Empire. »

Difficile de balancer à l'eau en si peu de mots autant de vérités scientifiques ! L'impérialisme donc est une notion ringarde selon l'érudit Negri. En quelque sorte l'impérialisme, et les États qui en sont les protagonistes, se seraient auto-digérés ou auto-éteints pour se transmuer de vulgaires représentants d'intérêts capitalistes particuliers et « archaïques », en quelque chose de bien plus noble, qui dépasse la propre conscience qu'elle a d'elle-même et que les intellectuels bourgeois avisés et attentifs se font un devoir de lui révéler. Une sorte de gouvernement mondial, construit sur « un ordre biopolitique » (sic!) est en train de se mettre en place et, relève le professeur donneur de leçons d'un doigt menaçant : « (...) les autorités américaines ne sauraient refuser la responsabilité du gouvernement impérial » (resic), refus d'autant plus improbable que selon lui ce ‘‘pouvoir impérial’’ serait « fixé par une Constitution américaine élargie de manière impériale au marché mondial » (reresic). La « globalisation du marché » a donc eu raison de l'impérialisme, paix à son âme. L'impérialisme était soluble dans la démocratie, personne ne le savait et le marxisme ne l'avait pas prévu. Merci monsieur le professeur pour cette découverte fondamentale !!!

Il est difficile - que monsieur le professeur nous pardonne notre vision terre à terre - de se représenter ce « gouvernement impérial biopolitique » sous d'autres formes que celles, politiques, économiques, militaires et syndicales, que l'impérialisme a bâties pour assurer sa domination. S'il venait à exister, il ne pourrait être que le produit de ces structures forgées au cours des décennies pour aider, faciliter et tenter de réguler l'expansion capitaliste. D'ailleurs, rappelons que l'organisation internationale de l'impérialisme connue à ce jour, débuta avec la SDN (Société des Nations, créée par le Traité de Versailles et qui dura de 1920 à 1946), la fameuse caverne des brigands, et sa fin fut suivie après la deuxième guerre impérialiste par un élargissement et une extension des organismes internationaux de l'impérialisme. La SDN fut remplacée par l'ONU et son cortège d'organismes satellites politiques, militaires, économiques et l'impérialisme mit en place toute une kyrielle d'organisations telles que le GATT (OMC aujourd'hui), l'OCDE (en 1961) pour contrôler le marché mondial et assujettir toutes les nations aux intérêts des plus puissants, le BIT pour assurer un meilleur contrôle social de la force de travail. Le FMI et la Banque mondiale furent aussi créés au sortir de la guerre pour contribuer aux efforts de reconstruction capitaliste. Viendront plus tard, pour forcer la vapeur, des accords commerciaux et financiers internationaux au profit des plus puissants, les réunions directes du G7 et G8 ensuite, des cadres moins formels comme le forum de Davos, etc...

Les bases de l'organisation mondiale de l'impérialisme, fondée aujourd'hui sur la domination du capitalisme américain, fonctionnant toujours sur les mêmes principes de domination des pays capitalistes les plus riches et les mieux armés sur les autres, ont donc été mises en place il y a un demi-siècle, si l'on considère la SDN comme une tentative précurseuse. Pour le professeur Negri, ce grand commandement du monde se substitue aux obsolescentes « Nations-États » et annihile leur relative autonomie impérialiste. Qu'il mette le compte de cette transition sur : « la lutte de classe ouvrière, des prolétaires du tiers-monde etc... », ne fait qu'ajouter au confusionnisme une dimension démagogique. Une précision s'impose : « (...) l'Empire est simplement capitaliste : c'est l'ordre du «capital collectif», cette force qui a gagné la guerre civile du XXe siècle. » Mais alors, si l'impérialisme n'est plus, si le capitalisme peut donc se gérer de manière centrale, en véritable capitalisme collectif, si la classe ouvrière à déjà gagné sa bataille contre l'impérialisme, donc si la société a posé les bases objectives d'une société maîtrisable et planifiable, fût-ce par un ordre encore plus centralisateur, que reste-t-il à faire ?

Du réformisme national au réformisme mondial

 Le professeur Negri décrit l'état nouveau de l'ordre mondial comme étant la transformation qui fait passer la société du stade de la coercition et de l'exercice de « dispositifs disciplinaires » des États-nations (en termes plus justes, des puissances impérialistes) à celle d'une administration centralisée de la production et de la société : « Si la détérritorialisation de la production incite à la mobilité et à la flexibilité sociales, elle accroît aussi la structure pyramidale du pouvoir et le contrôle global de l'activation des sociétés concernées. Ce processus paraît désormais irréversible, qu'il s'agisse du passage des nations à l'Empire, du déplacement de la production de la richesse des usines et du travail à la communication ou encore de l'évolution des modes de gouvernements disciplinaires vers des procédures de contrôle. »

Du point de vue de la conservation de l'ordre bourgeois, le professeur Negri a certainement raison d'avancer de telles théories. L'extraordinaire généralisation et développement du capitalisme à l'échelle mondiale contient en son sein à l'état latent le formidable potentiel de lutte de classe du prolétariat international. Comment demain canaliser des luttes qui - correctement dirigées - pourraient s'appuyer sur cette centralisation du capital à l'échelle internationale et seraient capables d'unifier les rangs ouvriers par-delà les frontières, de leur donner des objectifs communs de lutte classiste, d'amener la solidarité ouvrière à s'élargir non seulement au-delà des entreprises et régions mais aussi au-delà des limites nationales ? La bourgeoisie a bien intérêt à adapter son appareil de domination impérialiste pour en faire aussi un facteur de contrôle social et politique sur les potentialités de luttes de classe internationales, pour étouffer, par l'ouverture du « dialogue » et la distribution de strapontins, toute velléité de luttes et d'affrontements frontaux avec les classes exploitées du monde. Le Forum de Davos programme déjà de faire participer des militants contestataires, gageons que nous pourrions bientôt y voir le professeur Negri.

La recette de l'opportunisme et des démocrates petits-bourgeois pour contribuer à cette adaptation est toujours la même : un peu de démocratie injectée dans le fonctionnement de l'appareil de domination bourgeois, « espaces » de dialogue et participation de tous, renouveau de la « citoyenneté ». Avec ces ingrédients de la cuisine traditionnelle démocratique, le professeur Negri assure venir à bout de l'Empire, comme les prolétaires sont déjà venus à bout de l'État-nation colonialiste et impérialiste : « Elle [la constitution de l'Empire] inaugure du même coup une nouvelle étape de bataille des exploités contre le pouvoir du capital. L'État-nation, qui enfermait la lutte des classes [pas du temps de la révolution russe et de la IIIe Internationale, Monsieur le professeur], agonise comme avant lui l'État colonial et l'État impérialiste. Attribuer aux mouvements de la classe ouvrière et du prolétariat cette modification du paradigme du pouvoir capitaliste, c'est affirmer que les hommes approchent de leur libération du mode de production capitaliste. » Ouf ! Bientôt le socialisme, plus qu'une étape à franchir ! Si le professeur Negri veut faire de la provocation intellectuelle, jeu très prisé des petits-bourgeois, il y réussit très bien. S'il prétend faire avancer la lutte du prolétariat c'est une autre histoire !

Lorsqu'il s'interroge ainsi dans son article : « (...) comment la guerre civile des masses contre le capital monde [encore une jolie expression pour s'élever au-dessus des basses réalités de l'exploitation capitaliste] peut-elle éclater dans l'Empire ? », il ne veut surtout pas suggérer que le prolétariat international doit mener une guerre révolutionnaire armée, sous une direction de parti unique, dans la perspective d'imposer son pouvoir par la force aux anciennes classes dominantes. Il ne s'agit que d'emphase du langage. Bourgeois ne craignez rien ! Les références à la lutte qui sont avancées dans l'article sont au mieux celles des grèves de l'hiver 1995 en France, c'est-à-dire d'une lutte défensive de caractère économique, donc limitée dans les objectifs et dans les moyens et ne sortant pas du cadre légal bourgeois. Rien à voir avec un appel à la lutte révolutionnaire du prolétariat ! Cela démontre clairement une chose : la lutte prétendument révolutionnaire contre l'Empire n'ira pas plus loin que les pacifiques démonstrations syndicales ou démocratiques. La « guerre civile » se réduit ainsi à un inoffensif mouvement d'insoumission civile, à « une nouvelle expression de la démocratie dans le contrôle des conditions politiques de reproduction de la vie ». Danger écarté !

Donc, pour résumer, l'Empire est destiné à disparaître sous la « poussée » des mouvements d'opinion et de citoyenneté (c'est-à-dire de collaboration de classe) sans avoir à subir d'assaut armé du prolétariat érigé en classe antagonique du capital. Encore quelques grèves citoyennes et quelques frasques à la Bové et l'Empire s'effritera comme une falaise sous l'action des vagues, laissant la place à ce que le professeur Negri appelle le « commun », nouvelle société fondée sur des valeurs d'égalités. Voilà en tout cas un programme démocratique très riche en utopies conservatrices et à l'usage de la classe dominante pour épaissir un peu plus l'écran qu'elle entretient entre la classe prolétarienne et son programme, ses tâches et ses objectifs indépendants de classe.

Ce que nous concluons avec Lénine

Pour rafraîchir la mémoire de ceux dont la raison d'être sociale de petit-bourgeois intellectuel est de travestir sans cesse le patrimoine théorique et politique du communisme au nom de la nouveauté, du mouvement (qui est toujours roi pour l'opportunisme), de la « recherche scientifique » même, il faut rappeler par quelques commentaires ce que Lénine observait dans l'évolution du capitalisme à une époque où il venait d'achever son passage du stade de la libre concurrence à celui du monopole, engendrant ainsi l'évolution vers l'impérialisme et la domination du capital financier. Ce passage n'était d'ailleurs pas une nouveauté pour les marxistes, puisque toute cette inexorable tendance était largement décrite et expliquée par Marx et par Engels. De leur analyse du processus de concentration capitaliste et de formation de groupes de plus en plus puissants qui se partagent le monde et dictent leur politique aux grands États bourgeois, ni l'un ni l'autre ne concluaient alors qu'un autre processus, politique, aurait dû suivre, éloignant la révolution comme moyen unique de libérer la classe exploitée du joug capitaliste. Au contraire, ils tiraient la conclusion que toute hypothèse d'un passage « pacifique » du capitalisme au socialisme s'éloignait à grande vitesse devant la concentration capitaliste et l'assujettissement de plus en plus évident de l'État au capital financier, donc de la totale et absolue dépendance de toute la machine parlementaire aux intérêts supérieurs du capital national.

Lénine n'a pas eu d'autre ligne lorsqu'il écrivait « L'impérialisme, stade suprême du capitalisme ». Ce n'est pas de soi-disant nouveautés politiques qu'il cherchait à mettre en avant pour orienter politiquement le prolétariat international, mais la confirmation inébranlable que seule la révolution, c'est-à-dire la prise du pouvoir armée par la classe ouvrière et sous la direction de son parti de classe, peut venir à bout du capitalisme. Une autre certitude qui accompagnait ce texte classique est que la révolution bénéficiait - et non pas subissait comme un passif ou un handicap - de la formidable expansion à l'échelle mondiale du capitalisme, de sa capacité phénoménale à pénétrer les contrées les plus éloignées et les aires les plus diverses et de l'exacerbation des antagonismes inter-impérialistes qui en résultait. Cette dynamique-là, fût-elle accompagnée des guerres les plus terribles, et en 1916 lorsque Lénine écrivait « l'impérialisme », la guerre faisait rage, était au contraire considérée par tout bon marxiste comme une aubaine historique à ne pas rater pour faire mûrir la révolution et en faire une lutte non pas nationale - il ne pouvait en être question du point de vue autant théorique que politique et militaire - mais une lutte internationale, en mettant en mouvement la classe ouvrière de tous les pays et de tous les continents. La poussée de cette vague révolutionnaire, facilitée par la pénétration mondiale du capitalisme et son mode d'organisation monopoliste, devait en plus mettre en mouvement toutes les nations opprimées par les anciens partages coloniaux et placer leur mouvement dans le sillage de la révolution mondiale du prolétariat.

Telle était en quelques mots la perspective que donnait Lénine quand il expliquait ce qu'était l'impérialisme. Donc pas de retour en arrière vers un capitalisme de libre concurrence, où le marché national domine encore largement le développement capitaliste et où les marchés extérieurs sont plutôt des comptoirs coloniaux de ravitaillement en matières premières, réservoir de forces de travail esclavageables à volonté ou encore de chair à canons pour l'armée de la métropole (La Chine fut un des derniers exemple de ce genre, où la brutalité coloniale atteignit son paroxysme), mais marche forcée vers l'internationalisation de la lutte de classe et vers la révolution mondiale, mais réaffirmation ferme et sans concession de la doctrine du socialisme scientifique de Marx, réaffirmation donc de la nécessité du parti mondial (que représentera la IIIe Internationale), donc de la centralisation politique de la révolution mondiale pour répondre aux coalitions mondiales du capitalisme, direction militaire unique de la classe ouvrière, réaffirmation de la nécessité de la lutte armée et de la violence révolutionnaire, réaffirmation de la dictature du prolétariat comme condition phare du maintien au pouvoir pour la transformation de la société héritée du capitalisme vers la société sans classe du socialisme. Les innovateurs et les modernisateurs du socialisme scientifique, ont en général tous un point commun : ils ne sont que les épigones plus ou moins proches de quelques pères spirituels, dont ils masquent la filiation pour paraître plus originaux et uniques en leur genre dans l'histoire. Mais bien avant le professeur Negri, d'autres antimarxistes (ou ayant renié le marxisme) se sont targués de grandes découvertes historiques, ont fourni de nouvelles assises pseudo-théoriques au réformisme pour renforcer son influence parmi les rangs du prolétariat, pour mieux contrôler sa lutte en la maintenant dans un cadre légaliste étroit, et donc dans le but caché de conservation de l'ordre bourgeois.

Le professeur Negri ne fait finalement que marcher dans le sillage politique de personnage comme Kautsky, mais sans en avoir l'envergure historique. La manière de poser les problèmes du développement, des phases du capitalisme et des conséquences politiques à en tirer pour la lutte de classe, relève de la même méthodologie aprioriste, masquée dans les deux cas par la terminologie marxisante, mais parfaitement opposée au matérialisme historique. Ayant rejeté la nécessité de la révolution prolétarienne ou plutôt ne l'ayant jamais défendue, l'épigone, à l'image de son père spirituel, trouve dans les a priori démocratiques les raisons de sa négation du marxisme. Il les trouve dans le même argument: le capitalisme change, évolue et avec lui doit évoluer la politique applicable au mouvement de luttes de classes. Kautsky, qui fut marxiste avant de se renier et passer dans le camp de l'union sacrée de la 1ère guerre impérialiste et de la contre-révolution, évoluait à une époque où les changements du capitalisme étaient bien plus marquants que ceux qu'on observe aujourd'hui.

Alors que cette phase montante du capitalisme impérialiste était un formidable pas en avant vers la révolution mondiale du prolétariat, Kautsky y voyait par contre une bonne raison de faire confiance à cette évolution du capitalisme pour y échapper. Le capitalisme, selon lui, était entraîné dans une évolution irréversible où l'entente internationale des capitaux mettrait fin à la concurrence anarchique, aux guerres entre blocs impérialistes et rangerait définitivement au placard la nécessité du renversement révolutionnaire de la bourgeoisie : « Du point de vue purement économique, écrit Kautsky, il n'est pas impossible que le capitalisme traverse encore une nouvelle phase où la politique des cartels serait étendue à la politique extérieure, une phase d'ultra-impérialisme », c'est-à-dire une phase « d'exploitation en commun de l'univers par le capital financier uni à l'échelle internationale », donc précise Lénine dans « L'impérialisme, stade suprême du capitalisme », de cessation des luttes et des guerres entre impérialistes du monde entier. Plus loin, Lénine ajoute le commentaire suivant : « Les propos absolument vides de Kautsky sur l'ultra-impérialisme encouragent, notamment, cette idée profondément erronée et qui porte de l'eau au moulin des apologistes de l'impérialisme, suivant laquelle la domination du capital financier atténuerait les inégalités et les contradictions de l'économie mondiale, alors qu'en réalité elle les renforce. »

La théorie de la putréfaction de l'impérialisme selon le professeur Negri, réchauffe la vieille idée de Kautsky selon laquelle l'impérialisme, en se développant, réduit les contradictions et antagonismes capitalistes jusqu'au stade de n'apparaître que comme une seule entité non conflictuelle. Et nous rajoutons que si l'Empire fait disparaître les rivalités impérialistes, il fera aussi disparaître les guerres impérialistes. Donc et en dépit de ce que pourrait bien dire là-dessus le professeur Negri, l'idée de l'existence d'un ultra-impérialisme est bien reprise dans son essence par la théorie de l'Empire. Mais il la porte tout aussi loin que le chef social-démocrate-traître allemand de l'époque : par le seul fait d'une action démocratique des prolétaires et masses exploitées, les forces de l'Empire - en réalité du capitalisme et de l'impérialisme - se trouveraient totalement sublimées au point de s'auto dissoudre dans la démocratie bourgeoise qu'il génère pourtant lui-même comme forme de domination. Le colonialisme, l'impérialisme s'étant évaporé comme par l'action démocratique et sans l'action brutale de la révolution, il n'y a pas de raison que l'Empire ne suive le même chemin ! Le résultat de ce parcours sans accrocs sera une autre société certainement sublime, mais dont le concept n'apparaît pas dans cet article. Mais existe-t-il ?

L'histoire de la lutte de classes est truffée de petits génies bourgeois qui croient pouvoir marier la révolution à leurs espérances de classes moyennes et qui exploitent la confusion théorique et politique de la classe ouvrière pour se faire valoir dans le cercles des littérateurs et pour gonfler leur notoriété publique. Notre rôle est de combattre sans répit ses faiseurs d'illusions. Ils sont en réalité au service de la conservation de l'ordre bourgeois, ils se dresseront demain contre les « incivilités citoyennes » (pour utiliser leur style de langage) du prolétariat en lutte contre le capitalisme et l'impérialisme toujours bien vivant. Ils se dresseront contre les non moins incivilisés communistes révolutionnaires, contre l'organisation de parti mondial qu'ils auront construite, contre les organisations ouvrières luttant sans concession contre l'État bourgeois, toujours bien en place et toujours prêt à l'affrontement contre-révolutionnaire avec le prolétariat.

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